IX ELLE

Bon, je m’appelle Jim. Dans l’état d’euphorie où je volplane, rien ne peut me surprendre profondément. Juste un peu, comme ça, en surface. Car enfin, je sais parfaitement que je ne me prénomme pas Jim. Mais qu’une merveilleuse créature m’assure le contraire ressemble plutôt à un gag.

Je quitte ma chambre pour déboucher sur une galerie surplombant une immense pièce luxueusement meublée, avec des différences de niveau, des meubles drôlement modernes et des peintures dans le goût du jour, c’est-à-dire truquées. On vit l’époque où, pour renouveler l’art, on s’abandonne aux gadgets. L’autre jour, un peintre réputé qui faisait une exposition à Zurich a expédié des paquets ficelés à la diable. Son œuvre, c’était ça : des paquets. Un geste ! qu’il assurait dans son catalogue irraisonné, le gus. Les douaniers suissagas ont ouvert les paxons, par devoir. Et le génial exposeur de « gestes » s’est arraché les tifs, de désespoir. Mais il avait tort de se biler, somme toute, au lieu de son geste à lui, on a exposé le geste d’un douanier, ça se tenait. D’autant que les gestes du Ouin-ouin étaient beaucoup plus spontanés que le sien, non ?

Moi, je te dis ça en passant. Ça n’engage personne ; pas même moi, car j’ai la faculté de changer d’avis fréquemment, suivant l’heure et le fonctionnement de mes glandes.

Je descends dans la grande pièce. Une soubrette noire promène un chiftir sur des accoudoirs de fauteuil en fredonnant la musique qui se mouline à la radio.

— Bonjou’, m’sieur Jim, me dit-elle gaiement, sans s’arrêter de frotter et presque de chanter.

Je passe sur la terrasse. Un enchantement. La roseraie y va à la manœuvre, je te prie de croire. Un jet rotatif arrose la pelouse qui joint son parfum d’herbe mouillée à celui des fleurs.

Personne à l’horizon. Je prends place à une table de jardin circulaire, protégée par un parasol dans les tons bleu et orange. Bouf, c’est bath, la vie de château. Un écureuil dégouline d’un arbre proche et vient me mater avec curiosité.

La survenance d’un larbin en pantalon noir et veste blanche à la russe le met en fuite. Le valet est mulâtre, ou alors très bronzé. C’est un type jeune, avec des rouflaquettes qui lui descendent jusqu’à la poitrine. Il porte un immense plateau chargé de petit déjeuner.

— Monsieur Jim a bien dormi ? il me demande avec un accent d’ailleurs.

— Admirablement, rétorqué-je.

Y a plein de bonnes choses appétissantes, croustillantes et beurrées sur le plateau. Des toasts, des œufs au bacon avec des petites saucisses, du cake irlandais, des gâteaux. Le vrai festin du morninge. Les Anglo-Saxons, je vais te dire : ils sont cons, comparés aux Latins, mais ils ont une chose merveilleuse qui est leur breakfast, extrêmement faste présentement.

Je me demande si je peux me permettre d’attaquer, ou s’il convient d’attendre la venue de la môme Abigail, en parfait gentleman que je ne suis pas, lorsque je suis brusquement dispensé d’expectative par l’arrivée de ces demoiselles : la brune ensorcelante et l’autre. La brune a troqué sa blousette blanche, style cul-cul jupe contre un peignoir de couleur tango qui donne un air de folie à sa personne. La fille qu’elle m’amène, faut que je vais prendre quelques lignes et que je les lui consacre (de Napoléon). Un personnage impressionnant. Infiniment belle, elle est, miss Abigail, malgré qu’elle arpente dans le goudron. Un teint de châtainerousse, très blanc, bleuté, avec des taches de rousseur près du nez. Des yeux étonnamment verts, pas vert-pute, comme les espionnes des films C. Mais d’un vert d’une qualité exceptionnelle. Elle a une coiffure surannée, la raie au milieu, tu vois ? Et un bout de frange sur le front, genre Bette Davis d’avant-guerre, qu’était si moche avec ses gros yeux en phares de torpédo, mais qui jouait si bien les jeunes filles délaissées, amoureuses en secret, et qui vont se transformer harmonieusement sur la fin de l’histoire pour séduire le héros connard qui baratinait la sale garce du film, une salope qui allait lui chouraver sa fortune, lui cloquer la chatouille et le compromettre dans un grand scandale financier tout en continuant de sucer son jules, le grand vilain qui tire les ficelles machiavéliques. Ouf !

Miss Meredith, elle se trimbale pas des lampions à la Bette Davis, pourtant elle a de grands yeux aussi. Des yeux qui se posent sur les gens et les choses sans paraître les voir. Elle est très bien roulaga dans sa robe de chambre bleu ciel. Il commence d’y avoir de minuscules rides au coin de ses yeux. La patte d’oie d’Erblay ! Ça ajoute à la nostalgie qui se dégage de son personnage.

Elle s’avance jusqu’à ma table, d’un pas mesuré et flou. Son allure est mécanique. Elle marche parce qu’elle se trouve au côté de quelqu’un qui marche, tu piges ?

A preuve, lorsque la brune s’arrête, elle stoppe également.

Je me lève, tout glandu, les poings posés sur la table, un sourire d’hôtesse d’accueil, un peu crispé, aux lèvres.

— Dites bonjour à Jimmy, Abigail, invite gentiment la brune.

— Bonjour, Jimmy.

C’est pâle, sans nuances, plat comme l’électrocardiogramme de Ramsès II. A peine articulé.

Ces ravissantes prennent place, je me redépose sur le coussin de toile de mon fauteuil. Il y a une légère période de flottement.

— Pourquoi ne l’embrassez-vous pas ? murmure la brune avec reproche.

Comme j’en ai ma claque de l’appeler « la brune » pour te parler d’elle, je vais lui demander son nom. Attends, bouge pas ; pardon, mademoiselle, est-il indiscret de vous demander votre prénom ? C’est pour mon lecteur…

Elle fait la moue :

— Vous êtes un pince-sans-rire, Jimmy. Vous savez bien que je me prénomme Dolorosa mais que tout le monde, ici, m’appelle Rosa.

V’là que je me mets à chanter :

— Dolorosa, c’est la femme des douleurs ; Dolorosa, son baiser porte malheur…

Papa qui chantait ça, jadis. Je l’entends encore, le dimanche, quand il se rasait. Ensuite il m’emmenait jusqu’à l’église où il faisait semblant d’entrer. Si on se rate à la sortie, on se retrouve au café Cusset, me disait-il. On ne s’est jamais trouvés à la sortie. Mais chez Cusset, ça, tu peux y compter. Il rigolait avec des copains, mon vieux, en éclusant des « zozottes », c’est-à-dire du Pernod blanc. Et puis il n’existe plus et le café Cusset non plus, dans notre petite ville d’autrefois. C’est une banque à la place, une succursale du Crédit Lyonnais. Pas marrant, une banque. Nécropole ! Ils ont des tronches de constipés, là-dedans, à force de prendre l’argent trop au sérieux.

— Que chantez-vous, Jimmy ?

— Une vieille chanson française.

— Je croyais que c’était de l’italien, vous parlez aussi le français ? J’éclate de rire.

— Aussi, oui. Tant bien que mal.

Bon, me croit-elle réellement Jimmy, miss Rosa, ou bien joue-t-elle la comédie ? je pourrais le lui demander, mais quelque chose me souffle que c’est inutile. Une force doucereuse m’incite à entrer dans le jeu. A être Jimmy sans barguigner.

— Vous ne voulez vraiment pas l’embrasser ?

L’Antonio saute à pieds joints dans l’occase.

— S’il s’agissait de vous, je me ferais moins prier.

Elle fait semblant de pas piger, Dolorosa. Comme si j’avais causé du beau temps… Je me lève et m’approche d’Abigail. La prends par le cou. La regarde droit au fond des yeux, à la Valéry, et puis je pose ma bouche sur sa bouche. Elle est dans le coltar, mais ses lèvres sont tièdes, pulpeuses. Est-ce que je vais rouler une galoche princière à une cinglée ? Mon souffle va chercher son souffle. Mes lèvres expertes (j’ai une heure de libre demain après-midi, madame, si le cul t’en dit) écartent les siennes. Je lui titille la menteuse. Elle ne bouge pas. Ne fuit pas non plus la caresse. L’affolant, c’est son inertie à cet instant qui devrait être capiteux. Un petit balayage express, pour approfondir la question. Toujours pas de réaction. Je m’écarte d’elle. Il me semble qu’une vague roseur teinte ses joues.

— Il me semble que votre baiser a été particulièrement appuyé, remarqua Dolorosa.

— N’est-ce pas ce que vous souhaitiez ?

Elle ne répond rien, étale du miel liquide sur une gaufre en forme de cœur. On déjeune en silence. Qu’est-ce qu’on pourrait se dire ? Je n’ai que des questions à poser et j’ai décidé qu’il était trop tôt pour les formuler. La musique nous envape, car il y a des haut-parleurs jusque sur la terrasse.

Délices et orgues.

Mais amours ?

J’aimerais savoir où nous sommes. Comment j’y suis venu. Et pourquoi on m’appelle Jimmy. Le Jimmy Fratelli, sur la photo de Martin Fisher, ne portait pas de moustaches. Pourquoi m’a-t-on laissé pousser la moustache ? Comment se fait-il que je ne conserve aucun souvenir des quelque huit jours qui furent nécessaires pour la laisser pousser ?

— Vous semblez morose, Jimmy ?

— Non, surtout pas, je me sens terriblement bien, simplement je réfléchissais…

— A quoi ?

— A Abigail. Je me demandais si nous parviendrons à tirer quelque chose de la situation.

— Quelle situation ? demande Dolorosa avec tant d’innocence qu’on s’y croirait.

J’arrête de piocher mes eggs and pauvcons pour la frimer. Et je lui souris. Un simple sourire légèrement équivoque sur les bords, à toutes fins utiles.

Elle passe à un autre sujet.

— Avez-vous des projets pour ce matin ?

— Pas le moindre. Que proposez-vous ?

Elle réfléchit, et ça lui va d’autant mieux que son peignoir s’est dénoué et que tu lui aperçois les Frères Goncourt plein écran.

— Une promenade en mer, ça vous irait ?

— Au poil !

— Je vais dire qu’on prépare le bateau. Rendez-vous ici dans une heure ?

— Banco !

Je me lève. La vie est irréelle. Sublime, mais irréelle. Sublime parce que irréelle, probable.

Dans la penderie de ma chambre, se trouve un choix de tenues à ma taille. Pourtant elles ne m’ont jamais appartenu. C’est pas désagréable, ce conte de fée. Une baraque de rêve, dans un paysage de rêve, avec des gonzesses de rêve et tout ce qu’il te faut pour déguster le temps qui passe ; c’est pas le tout beau panard, ça ?

Marjolaine, à moi !


Il y a un embarcadère tout au bout de la propriété. On s’y rend à bord d’une bagnole découverte, dite utilitaire, mais y a que les milliardaires qui utilisent ce genre d’engin à la mords-moi-le-bout, si bien qu’il serait mieux de le baptiser véhicule inutilitaire.

Au bout de la jetée, un bateau danse. Blanc, comme la plupart des bateaux. C’est un immense criss-craft, le plus mastar de la gamme, probably, ou l’un des ; avec une partie habitable dans le mitan : salon, cuisine, deux chambres, salle de cinéma, poste de pilotage. Equipé de radar, radio gougnotte, toute la lyre. O combien de marins… Deux ! Un type very smart, en pantalon de toile blanche, chemise blanche à épaulettes d’or et un sous-fifre qu’on a choisi avec l’air gland, bien marquer que c’est lui le subordonné, sans contestation possible. C’est l’élégant qui pilote, le duconneau qui largue les amarres, ramène la passerelle, et répond « moui m’sieur » quand l’autre le traite d’empaffé.

Nous voici à bord du Sea Star, les deux gerces et ma pomme. Le barlu fonce dare-dare vers le large azuréen, fendant la vague sans trop vous démoraliser la tripaille. A l’arrière, est un vaste « bain de soleil » garni de coussins bleus. Dolorosa fait s’allonger Abigail. Ma pomme, je me place au côté de la jeune fille (moins jeune que ça tout de même) ainsi que doit comporter un amant épris. Il fait doux. Le pilote s’est installé aux commandes du poste supérieur, à l’air libre, ses cheveux blonds flottent au vent du large. Tu dirais un wikinge revu et corrigé par la Métrogolwinge. Tu le flashes de trois quarts, à ses commandes, puis tu lui fais fumer une Pall Mall, comme on s’attend toujours de voir faire à M. Mitterand sous son grand chapeau de campagne électorale qui lui donne l’air tellement socialiste.

Il est beau à faire de la pub, ce pilote. Capitaine courageux pour jouer la version amerloque de « Méditerranée ». La mère Dolorosa ne tarde pas à escalader l’échelle verticale qui conduit au poste supérieur afin d’aller s’asseoir auprès de lui. Et pour lors, je pige son penchant pour les promenades en mer. Elle en pince pour le beau pilote de luxe, la donzelle. Elle va roucouler, là-haut, les cheveux dans le vent, deux doigts du gonzier dans la chaglatte, le regard en sirop d’érable. Une fois qu’elle a fait étendre sa « malade », vite elle monte à l’assaut, Rosa la rosse ! Tu changeras rien à rien, c’est dans la nature des proses.

Je me file sur un coude pour observer Abigail. Elle a le visage tourné face au ciel. Parfois le soleil nous inonde, parfois nous sommes à l’ombre du rouf, selon les méandres marins décrits par le barlu. Ces passages de l’ombre à la lumière soulignent la beauté de cette fille. Et je me dis qu’il est navrant qu’elle ait perdu l’entendement. Un morcif pareil ! Ce qu’elle devait être choucarde au temps de Fratelli, et comme il a dû se régaler, le Rital ! Je comprends qu’il en ait été dingue, de cette nana. La nostalgie de son passé m’envahit. Je lui caresse la joue du dos de la main et je murmure en français :

— Ce que tu es belle, ma pauvre chérie. Quel dommage que tu aies sombré dans la nuit. Il devait faire bon te tenir dans ses bras…

C’est un moment étrange que je vis là (Médicis). Pas comme les autres. Il ne ressemble à rien de ce que j’ai connu. Cette fille sublime mais inconsciente me bouleverse. C’est plus fort que moi, je l’embrasse doucement, tendrement, caressant ses lèvres de mes lèvres avec volupté.

Et je reste un long moment contre elle, mon visage soudé au sien, captant sa chaleur, lui offrant la mienne, presque attristé par une félicité qui joue sur deux notes.

Enfin je m’écarte d’elle.

Et c’est là que ça se met à culbuter, là que le rêve fait un bras d’honneur au réel !

— Encore ! chuchote-t-elle.

Dis, ai-je bien ouï ? Ne prends-je pas les murmures de la brise pour mes voix intérieures ?

Je la regarde, elle n’a pas bronché. Son visage reste offert aux cieux, mais quelque chose s’est produit. D’essentiel. Une chose que je contemple avec des yeux éperdus : une larme.

Oui, il y a une larme au coin de son œil gauche. Une petite larme qui capte le soleil. Tout le bon gros soleil tient dans cette larmette, avec ses rayons. N’en manque pas un.

— Abigail ! balbutié-je. Vous êtes donc consciente ?

— Sauvez-moi ! soupire-t-elle, sans articuler, comme si elle était ventriloque.

— Vous sauver ? réponds-je aussi bas que possible. Mais de qui ?

— De tous.

— C’est-à-dire ?

Elle répète d’un ton lamentable :

— De tous…

Et puis hop, la larme qui contenait le soleil a été séchée par lui. Elle s’est évaporée. Ne reste plus que la figure perdue de cette jeune femme. Perdue et éperdue. Si belle. Si étrangement belle. Et fascinante. Et captivante. Et tout, et tout…

— Abigail, fais-je tout à coup, vous n’avez jamais perdu l’esprit, n’est-ce pas ?

— Non.

— Grand Dieu, fais-je (parce que dans les livres bien, on marque toujours sa stupeur par un « Grand Dieu » ou un « Mon Dieu », histoire de donner dans le sérieux). Une telle simulation pendant seize ans ! Mais pourquoi, Abigail ?

— Pour vivre, répond-elle.

Là-haut, la Dolorosa éclate de rire. On n’entend pas son rire à cause des moteurs mais elle paraît à la fiesta, la greluse. Oh ! charogne, ce qu’elle doit y aller au radada quand un loustic la botte ! Je suis confusément mortifié de l’avoir laissée insensible avec mes vannes d’approche, ce matin. Mon charme n’a pas opéré sur elle ; belle leçon d’humilité. Nous autres, matous, on est cons d’orgueil mal placé. On marche à côté de nos pompes à cause de lui. Toujours à s’attacher au superficiel, vu que l’orgueil ne s’intéresse qu’à ça.

Le beau gosse aux Pall Mall garde son self-contrôle. Lui, il doit sélectionner ses conquêtes. Il déboule sur une plage, ça se met à grouiller comme un banc de harengs autour de lui et il choisit les pièces qui lui conviennent. Y a des gus de ce tonneau, rouleurs guindés, sûrs d’eux, de leurs gueugueules et bibites. Des qui n’ont jamais entendu causer de la mort et qui sont certains que ça va durer toujours, leurs beaux mouvements d’épaules, de torse, de menton et de reins. Tant mieux, tous mes compliments.

Je me file à plat ventre.

— Tenez-vous dans ma position, Abigail, afin que nous puissions parler sans être vus.

Elle se place sur le côté, face à moi. On a nos yeux à douze centimètres de distance.

— Vous vous estimez en danger de mort ? demandé-je.

— Plus maintenant, puisqu’on me croit inconsciente.

— Vous n’avez jamais dit la vérité à personne ?

— Jamais.

— En ce cas, pourquoi vous confiez-vous à moi ?

— Parce que j’ai confiance, justement.

— J’entends bien, mais pourquoi moi ?

— Parce que je sais qui vous êtes et ce qu’on attend de vous. Et surtout, surtout, parce que je ne peux plus attendre ; mon père se fait vieux et quand il ne sera plus là, je disparaîtrai.

— Mais pourquoi diable ne lui avez-vous pas parlé, à lui ?

Elle ne répond rien. J’insiste du regard. Elle se tait toujours. Alors je lui donne un baiser. Elle ferme les yeux. Quand elle les rouvre, elle soupire :

— Vous ressemblez terriblement à Jimmy. Surtout avec la moustache.

— Il ne portait pas de moustache.

— Si, peu de temps avant sa mort, il se l’était laissé pousser à ma demande et ça lui allait très bien…

— Elle va toujours bien aux Italiens, c’est l’un des rares peuples qui peut se permettre ça, avec les Turcs dans un autre style.

Elle sourit. Tu verrais cette transformation quand elle s’éclaire. Son visage y gagne cent pour cent en charme. On voit pétiller son intelligence. Je suis abasourdi par la performance que représentent seize années de constante simulation. Exceptés quelques criminels endurcis voulant se faire transférer de la prison au cabanon, je ne connais personne qui soit capable de s’abstraire à ce point du quotidien. Vivre constamment en marge du réel, année après année, quand on est une merveilleuse jeune femme pleine d’ardeur et d’esprit, voilà qui constitue un crime de lèse-nature. C’est sacrilège, je trouve.

Il est vrai qu’elle a dû être traumatisée par la mort de son amant.

— Vous ne voulez pas me dire la raison qui vous a retenu de vous confier à M. Meredith ?

— Je préfère pas.

— Vous n’avez pas eu pitié de son cœur de père ?

— Papa n’a aucun cœur. Il mourra sans savoir ce que c’est !

Oh ! pardon… Je flaire un Himalaya de rancune. Peut-être même de haine éperdue. Les haines familiales sont les pires parce qu’elles sont inhumaines.

Le mataf à tronche de demeuré se radine vers le bain de soleil et s’assoit à deux pas de nous, sur la rambarde, nous obligeant à la fermer…

Aucune importance : j’ai de quoi réfléchir.

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