Tu connais les délicieuses photos de David Hamilton ? Ses jeunes filles avec des chapeaux à fleurs et des colombes voleteuses tout autour d’alentour. Un rêve ! Qu’on a déjà trop commercialisé. Un truc marche ? Allez ; hop ! On y va à fond-la-caisse ! Les chansons, les tableaux, les nouilles machins, les Séchelles (de corde), les Suédoises, la moutarde Kigode, le reste. Le déferlement. On te l’impose, le succès, dès qu’il s’amorce, montre le bout de ses longues oreilles. Ils sont tous à le guetter, la brigade des rabatteurs. Ils pressentent un tube possible, vite ils pressent dessus. C’est Hiroshima au niveau publicité. Ça bourre à bloc ! Le palais de la défonce ! L’Hamilton si joli, ils nous l’ont filé jusque dans les gogues en posters délicats… Ses exquises petites branleuses pâlottes comme sur les tableaux de Delvaux, les ravissantes qui semblent se soucier davantage d’escarpolette que de chibre bien monté, capelines de paille, ruban, printemps, la lyre, lulure… Plein partout, frivolitas du bout des doigts, que dis-je : du seul médius. Songe d’une nuit d’été. Nous l’ont servi, en long et large, affiches, magazines, cartes postales ; qu’à la fin, t’as la nostalgie de la merde, comme un gars de Denain rêve de ses poussiers à trop se brunir la couenne sous les cocotiers haïtiens.
Moi, je serais l’Hamilton, je photographierais d’urgence autre chose : des locomotives, par exemple ; ou bien des curés, voire des gardiens de la paix. On ne peut pas s’attarder dans la vie, sinon on se corrompt. Et donc, pour t’en revenir, après la baguenaude en mer qu’il n’est rien de plus con, en ce monde, de plus creusement oisif, vide de sens, d’aller fendre le flot pour y brûler des hydrocarbures, empolluer les baies qui contenaient tant de félicité avant les premiers derricks, après cette édifiante virouze atlantique, dis-je, nous sommes rentrés. La Dolorosa, au slip survolté, a prié le cap’tain Malborot Dupaf à prendre un drink. Il a accepté. C’est la nana qui drive la maison de vacances du père Meredith.
— Vous devriez faire un tour dans le parc avec Abigail, m’a-t-elle conseillé.
Ce que j’ai volontiers.
Le drink, mon petit doigt me chuchote qu’ils sont allés l’écluser dans la chambre à Mademoiselle et qu’au moment que je mets sous presse, il lui tresse les poils pubiens avec la langue, l’Alain Gerbaud superluxious.
Si bien que nous voici seuls, la fille Meredith et moi. Je lui ramasse une aile et l’entraîne par les allées fleuries. Elle me suit de sa démarche d’idiote, en traînassant la semelle.
Des oiseaux de couleurs vives remueménagent autour de nous sur les pelouses et dans les buissons. Un vrain coin de paradis-thérèse.
— Reprenons, dis-je, vous désirez fuir et comptez sur mon aide ?
— Oui.
— Où souhaitez-vous aller ?
— Le plus loin possible. En Europe, par exemple.
— Facile à dire : il vous faudrait des papiers.
— J’ai ceux de Dolorosa…
— Comment cela ?
— Petit à petit, je lui ai dérobé des pièces d’identité, je possède maintenant un dossier suffisant.
— Et les photos ? Elle est brun-ardent, vous êtes blond-suave…
— J’ai décoloré les siennes avec du détachant pour la blondir.
— Donc, vous préparez votre fuite de longue date ?
— Evidemment.
— Si je comprends bien, vous désirez disparaître complètement, pour ne jamais réapparaître ?
— Vous comprenez bien.
Son mutisme prolongé, le rôle de débile profond qu’elle a interprété ont donné à son verbe quelque chose de tranchant, de guttural. Ses phrases sont brèves et elle les assène comme on donne des coups de hache. Je devine, dans toute sa personne, quelque chose d’infiniment amer, d’infiniment désespéré, mais aucune résignation. Elle a feint pendant toute une interminable décade, ce qui a affûté sa volonté à l’extrême et lui a permis d’assumer un drame que je devine démesuré.
— Pour s’évaporer, chère Abigail, il vous faudra de l’argent, beaucoup d’argent.
Et tu sais ce qu’elle me répond ? Non, je te jure, y a de quoi se tremper le derrière dans un pot de colle pour, ensuite, s’asseoir sur un édredon crevé.
— Je sais où en trouver, elle rétorque, sans frémir.
Youyouille, caisse à dire ? Se peut-ce ? Donc Martin, le gros Martin prêcheur aurait vu juste ? Ma « mission » se déroule, rectiligne, sans faille ni bavure, en un temps record ?
Seulement atlas (comme dit Béru au lieu de halte là) : tu parles que les joyeux copains me surveillent à la loupe. Tout ce bigntz qu’ils m’ont subi, merde, c’est pas pour me laisser décarrer avec mam’selle Meredith jusqu’à la case trésor, enfouiller l’auber popof que le regretté Fratelli avait planqué.
On va dans le parc qui sent bon la richesse parfaitement entretenue par des non-smigards. Y a plein de fleurs odoriférantes qui me sont inconnues et que je me bats l’œil.
Je pense à l’allure que baise un lapin. La dégrouillance de la gamberge est une planche de salut, bien souvent. L’Antonio, il se dit, textuel : « Les rascals (j’ai lu des polars américains d’avant-guerre, y en avait plein le grenier à papa) tablent sur un temps d’adaptation. Ils croivent (comme dit Béru) que les choses vont traîner en longueur. Par conséquent, si je veux espérer les biter, faut urger. Y aller en trombe. Qu’ils aient pas le temps de sursauter que déjà, l’oiseau et l’oiseleur se sont envolés, telles les hirondelles (de saucisson) avant les frimas (des gaules). Mais se tailler comment t’est-ce que ? La cage est belle, mais c’est une cage, et les barreaux ont beau en être dorés, ils n’en sont pas moins solides, comme l’écrivait Alphonse Mauriac qu’avait du style en plus de son pinard. Ici, le grand Tantonio doit se mouliner la cervelle pour trouver la belle feinte à Jules très suprême, garantie bon teint, irrétrécissable.
— Abigail…
— Oui ?
— A partir de dorénavant, arrangez-vous pour avoir sur vous les papiers dont vous m’avez parlé. J’ignore comment nous allons jouer la belle, mais je sais qu’il ne faut pas traîner et saisir l’opportunité (je traduis de l’anglais) dès qu’elle se présentera.
Elle répond simplement « d’accord ».
On parvient à un petit temple d’amour, style grec, revu Hollywood. Des colonnettes, de la mosaïque, des sièges pour fusée interplanétaire. Je l’installe dans l’un d’eux. Je me flanque dans l’un d’autres. Et puis je contemple le panorama et au bout de moins de temps que ça, l’idée me vient. Et je suis tout joyce. Et je me dis que, qu’est-ce que tu veux, ben San-Antonio ça existe. Et que c’est pas plus mal que sur le catalogue de la Redoute.
Le déjeuner fut simple, mais copieux : salades mêlées, poulet froid avec des chiées de sauces, crème au foutre nappée de sirop de merde, le tout extrêmement sucré, de quoi carboniser ton métabolisme des glucides, ô toi qu’on suce par gourmandise !
A l’ombre d’un parasol, servi par le loufiat grand style à frime d’hypocrite, le tout arrosé d’un vin rosé de Californie susceptible de transformer n’importe quel estomac bien trempé en grille d’égout, mais servi frais.
La môme Abigail, son chef-d’œuvre de simulation, c’est à table. Faut voir ses gestes patauds pour porter les aliments à sa bouche. Dolorosa est obligée de guider sa main, par moments. Du grand art.
Et alors, le gars moi-même se demande, non sans un serrement de cœur qui vaut largement celui du Jeu de Paume : « Et si cette grognace était folle tout de même ? Et si sa folie consistait justement à mimer la folie ? Car enfin, seize piges de berlure, faut les tenir. Et jamais louper son numéro. Marcher en crétine, bouffer en déconnecté moteur, conserver le regard vide, s’abstenir de moufter ou ne lâcher çà et là qu’une onomatopée ou un tronçon de mot, ça dénote, non ? Une telle contraignance, c’est pas chez les jeunes filles doucettement gougnottes du club « Sport et Vie » que tu les rencontres.
Tu me vois maller avec une jobrée qui, tout à coup, au plus délicat de la belle, m’interprétera le grand air d’Aïda ?
La chose que je me raccroche, elle est fragile fragile, déjà anéantie : c’est le brin de larme plein de soleil qui lui est venu tout à l’heure sur le bateau. Je me dis qu’il faut être intelligent pour pleurer. Les biches exceptées, un animal ne pleure pas. La peine, c’est une émanation de l’esprit. Donc, j’ai confiance en cette larme.
Le beau gosse du barlu se nomme Brendon. Ce qui ne me dérange pas le moins du monde. La pécore brune continue de le bouffer du regard après — j’espère pour lui — l’avoir bouffé au sens malpropre du terme, quoique ces hyper-latins à peau ocre sont réticents sur la pipe. Ils en sont encore à l’âge de la pierre polie et de la chemise à trou. La dégueulasserie, faut déjà vivre dans des zones tempérées pour la pratiquer. Elle est de tendance nordique. Un Noir, bon, il lime, il lime et puis merde. Y a qu’aux Pyrénées que ça commence, le turlututu et autre zizipanpan. Tout de suite après, versant Lourdais, ça y va à la manœuvre. Et plus tu remontes, plus la fornique se fait inventive, salace en plein, lubrique tout azimut, jusqu’à ce que les grands froids polaires éteignent la gigue. L’Esquimau, par moins quarante, il peut pas se permettre de se faire sucer, malgré son appellation hautement qualificative. Qu’à peine y se détortille la peau de phoque d’autour miss Zézette pour jauger sa gerce enduite d’huile de foie de morue, la verger rapide sur ses banquises avant que son bigoudoche ne gèle et ne se brise entre ses paluches mouflées…
Cette fille archi-brune est dingue de l’archi-blond. Lequel m’ignore délibérément.
— Cette promenade en mer a été formidable, assuré-je, y a rien de meilleur au monde.
Banal, mais je ne suis pas là pour dévisser Hemingway. J’entends seulement, par cette déclaration creuse, relancer l’idée des promenades à bord du Sea Star.
— Ça paraît faire un bien énorme à Abigail, j’ajoute, toujours dans la connerie courante, style Mme Michu chez la boulangère.
— Vous croyez ? dit Dolorosa.
— Sur le bateau, elle paraissait détendue. C’est un truc qui lui réussit. Elle m’a regardé d’une façon presque intelligible…
La Portoricaine saute sur l’occase à pieds joints.
— On pourrait retourner tantôt, après la sieste d’Abigail, ne croyez-vous pas, Sammy ?
Le Sammy qui devait avoir des projets hausse les épaules.
— Il fera du vent tantôt, la météo l’annonce.
— Eh bien, si le vent est trop fort, nous rentrerons. M. Meredith m’a bien recommandé de lui faire faire un maximum de promenades en mer.
Un silence. Le nom de Meredith est venu à propos convaincre le beau Wikinge de mes chères deux qu’il aurait intérêt à remettre son rancard en ville à plus tard.
— O.K., dit-il avec un maximum de sobriété.
On écluse un moka sélectionné spécialement au Brazil pour Fredd Meredith, selon Dolorosa, et puis on grimpe se dodofier un chouilla, chacun dans sa turne. Avant de quitter Abigail, je lui place un petit bécot sur la joue, entouré des mots suivants :
— Les papiers !
Point à la ligne.
J’ai deux plombes pour m’équiper.
Bien entendu, la voilà qui grimpe auprès de son valeureux loup de mer, Dolorosa. Pimpante dans un bermuda jaune et un bustier de même métal. Faut voir ses rondeurs, la façon trémoussante qu’elles ont d’escalader l’échelle verticale !
Ce qu’il y a de rassurant, dans l’existence cafardeuse, pour un mâle digne de cette appellation contrôlée, c’est ça : les belles frangines carrossées Bertone, avec leurs somptueux accessoires bien lubrifiés, leur charme, leur salinguerie. Les ardentes nous sauvent de la vie. Sauf une que j’ai connue, y a de ça un lustre, et qui avait un mort sur la conscience. Note que sa conscience se situait entre ses cuisses délectables. Mimi : une passionnata grand style, dont la folie consistait à se faire minoucher la galaxie. Elle panardait si fort, les cas échéants, qu’elle en perdait le contrôle de son self, la chérie. Et un jour fatal, qu’elle s’opérait un petit assistant de cinoche, un gentil rouquin blafard, elle s’est tant tellement mise à serrer ses cannes pendant qu’il lui délectait le train des équipages qu’elle se l’est étouffé recta, le gars Etienne. En pleine asphyxie, il luttait désespérément, et plus il lui pompait l’air de la chaglatte, plus elle grimpait aux extases, miss Mimi. Et plus elle extasiait, plus elle crispait des cuissots. Le pauvre biquet tentait de retirer sa tronche de l’étau farouche, mais elle avait des jambeaux qui bloquaient pis que des sabots de Denvers. Quand elle a poussé son grand cri sauvage, style Jane lorsque Tarzan la fourre dans les lianes, elle a rouvert son armoire normande, Mimi. Y avait un cadavre à la place de son slip. L’Etienne était clamsé, tout bleu, la menteuse longue de vingt-cinq centimètres. De profundis ! Victime de l’amour. Le héros de la minette ! Mort au chat d’honneur, l’assistant, faute d’assistance précisément. Va-t’en expliquer ça à la police, after.
Y a des cas qu’on peut pas s’imaginer.
Et puisqu’on est sur la question, à propos de ce que je t’ai dit du grand cri sylvestre à Mimi (si je t’emmerde avec mes digressions, file plus loin, là qu’il y a du zef dans les voiles et de l’action à s’en cacher sous la table) faut que je t’entretienne d’un truc que j’ai remarqué à force de pratiquer. La réelle beauté de l’amour, c’est ce cri qu’elles poussent en jouissant, les frangines. Bien peu le réussissent. Les plus malignes, les plus rouées, ne parviennent pas à l’imiter car il est inimitable. Pour être réussi, il doit être sincère. C’est une plainte, tu comprends ? Et elle vient du fond des âges, elle fait penser à des halliers inextricables. Une plainte qui ne peut être contenue et qui exprime une espèce de stupeur incrédule. Une souffrance de bonheur indicible. Oui : il y a de la surprise dans ce gémissement. Les truqueuses ont le bonjour pour trouver le la à un air pareil, tellement secret, tellement beau.
Et voilà, c’est tout. Je voulais juste…
Alors la Dolorosa s’installe au côté de son tringleur d’élite. Et le criss-craft crisse et crafte de toute la puissance de ses deux moteurs. Il paraît voler sur les eaux. Pique vers le large qui est d’une largeur dont tu n’as pas idée dans cette contrée.
Le mataf a fini de rentrer les ballons. Il a de plus en plus l’air glandu, ce gnaf.
Abigail est allongée sur le bain de soleil. Moi, assis à la poupe, je visionne le ciel exquis où s’albatrent des albatros.
Lorsque le marin a terminé sa manœuvre, je lui fais signe que j’ai soif.
Il opine.
— Yes, sir : bourbon, bière, eau minérale ?
— Une bière.
Il fait coulisser la porte de l’habitacle et pénètre dans le salon luxueux.
Je l’y suis.
Il est accroupi dans le réduit kitchenette devant le réfrigérateur bien achalandé. Je lui ajuste une manchette virulente sur la nuque et il s’absente de toute urgence. Je referme le frigo et je ligote le gars à l’aide de cordages qui approfusent dans le logement situé à la proue.
Le tout ne m’a pas pris deux minutes.
Je ressors en sifflotant. Abigail me considère du coin de l’œil. Je lui souris pour la rassurer. Après quoi, je grimpe au poste de pilotage. La mère Dolorosa est en train de fourbir la queue du pilote en tenant sa main en conque au-dessous de son glandoche, comme si elle demandait l’aumône. Ma venue jette un froid. Brandon se remise prestement le sifflet à roulettes et me fait la gueule avec sa nuque. Dolorosa s’efforce de cacher sa gêne sous un sourire enjoué.
— Dites donc, fais-je, ça détale drôlement ce machin. On ne voit déjà presque plus la côte !
Je mate en arrière. Effectivement, une ligne sombre moutonne au ras des flots.
— Si on devait regagner le littoral à la nage, dis-je, on mettrait un sacré bout de temps, non ?
— Des heures, admet Dolorosa…
Pendant qu’elle me répond ça, j’administre une seconde manchette au valeureux capitaine. Mister Surcouf pique des naseaux sur son volant. Je saisis les deux manettes des gaz et baisse le jus à l’extrême, puis je mets au point mort. Le bateau tangue sur les flots bleus, où, à partir de neuf heures, ce soir, viendront se mirer les étoiles.
Ce qu’il y a de chouette avec la Portoricaine (c’est portoricaine qu’elle est, ou bien armoricaine ? Je me rappelle plus, mais on s’en branle, hein, car on va se séparer d’elle incessamment et pour toujours). C’est son calme. Ses yeux béent de surprise, pourtant elle ne manifeste pas.
— Vous devriez poser vos fringues, dis-je, vous seriez plus confortable pour nager.
— Mais…
— Oui ?
— C’est infesté de requins, par ici.
Je rigole.
— Et alors ? Les requins sont moins fumiers que les hommes, vous savez : ils n’attaquent pas sans raison. Si vous en rencontrez un, faites-lui un beau sourire.
Ayant dit, je chope le Viking de la Métro par la ceinture de son grimpant et je le fous à la flotte du haut du poste de pilotage. L’eau le réanime instantanément et il se met à barboter comme un triton.
— A vous, ma gosse, invité-je en commençant à déboutonner son bermuda. Posez ce délicieux machin et plongez !
Elle se laisse dessaper par mes soins éclairés sans réagir.
— Je nage mal, elle dit. Jamais je ne pourrai atteindre la rive.
Je me penche afin de saisir une bouée fixée à la coque du bateau. Elle en profite pour se ruer sur moi, ce que j’escomptais. Il me suffit de compléter son élan d’une bourrade pour qu’elle aille rejoindre le super-blond dans l’onde atlantique.
Galant, je lui lance la bouée.
Ces différentes opérations accomplies, l’Antonio s’installe sur le siège pivotant du pilote et remet la sauce.
On navigue pendant une plombe.
Abigail est toujours allongée sur le bain de soleil capitonné. A croire qu’elle ne s’est rendu compte de rien. Le gars Mézigue pédale tant fort que la puissance du contre-torpilleur le permet, afin de mettre un bon paquet de milles (marins, les plus beaux) entre la maison de campagne de Meredith et nous. Je consulte la carte et la boussole, car tu le sais — Santonio ne perd jamais le nord. Cette heure écoulée, j’estime que nous devons nous trouver à la hauteur d’Atlantic City. En fait de quoi, je me rabats sur la côte. Lorsque cette dernière n’est plus qu’à un mille, je stoppe et détache le canot de secours, en caoutchouc, équipé d’un petit Johnson de trois chevaux.
— Allez, Abigail, à vous de jouer maintenant !
Docile, elle se lève, je l’aide à prendre place à bord de la petite embarcation.
— Vous avez vos papiers ?
— Oui.
— Parfait.
Je me déloque en un clin d’œil, jette mes fringues dans le barlu de caoutchouc.
— Ne bougez pas, je vais vous rejoindre dans quelques minutes.
Un petit tour dans le rouf, histoire de me munir de quelques objets qui peuvent nous être utiles. Je les flanque dans le canot. Puis je retourne au poste de pilotage, oriente le criss-craft vers le large, bloque la direction et enclenche la marche avant. Un peu de gaz, pas trop, et le Sea Star s’en va. Je l’abandonne dans un plongeon impeccable.
Dans la fraction de seconde où je me trouve dans le vide, j’ai le temps de me dire : « Et si la môme Abigail démarrait et te laissait sur place, gros malin ? Toi aussi, pour lors, tu devrais rejoindre la terre ferme à la nage. »
Aussi suis-je presque surpris, ayant refait surface, de la voir actionner la pagaie de secours pour driver le canot dans ma direction.
Je prends place à bord. Le petit moteur tourne rond dès la première sollicitation. On se met à teufteufer en direction de la côte grise et verte qui se dresse devant nous, pas joyeuse pour un dollar.
A suivre[8].