Les dames bénévoles, tu leur donnerais le bon Dieu sans confession. D'un sérieux ! D'un guindé ! Tu peux pas croire que ces énervées du slip se fassent tromboner en des figures sauvages, la nuit venue ! Sont toutes en Chanel strict, pas ou peu fardées, rigides. Le beau monde cultive les apparences et il a bien raison. Elles lui servent de vertu et moi je trouve que c'est mieux que rien. Faire semblant est un début de réalité. Si tu fais de plus en plus semblant, t'arrives progressivement à être pour de bon ce que tu souhaites paraître. Faut pas renâcler. Tous les sentiers sont bons, qui conduisent au ciel.
Trois gonzesses, plus Francine de Saint-Braque. Des gerces s'étageant de trente à cinquante balais, avec toutes le même style chochotte. L'air de t'éplucher les subjonctifs, de contrôler que tu tiens bien ta fourchette de la main gauche et que tu ne craches pas les noyaux de cerise directo dans ton assiette. Certaines sont maridas puisqu'elles portent alliance, d'autres prennent des bains de siège pour se calmer les ardeurs nocturnes lorsqu'elles n'ont pas de bitounes à se carrer dans la moniche[2].
Ce qui les révèle sûrement, c'est leur regard. Ce je ne sais quoi d'indéfinissable qui laisse transparaître leurs langueurs intimes : les sanglots longs du violon de leur chatte.
Je les salue et me plais à voir s'allumer d'emblée des convoitises sexuelles dans leurs prunelles putasses. Les vicelardes te jaugent sans s'en rendre compte. Un mâle débouche pas mal bousculé, qu'illico elles lui supputent le kangourou, lui envisagent les prouesses ; est-ce qu'il prend appui sur les coudes ou sur les mains quand il lonche ? Sur les mains, c'est un vrai pro. Un qui a besoin de recul pour visionner la frite à Ninette en cours d'ébats, s'assurer qu'elle biche bien un fade royal, rien paumer de ses mimiques de plaisir.
Je dévisage calmement ces pétasses distinguées. Le cousin Gonzague boude à l'écart. Il sait que je le hais d'instinct, ce qui est sans remède, et qu'à la moindre occasion je lui ferais déguster ses dents. Alors, comme il n'aime les coups, il se cantonne dans les prudences hostiles…
Bérurier m'a rejoint, II est plus lourd et formidable que jamais. Certain que sa moumoute lui confère un look (comme dit Jean Dutourd), il frime à mort, passant ces dames en revue avec un bout de langue sortie, prometteuse bien qu'elle soit plus chargée qu'une lettre contenant des valeurs.
— Mesdames, attaqué-je, après l'audition des jeunes gens dont vous vous occupez avec tant de sollicitude, il appert que le garçon égorgé avait un rendez-vous qu'il qualifiait d'important dans le labyrinthe. Il aurait même déclaré que celui-ci allait changer beaucoup de choses. Il s'y est donc rendu pour n'en plus revenir. Comme il y a eu ici, dans la soirée, une sévère partouze avec toute la troupe, partouze aimablement engagée par la projection d'une cassette « X » intitulée La Tzarine en folie, œuvre en costumes, d'un certain niveau artistique. Comme il y a eu cette partouze, dis-je, je ne pense pas que le rendez-vous dont parlait le jeune Riton ait été pris avec quelqu'un de cette maison. Il n'y avait aucune raison, à mon sens, que le pauvre diable aille rejoindre secrètement une personne qui venait de tout lui accorder ouvertement. Par conséquent je vous mets hors de cause.
Un éclair de satisfaction passe dans les huit prunelles. A cet instant, je me baisse et fais mine de ramasser quelque chose que j'ai préalablement placé dans ma main, bien que j'aie eu le réflexe de n'y pas toucher de prime abord. Mais moi, tu le sais, Cugnazet, je carbure à l'instinct, à l'élan, à la foucade. Ma vie et ma carrière consécutent d'initiatives spontanées, prises sans avoir été préméditées.
Je me redresse en brandissant entre le pouce et l'index le tube de rouge à lèvres trouvé par Béru dans les buis du labyrinthe.
— L'une de ces dames a perdu ça, murmuré-je d'un ton détaché.
Je dépose le tube sur un guéridon. Francine de Saint-Braque s'en approche, le prend pour l'examiner.
— Soleil d'or de Chanel, fait-elle, c'est le vôtre, Marguerite.
La « dame du milieu » c'est-à-dire celle qui frise la quarantaine, tend la main. S'empare du tube à son tour. Puis elle va chercher son sac à main posé sur la cheminée et le glisse dedans.
J'échange avec Alexandre-Benoît un regard éloquent. Léger mouvement de tête, et Sa Majesté se penche sur la personne.
— Vous voudrez-t-il qu'nous passassions dans vot'chamb', jolie médème, gazouille le moumouté. C'est rapport qu'j'aurais quéqu'chose à vous dire d'en particulier.
Un peu surprise, la dame sort au côté de mon éminent camarade. Le silence qui succède est un peu huileux. Mal fagoté. Elles attendent des décisions de moi. Et ma pomme de balancer sur la conduite à adopter. Il est grand temps d'alerter le procureur de la République. Cet assassinat dont on diffère la révélation toute une journée va finir par nous bordéliser la vie à tous. Depuis une heure je suis complice du silence. Seulement, si la meute des confrères du cru se pointe, il en sera terminé de ma liberté de manœuvre. Il faut donc que j'ouvre le parapluie.
A cet instant, une bouffée d'amitié m'arrive en la personne de Jérémie Blanc. Il est impec, le Noirpiot, dans une veste de daim jaune et un pantalon noir. II fait batteur d'orchestre. Il sent bon la brillantine de bureau de tabac. Son sourire est si blanc que tu ne peux pas le contempler sans porter des lunettes de soleil.
Cette assemblée de femmes le déconcerte quelque peu. Il salue d'un « Mesdames » claironnant et vient à moi, la main tendue.
— Salut, Sana ! Eh ben, la reprise ne traîne pas avec toi !
Mon expression coincée lui fait mettre une sourdine. Sa large prunelle rapetisse un peu.
— Tiens compagnie à ces aimables personnes pendant que je vais téléphoner, dis-je.
Lui, un peu marri. Il ignore chez qui il se trouve et ce qui s'y passe. N'ose questionner l'habitant.
Pour ma part, je cherche un coin isolé, me permettant de communiquer à l'aise. Finis par opter pour un bureau-bibliothèque situé au bas de l'escalier.
Par chance, le Dabe est encore à la Grande Volière. Il doit y lutiner sa nouvelle conquête car je perçois des gloussements flûtés.
— Qui ? Ah ! San-Antonio ! Quel bon vent, mon garçon ?
Son garçon lui fait un résumé admirablement succinct des événements qu'il a eu la joie de te narrer avec son brio habituel. Je lui rapporte la visite chez « nous » de Francine de Saint-Braque ; le petit Riton et son histoire de pafs entreposés dans le réfrigérateur d'une pharmacienne ; la seconde visite nocturne en ma compagnie et la déconvenue du garnement ; son assassinat suivi de la fâcheuse émasculation, et nous maintenant à pied d'œuvre.
— Drôle d'affaire, mon petit homme, qui va où ? demande-t-il.
— Bien incapable de vous le préciser pour l'instant, monsieur le directeur ; je voudrais pouvoir taire la chose pendant encore un jour ou deux afin d'avoir ma liberté de mouvements.
— Eh bien ! taisez-la, mon vieux ; taisez-la !
— Seulement, il y a un cadavre dans un parc, ça fait désordre.
— Faites-le évacuer par une voiture du Service Kub, Antoine. Ils vous le foutront au frigo sous une étiquette numérotée. Zouzou ! Vous me mordez, taquine ! Je vais avoir une marque sur le gland ! C'est tout, mon petit ? J'ai pas mal de travail en ce moment, et je…
— C'est tout, monsieur le directeur. Pardon d'avoir interrompu un instant vos travaux !
— Je vais faire mettre les bouchées doubles ! glousse le Vioque. Bonne chasse !
Je raccroche, soulagé. Compose le numéro du Service Kub. Qu'à cet instant, un hurlement tombe de l'étage. Grand cri déchirant de femme déchirée.
Je m'élance.
Des plaintes succèdent. Des protestations véhémentes !
— Oh ! non, c'est de la folie ! il me l'a foutu dans le petit, ce gros con !
Je parviens en une chambre tumultueuse où Béru est en train d'embroquer de magistrale manière la personne que je lui ai naguère confiée pour être interrogée. Elle démène du fion, la bourgeoise, mais le grand primate des campagnes normandes la maintient en position convenable de ses paluches d'airain.
— Calmos, ma grande ! exhorte-t-il. Déménage pas des miches d'cette manière ! J'ai huilé l'engin après m'avoir mouché dans mes doigts ! T'vas voir : le premier moment d'surprise passé, ça va d'viendre délectabe. Agite-toi pas, j'vas te faire un accompagnage de guitare par-devant pour t'aider. Là, brrr ! Tout beau ! Doucement ! Le finegueur dans la moulasse ! Voilà, on se calme ! On épanouit des meules ! J'y vais sans forcer. Au pas d'parade ! Comme à Buchinegame ! Ah ! on chiale plus, maint'nant, petite médème ! Ça tourne au bonheur, le chibrac à Béru, ma poule de lusc ! On s'l'encadre fastoche ! A la paresseuse ! Comme si j'te jouererais « L'Beau Danube Bleu ». Aspro, la douleur s'en va ! Refais-toi un n'ognon tranquille, ma chérie, rien n'presse. Dès qu'tu m'rec'vras confort'ment, j'forcerai l'allure, t'donner d'I'agrément.
« Ah ! déjà, on emballe du joufflu ! On prend l'initiative elle-même ! C'est tout d'sute la rage du cul ! Médème chôme pas du valseur. On sent qu'elle raffole les sensations fortes ! Qu'elle a l'habitude de s'enquiller des mandrins dans les orifesses ! Oh ! dis donc, c'cent' d'accueil ! Et dire qu'é protestait y a pas deux minutes comme quoi j'la fourrais par l'petit bout d'la lorgnette ! Ah ! non, j'vous jure, c'est ben pour dire d'magnérer ! Le goût d'se faire plaind' ! Toujours des mondanités, quoi, même quand on s'en déguste quarante centimèt' dans la malle arrière ! Des chichis ! C'est la tavisme qu'elle fait ça ! La haute, c'est la haute ! Ça peut pas rester simpl' ! S'laisser miser sans rauner. Faut simagréer coûte qu' coûte pour en jeter ! S'mett' en valeur !
« Moi, j'vois une serveuse d'routier, j'l'empétarde sans qu'é fasse un frometon ! Mon gros braque, elle fait « ouille » un bon coup et on tourne la page ! Qu'au b'soin é pleure en silence. Mais c'te rombière huppée, avec son pétrus kif une porte d'grange, é se croirerait déshonorée de morfler mon Pollux sans faire d'cinoche.
« Là, é part au trip' galop maint'nant, la mère ! Tout juste qu'é va pas m'trouver trop mignard du groume ! Oh ! dis donc, é craint plus la surchauffe ! Vacca ! Ell' va m'faire couler une bielle à c't'allure ! Là, é d'vient téméraire, Marguerite ! Où qu'é veut en v'nir d'forcener ainsi, j'm'demande ? J'vas m'enflammer l'gland si é baisse pas d'régime ! Doucement, Guiguite ! J'ai pas envie d'êt' mutilé du chibre ! J'ai encore des projets l'concernant. Faut qui va resservir, j'en sais qu'attendent su' l'paillasson. Pouce ! J'd'mande un temps mort pour m'vas'liner le manche ! On court à la cata, môme ! Arrête, bourrique ! Arrête qu'j'te dis ! Mais bordel, c'est mon paf, non ? Charogne, j'te fais l'saut d' l'ange ! Rran ! Ouf ! Putain, je fume du panais ! »
S'étant reculé, il m'avise.
— Ah ! t'étais là, halète l'homme au gros moignon. Y m'semb' qu' j'voulais te dire quéqu'chose.
— Moi aussi, je veux te dire quelque chose, pesté-je.
Sa Seigneurie échauffée me refoule dans le couloir. Elle murmure :
— J'sais : c'est pas pour une bourrée qu'tu m'as dit d'embarquer la grognasse ; s'lement, y s'est produit un fait qui l'a mise hors d'eau, mec.
— Je t'écoute.
— L'tube de rouge n'est pas à elle.
— Ah, non ? Pourtant elle l'a griffé et fourré dans son sac sans barguigner, non ?
— D'ac. Mais ça plaide en sa faveur. Elle en avait déjà un tout pareil dans son sac, grand. Quand j'Ies ai sortis, les deux, elle a esclamé « Ah ! ben alors, celui que le commissaire a trouvé n'est pas à moi, j'avais cru, mais comme je n'en ai qu'un »… Elle était sincère, crois-moi !
Cette fausse manœuvre me déçoit.
— Tu m'escuseras, fait Alexandre-Benoît, faut qu'j'vais terminer madame. Ell' comprendrait pas qu'j'la laisse en rideau, av'c la salle des fêtes grande ouverte.
II retourne au labeur, la membrane battant la mesure.
— R'v'nons à nos moutons, jolie médème, qu'il roucoule. N'a défaut d'vas'line, je m'y mets un brin d'savon. Pour faciliter les transports en commun. Me r'v'là tout à vous, Marguerite, ma jolie pâqu'rette. Te vais vous effeuiller l'trésor en y mettant tout' la galantine que vous souhaitereriez. Y a des moments, voiliez-vous, quand j'bouillave av'c une personne d'vot' classe, je donne dans la poétrie. J'voudrais vous faire reluire en vers, bien vous esprimer l'combien vos jambons m'inspirent, ma jolie. Et qu'j'trouve vot' cul bioutifoule en plein. Un vrai clair d'lune ! Une lanterne japonouille ! Je plonge du paf à pieds joints dans c'potiron très superbe. Et vos nich'mars qui pendent à l'avant, y m'font penser à la louve de Rome qu'à élevé Rému et Rommel. J'cause pas d'vot' cressionnière qui ressemb' à un coussin d'crin éventré ! J'adore le velouré d'vot' peau, malgré les vergetures.
« Voilà, c'est r'parti. Pas la peine d'emballer l'attelage, mémé : qui va piano va sono. On se biche un pied princier. Maint'nant, si vous s'riez fatiguée d'vous faire pilonner l'postère, on peut passer par la grande porte d'devant ? Moui ? Vous préféreriez ? C'est parti, tournez vos meules du côté d'Montmartre et on s'paye la visite d'la cathédrale. Là, on risque plus rien, c'est tout bon ! L'autoroute d'l'Ouest ! On dira ce qu'on veut d'la pose papa, mais on n'a rien trouvé d'mieux pour s'faire étinceler l'chinois. Visez c'confort ! La baise pullman ! La façon qu'on prélasse. J'ai les claouis qui font d'la chaise longue ! Souquer une sœur dans ces conditions c'est aussi plaisant qu'd'déguster un pastis, l'soir sous les platanes d'Provence. Après l'coup de brûlot qu'v'l'avez administreré, Coquette a l'impression d'entrer au Carmel. Elle pavane comm' un' follingue, v'sentez dusèche ? C'est sa récompense après les preuves. Son r'tour aux sources, pour ainsi dire !
« Elle déambule la tête haute ! Retiendez-vous l'plus possibl' d'vous éternuer l'bonheur, ma gosse. Au plus qu'on réprime, au plus c'est super. On fait les montagnes russes av'c nos sens. Un coup près d'la gagne, et fsuiiiit ! on se ravale le foutre et ça repart dans les languisseries. Moi, si j'serais riche, j'ferais que ça ! La mouche écossaise, on appelle ! Ça aiguise la découillade ! Quand le bonheur dégage, alors là, c'est la fusée Ariel ! Faudra qu'on concorde nos violons, Guiguite. Pas qu'en ait un qui rentre en gare d'Lyon quand t'est-ce qu'l'aut' est encore à Fontain'bleau ! On saute en parachute la mano dans la mano. Et faut pas hésiter à annoncer la couleur ! Y a qu'les moudus qui gueulent pas en amour ! Le cri du pied ne choque que ceux qui peuvent pas l'prend'.
« Quoi ? Vous partez déjà, princesse ? C'est plus fort qu'vous ? Freinez, bordel, j'sus pas encore apte ! Laissez-moi faire mes bagages, au moins. Pensez à des choses tristes ! A la mort de vot'mère ! Comment ? E vit toujours ? Ben à celle d'vot'dabe alors. V's'allez pas m'dire qu'il éternise, les mecs clabotent les premiers ! Pensez à vot' mari qui se fait pomper par la bonne ! Hein ? Ça vous excite ? Non, non, changez d'secteur. A Chirac ! Sa défaite aux Présidentieuses, v'v'rapp'lez sa tronche ? Quoi ? Ça, ça vous faire rire. Ben voilà, riez, mais jouissez pas ! Prenez-moi pas en trait', Marguerite ! On s'estime trop pour aller à la décarrade en ord' dispersé.
« Pardon, qu'est-ce que vous dites ? Que mon gros mandrin vous r'mue d'trop l'sensoriel ? Pensez à vos impôts, merde ! A la reine d'Angleterre ! Au s.i.d.a. ! A… Non ! Voilà, j'arrive ! Au débotté ! L'Orient-Express ! Gare aux taches ! Aaaahooooo ! Vrouhaaap ! Bouahou ! Oh ! Yessssss ! Tout pour ta pomme, pétasse ! Charrrrrogne ! Putain, c'dégagement ! Ah ! j'l'ai senti passer ! Quoi ? T'as raté la gagne ! Tu t'es différée d'trop ?
« T'es branque, ou quoi, la mère ? T'as qu'à t'bricoler un solo d'guitare pour t'finir. J'sus pas responsabl' d'la mauvaise gestion d'ton fade, ma poule. J't'ai fourni l'matériel haddock en parfait état d'marche, l'reste, j'sus comme Ponce Pilote : j'm'en lave la bite ! Moi, sitôt qu'j'ai découillé, l'cahier des réclamances est fermaga. Si tu permets, j't'emprunte ta culotte pour mes blablutions d'après fornique. Voilà qu'est fait. Chao, la grande. Si t'auras envie d'l'revoir, l'braque à Béru, au lieu d'ta Normandie, appelle-moi, j'sus dans la nuaire. »
Il vient me rejoindre, content de ses transports et nous descendons poursuivre l'enquête.
M. Blanc est dans une embrasure de fenêtre en compagnie de Francine de Saint-Braque. Ils se tiennent face à face sur deux entablements de pierre garnis de coussins et parlent à voix basse. Le cousin Gonzague s'occupe des deux autres dames patronnesses. Tout le monde devise gravement.
En m'apercevant, Jérémie m'adresse un signe d'extrême intelligence et je les rejoins, Francine et lui.
— Madame m'a mis au courant de tous ces événements, dit le dark pote ; j'ai l'impression que le pauvre Riton a, sans le vouloir, découvert une sale histoire où le sadisme est à l'ordre du jour.
— Possible, acquiescé-je.
Comme saisi d'une idée subite, Béru s'élance hors du salon. La cuisinière, épouse du jardinier chenu, grosse vieillarde informe fagotée de bleu, radine afin de demander à mademoiselle des instructions pour le dîner. Francine nous propose de partager le repas du soir avec elle elle et ses compagnons, mais je décline l'invite. Les garçons en rupture de geôle rôdent devant les portes-fenêtres, mal dans leur peau. Ils aimeraient bien prendre la tangente. La fiesta est finie. Cette partouze géante, prolongée sur plusieurs semaines, ne saurait continuer après ce qui vient de se passer. C'est le grand réveil. Va falloir s'occuper d'ailleurs, trouver un autre gîte, brosser d'autres souris, dénicher de la fraîche pour s'assumer. Une atmosphère désespérante commence de nous malaxer le système à tous.
Dame Marguerite réapparaît, les cannes en cerceau, l'hémisphère sud durement meurtri par les assauts du Gros. Personne ne l'interroge car ses clameurs de liesse organique sont parvenues au rez-de-chaussée, chacun sait ce qu'elle vient de faire ; mais ici, ça ne choque que le cousin Gonzague.
J'attends les envoyés du Service Kub car il serait temps de mettre le cadavre au placard. On vit un moment drôlement biscornu, dans ce château où de jeunes repris de justice sont cajolés, sucés et déburnés par des dames fofolles, gentiment dépravées. Comme le dit ma crémière Mme Petibois : « On ne peut pas croire que ça existe, ces choses-là ! » Et pourtant si : elles existent.
Je perçois le pas lourd du gars Béru au-dessus de nos tronches. Ce qu'il fait, le gros marle, tu penses que je le sais : il fouille dans toutes les pièces à la recherche d'indices. Il cherche du linge ensanglanté, il cherche un rasoir, éventuellement aussi une biroute et ses pruneaux d'Agen. Il joue le crime « in », par acquit de conscience, avant que nous n'envisagions le crime « out ». Mais d'après les dires du rouquin qui partageait la piaule de Riton, ce dernier avait un renque sérieux qui pouvait changer beaucoup de choses. Et ça signifie quoi, « changer beaucoup de choses », dans sa situation ?
Le Service Kub se pointe enfin. Deux hommes avec un fourgon sombre, sans vitres. On se dit peu. J'allonge ma brème et les guide jusqu'au corps dans le soir tombant. Ils se sont munis d'un brancard pliant et chargent Riton sur cette civière. Puis ils repartent sans un mot.
Je retourne au salon et biche Francine de Saint-Braque en aparté.
— On a emporté le cadavre, lui annonce-je. Considérez que, jusqu'à nouvel ordre, l'affaire est au point mort. De deux choses l'une : ou bien l'enquête prouve que c'est quelqu'un de l'extérieur qui a tué le môme, et vous n'en entendrez plus parler, ou bien, au contraire, elle indique que le meurtrier est quelqu'un d'ici, et les choses suivront un cours normal.
— Merci, fait la châtelaine dévergondée ; je suis intimement persuadée que mes invités sont étrangers à cet horrible meurtre.
— Je vous le souhaite.
Bérurier réapparaît enfin, l'air buté, le front large. Son regard contient des amertumes de choix. Depuis qu'il porte moumoute, il a tendance à garder son chapeau à la main, ce qui lui confère une politesse à laquelle il ne nous a jamais habitués.
— Dans le fion la balayette ? lui lancé-je en loucedé.
— Jusqu'au gosier, mec ! Et c'est pas faute qu'j'aie farfouillé tout azimut ! J'm'ai même payé le contener des ordures.
Nous prenons congé de la cotterie. J'informe ces étranges personnes qu'elles ne devront pas quitter la propriété jusqu'à nouvel ordre et que nous reviendrons incessamment et peut-être même avant.
Y a comme une grande misère existentielle dans ce noble domaine. On sent que les mânes des aïeux font la gueule en voyant ce qui se passe en ces lieux qu'ils édifièrent, chérirent et auxquels ils s'attachèrent à donner une réputation de dignité. Un bordel en folie ! Un lieu de crapuleuses débauches.
Jérémie, qui n'a pas l'habitude de ces endroits presque historiques (celui-ci est hystérique), déclare rêveusement :
— Elle a de la classe, cette femme.
— Beaucoup, dis-je, surtout quand elle fait des pognes à ses protégés pour recueillir le produit de leur éjaculation dans une coupe de champagne qu'elle vide ensuite à leur santé !
Là, il bloque un penalty avec son plexus, le Noirpiot. N'en croit pas ses baffles.
— Elle…
— Elle !
— Merde !
— Y a de ça !
— T'en es certain ?
— C'est le petit gars trucidé qui me l'avait appris, et ses potes m'ont confirmé la chose.
— Elle est malade ?
Sa Majesté intervient :
— C'est pas la première pétroleuse qui se lance dans la dégustation, Blanche-Neige. On voit qu'dans tes cocotiers, on trempe just' pour s'reproduire. V's'emmenez la femme à l'homme comm' nous aut' la vache au taureau.
— Tandis que vous copulez en intellectuels ! riposte Jérémie.
— Textuel ! confirme Béru. C'qu'import' en amour c'est c'qu'on y met autour. Les gentillesses, la tendresse. Un qui plante sans moufter et s'laisse éternuer l'bigorneau comme un con, tu m'dis d'à quoi ça l'avance en dehors d's'vider les aumônières ? Tandis qu' çui qui charme en bouillavant, qu'emballe dans l'romantiss, alors lui, voui, il module son coup d'bite. Son paf, ça d'vient un archer d'violon. En même temps qu'il rémoule le zigouinet d'sa part'naire, il la fait voiliager du bulbe. Elle mouille au sentiment. Ses glandes, c'est comme qui direrait l'encrier où qu'on puise l'encre d'une page d'amour, comprends-tu ? Ta pineuse, racontes l'déroulement en termes choisis. Tu lu fais roucouler la moulasse. La grimpes en mayonnaise. Elle vertigine d'la babasse.
« Alors là tu peux tout t'permett'. C'est la conquête d'l'espace ! Tu lu maîtrises la chatte. Elle valdingue dans des bonheurs qu'é soupçonnassait pas.
« Si t'serais pas black, mec, j'essayererais d'te dresser un peu. D't'enseigner les rudimentaires de la bornique. S'l'ment y a ton ataviss cont' auquel j'peux pas aller. On cause la même langue, mais pas la même race. Vous, chez vous, c'est l'pion dans l'mortier. Tout just' qu'vous concassez pas du manioc av'c vot' zob. Vos gerces, elles s'en font mett' d'quoi vous pond' des négrillons à la pelle. Mais la grande décarrade du cul, c's'ra pour plus tard, quand v's'aurez l'eau su' l'évier et l'gaz à tous les étages d'vos cases bambou. Deux générations d'films pornos pour vous dégrossir la chibrance ! Vous inciter à aut'chose qu'à la bourrade papa-maman.
« La civilisation, ça, mon pote ! On a mis la charrue avant les zébus, chez vous : on vous cloque la grammaire avant l'Kamassoutra, et la pénicilline avant l'vibromasseur. V's'aurez pas eu d'chance av'c les Blancs, Blanc ! »
Nous atteignons le parking où sont remisées nos deux tires.
— Où allons-nous ? s'inquiète Jérémie.
— Vilain-le-Bel.
— Connais pas.
— Suis-moi, nous allons arranger ça.
Un petit garçon sur un vélo d'homme est une image qui me fera toujours chanter le cœur. Ça me rappelle Tep, un pote de la cambrousse, quand j'étais moujingue. Moi, gosse de gens à peu près aisés, j'ai eu des bicyclettes à ma taille, depuis le petit vélo à stabilisateurs de mes tout débuts, jusqu'au vélo de course à plusieurs plateaux, en passant par la bécane garçonnet avec changement de vitesse et guidon bas dont je passais mon temps à changer la couleur des poignées. Tep, le môme du « magnin » qui réparait les bassines trouées, les lessiveuses et les clés brisées, se servait d'une antique machine, trouvée dans quelque déblai, que son vieux lui avait rebectée. L'engin était si haut que, pour l'utiliser, il pédalait debout, en passant une jambe à travers le cadre. Fallait être acrobate pour rouler avec ça. Tep l'était. Au point de me battre quand nous faisions la course. Je prenais chaque fois un bon départ, construisant une confortable avance mais, au bout d'un moment, j'entendais croître derrière moi le bruit de sa bécane déglinguée. Elle cliquetait et grinçait de partout. C'était un vélo terrifiant, animé d'une espèce de vie propre et qui poussait des cris ! Tep finissait par me rejoindre. Je me sortais la tripe pour forcer l'allure, mais le minuscule gamin, tel un gnome en folie, me passait dans son ferraillement indescriptible. II se tenait de guingois, penché hors de la bicyclette, si je puis dire, comme les anciens mécaniciens de locomotive hors de leur monstre noir. Sa blouse battait au vent. Son béret basque s'aplatissait et il pédalait, semblait-il, d'une seule jambe, celle qui traversait le vélo pour s'en aller chercher une pédale à première vue inaccessible. Salut, Tep ! Qu'es-tu devenu ? Tu mâchais des bâtons de réglisse de bois qui, lorsque tu les sortais de ta bouche, ressemblaient à des pinceaux effilochés. Qu'est-ce que la vie a fait de toi, diabolique lutin ?
Donc, un gamin juché sur un vélo d'homme sinue sur le bas-côté de la petite route. Je stoppe après l'avoir dépassé et attends qu'il me rattrape.
— Dis voir, garçon, il y a un médecin dans le pays ?
II acquiesce. Ne me regarde pas car ma bagnole l'hypnotise.
— Où demeure-t-il.
— A l'entrée de Vilain, à droite.
Il a mis pied à terre. Lui, il peut enfourcher le cadre de son bicycle, mais comme la selle est trop haute, il a attaché un vieux sac à pommes de terre autour du tube horizontal.
— C'est quoi, votre voiture, monsieur ?
— Une Maserati.
— Combien de chevaux ?
Je le lui dis. II me demande ensuite à combien ma tire peut monter, si le système de freinage est performant, tout ça. Qu'à la fin je lui conseille d'écrire de ma part à mon concessionnaire pour se faire adresser la fiche technique.
Derrière, Jérémie m'attend, au volant de sa Juva fatiguée. Bérurier me demande, lorsque je repars :
— Pourquoi tu vas chez le médecin ?
— Pour qu'il me parle du pharmacien.
Il opine, pète en flaque et bâille histoire de rétablir la ventilation de son organisme.
N'ensuite de quoi, comme sa récente prestation amoureuse lui a mis le cœur en joie, il entonne les Matelassiers.
— Vous m'attendez ici ! fais-je.
L'un et l'autre opinent et je vais sonner à la lourde du docteur M.-F. Pardevent, ex-interne des hôpitaux de Paris.
Un chien aboie sans que, pour autant, la caravane passe. Ce qui passe, c'est cinq bonnes minutes. Dès lors, je presse à nouveau le timbre égrillard (il a la forme d'un clitoris). De l'autre côté de l'huis, le roquet (sa voix est révélatrice de sa taille) remet sa chanson intitulée « Fais-pas-chier-on-a-déjà-donné » (paroles et musique de Clebs et Cador). Enfin on m'ouvre. Une jeune femme aimablement négligée. Elle porte un peignoir de soie doré au motif indien. Elle est nu-pieds et mange un sandouiche pain-demie-jambon-beurre à impériale. Ses longs cheveux châtain clair tombent sur ses épaules. Elle a un regard à la fois intense et insolent.
Comme, dans cette tenue, elle ne saurait être la bonne d'un médecin de campagne, j'en conclut qu'il s'agit de l'épouse (si le docteur est jeune) ou de la fille (s'il ne l'est plus).
— Vous désirez ? demande la femme en mastiquant énergiquement.
— M'entretenir avec le docteur Pardevent.
— A quel sujet ?
— Ma foi, madame, ce que l'on a à dire à un médecin est généralement d'ordre privé, le fameux serment d'Hippocrate en est la preuve.
Elle continue de bouffer calmos, son regard toujours posé sur ma personne qui, je l'espère, en vaut la peine.
Je risque un sourire du genre chaleureux-prometteur, si tu vois ce que je veux dire ? Généralement, j'obtiens avec lui de bons résultats.
Elle avale sa clapée d'un solide coup de glotte et dit :
— Je suis le docteur Pardevent !
Faut faire avec ma surprise.
— Ah ! c'est pour ça, murmuré-je.
— Pour ça, quoi ?
— Les initiales du prénom : M.-F., je ne voyais pas à quoi elles correspondent pour un homme.
Elle hausse les épaules.
— Ç'aurait pu être Maurice-François, Marc-Frédéric, Michel-Fabrice…
— C'est vrai, conviens-je, alors que c'est Marie-France, bien entendu ?
— Bien entendu.
Elle remord sans remords dans son sandwich. Elle doit avoir faim car elle y met une voracité certaine.
— On reprend, fait-elle la bouche pleine. Que désirez-vous ?
Je lui montre ma carte.
— Commissaire San-Antonio. J'ai besoin de quelques renseignements concernant une personne du pays que vous devez connaître.
Là elle postillonne au jambon, la dame docteur. Cette pétasse, elle devait marcher en tête des défilés quand elle était interne et que le personnel hospitalier descendait dans la rue. La fureur empourpre son visage (pas désagréable quand il est au repos), ses yeux, comme on dit puis dans les livres D.O.S. (délimités de qualité supérieure), jettent des éclairs. Ben oui : des éclairs, c'est pas moi qu'ai inventé ça ! J'en ai balancé des trucs cons depuis que je fais écrivain, mais con comme ça, j'aurais pas osé tout seul.
— Non mais où vous croyez-vous ! crie-t-elle. Vous me prenez pour une délatrice ? Une ragoteuse de village ? Une pipelette en vacances ? Si vous voulez des « renseignements », comme vous le dites sans trop de pudeur, sur quelqu'un d'ici, allez à la gendarmerie qui se trouve à cinq kilomètres.
Tu sais ce qu'elle est en train de me casser, la doctoresse ? Tu le sais vraiment, ou faut-il que je te le précise tout de même ? Les couilles ! Voilà, c'est lâché ; excuse-moi, jolie madame. Elle brise mes beaux testicules à poils courts, gros comme des œufs d'oie. Comment ? Tas jamais vu d'œufs d'oie (deux doigts) ? Ben, viens mater mes burnes, comme ça tu seras affranchie, chérie !
Le moût tarde (moutarde) à me monter au nez, mais ça va venir.
Je prends un max d'oxygène dans mes soufflets pour m'assurer une confortable autonomie de jactance.
— Que vous détestiez les flics, docteur, c'est votre problème et ce n'est pas grave, mais cette aversion ne vous permet pas de ne pas déférer à une convocation qui vous contraindrait d'aller à Paris à un moment choisi par moi. Ce n'est pas pour entendre des ragots que je sonne à votre porte à une heure presque tardive, mais pour une affaire importante ; à moins que vous considériez l'assassinat comme une farce assimilable au poil à gratter ou à la cuiller fondante.
Tout ça, dans la foulée, sans escale. Mes poumons traînent sur le plancher après cet effet oratoire.
La fille hésite, son reliquat de sandwich toujours dressé à hauteur de sa bouche.
Elle dit sèchement, en s'écartant :
— Entrez !
Je. Elle claque la lourde d'un coup de talon désinvolte. Drôle de numéro. Je me demande s'ils sont contents de leur toubib, les habitants de Vilain-le-Bel. Note que ça doit pas être désagréable de se sentir palper par une nana aussi bien roulée. Le doigt dans le fion, pour contrôler la prostate, je préférerais par elle que par un gros médecin qui rote l'ail, question suavité.
Elle me désigne son salon d'attente, une pièce livide, avec des canapés de paille, une table basse surchargée de revues débrifées, des gravures de Paul Klee sur les murs pour montrer qu'elle n'aime pas le figuratif. II y a un canard à bascule dans un coin pour amuser un môme éventuel.
Je prends place sur un canapé, elle sur celui qui lui fait face. Elle continue de claper son sandouiche. J'espère que sa robe de chambre va s'écarter, mais cette garce l'a coincée sous ses jambes croisées, si bien que pour la vue sur le Vésuve, faudra aller à Pompéi.
Ses pieds nus sont extrêmement gracieux, et ça, crois-moi, c'est rarissime. Elle a le mollet allongé, nerveux, le genou parfaitement rond. Tout ce que son peignoir me permet, c'est une plongée sur sa poitrine qui m'a l'air de premier choix. Pas de la grosse laiterie de campagne, mais des jumeaux hardis et fermes.
— Docteur, attaqué-je, vous exercez à Vilain-le-Bel depuis combien de temps ?
— Je vais attaquer ma troisième année.
— L'endroit est sympa ?
— Quand on aime la vie semi-rurale, il en vaut un autre.
— Vous fréquentez la pharmacienne ?
— Pas outre mesure. Disons que j'ai avec elle des relations professionnelles harmonisées.
— J'aimerais que vous me parliez d'elle.
— C'est à son propos que vous enquêtez ?
— Disons qu'elle m'intéresse.
— Eh bien, c'est un avantage que vous avez sur moi : elle ne m'intéresse pas et je n'ai rien à en dire.
Bon, ça ne va pas tourner court aussi culment, tout de même ! Pourquoi m'est-elle hostile, cette fille aux pieds nus ? Parce que je suis flic et qu'elle cultive des idées anarchisantes ?
Je joue ma grande scène du trois. Me dresse, rajuste une jambe de mon futal qui tire-bouchonnait et me dirige vers la porte en disant :
— Merci, docteur.
Voilà que je gagne la sortie. Elle, comme une vérolée de connasse de merde, reste coite avec son sandouiche et sa bouchée en cours de mastication. Bitée par mon brusque revirement. II y a quelque chose de confusément insultant dans mon comportement. C'est une façon de lui dire merde et de lui tirer un bras d'honneur. Avec le tempérament rageur que je lui devine, ça lui fouette l'orgueil.
— Qu'est-ce qui vous prend ! lance-t-elle furax, au moment où je déponne la lourde du couloir.
Je ne réponds pas.
— Hein, dites ? crie-t-elle. En voilà des façons de foutre le camp comme un malpropre !
Je me retourne.
— Tant qu'à faire de converser avec une statue, je préfère celle du monument aux morts, sur la place : elle représente la France et n'a pas la bouche pleine.
Oh ! la tigresse ! Un bond, elle m'a rejoint. Là, le peignoir n'est plus maîtrisé. Elle s'en tamponne que les pans s'écartent et qu'on voie sa chatte frisée : une exquise chagatte très sombre.
— J'aurais parié que vous étiez brune, dis-je sans chercher à lui celer la direction de mon regard.
Ma réplique la cloue. Elle dépose son trognon de sandouiche sur une console de bois et referme sa robe de chambre. Puis elle éclate d'un rire fantasque.
« Gagné ! » me dis-je. Ces petites furies de meetinges, tu les désamorces avec un trait d'esprit ou un vanne polisson.
Je la regarde en souriant également. Et puis j'avance ma dextre sur son épaule gauche, l'y dépose doucement, comme la mouette harassée se pose sur une épave, ainsi que l'a superbement écrit Canuet dans ses mémoires préfacées par la comtesse de Ségur.
— Tu es belle quand tu es en pétard, mais tu es sublime quand tu ris, murmuré-je.
De plus en plus déconcertée, elle se dégage et dit :
— Je vous demande un instant pour aller me laver les dents, je n'aime pas qu'on m'embrasse quand je viens de manger.
Tu vois ?
Donc, il semblerait qu'une aube très superbe lève sur mes relations avec le docteur Marie-France Pardevent.
Je retourne m'asseoir dans la salle d'attente. Pour l'attendre.