Quand elle me rejoint, je suis en train de lire un article passionnant sur les bouchons de sécrétion obstruant le conduit auditif et qui sont de trois natures différentes. Ils peuvent être croûteux, épidermiques ou cérumineux, alors tu vois qu'il faut pas la ramener, vu qu'on est vraiment peu de chose ! Elle a quelques minuscules éclaboussures de Fluocaril bi-fluoré au-dessus de la bouche, et a changé (l'idiote) son peignoir contre une sorte de training de soie noire qui lui sied davantage mais que je trouve un tantinet moins godant.
Elle me vient contre, s'assied sur mon genou (je me rappelle plus lequel), me cueille la tête dans ses mains et commence à me rouler une pelle éperdue, vorace, implacable, investisseuse, décapante, exploratrice, fureteuse, qui me déambule dans le buccal jusqu'aux amygdales.
Si tu veux l'avis d'un spécialiste, cette gosse est en manque. Elle doit en avoir classe de soigner les hémorroïdes, crises de foie, broncho-pneumonies, rhumatismes articulaires, règles douloureuses, oreillons, phlébites, angines, rougeoles et toutim de Vilain-le-Bel.
Je devine le topo. Cette petite mère, son diplôme conquis, a racheté un cabinet de province pour démarrer. Because les traites à carmer, elle se prive (sandwichs, sandwichs), mène une vie chiche et quasi solitaire. Alors, de ce fait, ses glandes renâclent, c'est fatal ! Le gonzier énergique, avec une belle gueule (t'en fais pas pour mes chevilles, je porte des bandes molletières sous mon grimpant) qui se pointe chez elle tandis qu'elle est à demi nue, et qui lui met la main sur l'épaule, elle résiste pas. Pour Ninette c'est l'heure de la récré ! Elle jette son caducée aux orties ! Une occase pareille, on l'attrape par la queue (ce qu'elle fait) et on s'en confectionne une partie de cul expresse (c'est parti !). C'est parce que, d'entrée de jeu, ce mâle surgi inopinément lui titillait le sensoriel, qu'elle tentait de le rebuffer. Mais Achtung ! Quand c'est de l'Antonio qu'il s'agit, tu n'es pas de force à lutter !
Moi, rien de temps, hop ! Au sol ! Y a un tapis. Corde tressée, soit, gratte-miches, mais mieux que rien ! Tiens ! Elle ne s'est pas lavé que les chailles, la friponne ! Son frifri sent la savonnette de qualité. Je reconnais « Bois de Santal » de Roger et Gallet ! Invitation à la minouche ?
Voyons voir ! Oui, elle attendait que ça. Faut dire que c'est sa compensation à Vilain-le-Bel, Marie-France ; elle bouffaille sa petite assistante, la fille aînée d'Evariste Lucot, le garagiste de Montpaf-lez-Mantes. Juste un crougnou, de temps en temps, avant que la môme grimpe son Solex pour aller se faire tirer par René Clinquet qui est garnisseur à la Régie Renault de Flins.
Elle la trouvait mignonnette, acidulée, l'œil viceloque. La regardait se défaire de sa blouse blanche. Dessous, la gamine ne portait qu'un slip de complaisance incapable de dissimuler trois poils de cul. Elle lui a fait compliment de sa taille, tout en la saisissant par ses seins, tout en les caressant, de son pubis (à propos faut que je téléphone à Dechavanne)[3] tout en suivant de l'index la fente enchanteresse. Alors elle a gousillé la petite mouilleuse, amicalement. Rien qui compromette leurs relations. En tout, c'est la manière qui compte. Ne jamais théâtraliser. Quand tu restes simple, tout est fastoche.
Martine (c'est le nom de l'assistante) a trouvé cette attention délicate. Elle a remercié sa patronne en la médiumisant gauchement car elle, elle n'aime pas la fellation. Comme dit Toinet, c'est pas encore de son âge. Ça les prend plus tard. Seulement leurs bonhommes n'attendent pas et vont se faire pomper ailleurs, si bien que les femmes mariées ne sucent guère que leurs amants. Sauf dans la version secondes noces où la femme est équipée de son expérience antérieure et te négocie le braque d'entrée de jeu.
Tu penses que Marie-France, juste avec un médius trembloté dans la moniche, elle va pas loin question extase. Aussi suis-je le bienvenu.
Je lui paie une séance classique dite de « présentation », le côté : montre un peu tes trésors, voilà mon capital ! Je sais faire ça, ça, ça et encore ça ; mais c'est juste pour te révéler les perspectives d'avenir. Plus tard, si nous en avons un, t'auras droit à un exposé détaillé. On reprendra tout point par point. On développera. On précisera. On hissera la grande verge, comme dit Poirot, on baissera le froc et on s'en ira taquiner les alizés du bonheur.
C'est une très belle troussée de rencontre, franche et cordiale. N'empêche qu'en fin de parcours, elle a les miches en sang à cause du tapis en ratafia ou je ne sais… Mais contente. Soulagée.
— Y a combien de temps que tu n'avais pas baisé, chérie ? je m'inquiète.
C'est là qu'elle me raconte Martine dont elle lichouille un brin l'entre-deux. J'ai interverti dans la narration, mais c'est pas grave. Des julots, elle s'en ai pas appuyé depuis l'internat. Ici, c'est la chasteté complète. Personne ne vient la voir. Simplement, elle a taillé une pipe à un crouille voici un an. Un gonzier qui travaille à la Régie lui aussi, jeune et beau. Elle lui a fait une piqûre d'héparine dans le ventre. Malgré la douleur, le gars bandait turc. Marie-France a pas pu résister et lui a turluté la guiguite. Le mec, il avait pas l'habitude de ces mignardises : un Kabyle, tu penses ! Plein les badigoinsses, la Marie-France ! Perrier c'est fou ! Elle a failli s'étouffer. Tu le crois, toi, qu'abondance de biens ne nuit pas ? Mon œil !
Donc, elle a droit à son forfait voyage, tous frais compris. M'en est reconnaissante. Se love dans mes bras. Elle love me ! Je lui mignarde encore la nuque, bien lui montrer qu'il s'agissait pas de la troussée de rencontre, brutalement perpétrée et aussitôt oubliée, mais d'un vrai moment d'abandon, avec ramifications possibles, perspectives envisageables, suite au prochain numéro.
— La vie est merveilleuse, soupire-t-elle. Je mangeais tristement mon sandwich devant la télévision. Et puis on sonne et c'est toi avec ta superbe queue et ta fougue amoureuse ! Au fait, que lui veux-tu à la pharmacienne ?
J'ai un sens, ma pomme ! Je sais quand je peux y aller franco dans les confidences. Au lieu de biaiser, finasser, Marie-France, je lui déballe toute la story. C'est de la gonzesse ferme sur ses pieds, pas le genre à grimper sur la banquette quand elle aperçoit une souris. Je lui parle de Francine de Saint-Braque et de son « œuvre » de bienfaisance. Elle pouffe. C'est les gorges chaudes du patelin, ces jeunes malfrats hébergés qui tringlent toute la nuit des femelles en délirade. Je développe : Riton, son incursion nocturne à la pharmacie, sa macabre découverte. La suite avec moi. Des abats remplaçant (selon la conviction de Riton) les horribles reliefs qu'il avait trouvés dans le frigo. Et puis l'assassinat du garçon et son émasculation. L'horreur, quoi ! La charmante doctoresse m'écoute. Elle a l'air dubitatif. Lorsque j'en ai fini, je lui demande ce qu'elle pense de « tout ça ».
— Rien ! me répond-elle catégoriquement.
— Mais encore ?
— Quand tu verras la mère Purgon, tu n'auras plus le moindre doute à son sujet. Elle, collectionner des phallus ! C'est à se demander si elle en a seulement vu ! Elle n'a jamais été mariée, a dû être lesbienne au temps de sa sexualité, vit pour des chats qui empestent son logement et y voit si peu derrière ses énormes lunettes qu'elle se sert d'une loupe pour rechercher certains médicaments dans ses casiers. Elle parle depuis deux ans de vendre son officine, met pour cela des annonces dans les journaux spécialisés, mais se dérobe quand un acquéreur éventuel se présente.
— Et sa préparatrice ?
Marie-France hausse les épaules.
— Une grosse gourde mariée à un chauffeur de taxi de Mantes-la-Jolie. Elle ne parle que de ses gosses qu'elle admire. Tu la laisserais avec une botte de foin, elle la boufferait. Du reste elle passe son temps à manger n'importe quoi : des Mars, des biscuits, des bananes. Une boulimique !
— Il existe un livreur arabe, m'a-t-on dit ?
— Je l'ai vaguement aperçu. Il a une bonne bille. Vraiment pas la tête à sectionner des sexes et à les ranger dans le réfrigérateur de la pharmacie ! De toute manière, il ne pourrait le faire en cachette des deux femmes, ce qui revient à dire que les trois seraient complices.
— Conclusion, le pauvre petit Riton s'est berluré ?
— Comment veux-tu qu'il ait eu raison ? Cette histoire est tellement énorme, tellement saugrenue !
— Il n'empêche que le petit vaurien est mort et qu'on lui a coupé l'appareil reproducteur, mon gentil docteur ! Et ça, c'est pas un mirage : je l'ai constaté de visu !
On sonne impérativement. Comme ma partenaire est toujours à loilpé, c'est moi qui vais délourder. Je trouve Béru sur le paillasson, ronchon.
— Tu t'fais cuire un'soupe au lard, ou bien l'docteur t'bricole un ketchup ? demande l'Enflure vivante.
Puis il aperçoit Marie-France, assise en tailleuse (de pipes) sur le tapis de coco. Depuis l'entrée, on lui voit bien tout, et c'est féerique. Le Gravos en bave de stupeur.
— Ah ! bon, j'comprends, murmure-t-il. M'sieur l'commissaire s'est laissé tirlipoter la corne d'abondance pendant qu'les potes fassent l'pied d'gruau déhors ! Ça m'eusse étonné qu'l'enquête à m'sieur l'commissaire passasse pas par les miches d'une pécore !
— T'as la mémoire courte, Sac à merde ! Que faisais-tu naguère, au château ?
Il sourit.
— Très juste, Bébé Chibre : une occasion d'tremper l'biscuit c'est sacré. C'est l'épouse au méd'cin, cette belle dame ?
— C'est le docteur en personne.
— Oh ! dis donc, é pourrait pas m'faire un p'tit contrôle du gros chauve à col roulé, du temps qu'on y est ? Des docteuses commak, moi j'les fais viendre tous les matins à mon chevalet pour me prend' la température avant d'm'lever.
Il s'avance, galantin, le chapeau à la main, façon mousquetaire rencontrant Anne d'Autriche dans un couloir.
— Mes hommages et meilleurs vœux, petite médème. C'jour est à remarquer d'une paire blanche car j'm'ai plus souvent trouvé à poil d'vant un docteur qu'l'contraire.
Marie-France regarde le Mastar et me demande :
— C'est quoi, ça ?
— Mon auxiliaire, avoué-je sans forfanterie.
— Intéressant, fait-elle. Il lui arrive de se retourner quand une femme nue enfile sa culotte ?
— Jamais, assuré-je, c'est un spectacle trop fascinant.
Elle se lève, aidée par le gentilhomme que je sais être dans les cas d'exception et, sans pudeur, réintègre un merveilleux slip (slip, slip, hurrah !) de couleur tilleul, en harmonie avec ses yeux.
Béru déglutit, essuie sa bave d'un revers de manche et murmure :
— On dira c'qu'tu voudras, mais une femme, c'est plus beau qu'un cheval.
— Pourquoi qu'un cheval ?
— Parce qu'on peut monter su' les deux. Y en a un qui t'emmène plus loin, mais l'aut' t'emmène plus haut.
— Il est poète ? me demande Marie-France.
— Surtout quand il est à jeun, dis-je. Bon, nous allons prendre congé de vous, mon cœur.
— T'as pensé au moins à ce dont t'es v'nu faire au départ ? s'inquiète Gros Trognon.
— Oui, mais c'est négatif.
Je résume les appréciations portées par le docteur Pardevent sur la pharmacie de Vilain-le-Bel et ceux qui l'exploitent.
Dès lors et sans crier gare (bien qu'il soit plus cocu qu'un chef de), le Mammouth explose :
— Ecoute, grand malin. De deux choses l'autre : ou bien la petite frappe a été scrafée par quéqu'un du château, ou bien par quéqu'un d'la pharmacie ; c'est net, précis, sans bavures et taillé dans l'bronze. Moi, contrair'ment à toi, son histoire des bites dans l'frigo (pardonnez l'espression, docteuresse, mais vous savez c'que c'est !) j'y croive, Sana. Et t'sais pourquoi j'y croive ? Parce qu'un truc pareil, ça n's'invente pas. Et aussi parce qu'on a coupé la zézette au Riton. Alors, la pharmacienne faut qu'on en aye l'cœur net. L'avis de la jolie médème, qu'au fait c'est la première fois qu'je voye un slip d'cette couleur délicate, j'dis pas qu'il est faux, j'dis simp'ment qu'é peut se gourer. Les gens, t'as l'impression qu'y sont d'une manière et puis tu t'aperçoives un jour qu'y sont t'aut'ment. C'est la vie !
Un silence mélodieux succède à cette assertion véhémente.
— J'vous d'mande pardon, ajoute brusquement Béru.
Il quitte le salon pour gagner l'entrée où il lâche une salve de pets quatorzejuillesques. Revient, en s'éventant le fond de pantalon de la main.
— Ça n'rapporte pas grand-chose, mais ça soulage, déclare-t-il. Docteuresse, compte t'nu de la monstre tringlée qu'a dû vous fournir mon commissaire, v'sereriez-il consentante pou' nous donner un coup d'main ?
Dominée par la péremptoirité de l'homme moumouté, Marie-France se contente d'un acquiescement muet.
Le Gros enregistre l'assentiment avec satisfaction. II se tourne vers moi.
— Grand, tu connais mon don ?
— De pétomane ?
— Non, d'voiliance. T'sais comment qu'j'renifle les choses par moment ?
— Comme un goret les truffes, renchéris-je.
— Positivement, fait Mister Gras-double, charmé de la comparaison (la noblesse du second nom corrigeant la rudesse du premier). Tu appelles l'service des écoutes et tu d'mandes qu'on branche le biniou d'la pharmagote. N'ensute, la docteuresse va tuber à c'te dame pour lui dire qu'é vient d'rec'voir un coup d'turlu anonyme comme quoi, y lu arrive d'emmagasiner des pafs d'hommes humains dans l'frigo d'son arrerière-boutique, vous m'suvez-t-il, docteuresse ? Vous chiquez à l'indignée. Vous disez à la vieille qu'é doit porter plainte, qu'c'est un mauvais plaisantin, tout ça.
— J'ai compris.
— Et ensuite, poursuis-je, tu espères que la brave pharmacienne appellera quelqu'un pour lui répercuter la nouvelle ?
— Si c'qu'à vu le môme Riton s'rait véridique, il est fatal qu'la dame a un complice et qu'elle l'affranchirera.
Nous sommes allés quérir M. Blanc et on bivouaque dans le salon de Marie-France en consommant des biscuits dont le docteur possède une grande boîte, et en buvant une bouteille de vin de Loire (son pays d'origine, à ma jolie praticienne).
J'ai suivi point par point les instructions du Gros. La pharmacie de Vilain-le-Bel est sur écoute. Marie-France a balancé son coup de turlu avec une véhémence indignée de bon aloi, et nous attendons d'éventuelles réactions. Aux dires de ma nouvelle conquête, Mme Purgon a pris la chose avec humour. Elle a même précisé que si elle collectionnait les bites d'hommes, c'est pas dans son réfrigérateur qu'elle les mettrait, ce qui opposerait un démenti aux rumeurs faisant d'elle une lesbienne sur la touche. Quand le docteur Pardevent lui a parlé de la police, elle a éclaté de rire en affirmant qu'elle n'allait pas importuner les pandores du cru avec des balivernes aussi grotesques.
Et voilà, on attend.
Le coup de grelot de Marie-France remonte à vingt minutes et le « service des écoutes » ne nous appelle toujours pas, malgré mes instructions. Bérurier est déconfit. Son don semble partir en sucette. Pour couper court à nos regards sarcastiques, il visionne la téloche. M. Blanc louche sur les jambes de notre hôtesse. J'ai idée que ses vacances au pays l'ont bien conditionné pour lui faire apprécier les femelles de nos contrées tempérées.
Moi je me dis qu'on stagne. Tout ça cacate, branle au manche. Ça devient un peu incohérent comme enquête. Bien joli de faire dans l'inspiration, mais quand ça ne paie pas, on se ramasse vilainement.
Au bout d'une plombe, Marie-France déclare que le gros sac a mis à côté de la plaque et que c'est elle qui a vu juste : la vieille pharmacienne est plus blanche que l'hermine.
De guerre lasse, Blanc s'intéresse également à la tévé où l'on programme un documentaire sur l'élevage de la bergamote dans les steppes de Nancy.
— Pourquoi ne passerais-tu pas la nuit ici ? me chuchote Marie-France à l'oreille.
Drôle de propose qui me prend au tu sais quoi ? Dépourvu !
L'idée chemine à toute vibure dans ma tronche. Ayant récupéré de la troussée prodiguée en trombe, je suis redevenu l'un de ces « rêveurs du sexe » qui fournissent les amants de qualité parce qu'ils ont envisagé mille ingénieuses combinaisons amoureuses et s'en sont donné l'envie incoercible avec les moyens de la satisfaire.
— Chiche ? je riposte.
— Tu me plais follement ! répond-elle.
Je caresse sa hanche de violoncelle et me dresse.
— Bon ! Il est l'heure de regagner Paris, mes agneaux, dis-je aux duettistes. Rentrez tout deux avec la voiture de Jérémie, moi je vais attendre encore un peu.
Sa Majesté se marre.
— Alors là, docteuresse, rigole-t-il, j'vous prédis une soirée d'gala ! Out' le fait qu'c'est toujours meillieur la deuxième fois, not' Sana, lui, y s'dépasse quand y fait rebelote ! L'inventerie qu'il déballe, le mec ! V's'allez ét' su' le cul, sans jeu d'mots ! Des combines, j'vous jure ! Un zig qu'aurait quat' bites, comme bouddha, il y arriverait pas ! N'oublille pas d'y pratiquer la porte-fenêt' coincée, Tonio, et aussi la tyrolienne bulgare, friponne comm' on la d'vine, j'sus certain qu'elle la raffolera ! Et l'masseur javanais, dis ? L'oublille-pas. Non plus qu'I'gyroscope en folie, hein ! Alors là, ma p'tite docteuresse, v'sallez pouvoir mett' vos miches à tremper car j'vous annonce la monstre emplâtrée.
« D'main, c'est probab' qu'vous vous asseoirez debout ! Pour vous c's'ra la journée Pampers-Chantilly ! Dites, l'voiliage dans la lune, faut en r'viendre ! Et pas rater la marche ! T'y es, Blanche-Neige ? Y a qu'técolle qu'auras fait ballon, c'soir. Tu d'vras embourber ta négrote à l'arrivée. Note qu'avec le fion qu'elle transbahute, t'as d'quoi assurer ! T'sais qu'ta Ramadé, je m'la ferais facile ? Roule pas ces lotos, Glandu : j'plaisante. Slave dit, si un jour t'as envie qu'on permutionne nos gonzesses, j'te prête Berthy amical'ment. C'est d'la bête d'race et pour la manœuv' é remplace un équipage à soi toute seule. Bon, on s'casse. Ciao, docteuresse. A d'main, Antoine. Bonne bourre ; oublille-pas la d'vise à Tonton Béru qu'est : plein les baguettes ! »
ils partent.
Ouf !
— Montons ! invite Marie-France.
C'est au cours de la figure 4 du duc d'Aumale que son bigophone retentit.
La merde ! Juste on venait de mettre au point le mouvement de vrille descendant, toujours délicat ! Elle m'àcalifourchait en souplesse, non pas agenouillée, mais prenant appui sur les talons et les poings rejetés en arrière. La rotation du fessier confinait à la perfection. Elle avait pigé le velouté de la descente et l'extrême précision de l'ondulation. J'en faisais la grimace d'extase, tant tellement c'était hard, bon en plein, phénoménalement exquis. Elle gémissait suavement. Cette musique ! La femme qui geint de volupté, je connais rien de mieux en ce monde ! Ça confine apothéose. Tu te transcendes.
Elle avait déjà eu droit à la tyrolienne bulgare préconisée par Alexandre-Benoît et qui, en effet, me semblait incontournable. On partait dans des clapotis miraculeux, en comparaison desquels, ceux du lac de Lamartine ressemblaient à un bruit de bottes dans un marécage. Et puis le téléphone, bordel ! C'est-à-dire le court-circuit de nos sens. La chute vertigineuse. De quoi te faire disjoncter !
Marie-France, c'est le singe de Pavlov. Pour elle, toubib, le turlu, c'est la voix de son maître. Me désemplâtre d'autor. Moi, je me dis : « C'est les écoutes ». L'espoir contrebalance ma déroute sensorielle. Je veux bien dégoder si c'est pour une noble cause. Ma merveilleuse partenaire décroche. Je m'attends à ce qu'elle dise : « Je vous le passe ». Mais non. Elle empare un crayon, se penche sur un bloc. Elle répète :
— Mazupot, hameau des Lanterniers.
Puis elle demande :
— Vous avez pris sa température ?
…………………………..
— Combien a-t-il ?
…………………………..
— Ça l'a pris à quelle heure ?
…………………………..
— Combien de cachets ?
…………………………..
— Ne lui donnez plus rien, j'arrive.
Elle raccroche. Mézigue, j'ai la bite en berne. Ah ! dis donc, c'est pas le nirvana de calcer une doctoresse. Les appels de noye, merci bien, en pleine bouillave, faut avoir la nervouze qui réponde !
— Grave ? je demande, tandis que ma tête de nœud joue à la barrière du passage à niveau avant le passage du train.
— Il faut voir. La plupart du temps on nous dérange pour rien, mais une fois sur cent c'est sérieux, alors, à cause de cette fois-là, on doit se déplacer. Surtout que c'est d'un enfant qu'il est question. J'espère qu'il ne démarre pas une méningite.
Tout en parlant, elle se loque : slip, soutien-loloche, jean, pull, mocassins, veste de daim, la giberne servant de trousse.
— Veux-tu que je t'accompagne, mon amour ? proposé-je.
— Non, tu n'es pas prêt ; je ferai le plus rapidement possible.
Elle va à la porte et me lance avant de sortir :
— Surtout ne t'endors pas !
— Ne t'inquiète pas, ma puce, tu seras accueillie avec les honneurs dus à ton tempérament.
Elle me lance un baiser. Moi je lui fais adieu avec ma bite.
Il y a des chouettes rencontres dans la vie.
Et puis, brusquement, je repense à Toinet que j'ai abandonné chez les Bérurier. Tu parles d'un père adoptif que je fais ! Je bondis sur le tubophone de ma gentille hôtesse pour composer le numéro des ogres et, justement, c'est le môme qui décroche.
— Ah ! bon, tu es toujours là ! approuvé-je.
— Et comment !
— Ne me dis pas que tu es seul ?
— Non, mais la grosse roupille et l'oncle Béru n'est pas encore rentré.
— Je ne vais pas pouvoir te reprendre, il faudra que tu te fasses ramener à la maison en taxi, demain matin, tu as école !
— Te bile pas.
— Berthe t'a emmené au ciné ?
— On a changé d'idée.
— Qu'avez-vous fait ?
— L'amour.
Je m'étrangle.
— Pardon ?
— Tu vois, j'avais idée de me la grimper, cette vache, alors ça s'est fait tout seul. Elle m'a proposé de visionner une cassette porno, le reste a suivi.
— Mais c'est du détournement de mineur ! On pourrait t'envoyer au gnouf, cette salope !
Il rigole :
— Hé, grand : mollo ! J'y ai mis du mien. C'est ma pomme qu'a pris l'initiative. Ce spectacle ! Je l'oublierai jamais ! Sa babasse, c'est un porche d'église avec du poil autour ! Tu m'aurais vu : Tintin au Congo ! Je crois que t'aurais été fier de moi.
— Fier de ce qu'un merdeux de pas quatorze ans saute une affreuse vachasse putasse et merdassière ! m'écrié-je.
Il calme le jeu :
— Justement, grand. Réfléchis : un gamin capable de s'attaquer à une grosse pute comme la mère Berthe peut s'attaquer ensuite à n'importe qui ! Les gonzesses ne me font pas peur, et je les passerai toutes à la casserole. Je veux te faire honneur, Antoine. Marcher sur tes brise-jets. Un môme élevé par toi doit se comporter comme toi ! T'as toujours été mon idole, mon vrai papa.
Tu sais qu'il m'arrache des larmes, ce loustic ?
Après tout, moi aussi, à quatorze ans, je me laissais pressentir l'intime par Mme Ghirelli, la couturière de maman. La fois que je suis allé chercher une robe retouchée en rentrant de l'école. Mme Ghirelli avait pas complètement terminé son travail et m'a demandé d'attendre. Une belle femme plantureuse, brune et foisonnante, avec un regard qui plongeait dans votre braguette à pieds joints. Elle piquait sur sa vieille Singer dont elle actionnait la pédale.
« — Tu peux étudier tes leçons en attendant, Antoine ! »
Elle m'a désigné un pouf bas, en face d'elle. J'ai pris un book pour la forme, mais je n'avais d'yeux que pour ses cuisses écartées sous la machine. On voyait ses jarretelles, sa culotte rose. Cette trique ! Je me trouvais en état d'hypnose.
Elle a fini par s'en apercevoir, vu qu'elle me parlait et que je ne lui répondais pas. Elle a cessé d'actionner la pédale en forme de grille. Ses jambes se sont ouvertes davantage. Te dire si elle était cochonne, la dame ! Ça l'excitait de m'exciter. Souvent, tu remarqueras ce phénomène d'auto-allumage dans les rencontres. Cette entre-mouillance émouvante ! Moi, j'appelle ça le « bonheur ». C'est spontané, intense, comblant.
Elle s'est levée sans rabaisser sa jupe qui restait remontée sur ses belles cuisses viandues, et s'est approchée de moi. Elle s'est accroupie en face de moi et m'a caressé la queue gentiment, pour m'apprivoiser.
« — Mais qu'est-ce que je vois, on est un petit homme déjà ! »
Tu l'aurais vue m'extrapoler le Nestor, Mme Ghirelli. Cette habileté. Des mains de fée. Son regard était glauque de désir. Sa voix rauque. Elle pointait sa langue entre ses lèvres sensuelles. Un petit coup de semonce sur le filet. Mon zob se cabrait. Un alezan sauvage prêt à se dresser sur ses pattes arrière. J'ai eu droit à un début de turlute. Elle me bavait autour du gland.
Brusquement elle a dit : « Viens, bandit ! ». Ça m'a fait chier qu'elle me traite de bandit, mais je me suis dit qu'elle devait être conne et qu'il fallait pas s'arrêter à des maladresses. Bonne couturière, fière pétasse, mais conne à n'en plus pouvoir.
Elle m'a entraîné jusqu'à sa chambre, de l'autre côté du vestibule. Y avait des pantoufles d'homme près du lit et le Chasseur Français sur la table de nuit, du côté où devait dormir son époux. En moins de chiche, elle a eu posé sa culotte rose, s'est massé la poiluche de ses longs doigts pour rectifier la raie médiane. Et hop ! Présentez votre titre de voyage, embarquement immédiat.
Franchement, je serais infoutu de te raconter la suite, ni si ça été long, ni si ça été bon, rien. Le schwartz dans ma mémoire. Un youp lala vertigineux. Mon sexe avait les yeux bandés. Il ignorait où on l'emmenait. La couturière me disait des choses. Là encore, je ne me souviens de rien. Elle roucoulait comme une vieille pigeonne. Je me suis dispersé à l'aveuglette. Elle a ri, cette archiconne ! A un pareil moment ! Un instant aussi capital de ma vie ! Elle se marrait en vraie connasse qu'elle était.
Et puis elle est allée en trottinant large jusqu'à sa salle de bains pour se rectifier l'intime. En est revenue tenant une serviette-éponge dont elle m'a consciencieusement fourbi la ziquette. Obligeante, dans le fond. Maternelle !
Elle est retournée finir les retouches. Elle a dit en emballant la robe dans un carton :
« — J'espère que ça ira. S'il y avait encore quelque chose qui cloche, ramène-la-moi ! »
Un sourire goulu. Une œillée salace. Je pense que ça devait lui titiller le mollusque de toujours pédaler sur sa Singer vénérable. Tout ça pour te dire qu'Antoine, hein ?
Bon : la vie est là qui embarque son monde. Chacun son tour…
Je m'allonge nu sur le lit modeste de Marie-France. Tu crois qu'il a une méningite, le petit garçon Mazupot ?
L'aboiement d'un chien me fait sursauter. Je constate alors que, contrairement à ma promesse, je me suis bel et bien endormi dans mes évocations de Mme Ghirelli. Ce clébard bruyant qui jappe à la lune m'a arraché à mes rêves de stupre. La lampe de chevet posée sur un coffre servant de table de nuit répand sa lumière opaline. Je regarde l'heure et sursaille : quatre plombes et des ! Or ma gentille doctoresse est partie bien avant minuit. M'est avis que ça s'est mal passé avec l'enfant malade et qu'il a fallu l'hospitaliser à Versailles ou à Mantes. N'empêche qu'elle devrait tout de même être de retour, Marie-France. Et si elle avait eu un accident ?
Je ronge mon frein, mais pas longtemps. Très vite me voilà à feuilleter l'annuaire téléphonique des Yvelines. Vilain-le-Bel… C'est tout à fait à la fin. Le nom des parents qui ont appelé ma potesse est comme gravé dans le bloc car elle appuie sec en écrivant, cette énergique. Mazupot. Je me le rappelais d'ailleurs. Il est dans une page de droite. Mazupot Albéric, horticulteur, lieu-dit les Lanterniers.
Je compose le numéro. Ça carillonne à plusieurs reprises avant qu'une voix d'homme, un peu pâteuse, ne dise :
— Oui ? Qu'est-ce que c'est ?
— Monsieur Mazupot ?
— Lui-même. Pourquoi ?
— La doctoresse se trouve-t-elle encore chez vous ?
Ligne de points suspensifs (dont je te fais grâce).
Mazupot grommelle :
— La quoi ?
Et c'est là que la raie des miches commence à me servir de cheneau. Me voici inondé de sueur, tout soudain, pis que si j'avais plongé tout habillé dans la Seine. J'ai le guignol tordu par l'angoisse.
— Le docteur Pardevent que vous avez appelé dans la soirée pour votre petit garçon, insisté-je.
Le mec bâille. Il dit :
— Nous n'avons pas appelé le docteur et notre petit garçon est au service militaire. C'est une erreur… ou une blague !
— Probablement, fais-je misérablement. Pour aller aux Lanterniers, en partant du centre de Vilain-le-Bel, par où doit-on passer ?
— Le chemin à droite, tout de suite après l'église. Vous le suivez sur à peu près deux kilomètres et puis vous apercevez nos serres.
— Merci.
— Pas de quoi.
Il raccroche. J'en fais autant.
Je stoppe devant la pharmacie Purgon. Sa croix verte ne clignote plus et tout est éteint au-dessus du magasin. Le gros bourg dort sagement sous un clair de lune haché par des nuages filandreux. Il va sûrement pleuvoir. Je repars. La route à droite, « tout de suite après l'église ». Eglise à la Vlaminck, légèrement de guingois. Quelques maisons de village, cossues, avec des jardins entourés de hauts murs. Et puis la campagne, déjà un peu normande, pleine de pommiers courbés sous leurs fruits. Un terrain de foot flanqué de constructions en préfabriqué. Enfin des terres à blé ou à maïs, des fermettes et leurs hangars abritant des machines agricoles.
Je roule à l'allure d'un taxi maraudeur. Je cherche en ayant peur de trouver. Là-bas, le chemin décrit une courbe, longe une mare, aborde un boqueteau. Je ralentis encore. « C'est là ». Un flic branché et qui possède le sixième sens poulet ne saurait se gourer. Et, en effet, j'aperçois un scintillement de vitres et de chromes entre les arbres. Je pile sur le bas-côté et m'élance.
C'est une Peugeot 5 CV blanche, avec le crocodile Lacoste peint sur la carrosserie. Le caducée rouge collé au pare-brise. Derrière le volant, Marie-France, la tête ravagée par une balle de gros calibre qui lui a fait sauter la calotte crânienne. Elle a un gant de cuir enfoncé dans la bouche. Sa trousse est posée à l'arrière de la voiture. Les vitres du véhicule sont embuées bien qu'elle ne respire plus depuis longtemps.
Je referme sa portière. Malade à dégueuler d'une tristesse cosmique. Je m'accagnarde au capot. Mes pensées font la toupie sous mon crâne. Je me dis : « Ce con de Bérurier l'a tuée avec sa combine à la noix ! »
Je voudrais cogner sur mon pote. L'injurier. Je voudrais…
Je voudrais, je voudrais, je voudrais…
Et puis je chiale à sec.