DES NUITS D'AMOUR А EN MOURIR

A gauche de la pharmacie, il y a une allée équipée d'une porte vitrée à travers laquelle on voit un escalier garni de tomettes, des murs aux pierres apparentes et une grosse rampe de bois à balustres Louis XIII. L'ensemble fait vieil immeuble rénové par un promoteur connaissant parfaitement les goûts des gens amateurs « d'ancien ». Il faut actionner un contacteur d'appel pour se faire ouvrir, mais ce genre de jolie serrure en laiton, tu me confies une pièce de deux francs et je te lui fais rendre gorge en moins de temps que tu en mets pour te briquer le frifri après le départ de Charles-Henri, l'ami d'enfance de ton époux.

Je gravis dix-huit marches qui me hissent au palier de Mme Purgon, la pharmacienne.

Cette fois, l'ami sésame a maille à partir avec deux verrous récalcitrants. Celui du haut, surtout, chinoise. Les fabricants de serrures sont de plus en plus talonnés par les assureurs qui exigent de la performance, question sécurité. Conclusion, les malfrats et moi perdons désormais dix minutes sur des fermetures qui, jadis, ne nous mobilisaient qu'une trentaine de secondes. Et ça change quoi à la finalité des choses ? Tu peux me le dire, les yeux dans les yeux, comme répète Jean-Marie Le Pen ?

J'escrime en rongeant mon frein à main (j'ai moins à me baisser qu'avec le frein à pied) et finis par obtenir gain de cause.

Une infecte odeur m'agresse les narines (et même les tympans, tant elle est forte !). Moi, j'aime les chats, mais à l'unité. Dès qu'il y a séminaire, je biche la gerbe. Ça fouette tant tellement que je me demande si je vais pouvoir affronter la chatterie. Surtout que voilà déjà une horde de greffiers frôleurs qui se frottent contre mes jambes en ronronnant bas, ce qui est poli de leur part.

J'hésite à shooter dans le tas, mais tu es tellement chinois que tu irais me rapiner à la Société Protectrice des Animaux pour qu'elle entreprenne une « action » contre moi ! Alors j'écarte du panard, mais en douceur.

L'entrée est rectangulaire, meublée d'un canapé à deux places et d'une patère avec miroir. En face, t'as la double porte vitrée du salon, à droite la cuistance et à gauche, la chambre. Mme Purgon, en femme qui vit seule et commerce toute la sainte journée, n'a pas besoin de disposer d'un palais, le soir, pour aller filer du mou à ses matous et cloquer ses abats à elle entre deux draps de lit.

Silencieux comme ce que tu voudras (sauf une ombre, j'en ai plein les meules de ces clichés à la con), je passe au livinge. Madoué ! Faut aimer ! Des paniers capitonnés sont en queue leu leu. Des jattes de lait, des assiettes dans lesquelles subsistent des reliefs de nourriture débectante. Il y a des poils partout vu qu'elle produit dans l'angora, la mère ! Une caissette emplie de sable où cette engeance chatounesque pisse et défèque royalement.

Je suis confronté (comme on dit en style d'époque) à un mobilier ancien, pur breton de la nationale 13, avec adjonction de bassinoires en cuivre, de plats à barbe en faïence, de rouets en bois tourné, vue nocturne du Mont-Saint-Miche ! vue diurne de Pont-Aven peinte sur écorce d'arbre en plastique.

Je vois une « travailleuse » ouverte, hébergeant un ouvrage indéfinissable. Le fauteuil avec repose-pieds est garni de coussins avachis. Bref, c'est l'antre d'une personne âgée en fin de parcours qui s'écoute vieillir en caressant ses chats.

Sur une console, j'avise le téléphone. Un bloc et un crayon l'escortent, mais il n'y a rien de marqué sur le bloc. Je passe alors à la cuisine. Mémère doit avoir une femme de ménage car de la vaisselle sale est rassemblée dans la cuvette de l'évier et la table n'est pas complètement desservie. Du pain dans une corbeille, un calandos à l'abandon dans sa boîte (au milieu de son papier, il a l'air d'un colombin), quelques fruits en cours de pourrissement dans un compotier, des miettes, une bouteille d'eau minérale ; c'est pas la joie. Non, franchement, il n'est guère envisageable que la femme habitant ici puisse être mêlée à une affaire de meurtres et de bites coupées.

Les greffiers enhardis se font de plus en plus pressants dans mes cannes. Ils miaulassent. N'ont pas faim, mais aimeraient des caresses. Je flatte du bout des doigts les échines arquées, duveteuses. Les queues dressées vibrent comme l'antenne radio d'un camion dont le moteur tourne (et Dieu sait que leurs moteurs tournent, à ces bestioles).

J'éteins ma torche électrique et me risque à ouvrir la chambre. L'odeur qui s'en dégage n'est guère plus réjouissante que celle qui flotte dans l'entrée et au livinge. Ça fouette le vieux, le remède, la pisse froide. La mère Purgon ronfle d'une manière affolante qui te panique car tu crois à tout bout de champ qu'elle vient de claquer et que son souffle s'est arrêté net, au sommet d'une côte. Et puis il y a un brin de râle et ça repart. La fenêtre sans rideau répand sur sa couche une lumière blanche, calamiteuse. Elle est de ces vieilles gens qui ne tirent pas les rideaux parce que la clarté du jour les rassure.

Je fais deux pas sur un tapis et j'avise une tronche large, ridée. Visage plat, gros sourcils encore gris, cheveux blancs coupés court. Mammy porte une chemise de nuit chaste. Il y a un crucifix à la tête de son plumard, flanqué du traditionnel petit rameau de buis jauni (ce goupillon du pauvre). Sur sa table de noye, un verre où ses dominos font trempette dans une solution mousseuse. Non, Sana, t'as rien à glander ici. Rien à espérer. Le mystère se trouve ailleurs. Malgré la logique, le coup de turlu de la pauvre Francine à la pharmagote n'a rien déclenché. Elle est hors circuit. Il faut chercher ailleurs la clé de ce patacaisse invraisemblable.

Je me retire à reculons. Hélas, les chats sont entrés en force dans la chambre de leur bienfaitrice et se ruent sur son lit qu'ils piétinent en ronronnant tout autour de sa figure. Si bien que la vioque se réveille et se dresse sur son océan (comme dit Béru).

— Mais que faites-vous là, mes mignons ! s'écrie la digne vieillarde. J'avais pourtant fermé ma porte !

Moi, immobile, je n'ose risquer un mouvement. J'attends, espérant qu'elle ne va pas donner la luce et que ma présence ne lui sera pas révélée. Chimérique ! Mémé actionne sa poire électrique. Et, d'emblée, elle m'avise. Eh bien, mon vieux, je dois te dire une chose : chapeau ! Elle est très bien. Pas d'affolement, de trouille noire, d'au secours intempestifs. Calmos !

— Ah ! Ça, alors ! Mais qui êtes-vous et que faites-vous ici ? elle me lance.

La personne cultivée. Elle dit pas « qui vous êtes », et pose la liaison à que faites-vous z'ici.

Un peu pris au dépourvu, ton Antoine, amigo.

Je lui souris. Ici que les Athéniens s'atteignirent, que les Perses percèrent et que les croisés sautèrent par les fenêtres, comme disait papa dans ses bons jours. Faut faire front quand t'as à gérer un tel capital de mouscaille. Et bon, s'agit de débrouiller l'écheveau. Primo : ma carte tricolorisante, rassurante, policée.

— Commissaire San-Antonio, madame Purgon.

Mais elle, ça ne résout pas sa perplexité.

— Et vous pénétrez par effraction chez les vieilles dames endormies ?

— L'heure est grave, me justifié-je.

— Je l'espère bien, et probablement ne l'est-elle point encore assez pour justifier cette illégalité.

Bon, le beau langage, dans le fond, ça m'arrange. La rogne n'a pas le temps de phraser. Quand tu fulmines, c'est pas au subjonctif. Donc, mammy reste urbaine, sereine et tout.

— Ce soir, n'auriez-vous pas reçu un appel téléphonique du docteur Marie-France Pardevent ?

— En effet.

— A quel propos ?

— Elle m'appelait à cause d'un canular grotesque.

— Puis-je en connaître ?

— Elle avait été prévenue que je détenais des sexes masculins sectionnés dans le réfrigérateur de mon officine.

Elle pouffe. Et moi, en père turbable, comme dit le Mahousse :

— Ce qui est faux ?

Là, elle affiche « pouce, je ne joue plus », mémère.

— Parlez-vous sérieusement, inspecteur ? N'étant pas mégalo, je ne rectifie pas son erreur de qualificatif.

— Un policier ne repousse jamais rien sans s'être informé.

— Une telle déclaration ne vous fait pas sursauter ? me demande-t-elle.

— Des sursauts, madame, dans mon métier, j'en ai si fréquemment que je crois parfois avoir contracté la danse de Saint-Gui.

Elle cale son dos avec ses oreillers.

— Comment savez-vous que la doctoresse m'a téléphoné, elle vous a prévenu ?

— C'est cela.

— L'idiote ! Elle a cru à une farce aussi énorme !

— Je ne sais si elle y a cru, toujours est-il qu'elle en est morte.

La vioque, du coup, prend les couleurs attrayantes d'une jatte de crème.

— Mais que me baillez-vous là ! Est-ce une farce cruelle ou bien faisons-nous un cauchemar ?

— Peut-être les deux réunis, madame Purgon. Après l'appel téléphonique du docteur Pardevent, avez-vous parlé à quelqu'un ?

— Absolument pas j'étais déjà au lit et je me suis rendormie aussitôt ; je trouvais la chose tellement insensée ! Comment cette petite a-t-elle été tuée ? Car elle aurait été tuée, si j'ai bien compris ?

— Une balle dans la tête. Travail de professionnel. Du gros calibre qui ne plaisante pas. Vous voulez bien vous habiller, j'aimerais que nous conversions ailleurs que dans cette chambre.

— Seigneur Jésus, quelle histoire ! Je peux vous demander de me laisser un instant ?

— Volontiers.

Je retourne dans l'entrée. Les greffiers continuent leur sarabande dans mes quilles. Ils m'ont à la chouette. Les chattes surtout, fatal !

Moi, impudent, mais prudent, je m'agenouille devant la porte de la chambre pour mater par le trou de serrure. Mémère est assise au bord de son pieu, tâtonnant du bout des pieds pour réintégrer ses pantoufles à pompons. Elle s'arrache en geignant, se gratte les miches à travers sa chemise de noye puis se dirige vers sa salle de bains et je l'entends licebroquer. Elle passe un bout de moment dans la salle d'eau pour se bichonner. Serait-elle coquette ? Les vachasses de ce tonneau, quand tu les vois se mignarder, t'as envie de leur dire que c'est pas la peine ; du temps perdu. On ne rafistole pas l'irréparable, ça ne fait que l'aggraver. Elle réapparaît drapée dans un gros peignoir de pilou à carreaux écossais. Elle s'est filé du rouge à lèvres à la n'importe comment. Elle s'arrête à sa table de chevet pour y ramasser ses besicles qu'elle chausse d'un geste lent. Lorsqu'elle déboule dans l'entrée, je suis installé dans le canapé avec deux matous sur les genoux, dont je gratte l'occiput du bout de l'ongle.

— Bon, je suis à vous, soupire-t-elle. Je pense à la petite Pardevent ! Assassinée ! Pourquoi croyez-vous que ce meurtre soit en liaison avec ce qu'elle m'a annoncé ?

Je lui réponds d'un geste vague.

— Vous voulez bien que nous descendions à la pharmacie ? demandé-je.

— Si vous y tenez… Je prends les clés !

Elle va décrocher un trousseau fixé à un clou dans la cuisine, et nous dégageons.


L'officine, avec ses odeurs caractéristiques.

— Je suppose que vous tenez à vérifier le réfrigérateur, inspecteur ?

« L'inspecteur » répond qu'en effet. Mammy va au meuble qu'elle délourde. Dedans se trouvent des sacs de plastique identiques à ceux que j'ai trouvés lors de ma visite nocturne avec Riton, et qui contiennent des tranches d'abats.

— La viande pour mes chats, annonce Mme Purgon. Je l'entrepose ici depuis que mon frigo de l'appartement est en panne. J'en ai commandé un autre voici plus d'un mois et je l'attends encore ! On vous rebat les oreilles avec le chômage, mais c'est la croix et la bannière pour être livré.

J'examine les tronçons de viande, écœurants et fermes à cause du froid. Je les contrôle tous, l'un après l'autre. Rien de suspect.

— Si ce réfrigérateur sert pour vos chats, remarqué-je, où conservez-vous les produits nécessitant une basse température ?

— J'ai un second appareil.

Elle m'entraîne vers une sorte de long comptoir recouvert de marbre, servant aux préparations. Sous la banque se trouve effectivement un frigo, dont le volume évoque ceux qu'on met à la disposition des clients dans les chambres d'hôtel. Je l'ouvre. Des boîtes et des flacons s'y trouvent soigneusement rangés. Je les regarde de près : tout est O.K.

— Autre chose ? questionne la vieillasse.

Je secoue la tête. M'assieds sur un tabouret de fer émaillé, pose mon coude sur le comptoir marmoréen. Temps mort réclamé par l'arbitre ! J'essaie de faire le point. Une nuit d'il y a pas longtemps, le gars Riton, en manque, s'est introduit céans. Il a avisé le frigo, l'autre, dont la porte imite le bois. L'a pris pour le coffiot de la pharmacie et l'a craqué. Le faisceau de sa lampe électrique lui a révélé d'étranges paquets de plastique à travers lequel il a cru voir… Oui des zobs, mon z'amis ! Sur le coup, le môme a pensé qu'il berlurait. Alors il a voulu en avoir le cœur net et…

Et moi, à cet instant, je me dis formellement que C'ETAIENT DES ZOBS ! Là, à la seconde, j'y crois pour tout de bon. Et pourtant, mammy Purgon est l'image même de l'archi-innocence. Cette grosse vieille harassée est incapable de faire du mal à une puce de mouche ! On l'a feintée ! Abusée. Les pafs coupés ont dû transiter une nuit, une nuit seulement, par sa pharmacie. La nuit où Riton s'y est introduit ! Caprice indicible des hasards ! Elle n'en a jamais rien su et, quand on lui parle de la chose, ça la fait marrer !

Bon, il n'y a que deux autres personnes qui aient pu tremper dans cette sinistre histoire : celles-là même qui travaillent pour elle, c'est-à-dire la préparatrice et l'homme de courses.

Et pourtant, cette nuit…

Marie-France téléphone à la vieille. Peu après on la réclame au chevet d'un enfant malade. Bidon ! Elle est assassinée avant d'atteindre la maison du môme. Et cependant, la vieille n'a prévenu personne puisqu'elle est sur écoutes et que le service ne m'a pas appelé. Faudrait peut-être que je roupille un peu pour être en forme ? M'man me répète inlassablement qu'à trop tirer sur la corde… Puiser dans ses réserves, c'est bien joli, mais elles s'épuisent, et toi avec.

Je songe à Toinet, chez les Béru. J'ai pas envie de rentrer à Saint-Cloud. Maria va me sauter sur le pafoski et se goinfrer de chibre. J'ai de la peine à cause de la pauvre doctoresse honteusement butée. Notre aventure n'aura duré qu'une poignée d'instants, mais ils étaient de première.

Alors, tu sais quoi ?

Franchement, ça ne m'était encore jamais arrivé, un coup pareil : je retourne au manoir de Con-la-Ville demander asile à Miss de Saint-Braque.


Chose curieuse, voire étrange, pour ne pas dire bizarre, lorsque je stoppe ma Maserati devant le perron, une fenêtre qui restait éclairée s'ouvre, et Francine apparaît au premier.

— Oh ! c'est vous, commissaire ! Je descends vous ouvrir.

Fectivement, la voilà qui délourde une porte-fenêtre de la terrasse. Elle est nu-pieds comme l'était ma gentille doctoresse et presque nue tout court, n'ayant pour vêtement qu'une chemise de noye si légère qu'on lui voit le dito à travers.

Elle me sourit.

— J'étais en train de penser à vous, affirme-t-elle. Quelque chose me disait que vous alliez revenir ici dans la nuit. Il est quelle heure ?

J'interroge ma Pasha.

— Bientôt quatre heures ; vous devez me trouver un peu cavalier, non ?

Elle secoue négativement la tête.

— Nous vivons des instants d'exception, murmure-t-elle.

Pour elle, c'est une explication et une excuse.

— Vous paraissez très fatigué, remarque Francine de Saint-Braque.

— Parce que je le suis.

— Avez-vous dîné ?

— Non.

— Venez vous restaurer à l'office.

Ma foi je la suis et bien m'en prend car, trois minutes plus tard, je suis attablé dans une vaste cuistance campagnarde, devant un grand pot de rillettes, du pain de ménage poudré de farine grise et une boutanche de bourgueil. Une bonne vieille horloge à balancier joue du Brel dans un silence rural.

Francine s'est lovée en tailleur, face à moi, dans un fauteuil garni de paille. Elle me regarde manger avec intérêt.

— Vous n'êtes pas un policier ordinaire, murmure-t-elle.

Je prends la voix de la mère Denis pour répondre :

— Ça c'est vrai, ça !

— Votre enquête progresse ?

— A pas de géant.

— Vous avez des résultats ?

— Les résultats, c'est à l'arrivée ; pour moment, les événements vont bon train.

— Je peux savoir ?

— Vous lirez tout ça dans les journaux.

Cette fin de non-recevoir, loin de la formaliser, la fait sourire. Je la mate froidement. Après tout, elle n'est pas mal. Un peu sèche, un peu « faussement masculine » si tu vois ce que je veux dire.

Non ! Tu ne vois pas ? Je m'en fous, j'ai pas le temps de t'expliquer : c'est trop subtil, on y passerait le reste de la nuit.

— Votre frénésie sexuelle, c'est de famille ? je demande, la bouche pleine.

Elle paraît choquée, se guinde un peu et son regard devient un tantisoit oblique, tel celui d'un chat qui t'emmerde.

Comme elle ne répond pas, je poursuis après avoir dégluti :

— Notez que moi aussi j'aime le cul ; mais je ne crois pas être vicieux.

— Qui vous dit que je suis vicieuse ?

— Les renseignements recueillis aux sources.

— Il n'y a pas de vice, il n'y a que des goûts différents, récite-t-elle.

— Montherlant, complété-je.

Je me retartine des rillettes.

— Elles sont fameuses, assuré-je.

— C'est notre vieille bonne qui les fait.

Elle se déploie pour aller chercher du fromage, et ce faisant, j'aperçois sa chatte en direct. Elégamment fendue, poilue avec tact, d'un rose délicat.

— Est-ce que ces loubars de mes deux apprécient seulement, dis-je avec un soupir.

Elle a compris de quoi je parle. Faut reconnaître qu'elle mijaure pas, la châtelaine. Elle annonce franco la couleur.

— Est-ce important ? demande-t-elle.

— Je ne sais pas ; il me semble. C'est toujours mieux d'être à l'unisson.

Et puis elle m'apporte un superbe livarot moelleux. Et ensuite un plateau avec plein de pots de confitures. J'adore la confiture. Sa cuisinière est à la corde avec m'man, question qualité. De la quetsche, de l'abricot, de la cerise noire, de la tomate, de la fraise ! Je clape en force, tout en vidant le flacon. Voilà un moment à part, délicat. Pas prévu, tu comprends ? Et c'est pour cela qu'il est chouette. Un de ces instants qui sont embusqués dans un coin de la vie, comme un gendarme dans un virage et qui, sans que tu l'aies pressenti le moindre, te plongent dans une félicité béate.

— Je suis bien, avoué-je.

— Tant mieux, dit mon hôtesse. Vous souhaitez dormir au château ?

— Si vous me permettiez de disposer d'un coin de banquette, ce serait volontiers.

Et elle, tu sais quoi ?

— Pourquoi un coin de banquette puisqu'il y a mon lit ?

Plus directe, tu meurs ! Faut du cran pour balancer ça à un perdreau qui s'est rabattu chez toi à propos d'un meurtre, non ? Mais ce qui sauve tout, c'est son calme, cette espèce de classe dans la hardiesse. La façon désinvolte dont elle articule cette propose et qui peut paraître énorme, surtout dans l'univers où elle évolue, Francine !

Elle rit, de son rire froid et vorace à la fois.

— A quoi bon se dissimuler que nous en mourons d'envie l'un et l'autre, commissaire ? Ce tête-à-tête nocturne dans cette cuisine, moi presque nue, vous affamé, porte aux sens de ceux qui ont la chance d'en avoir. Notez que le jour où je suis entrée dans votre bureau, j'ai ressenti un frémissement dans mes endroits secrets. Vous êtes un vrai et superbe mâle.

— Mais flic, hélas, ma chère. Or, un flic ne saurait copuler avec une personne qui vient de trouver l'un de ses amants égorgé et émasculé dans son jardin.

Elle rebiffe :

— Et quoi ! Vous me soupçonneriez ?

— Vous connaissez l'antienne ? Tout le monde et personne !

— Si vous acceptez le gîte et le couvert, ne pouvez-vous accepter davantage ? Vous manquez de logique !

— Probablement.

— Question de « dosage », si je puis dire. Mes rillettes : oui. Mais mon derrière : non !

Elle s'avance jusqu'à moi, saisit doucement ma dextre, provisoirement libre, et la porte à son intimité la plus secrète.

— Après m'avoir plongée dans un tel état d'excitation ! Tu oserais, misérable, faire passer un stupide et conventionnel devoir de fonctionnaire avant ta nature de mâle ? Tu conserverais ce membre féroce (elle me place une main tombée au bénouze) dans cet état sans rien en faire ? Mais sais-tu qu'un jour, si Dieu te prête vie, tu deviendras un vieil homme impuissant, hanté par ses souvenirs ? Dans ton crépuscule inerte, tu repenseras à mon sexe humide et tu comprendras alors le sacrilège que tu auras commis en laissant cette queue d'airain et cette chatte ruisselante étrangers l'un à l'autre ! Oui, commissaire Service-service, dans les brumes de l'âge, le regret viendra te hanter. Tu pleureras de n'avoir pas bu en son temps à cette coupe de délices, et ta pauvre queue pendante qui ne te servira plus qu'à pisser mal sera déshonorée par cette carence.

Elle m'astique le mandrin avec art et délicatesse.

Des larmes perlent à ses cils. De ses lèvres, légèrement entrouvertes, s'exhale un souffle d'amour qui embrase mon visage. Elle serait pas un chouïa jobastre, la dame châtelaine ? Un tantisoit siphonnée du bulbe ? Y aurait pas un peu de fading dans son sensoriel ?

— O ma belle queue, soupire-t-elle. Si tu es revenu nuitamment me voir, c'est bien parce que ton être me désirait ; ton subconscient convoite ce que ta raison feint de repousser. Il est trop tard pour reculer. Ou trop tôt ! Tu vas me prendre, ardent poulet. Me pénétrer jusqu'à la garde somptueuse de ta royale épée. Tu verras comme mon fourreau est contractile. Tu vas connaître une infinie jouissance parce que je te désire au-delà du possible. Laisse-moi dégainer ton magnifique membre. Prends-moi, commissaire ! Et sache que si j'étais coupable, tu aurais toujours la ressource de nier cette étreinte. Mais va, rassure-toi, mon superbe : je n'ai rien à me reprocher. Tu peux m'enfiler la tête haute ! Francine de Saint-Braque possède un blason sans tache.

Elle se tait car, parfaitement éduquée, elle ne saurait parler la bouche pleine. Et me voilà vaincu, dominé, pompé, astiqué, trituré.

Quelle nuit ! Mais quelle nuit !

Un bris de vitre. Puis de vaisselle.

Elle détêtedenœude.

On constate. Quelqu'un a balancé une grosse pierre à travers un carreau de la fenêtre. Le caillou a atterri sur la table, pulvérisant mon assiette. Il est enveloppé d'un papier d'emballage sur lequel on a écrit, en caractères bâton et au fusain : « SALOPE DE TUEUSE ».

Je tends l'étrange message à Francine.

— Plus rapide encore que le chronopost, fais-je. Et dispensé d'affranchissement.

Elle prend connaissance des trois mots et son visage devient lit vide, comme l'écrivait Ponton du Serail.

— Oh ! mon Dieu, quelle horreur ! balbutie-t-elle.

Elle ajoute peu après :

— Des gens sont donc au courant du meurtre ?

— Tous ceux qui habitent le château, réponds-je.

— Ce n'est pas quelqu'un d'ici qui a lancé cette pierre dans la fenêtre !

— Voyons, ma chère, vos pensionnaires ne représentent pas la fine fleur des petits pois. N'oubliez pas que vous les avez recrutés en prison ! Ce style laconique correspond assez à leur culture.

Elle me prend le bras, n'ayant plus le souci de ma bite.

— Commissaire ! Je ne veux pas être accusée de cet épouvantable assassinat. Je n'y suis pour rien. Si des bruits commencent déjà à circuler à mon propos, je vais devenir la proie de la rumeur publique ! Je serai déshonorée, mise à l'index.

— A moins que je n'identifie le coupable.

Elle frénétise, collée à moi, son cher pubis frottant éperdument mes sublimes testicules.

— Démasquez-le, je vous en conjure ! implore-me-t-elle.

— Je ferai mon possible.

— Ce n'est pas assez, commissaire !

— Alors, l'impossible !

— Voilà qui est déjà mieux.

Je vide la boutanche. Ce bourgueil est épatant, fruité, légèrement râpeux : tout ce que j'attends d'un vin rouge !

— Montons nous coucher, tranché-je.

Elle n'était plus dans « le coup », Ninette. Mon zob lui était sorti de la tête, si j'ose m'exprimer ainsi.

— Ensemble ? fait-elle.

Et l'espoir revient, la lubricité également. Je vois se refléter sa chatte dans ses prunelles, comme l'écrivait le duc d'Edimbourg à son cousin Jules, au moment de ses fiançailles avec Elizabeth.


A vrai dire, c'est pas exactement une chambrette destinée aux voluptés. Il s'agit d'une vaste pièce plutôt austère avec son haut plafond, sa grande cheminée Louis XIII, son parquet craquant, son lit à « vilebrequin » (comme dit Béru) et les tableaux croûteux qui sarabandent sur les murs recouverts d'une étoffe noble, passée et neurasthénique.

Francine tire le verrou.

Elle reste triste, un tantinet flasque. Franchement, elle a besoin de vitamine C et d'une grosse bitoune dans le train des équipages. Elle claque des chaules, vu sa vêture légère.

— Tu vas me réchauffer, bel étalon ? me dit-elle avec simplicité.

— D'ici moins de jouge, ton prose va fumer comme une machine à vapeur ancienne dans la cordillère des Andes, ma poule.

— Oh ! merci. Tu es mon salut, chéri.

Elle passe dans la salle de bains pour se préparer très complètement au gala annoncé à l'extérieur. Moi, tu l'auras remarqué, je suis très pudique sous ma gauloiserie. Mes excès de langage masquent une profonde timidité. Ainsi, passé-je sous silence les petits à-côtés tristounets de l'existence, ceux qui dépoétisent les moments les plus rutilants, bien souvent. Pourtant, à cet instant, je dois te révéler un fait menu, sot et vulgaire qui va avoir une énorme répercussion sur l'affaire. Francine fait pipi. Tu vois comme c'est pauvret, un tel détail ? Je t'en demande pardon. J'ai honte, crois-le, et si je le mentionne c'est uniquement parce qu'il m'est impossible de le passer sous silence. Une telle omission t'empêcherait de comprendre ce qui va suivre. Donc, tandis que je commence à me défringuer, Mlle de Saint-Braque soulage sa vessie. Ce qui me désoblige le désir. Moi, une gonzesse qui licebroque avant la baise, j'ai envie de remonter dans mon futal et de m'emporter plus loin. Je sais bien qu'on ne peut pas se cogner des poupées gonflables à longueur de temps, sinon la courbe de la natalité fléchirait davantage encore, toujours est-il que cette manifestation organique me neutralise la chibrance.

La salle de bains étant contiguë et non insonorisée, je prends acte de la chose à mon tympan défendant. Et voilà qu'à travers ce début de consternation physique, quelque chose me fait tiquer. Dans le courant de la nuit, j'ai déjà perçu le bruit d'une femme qui s'essorait le trop-plein : chez la mère Purgon, la pharmagote. Après s'être levée, elle est allée se ravauder dans la salle d'eau et en a profité pour lâcher du lest.

J'écoute cette cataracte qui devrait me paraître un peu bovine mais qui me devient musicale à mesure qu'elle se perpètre. Pour un peu, je complicebroquerais également et dans mes hardes, tellement que ça me commotionne.

« Eurêka ! » comme disait Christophe Colomb en découvrant la verticalité de l'œuf dur. Je frémis d'aise, d'un contentement capiteux. Franchement, des instants aussi forts, ça vaut le coup d'être flic et donc mal aimé de ses concitoyens. Le bicentenaire de la Révolution, ça me laisse froid en comparaison.

Francine a fini son émission. A présent c'est à Jacob-Delafon d'intervenir à grand jet impétueux. Bravo, chers amis ! Quelle œuvre gigantesque est la vôtre ! J'espère qu'on vous a cloqué la Légion d'honneur ? Moi je la veux pas, mais je sais que ça fait plaisir. Je connais des mecs qui préféreraient ça à une douzaine d'huîtres, même à des belons triple zéro. Et les belons triple zéro, tu sais combien ça coûte !

Donc, y a ramonage de saison. Tout bien. La maison frotte-fort et fais-reluire en activité ! Ça la répare de l'outrage du vilain bruit, Francine. La remet à neuf. A disposition ! Opérationnelle, quoi !

Elle réapparaît nue.

Comme je le suis déjà aussi, on fait une paire étourdissante. C'est presque intimidant d'être à ce point disposés pour la bouillave. On ne sait plus très bien par quoi débuter pour que ça soit aussi fort, comme attaque, que la Cinquième.

Bon, faut se rapprocher, d'accord. Mais c'est banal. Un homme inventif, en « relation » avec une diablesse de ce niveau, se doit de créer l'événement. Elle attend un scoop, Miss de Saint-Braque. Du pas encore vu. Faut phosphorer pour l'éblouir. Le coup de reins, ça viendra after, dans la logique des choses.

Elle est assez bien roulaga, quoiqu'un brin maigrelette. Le bassin, surtout, manque de rembourrage. Les frères Rouland gagneraient à être un peu plus soutenus ; mais faut pas pinailler (pas tout de suite) ; l'ensemble reste vachement confortable. Ce corps d'adolescent a je ne sais quoi d'émouvant, et pourtant je croque pas dans la gamelle à Chazot. Mais je suis esthète, néanmoins. Esthète de con, de nœud ou de lard, au choix.

Je m'assieds dans un fauteuil recouvert de velours embroché (Béru dixit) dont les motifs me grattent les roustons.

— Va te mettre sur le lit ! enjoins-je.

Ces nières, elles attendent la domination du mâle, leur faut de la rudesse. Y a des espoirs de flagellation dans leurs petites tronches.

Elle s'exécute.

— Parfait. Tu t'agenouilles au bord du matelas, face à moi.

Elle.

— Maintenant, tu vas essayer de poser, tes mains sur le plancher, tout en restant agenouillée. Ça devrait être possible.

Elle est souple car elle doit faire de la culture physique et surveiller son alimentation. Ses paluches aristocratiques descendent lentement et parviennent à se plaquer au sol. Cette posture ne manque pas d'intérêt. Si tu envoies les enfants se coucher (d'ailleurs il est tard), je veux bien te raconter la suite. Ils sont sortis ? T'es certain ? Ils prennent pas des orgelets au trou de la serrure ? Banco !

— Ecarte tes genoux, châtelaine !

Elle.

— Davantage !

Elle.

Parfait. De l'autre côté du plumard c'est la pure féerie cingalaise ; mais je me retiens de contourner le lit.

— Je vais éteindre la lumière et ne laisser subsister que celle de la salle de bains, un rai filtrant sous la porte suffit. Tu vas connaître l'orgasme par suggestion, ma chérie. Je te parle, j'évoque des images lascives et tu t'abandonnes.

Tout en disant, je procède à la mise en scène. Pénombre. Touffeur.

Je reprends ma place. Bon, c'est la décarrade verbeuse. Je te répète pas, tu m'enverrais ce book à travers la frime. Mais l'expérience est chatoyante ; que dis-je : chattoyante.

Je lui raconte des insanités comme quoi elle est une chienne offerte. Tu vois, c'est poétique tout de même. Et puis qu'elle est convoitée par des cadors en folie qui se pointent, la langue traînante. Je lui décris ce qu'ils vont lui faire, tout bien. Franchement, je me marre. Elle est cliente. J'en rajoute des tombereaux ! Elle gémit. Son fion se met à circonvoluer. En route pour le zénith ! La big mouillette.

Je me rappelle d'une tendre amie que je calçais par téléphone. La vie nous avait séparés et je l'emportais dans les vertiges moyennant le prix d'une communication d'un quart d'heure, ce qui revenait à celui d'une chambre d'hôtel, vu qu'elle créchait pas aux antipodes. Je lui bousculais les glandes à l'évocation. Lui parlais si bien de ma queue qu'elle croyait l'héberger. Je l'entendais roucouler au bigophone. Pâmer en plein dans les points forts. Raconter son apothéose.

On est chiens pour de bon, les hommes. Sensuels façon taureau. La digue nous biche et nous emporte. On oublie la raison et la décence. On s'école-buissonnière le calbar. C'est la furia au paroxysme. La féria de Séville : olé ! Very delicious ! Prioritaire. Je te mets au défi, ces moments de transe, de penser à autre chose quand ils te bichent. La vie, la mort, sœur Thérésa, la nuit sur le Grand Canal, la vérole dégoulinante, plus rien ne compte. Juste ces quelques millilitres de foutre en ébullition. Cette marée noire dans tes burnes ! Cette mainmise sur ton cerveau qui ne commande plus que des spasmes. La gloire de la chair. Et la chair s'est faite verbe ! La salive rejoint le sperme. Tu peux pas trouver mieux chez Darty, non plus qu'à Carrefour ou ailleurs. C'est des extravagances glandulaires. Du rien qu'à soi qu'on place sur orbite. Des nébuleuses de couilles chatouillées. La faim du monde pour tout de suite ! Le reniement de l'intelligence. Mon génie en giclette ! Une tolérance infinie du Seigneur.

Qu'est-ce que je voulais encore ajouter ?

Ben non, c'est tout.

Pour cette nymphette, c'est nouveau, ça : la jouissance par suggestion ; le fade presque télépathique. Grimper au lustre sous descriptions salaces, évocations hard. Elle s'y croit en plein, tant tellement j'ai des trouvailles hardies et une voix sorceleuse. Je lui pratique du sexe-chope à chaud ! Un show d'images. Des inventeries fuligineuses ! Des combinaisons qu'elle avait jamais envisagées même au cours de ses plus ardentes partouzes. Elle mugit à en déraciner son château. Ça doit paniquer dans les dédales, jusqu'aux oubliettes. Les fantômes évacuent ces lieux devenus insalubres pour eux. Et alors, l'Antonio, tu penses qu'il pousse les feux. Putain, mais où vais-je chercher tout ça, comme me demandent les bonnes gens ! Moi, je leur rétroque[4] dans ma tronche et dans ma braguette. Ça les fait rire de plus rechef. Ils sont cons mais assez gentils. Je vais les garder un peu avant de m'aller crever tranquille. On a l'habitude les uns de l'autre, à force d'à force. On fait ménage à tous. On s'encule un peu, temps à autre, faciliter le transit amitieux. Dans le fond c'est sympa et, comme dit Béru, si ça ne rapporte rien, ça bouche toujours un trou.

Le pied géant qu'elle s'octroie, Francinette ! Une intello, en réalité ! En paillardant avec des loubars, elle cherchait quoi, dans le fond ? L'équivalent de ce que je lui apporte. Son rêve était de se faire exploser le cerveau en même temps que le fion. J'ai dégauchi la bonne méthode. Te dire le nez que j'ai ! Comme je l'ai cadrée juste, la châtelaine du lit foutreux ! Ses draps, t'as l'impression d'examiner la carte de l'Asie !

Bon, elle jouiiiiiiiiiiit jusqu'au contre-ut. Et puis tombe du plumard, k.-o. Epuisée par l'effort mental. Je lui ai écrémé le cerveau, la Saint-Braque. Suffit d'avoir un talent de commentateur pour assurer le reportage ; et la voix élégante de Bernard Rapp. Pas de vulgarité quand tu déballes des saloperies, jamais ! Du phrasé, des liaisons bien ajustées, une parfaite concordance d'étang. Ça donne du relief à la salacité. La dévergonderie débitée comme un texte de Verlaine prend de la mouillance ; va plus loin (j'allais dire plus profond !).

Francine est là à gésir (j'aime bien ce verbe qui a fourni « ci-gоt »), toute tourneboulée, enroulée sur elle-même, avec une épaule qui saille, une main qui sort de sous son buste, une jambe encore dressée contre le lit, tout ça. L'abandon total. La femme flinguée par l'orgasme. C'est très very sublime. Emouvant, presque, dirais-je.

Je vais m'agenouiller au bord d'elle. Lui caresse la croupe avec un rien d'émotion. C'est noble, une femelle ainsi terrassée par l'exacerbation de sa sensualité.

Elle chuchote si bas que je suis obligé de monter le son pour l'entendre :

— Merci.

Oh ! chère fille dévergondée, quel suave hommage tu me rends là par ce seul et simple mot. C'est moi, sirène, qui te remercie.

Quelques bisous mouillés sur les cheveux fous de sa nuque. Une petite paluche faufilée jusqu'à son trésor d'Ali-Babasse. Mazette ! C'est du sérieux ! Elle y va pas en retenant, la mère ! Quand elle part à dame, c'est pas du chiqué.

— Viens, petite fille, couche-toi ! invité-je.

Elle se laisse relever, avec une dolence de malade. Elle est en convalescence de pied. Le panard ! superbe traumatisme.

Je rabats drap et couvrante. Elle s'allonge, je range ses jambes dans la moiteur du lit. Elle se place sur le côté, la tête appuyée à son bras replié. Son autre main va se blottir sous le traversin.

Et voici qu'elle a un sursaut éperdu.

Instantanément guérie de son sommeil et de son épuisement, elle saute à genoux sur le lit et arrache le traversin, dévoilant une chose effroyable : un sexe sectionné, tout flasque sur ses burnes crépies de sang séché.

Alors Francine de Saint-Braque se met à hurler.

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