XI L’EXPULSION

On est arrivé à l’hôtel vers la fin de l’après-midi. Tu nous aurais vus, alors là, je te jure, tu courais chercher ton Kodak-Nikon-Rolleiburnes à péloche ultrasensible, cellule communiste incorporée, eau, gaz, électricité, vue sur la mère Michel qu’a perdu son chat, cette vieille salope ! Et tu nous flashais devant, derrière, de profil, par en dessus et par en dessous. Tant tellement qu’on valait d’impressionner de la gélatine sensibilisée. Moi, vieillard branlant, moustache blanche, cheveux poivre et sel Cérébos, ridé pire que tes couilles, flageolant comme un délicat siège Napoléon III dont se serait servi Bérurier pour changer les ampoules de la maison. Traînant la godasse, soufflant fort, lunetté, baveur. Podagre, rassis, blet en plein. Et elle, la chère Abigail, sévèrement accoutrée, rigide, tirée à quatre-vingts épingles. Non fardée, lunettée aussi. On se pointe donc au Colorado Hôtel. Pourquoi Colorado ? Faut pas chercher à piger. Y a une poésie de l’hostellerie qui fait que dans mon dentier (je veux dire dans le monde entier) les enseignes des usines à dorme correspondent pas à la réalité. Dans le Colorado, y a sûrement des Pennsylvania Hôtel, c’est forcé, fatal, comme y a des hôtels d’Angleterre dans les pays de soleil. Et alors, très bien, t’imagines le tableautin ? Un vieux crabe fourré d’ans, qui gambille sur le grand air de Parkinson.

Il est escorté de sa gouvernante, style britische, la dadame, pincée de partout, que tu ne lui filerais pas un ticket de métro dans la bouche, ni une pièce de cinquante centimes dans la chatte.

Elle explique qu’on m’a recommandé l’air de la mer. Biscotte ma santé, mon asthme.

L’hôtelière est une vieille horreur dans les tons mauves, qui fait cliente de palace du début du siècle, du temps heureux qu’on ne savait pas qu’on allait devenir trop nombreux sur le globe. L’époque qu’on trouvait à garer sa bagnole, tout ça, et où la vue d’un mollet de femme te faisait triquer monstrement.

La vieille fantoche nous gazouille des trucs extrêmement gentils, comme quoi on va être dorlotés, soignés aux oignons. Et puis elle nous propose une suite composée de deux chambres communicantes, avec un dressinge de séparation et chacune sa salle de bains.

Et on y déballe des fringues acquises dans des grandes surfaces. On se fait monter à boire des trucs gazeux. On ferme les portes à double tour. On s’assoit face à face, près d’une cheminée éteinte (on n’a pas branché la prise du feu de bois artificiel qui fait pourtant si joli, si vrai). On se regarde. On est fatigués par la tension nerveuse. Quelle dure journée !

— Vous pensez que nous sommes en sécurité, ici ? demande Abigail.

— Je pense que nous avons fait un maxi pour l’être, mon chou. Il était indispensable que nous nous planquions pendant quelques jours. Nous nous sommes montrés à la gare d’Atlantic City sous nos apparences précédentes, l’employé des billets se souviendra de nous, de même que le porteur que j’ai houspillé sur le quai numéro 4 devant le train pour Washington que nous étions censés prendre, Nos poursuivants ne penseront jamais que nous séjournons sur place. Et s’ils nous cherchent dans le secteur, ils ne seront pas intéressés par un vieux gâteux et son infirmière. Car c’est vous la malade, ne l’oubliez pas, jamais ils ne pourront supposer que les rôles sont inversés.

Elle se détend. Enfin un sourire vient récompenser mon rodéo.

— Merci, murmure-t-elle, vous avez été formidable.

— J’ai droit à une récompense, non ?

— Bien sûr, que désirez-vous ?

Je pourrais répondre « Vous », manière de placer une réplique ajustée, mais j’ai d’autres préoccupances.

— Je désire savoir ce qu’il y a entre votre père et vous, mon petit. J’avoue ne rien piger à vos rapports.

Elle hausse les épaules.

— C’est d’une banalité écœurante, vous savez…

— Dites toujours…

— Eh bien, la fortune de la famille vient de ma mère, tout simplement. Je suis sa seule héritière…

— Donc, la fortune est à vous ?

— Pas encore, car mon père en a l’usufruit, sa vie durant. Je me verrais mal intenter un procès, surtout en étant convaincue d’incapacité mentale. Fredd est un odieux bonhomme qui me hait profondément. S’il ne m’a pas fait tuer, c’est parce que ma mort le laisserait sans le sou.

— Comment cela ?

— Par testament, j’ai tout légué à Jimmy Fratelli ou à ses ayants-droit. Le Vieux est au courant et s’il a tremblé pour ma vie, lors de l’agression, c’est uniquement à cause du fric. Moi morte, son empire s’écroulait et il se retrouvait petit rentier avec ses trains de collection.

— Oui, je pige…

— Il a été frappé par votre ressemblance avec Jimmy. Il a tout de suite compris que quelqu’un vous parachutait dans mon univers pour essayer de ranimer quelque chose dans mon esprit. Alors il a pris les devants et vous a immédiatement jugulé, puis contrôlé, puis enrôlé. On vous a administré des doses massives de sérum de vérité et vous avez raconté votre histoire docilement. Ensuite, on vous a travaillé le subconscient pour vous conditionner, vous rendre prêt à coopérer.

— Dans quel but ?

— Le Vieux espérait que vous réussiriez à m’arracher à ma prostration et envisageait de me faire annuler le testament, en passant par votre canal, comprenez-vous ?

Elle me fixe d’un drôle d’air.

— C’est inouï ce que vous ressemblez à Jimmy. Inouï. Chaque fois que mes yeux se posent sur vous, je ressens comme un courant électrique dans mon cerveau.

Je lui rétorque, ultra sincère :

— Je regrette de ne pas être Fratelli. Pourquoi avoir joué cette comédie ? Vous teniez le couteau par le manche, puisque c’est vous l’héritière.

— Meredith aurait tout fait pour me contraindre à annuler le testament. Tant que Fratelli était là, il n’osait pas. Après l’agression de Central Park, je suis restée un certain temps inconsciente, c’est vrai. Les choses se sont remises en place très lentement. J’ai eu la présence d’esprit de n’en rien laisser paraître. Fredd est un homme qui parle fort. J’entendais tout ce qu’il disait à ses âmes damnées[9] à mon propos. Voyez-vous, parfois, je doute qu’il soit réellement mon père…

Brave petite, va. J’aime son côté Veillée des Chaudières… Georges Ohnet pas mort ! Y a de la pureté dans sa façon de concevoir. De l’innocence. Je lui ferais bien une langue roulée princesse, tiens donc ! Et aussi un petit trot attelé, à la nonchalant qui passe, si tu vois le genre ? Manière de jeter ma gourmette, comme dit le Gravos. Tiens, au fait, qu’est-il devenu, le braquemardeur ? A-t-il repris ses cours de fornication chez Morton ?

On reste un long moment silencieux. Quand un homme et une femme sont assis face à face sans moufter, c’est que des instants se préparent. Des trucs cuisent au bain-marie dans leurs arrière-pensées.

— Nous allons passer combien de temps ici ? Jim…

Elle se mord les lèvres (pas les deux à la fois, ça c’est mon boulot à moi, l’inférieure only).

— Pardon, fait-elle très vite, honteuse de m’avoir appelé Jim.

Je m’approche d’elle et m’agenouille devant ses jambes.

— Je lui ressemble donc tant que cela ? demandé-je.

— Plus encore. Votre vieillissement accentue même le mimétisme.

— Il devait embrasser mieux que moi, non ?

Et alors, t’as deviné, j’approche ma moustache de ses lèvres. Lentement tement tement. En homme talentueux qui ne redoute pas de débander. Surtout ne jamais penser à ça : un conseil que je te donne, p’tit gars.

Mes lèvres sur les siennes. Premier temps. Nos souffles émus s’entrepénètrent. Pas brusquer le mouvement. Je remue les miennes, manière d’écarter les siennes. Le baiser devient plus étanche. Achtung ! la menteuse va bientôt entrer en piste. La voilà partie, la gueusette. Pas en goulue plongeuse qui se pointe comme en palais conquis. Oh que non non ! Mais sournoisement. Elle catimine sur les canines à Loulette, attend que se lève la barrière du péage pour aller folâtrer dans les muqueuses. Voilà ! Merci.

Elle a les yeux qui révulsent, Abigail. Je l’envape suave. Très terrible frisson, haut en bas, bas en haut, va-et-vient. Tu parles que ça lui démange : seize ans de bouteille ! Je te parie la prise de la Bastille contre une prise de tabac, ou bien une prise de conscience contre une prise d’aération, ou une surprise contre une méprise, au choix, que ça va être la toute suprême affaire plumardière, la mademoiselle. L’explosion sensorielle ! Gare aux éclats ! Ce qui me chagrine confusément, c’est d’avoir la primeur de la culbuter au bénéfice de ma ressemblance avec son ancien mec. Ça diminue mes mérites : toujours ce foutu orgueil, tu vois ? Mais enfin, comme l’a si bien dit le général de Gaulle à la bataille de Marignan : seul le résultat compte.

Je la pilote, sans visibilité, jusqu’au premier dodo à portée. On aborde. Sans cesser de lui trépigner de la menteuse, je la déloque. C’est un boulot magistral, le décarpillage d’une frangine. La manière que ça t’agace les doigts, ses froufrous ; qu’ils s’impatientent sur les boutons, tes radis, sur les agrafes surtout, minusculement pernicieuses. Et puis tu la tronçonnes peu à peu. Exit la jupe, exit le corsage. A bas les collants, le slip chez Plumeau ! Mon habitude, à ma pomme, c’est de toujours terminer par le soutien-loloches. Les couleurs qu’on ramène. Ensuite tu laisses aller le bestiau, là que l’induisent ses sens, il suit son bonhomme de chemin.

Nous voici en plein émoi. Elle décrit tout l’alphabet avec son corps harmonieux, Abigail. Le « V », surtout. Et le « Y » à la perfection, sans te parler du « Z ». Le bas de la gamme, quoi ! Mézigue, des jours sans limer, tu te rends compte de cet arriéré ? Dans les cas trop impétueux comme le nôtre, je préconise de pas finasser. Inutile de jouer les complications. La fioriture, faut la garder pour le second tour de scrutin.

Ce vertigineux enfourchement, madoué ! La grande embroque en rase campagne. Je lui pique des deux avec une effrénance si forte qu’elle se met à crier, la chérie. Une bruyante ! Tout l’hôtel doit entendre, et la vieille en mauve va se bricoler une partie de veuve clito expresse pour se dompter la nervouze. Elle hurle, Abigail, à la lune. Comme les loups dans la toundra (j’y suis pas allé, mais j’ai lu des récits). A me casser burnes et tympans. Ça lui contracte le bigornuche de beugler tous ces décibels et elle m’étrangle le chauve à col roulé.

— Non, non, je lui supplie. Moins fort, ma chérie !

Mais elle a décarré. Atteint le point de non-retour. Elle fonce à mach 3 ou 4 vers les zéniths.

Je lui applique ma main sur la bouche, salope : elle me la mord au sang ! Une vraie tigresse ! Drôlement embarqué, l’Antonio. Elle va la boucler, sa gueule, cette péteuse, oui ou classe ? Mais qu’est-ce qu’on leur enseigne dans les instituts américains, aux jeunes filles de la High ? On ne peut donc pas les apprendre à se refréner ? Ça ressemble à quoi de mugir comme une conne, à tous les échos ? Clamer au monde entier qu’on prend son pied ? Tu sais qu’elle mériterait une fessée ?

Ses clameurs sont si formides qu’on se met à tambouriner à notre porte. Des voix anxieuses demandent ce dont. Je m’arrache pour aller répondre que mademoiselle s’est pris le doigt dans la porte d’un placard. Mais des curieux, plus curieux que d’autres, plongent une tronche dans l’appartement et aperçoivent Abigail, étalée sur le page, avec le tiroir ouvert. Alors les figurants se gèlent. Y a réprobation. On me considère comme un vieux dégueulasse qui doit infliger à sa jolie duègne des sévices pas narrables, lui cloquer des boules d’escalier dans l’espace Cardin, des jumelles marines, des tisonniers chauffés à blanc, toute une panoplie hautement inquisitrice. Lui faire subir le supplice du pal et du Népal. La gamme complète des dingueries de vieux kroums à jamais débandés.

Ça murmure. On rumeurt. Les regards s’électrifient. Y a de la flétrissure dans l’air. Du dégât en perspective. Mme Pomponnette se détache du groupe pour m’avertir que c’est pas le genre de son établissement. Va falloir déguerpir. Elle me montre ses autres pantoches : rien que des birbes, du ridé soleil, du croulant, du coulant, du plâtreux ; la sucrette, la bavoche. Branli-branleur. Pépé-mémé. Passe-moi ma béquille, t’auras ta tisane. C’était pendant l’horreur d’un profond ennui. Je réponds qu’oui qu’oui : on va s’en aller. Promis, juré.

Et dans mon in petto décapotable, double carburateur, je fulmine contre cette gosse. Si je pouvais m’attendre à une pareille chose. Hystéro, elle est ! P’t’être que c’est ça qui a rendu Fratelli dingue d’elle. Sa bruyance. Il aimait faire l’amour avec une sirène d’usine, le Rital-espion. Ça lui portait aux sens. Tous les goûts sont dans la nature des choses.

Je reviens dans la piaule, lourde d’un coup de tatane furax. La môme est toute penaude au bord du lit. Ne sait comment s’excuser. « Je ne me rends pas compte, mon tempérament prend le dessus. »

Je la renverse sur le page.

— Que faites-vous ?

— Je termine ce que j’ai commencé, ma chérie. Les pannes de secteur ne sont pas bonnes pour l’organisme.

Elle repart en gueuleries insoutenables. Vraiment plus fort qu’elle. Quand je pense que j’ai eu calcé des nières dans des cinoches, des vieux Alcazar de quartier encore pourvus de loges. Fallait drôlement self-contrôler. Retenir la vapeur. Motus et vivendi ! M’en fous que les fossiles de la pension nous maudissent. Je tringle à leur santé.

La chère âme jouit en catastrophe. On se retrouve par terre, sur le tapis de basse laine, tout surpris d’y être. On filochait si tant follement qu’on est tombés du lit comme deux feuilles mortes, sans seulement s’en rendre compte.

Abigail se blottit contre moi.

— Mon amour, c’était merveilleux.

— Vous savez que je ne suis pas Jimmy Fratelli, objecté-je doucement.

— Je sais. Et je vous le répète, c’était merveilleux.

Allons, on tient le bon bout. Bientôt elle ira faire des bras d’honneur sur la tombe de son ancien amant.

Elles sont comme ça. Et ça se termine toujours ainsi, les passions.


Et donc, vu la tournure des choses, nous devons modifier nos batteries d’épaule et changer nos fusils. Pendant que je règle la mini-note à une taulière hermétique, parme jusque dans son maquillage, la vociférante Abigail va louer une bagnole à l’Agence Hertz voisine.

Une heure plus tard, nous roulons en direction de Vaginston (comme dit aussi Béru).

Une circulation dense. Quatre voies sur l’autoroute. C’est la môme qui pilote. Elle conduit très mal. Dix ans sans toucher un volant, ça te flanque des stigmates. Parfois elle donne trop de sauce et la Chevrolet bondit. D’autres fois, elle freine pile au ras d’un pare-choc.

Avant la capitale étatsunienne, nous stoppons dans un motel qui se nomme Pine Lodge Motel, because deux pins plus rabougris que parasols végètent de part et d’autre de l’enseigne lumineuse disposée en arceau.

On nous loue un pavillon de deux pièces, en forme de chalet suisse, situé à l’extrémité du groupe de constructions. Et je m’en félicite, tu ne peux pas t’imaginer comme, vu qu’ici, Abigail pourra pousser sa goualante à satiété sans trop rameuter les populations urbaines et orbaines.

Nouvelle installation.

— Peut-être serait-il mieux de ne pas aller au restaurant, préconisé-je. J’ai remarqué un magasin à grande surface dans le secteur je vais y faire l’emplette de quelques denrées consommables et vous les cuisiner à la française, chère fleur de mes sens.

Aussi taudis, aussi étoffé : je pars aux provisions, tel un gentil mari pendant que sa femme s’occupe des chiares.

Mon rôle d’égrotant est dur à tenir, compte tenu de ma superbe vitalité qui intéresse tant tellement les dames. J’ai beau m’efforcer aux petits pas, j’ai tendance à allonger mes compas. Ayant collé la tire au parking du supermarket, je m’accroche à un caddie (de Gascogne) à la débandade sur l’immense étendue goudronnée.

Juste avant que je ne franchisse l’immense porte du big magasin, une voix ricaneuse me retentit dans les trompes d’Eustache.

— Alors, grand-père, comment vont ces foutues artères ?

Je me détronche. Et, fatalitas, me trouve face à face avec Martin Fisher.

La déconvenue me ruisselle le long de la raie culière.

Je lui décoche un petit sourire malheureux, le même que doit fournir un écolier pris en flagrant délit de branlette par le proviseur.

Il a joué sa partie superbement, ce tordu, chapeau !

— Dites donc, continue le Mammouth en me posant une main de cinq kilogrammes sur l’épaule, vous êtes le docteur miracle ! La môme complètement guérie, sa permettant même de conduire une bagnole après seize ans de sirop, bravo !

Il porte un nouveau galure, plus épastouillant encore que le premier, avec le poil bien lustré et, me semble-t-il, un bord plus large. Fier conquérant, le flicard. Le bide gros commak, soutenu par une ceinture de cuir plus large que la courroie de transmission d’une batteuse. Il rit graisseux, regarde graisseux et de la mousse jubilatoire fleurit dégueulassement ses commissures.

— Je crois effectivement que j’ai des dons, articulé-je, comme si j’avais trente caramels mous dans la bouche.

— Elle a fait allusion au trésor ?

— Pas encore. Je ne brusque rien.

— Elle vous a suivi sans difficulté ?

— C’est elle qui m’a supplié de la faire évader de chez elle ; elle hait son vieux.

— Je vois !

Il voit ballepeau, ce gros con. Il croit voir seulement. Sa jubilation fait peine à constater. Si je m’écoutais, je lui filerais mon caddie dans les roupettes et je le planterais là.

— Va falloir s’occuper de notre petite histoire, à présent, cher ami, reprend l’éléphant. Ces trucs, moins on les laisse traîner, mieux ça vaut. D’autant qu’elle n’a plus grand-chose à vous refuser, hé ? Quelle séance, à Atlantic City ! Elle a foutu l’émoi dans tout le quartier avec ses cris de lionne dépucelée ; j’ai jamais entendu une fille gueuler aussi fort, vous la sodomisiez avec une brosse à chiendent ou quoi ?

— Je suis monté un peu fort, réponds-je.

— Je vois.

Il rigole encore, et sa bouille ressemble à une énorme motte de beurre au soleil.

— Vous ne savez pas, confrère ?

— Allez-y !

— Faudrait que cette affaire soit solutionnée dans les plus brefs délais. Le vieux Meredith a lancé cent flics privés sur vos talons, et vous aurez beau vous déguiser en ancien combattant de l’American Legion, vous serez vite repéré. Déjà, vous avez un petit aperçu avec moi.

— Les privés n’ont pas vos dons exceptionnels, Martin.

Il repousse son grand bada à la noix afin de dégager son front de penseur.

— Les privés d’ici ne ressemblent pas aux vôtres qui passent leur temps à regarder des couples adultères par des trous de serrure et à noter l’adresse du pied-à-terre sur un carnet. Aux States ils sont fortiches. Je vous fous mon billet qu’en moins de quarante-huit heures la Cad’ du père Meredith stoppera devant votre nid d’amour. Croyez-moi : il faut agir vite.

— Je ferai ce que je pourrai.

Fisher change d’expression, son regard se met à ressembler à deux huîtres dans du vinaigre.

— Non, dit-il, vous allez faire ce qu’il faut. Je veux le magot avant demain soir, l’ami. C’est une question de vie ou de mort.

— Pour qui ? je demande.

Il remet son bitos au ras de ses sourcils.

— Devinez.

Puis il décrit une rotation pesante et emmène promener son nombril.

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