On est repartis comme on a pu, clopin-clopant dans le soleil et dans le vent.

J’avais fabriqué une attelle à Franck avec des bouts de bois et de la ficelle et il se tenait à Bourriquet comme à un déambulateur.

Ce n’était plus nous qui le guidions, ce petit âne providentiel, c’était lui qui nous ramenait au bercail.

Du moins l’espérions-nous…

Au bercail ou n’importe où.

N’importe où, mais pas auprès de ma dernière victime, hein ?

Hein, Bourriquet ? Tu me fais pas ce coup-là, OK ?

S’il te plaît…

Non, non, qu’il répondait, je vous ramène à l’écurie.

Moi aussi, j’en ai plein la croupe de toutes vos conneries…

Bon.

On lui faisait confiance.

Clopin-clopant,

dans le soleil et,

daaans le vent.

(Bon, là, c’est sûr, ça rend mieux si on a l’air dans la tête.)

Il était vraiment trop mignon, ce petit âne.

Je reviendrai le chourer un jour, tiens…

Sinon, je ne parlais plus.

Du tout.

Macache.

Trop d’émotions, trop de fatigue, trop de douleur et trop vexée, aussi, il faut bien le dire…

Franck a essayé à deux ou trois reprises de lancer un sujet de conversation, mais je l’avais laissé retomber entre nous deux comme un vieux tas de crottin tout pourri.

C’est bon. Je suis pas une sainte, non plus…

Il aurait pu me parler au moins une fois dans la nuit…

Rien qu’une.

Je lui en voulais à mort.

En plus, je m’étais ridiculisée devant toutes ces étoiles froides qui n’en avaient rien à foutre de mes histoires.

Et j’avais pleuré et tout.

Mais quelle conne…

Silence.

Gros silence dans le soleil et le grand froid sibérien.

Et puis… au bout d’une heure, peut-être… j’ai fini par craquer.

J’en avais marre d’être toute seule dans ma tête depuis la veille au soir. Trop, trop marre. J’étais en trop mauvaise compagnie. Et puis, je m’ennuyais de lui. Je m’ennuyais de mon salopard d’ami.

Alors j’ai dit comme ça :

– Dis donc, y fait chaud, non ?

Et il m’a souri.

Ensuite, on a discuté de choses et d’autres comme au bon vieux temps, mais sans jamais faire la moindre allusion à mes derniers exploits. Bah, ça y était. C’était oublié… J’en ferais bien d’autres, va…

Au bout d’un moment, il m’a demandé comme ça :

– Pourquoi tu riais ?

– Pardon ?

– J’ai bien compris que tu étais très malheureuse et extrêmement préoccupée par mon état de coma avancé, mais à un moment, pendant la nuit, je t’ai entendue rire. Rire aux éclats. On peut savoir pourquoi ? Tu pensais à tout ce que tu allais pouvoir me voler à la Fidélité ?

– Non, j’ai souri, non… C’est parce que je repensais à la gueule des mecs de notre classe quand on a eu fini de jouer notre scène…

– Quelle scène ?

– Ben, tu sais bien… celle de Musset…

– Ah bon ? J’étais en train d’agoniser à tes pieds et toi, pendant ce temps-là, tu pensais aux crétins de notre classe d’il y a perpète ?

– Ben, ouais…

– Et c’était quoi, le rapprochement ?

– Je sais pas… Ça m’est venu comme ça…

– Ah, bon ?

– Oui.

– T’es vraiment une drôle de fille, toi, hein ?

– …

Silence.

– Dis donc, tu ne parlerais pas de cette pièce où Perdican épouse Rosette à la fin ?

Et rebelote. Nous voilà repartis pour un tour.

C’était quand même le plus éculé de tous nos running gags, mais bon… allons-y s’il y tenait, allons-y…

– Non. Il ne l’aurait jamais épousée.

– Si.

– Non.

– Bien sûr que si.

– Bien sûr que non. Des mecs comme ça, ça n’épouse pas des petites gardeuses d’oies de merde. Je sais que t’aimerais y croire parce que t’es un gros romantique du temps des troubadours, mais tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate. Moi, je viens de la caste à Rosette et je peux te dire qu’au dernier moment, il se serait débiné… Ses affaires l’auraient rappelé à Paris ou un truc dans le genre… En plus, son père n’aurait jamais permis ça. Il y avait encore 6 000 écus en jeu, je te rappelle…

– Si.

– Non.

– Si. Il l’aurait épousée.

– Pour quoi faire ?

– Pour la beauté du geste.

– Beauté du geste, mon cul. Il l’aurait sautée et il l’aurait laissée sur le carreau avec son bâtard, ses poules et ses dindons.

– Que tu es cynique…

– Oui…

– Pourquoi ?

– Parce que je connais la vie mieux que toi…

– Oh, pitié… Arrête… Tu ne vas pas remettre ça…

– J’arrête.

Silence.

– Billie ?

– Yes.

– Est-ce que tu veux bien m’épouser ?

– Pardon ?

Même l’âne s’était arrêté.

– Est-ce que tu veux bien qu’on se marie, nous aussi ?

Ah, non, il était en train de crotter…

– Pourquoi tu déconnes avec ça ?

– Je ne plaisante pas. Je n’ai même jamais été aussi sérieux de ma vie.

– Mais… euh…

– Euh, quoi ?

– Ben on est pas vraiment du même bâtiment, quoi…

– Tu parles de quoi, là ?

– Ben, tu sais bien…

– Dis-moi, c’était qui la fille déjà, qui m’avait expliqué un jour que le vrai de l’amour, ça n’avait rien à voir avec la planche anatomique ?

– Je ne sais pas. Une petite merdeuse qui voulait toujours avoir le dernier mot, j’imagine…

– Billie…

– Oui ?

– Marions-nous… Ils sont tous en train de nous casser les pieds avec leur mariage pour tous, leur manif pour tous, leur contre-manif pour tous, leur haine pour tous, leurs préjugés pour tous et leurs bons sentiments pour tous… Alors pourquoi pas nous, hein ? Pourquoi pas nous ?

Mais c’est qu’il était vraiment sérieux, ce crétin…

– Et pourquoi on ferait comme les autres ?

– Parce qu’une nuit, je ne sais pas si tu t’en souviens… c’était il y a très longtemps… Une nuit, tu m’as fait promettre de ne jamais t’abandonner parce que tu ne faisais que des bêtises sans moi… Et j’ai essayé, tu sais… J’ai vraiment essayé d’honorer ma promesse… Mais je ne suis pas encore assez balèze pour y parvenir. Il suffit que je marche quatre pas derrière toi pour que tu débloques de nouveau… Alors, je voudrais t’épouser pour qu’il t’arrive moins de bricoles dans l’avenir… On ne le dirait à personne et ça ne changerait rien à nos façons de vivre d’aujourd’hui, mais nous, on le saurait. On saurait que ce lien-là, aussi, existe entre nous, et on le saurait pour toujours.

Tu parles si je m’en souvenais de cette nuit-là…

Ainsi donc, il n’avait pas fait que dormir, lui non plus…

– Tu sais bien que j’en ferai toujours, des conneries…

– Eh bien non, justement. J’ai la prétention de croire que ça te calmerait un peu.

– De quoi ?

– D’avoir enfin un petit bout de famille rien qu’à toi…

Silence.

– Dis oui, Billie… Là, je ne peux pas me mettre à genoux parce que j’ai trop mal, mais imagine que je le fais… Imagine la scène… Avec ce petit âne pour témoin… Ça fait dix ans que je rame avec toi et aujourd’hui, j’ai vraiment envie de conclure…

– Pourquoi tu m’épouserais, moi, d’abord ?

– Parce que tu es le plus bel être humain que j’aie jamais rencontré et que je ne rencontrerai jamais et que j’ai envie que ce soit toi qu’on appelle en premier s’il m’arrivait une bricole à moi aussi.

– Ah ? Ah bon ? Ah bon, ben oui, alors… j’ai soupiré. Si c’est juste pour une histoire de coup de fil, je veux bien… Ch’uis serviable, moi…

Dis donc, petite étoile, elles ont l’air super tes fêtes, mais, hé… vas-y mollo sur les poppers, ma poulette, parce que c’est carrément cosmique, là…

Silence.

Silence dans le soleil et dans l’azur.

– Et alors ? Pourquoi elle sourit bêtement comme ça, la petite Billie, là ? il m’a lancé d’un air moqueur, elle pense à sa nuit de noces ?

Mais… rhôôô… euh… je ne souriais pas bêtement du tout. Je souriais très finement, au contraire.

Je souriais parce que je ne m’étais pas trompée.

Eh non…

Je bichais pleins phares parce que j’avais eu raison encore une fois : une bonne histoire, surtout d’amour, ça se termine toujours par un mariage à la fin avec des chants, des danses, un tambourin et tout ça.

Eh oui…

La, la, reli… drela…

Загрузка...