Tout a commencé dans un bar de grand hôtel.
Tout commence presque toujours dans un bar de grand hôtel entre Franck et moi depuis quelques années…
Comme nous travaillons comme des brutes, nous nous retrouvons dans des endroits feutrés où tout n’est qu’ordre et beauté, riches, calme et volupté.
Je ne tombe plus dans les pommes quand je découvre les prix des consommations sur la carte pour la bonne raison que je ne les regarde plus.
Je dors rarement plus de six heures par nuit et je n’ai plus les moyens de m’offrir le luxe de ma radinerie.
Je permets aux gens de (se) faire très plaisir en (s’)offrant de très jolies fleurs six jours sur sept de 11 heures à 21 heures et, pour me remercier d’être devenue cet inestimable trésor de bienfaits, je me vautre dans des fauteuils moelleux le septième jour et j’offre à mon pauvre ami réparateur de tiares et de diadèmes de reines tombées en poussière des cocktails qui valent mille fois plus cher que la peau de mon cul.
J’adore.
J’ai un compte à régler avec mon passé et je le règle rubis sur l’ongle dans des palaces cinq étoiles. Pour le coup, c’est un contrepoids qui tient bien la route.
Je ne sais plus dans quel hôtel nous nous trouvions ni ce que nous buvions, mais ce devait être fort agréable puisque j’ai fini par céder à son caprice.
Franck avait des vues sur un garçon ravissant qui partait faire une randonnée avec des « copains » (déjà, je n’aimais pas ce mot…) et leurs enfants dans les Cévennes et qui lui avaient proposé de se joindre à eux.
Les paysages seraient sublimes, la nourriture plus bio que nature, les cieux incomparables et les ânes trop gentils.
Et puis ça leur ferait du bien de marcher un peu, de faire du sport, de prendre un bon bol d’air et tout et tout.
Bon.
Franck voulait aller baiser à la belle étoile dans une ambiance saine, familiale et zoophile, pourquoi pas ?
Non, s’énervait-il, tu n’as rien compris. Ce n’est pas du tout ce que tu crois. Celui-là, j’ai vraiment l’impression que c’est l’homme de ma vie et je n’y vais pas pour consommer, j’y vais parce que je suis romantique.
Bon.
Des hommes de sa vie, j’en avais déjà vu passer quelques-uns et je n’en étais plus à un bourricot près. J’ai cessé de ricaner.
Là où le bât commençait déjà à me blesser, c’est qu’il voulait que je l’accompagne. Genre chaperon. Genre demoiselle d’honneur. Genre pour bien montrer patte blanche et meilleures intentions. Genre pour faire famille aussi, quoi…
Oh là là, j’ai fait.
Moi ?
Marcher ?
Avec de gros godillots hideux qui pèsent une tonne chaque ?
Et un bob sur la tête ?
Et une gourde ?
Et un K-Way fluo ?
Et une pochette-banane ?
Et des moustiques ?
Et des gens que je connaissais même pas ?
Et des ânes que je saurais même pas tenir en laisse ?
Oh là là ! j’ai conclu, zéro chance que ça arrive !
Mais à la fin, j’ai dit oui quand même.
Francky sait s’y prendre pour me ramollir la couenne et les cocktails ont assuré le reste du démantèlement de ma pauvre carcasse. Et puis ça fait partie du deal-de-la-chambre-d’hôtel-d’après-la-partie-de-chasse : nous osons rarement nous demander des faveurs, mais celles auxquelles nous tenons vraiment, nous n’avons même pas besoin de nous les demander.
Et puis, disons-le : ce serait la morte-saison dans ma petite boutique et ça me ferait du bien de laisser ma momie se déshydrater peinard pendant quelques jours. Donc, banco : nous sommes allés Au Vieux Campeur le lundi suivant et je me suis retrouvée avec des genres de Moon Boot en croûte de vachette aux pieds.
Trop belles…
J’avais décidé de prendre toute cette aventure à la rigolade et j’ai commencé là, dans la boutique. Je me la suis jouée pouf à fond et j’ai tout essayé en hésitant pendant des plombes.
Franck voulait de la bourrique, il en aurait.
En vérité, j’étais très contente de partir en vacances avec lui. Voilà des années que nous ne nous voyions plus qu’entre deux portes tambour et il me manquait. Nous me manquait.
En plus, ça tombait pile poil dix ans après nos répétitions d’Alfred de Musset et ça, ça me plaisait. La perspective de le rendre chèvre pendant une semaine au milieu des moutons, c’était un beau cadeau d’anniversaire.
Dix ans. Dix ans déjà qu’on ne baratinait pas avec l’amour et il était déjà, je ne me faisais aucune illusion sur mon cas, ma plus grande histoire possible…