CHAPITRE XII

Il fait une triste gueule, Roult. Une gueule qui n’est pas sans évoquer la gueule de bois d’un type qui aurait picolé dix litres d’alcool de riz.

— Je suis navré, San-A.

— Moins que moi. Bon, voyons ce coffre…

Il s’agit d’un coffre japonais scellé dans le mur. Sa porte a au moins quinze centimètres d’épaisseur. Elle est béante.

— Qui possède la clé, à part toi ?

— Il n’y a pas de clé, la combinaison suffit. Lorsque tu la composes sur le cadran que voici, la porte s’ouvre toute seule.

— Ta secrétaire avait la combinaison ?

— Non. Et puis ne te monte pas le bourrichon : la blonde est au-dessus de tout soupçon.

— On voit que tu n’es pas flic pour avoir des illusions pareilles.

« Peu importe, parle-moi du visiteur de ce matin. Il était suisse, dis-tu ? »

— C’est plutôt lui qui me l’a dit.

— Il ne t’a pas donné son blaze ?

— Si, mais je n’y ai pas trop pris garde. C’était un truc comme Huller, Hallers…

Je bondis.

— Helder ?

— Banco ! Et c’est moi qu’Helder d’un con !

— A quoi ressemblait-il ? je tranche.

— Teint jaune, nez pointu, barbe abondante tirant sur le roux, et lunettes à grosse monture d’écaille.

— Roult, il faut immédiatement que je téléphone en France !

— Facile : j’ai des crédits et la priorité presse.

Nous demandons le tubophone du Vieux. En attendant la communication, je commence une rapide enquête. La blonde secrétaire passe sur la sellette. On dirait une sainte de vitrail. Notre-Dame de la Sellette !

— Dites, beauté, c’est vous qui avez réceptionné le barbu de ce matin ?

— En effet.

— Comment s’est-il présenté ?

— Avec beaucoup d’autorité. Il m’a dit qu’il venait à propos de l’annonce du hall et qu’il était professeur à l’Université de Neufchâtel en Suisse. Je l’ai annoncé à Gilb…, à M. Roult.

Roult rougit. Quel chaud lapin ! Je suis prêt à vous parier un pléonasme en bon état contre une arme à répétition enrayée qu’elle ne s’assied pas sur une chaise lorsqu’il lui dicte le courrier.

— Ensuite ?

— Eh bien, M. Roult l’a reçu.

— Vous l’avez raccompagné lorsqu’il est sorti du bureau ?

— Oui. Vous n’avez pas vu de quel côté il se dirigeait une fois dans la rue.

— Non.

— Dommage.

— Pourtant…

— Oui ?

Elle est dubitative. Je vais pour insister lorsque le téléphone retentit. C’est le Vioque.

Je lui narre notre odyssée stupéfiante de la journée. Il émet quelques exclamations fort bien venues, me complimente et se tait lorsque je lui annonce que la putain d’enveloppe a disparu.

— Pouvez-vous me donner le signalement de Helder, patron ?

— Une seconde.

Je l’entends farfouiller dans des papiers.

— Tu me le passeras que je lui dise un petit bonjour, fait Roult.

— Allô ! San-Antonio ?

— Oui, patron ?

— C’est un homme mince, avec une barbe tirant sur le roux et de grosses lunettes d’écaille.

— Alors c’est lui qui a volé l’enveloppe. Et ça ne me surprend pas, car le timbre qui y est collé a une valeur colossale. Cette sacrée enveloppe vaut une fortune à deux titres différents.

— Ce n’est pas Helder qui a pu voler l’enveloppe, affirme sentencieusement le Genou.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il est à Paris. Mathias qui le surveille discrètement sort de mon bureau en m’affirmant qu’il vient de le quitter à son domicile où il donne une soirée. Si Mathias le dit, on peut le croire.

— Alors j’y perds mon latin, fais-je. Bon, à suivre. Je vous tiendrai au courant. En attendant, je vous passe Roult.

Roult empoigne le combiné.

— Alors, Toto, fait-il, toujours chauve ?

J’imagine la bouille du Vieux en s’entendant traiter de la sorte devant l’un de ses collaborateurs.

— Dis donc, ton San-Antonio, c’est un type sensas. Avec lui y a de la distraction ! Bon, je veux pas ruiner ma société, je te fais la bibise maison au sommet de ta coquille.

Et il raccroche.

— Je ne savais pas que vous étiez aussi intimes, bégayé-je.

— Tu parles, on était dans le même réseau de Résistance pendant la guerre. On s’est sauvé la vie mutuellement une bonne douzaine de fois.

Je reviens à l’interrogatoire de la pin-up au clavier universel mais aux roploplos hors série.

— Vous alliez dire quelque chose de passionnant, mignonnette ?

— N’exagérons rien. Simplement, en partant d’ici, le Suisse a demandé un renseignement à l’agent qui faisait la circulation au carrefour, je l’ai vu par la fenêtre !

Je bondis !

— Dieu soit loué !

Et me tournant vers Roult.

— Tu as compris ?

Il soupire et saisit son veston posé sur le dossier de sa chaise.

— Tu parles ! Tu veux que j’aille au poste de police pour retrouver ce flic et le questionner ?

— Exactement ! Tu parles jap et tu n’es pas repéré par les poultocks, ça t’est plus fastoche qu’à bibi.

— Vu, attends-moi là, miss Carbone va te tenir compagnie.


Compagnie agréable, je dois le dire. La blonde enfant constitue un jeu de patience agréable. Je lui dis qu’elle a une poitrine du tonnerre et elle m’informe que c’est de naissance. Comme j’émets hypocritement des doutes, elle me fait toucher. Bref, une chose en amène une autre et voilà que je me retrouve dans la situation du type qui doit prouver que si le cheval est la plus belle conquête de l’homme, l’homme, en revanche, est la plus belle conquête de la dame. Je fais de louables efforts pour oublier que j’ai eu quatorze élèves particulièrement douées dans la journée et j’y vais d’un cours du soir à tarif double. Je lui joue « Nuit sur la Baltique », avec solo de balalaïka ; je lui réussis « Le Casse-noisette bulgare », puis « Le Portique olympique » et j’en suis à la scène culminante de « Le Facteur frappe toujours deux fois » lorsque Roult radine. Il est joyeux.

— Je tiens le bambou, mon petit père ! exulte-t-il.

Et, balançant les bras, il scande (Comme Maurice E) tout en marchant au pas :

— Tiens ! Voilà du Bouddha ! Voilà du Bouddha ! Pour les Suisses et les Lorrains, et les Alsaciens.

— Et alors, mon légionnaire ! trépigné-je. Le résultat de votre enquête !

— Je sais tout !

— A savoir ?

— L’adresse du gars !

— Raconte !

— Eh bien, je suis allé au poste de police. J’ai demandé après l’agent en faction ici ce matin. Je l’ai vu et interviewé. Notre type l’a abordé en effet. Mais comme il parlait français il n’a pas très bien saisi. Alors il lui a dit d’aller voir une petite vendeuse du magasin de postes à transistors voisin.

Notre Helder y est allé. Il a discuté avec la fille, une ravissante petite Jap. Il lui a demandé où il pourrait se procurer des gants de caoutchouc…

« Vous mordez ? »

— Parbleu, à cause des empreintes !

— Tout juste, Auguste.

— La fille lui a indiqué le bazar de l’autre rue. Mais ils ont bavardé un peu. Helder lui a demandé si elle voulait sortir avec lui ce soir. Elle a dit qu’elle était retenue ce soir, mais que demain ça marchait. Alors il lui a donné rendez-vous à son hôtel.

— Le nom de l’hôtel ! Vite !

— C’est l’Ayoli-Céteski, un établissement assez modeste à quelques minutes d’ici. J’ai téléphoné à la direction pour demander s’ils avaient un client du nom de Helder, ils m’ont répondu que oui, mais qu’il était sorti.

Je presse Roult sur mon cœur généreux.

— Bravo ! Tu as le numéro de sa chambre ?

— Oui, c’est le 118. Tu veux que je t’accompagne là-bas ?

— Non, il peut y avoir du grabuge. Tu t’es assez mouillé comme ça pour moi, Roult. Je vais opérer avec le gars Bé-Rhû-Rié ! et en douceur encore !

— Dites, votre ami n’est pas japonais, n’est-ce pas ? roucoule la blondinette.

— Non, mon amour, il n’a que la jaunisse.

Je les quitte avec mille et une congratulations.

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