CHAPITRE XIII

Minuit, the clock of the crime ! Je m’annonce à la réception de l’hôtel Ayoli-Céteski. Un gardien en veste blanche lit Thin-Thin, un fascicule illustré, derrière son comptoir.

— Je voudrais parler à l’un de vos clients qui a dû descendre ici dans la soirée, M. Bé-Rhû-Rié, dis-je.

L’autre opine, examine le livre des entrées et s’empare du téléphone.

— Qui dois-je annoncer ?

— M. Dupont.

Il branche une fiche et le Gros joue les réveillés en sursaut. On m’annonce.

— Vous pouvez monter, chambre 124, annonce le veilleur.

Je remercie. Jusqu’à présent tout va bien. Béru est descendu à cet hôtel, mine de rien, et s’est pris une piaule au même étage que le mystérieux Helder. Je le rejoins.

— Alors, Gros ?

— L’oiseau est au nid !

— T’es sûr ?

— Et comment ! Je me suis ramassé un orgelet à l’œil à force de mater par le trou de ma serrure. Il est rentré vers onze heures et il vient à peine d’éteindre.

— Il est seulâbre ?

— Comme un sapin de Noël dans un salon !

— Alors allons-y !

Béru masse son œil gonflé par le courant d’air de la serrure.

— Ce genre de truc, fait-il, ça ne rentre quand même pas dans les contributions d’un inspecteur principal !

— Si, mais tu as le droit de faire figurer la pommade sur ta note de frais.

— Ah ! bon !

Nous sortons à pas menus et nous nous approchons du 118. L’oreille plaquée au panneau de la porte, nous écoutons. Un léger ronflement nous parvient. Je ne sais si vous l’avez observé, mais il existe deux sortes de ronflements : le sifflement léonin et le sifflement vipérin. Celui qui nous parvient ressortit au deuxième groupe.

— Allons-y, fais-je au Gros.

Et je toque doucement à la lourde.

Le ronflement s’arrête. Je toque encore. Un rai de lumière filtre sous la porte.

— Qu’est-ce que c’est ? demande une voix inquiète.

Je me pince le nez et je déclame, très vite et à voix basse :

— Mikiki niak Hou, Shofo Tuki ya ma motto !

Je suis paré, puisque, d’après l’agent interviewé par Roult, Helder ne parle pas le japonais.

— Une minute, fait la voix !

Bruit de fringues hâtivement passées. Un pas traîne sur le tapis, s’approchant de nous.

— Vous êtes le garçon d’étage ?

— Yé, yé, m’sieur… garçon d’étage !

Verrou tiré. La porte s’entrouvre. Nous avons la rapide vision d’un visage barbu et d’un type en chemise de nuit dont le pantalon tire-bouchonne par-dessous. C’est tout. Déjà Béru a bondi, tête baissée. Il percute le bonhomme qui s’en va valdinguer à l’autre bout de sa chambre. Presto j’entre dans la pièce et je referme.

Béru et le client de l’Ayoli-Céteski sont aux prises dans un corps à corps sauvage. La mêlée est confuse. Le combat est intéressant. Béru est mille fois plus fort, mais Helder douze mille fois plus souple. Je vois passer le râtelier de Bérurier à quelques encablures du visage, puis les lunettes de Helder. Ça se trémousse, ça se malaxe ! Ça geint ! Ça renifle ! Ça mailloche ! Enfin le combat ralentit. Helder a fait une clé au Gros qui, le cou coincé entre les jambes de son adversaire, suffoque comme un perdu. Il fait une ultime tentative pour s’en sortir. Sa main part en avant, saisit la barbe rousse de Helder, tire ! La barbouze lui reste dans les doigts.

Je regarde et je n’en crois pas mes yeux. Même à l’heure où j’écris, je doute encore de mes sens. L’homme débinoclé et débarbouzé, l’homme qui vient de juguler le taureau furieux qu’est Béru, cet homme, écoutez bien, vous tous qui êtes là à ouvrir des chasses aussi béants que les tiroirs d’une commode cambriolée, cet homme n’est autre que mon cousin Hector.

La minute qui suit est capitale !

Nous nous entre-regardons, nous nous entre-reconnaissons, nous nous désincrédulisons et nous nous exclamons :

— Hector !

— Antoine !

Hector desserre sa prise.

— Monsieur Bérurier ! Je suis navré ! Seulement mettez-vous à ma place, quand vous m’êtes entré bille en tête dans le placard, j’ai pas eu le temps de vous reconnaître !

— Eh ben dites donc, murmure respectueusement le Gros. Pour les prises de judo vous en connaissez un rayon !

— J’ai potassé des tas de livres là-dessus pendant que j’étais au ministère. Je suis la seule ceinture noire à avoir appris le judo par correspondance.

Il se relève, s’époussette, remet de l’ordre dans sa chemise de nuit.

— Si je m’attendais à te trouver ici, Antoine !

— Et moi donc. On te cherchait partout !

— M’en parle pas, c’est tout un cinoche !

Diable ! Diable ! que se passe-t-il donc ? Il est métamorphosé, Hector. Ça n’est plus la panosse de jadis, mais un type sûr de soi, intrépide, farouche. Il parle argot ! Je le vois prendre un paquet de Go-Loa-Se sur la table et craquer une allumette après son pantalon.

— Raconte !

— Je ne sais pas si t’es au parfum, Tonio, mais Pinuche et moi, nous avons fondé une agence de police privée…

— Je sais. Continue.

— Un jour une dame…

— Mme Helder, je sais aussi.

— Oh ! dis, cousin, écrase un chouïa ! Si tu sais tout, t’as qu’à te tremper ta soupe tout seul !

— Oh ! bon, continue…

Hector tire une goulée de fumée, la rejette par les naseaux et, prenant une bouteille de scotch sous son oreille, il la lance à Béru.

— Eclusez-en un gorgeon, monsieur Bérurier. Pour vous remettre de vos émotions.

— Merci, fait timidement l’inspecteur principal, vous comprenez, j’ai eu une journée chargée : un tonneau de fourmis, une estrangulation, un début de noyade, sept souris à faire reluire à la file et une transfusion de raisin, ça finit par vous surmener le bonhomme !

Il boit. Hector le regarde biberonner avec une satisfaction qui n’est pas feinte.

— Bon, fit-il, je poursuis. Je me mets donc à filer un nommé Helder qui frayait une petite Jap. Cette Jap grattait à l’ambassade nippone. Comme j’allais rejoindre l’agence, mon turf fini, voilà qu’une chignole s’arrête à ma hauteur dans une rue obscure et deux durs me bondissent sur le paletot. Je reçois un gnon derrière la soupière et je pars à dame !

« Quand je reviens à moi je suis enfermé dans une cave. Ligoté, avec du fil de fer. Pas marrant ! Des rats venaient me renifler la pomme et je croquais avec les anges ! Ça dure commako près de trois jours. Enfin, un des deux types s’annonce pour m’apporter de quoi jaffer. Mais comment veux-tu faire une mandibulespolka avec les bras saucissonnés depuis soixante heures ?

« Je le fais remarquer au gnace qui me débobine. Je reprends un peu de poil de la bête et, au moment où il s’y attend le moins, je le cramponne par les cannes et je lui fais ma clé number two.

« A mon tour de l’estourbir. Quand il revient à lui, c’est sa pomme qui est ficelé. Et moi, son feu à la main, je le questionne et j’apprends la chose suivante : lui et son pote, ils sont au service de Helder. Ils viennent de faire sauter l’ambassade japonaise pour s’emparer d’une enveloppe rare… »

Hector ricane et prend l’enveloppe dans un tiroir.

— La voici !

Je suis de plus en plus ahuri. J’ai l’impression de passer de l’état solide à l’état visqueux.

— Continue, Totor, continue…

— T’as raison, appelle-moi Totor, c’est plus viril ! Bon. C’est la gosse qui a chouravé l’enveloppe, mais, manque de bol, comme elle allait l’apporter à Helder, elle s’est fait dessouder dans une rue merdeuse de Paris.

— Ma rue, fait lugubrement Bérurier.

— Donc, les mecs avaient tout perdu. Nanti de ces renseignements, je laisse quimper mon gardien et je refais surface. On se trouvait à Saint-Denis, près d’un gazomètre. Je me paie un bahut et je fonce chez Helder pour lui demander des dommages et intérêts. Il me reçoit, drôlement suffoqué, et m’écoute déballer mon baratin. Lorsque j’ai achevé il me dit :

« — Vous n’avez pas prévenu la police ?

« — Non, je lui réponds.

« — Alors, tout est encore possible.

« Il me raconte son coup. Il n’est que voleur puisque ses complices ne m’ont pas mis en l’air. Il veut l’enveloppe à cause du timbre dont un millardaire américain lui offre cent millions. Il a su, par l’enquête de la police, que l’assassin de la môme a pris l’avion à Orly pour Tokyo. Il me propose, puisque je suis un téméraire, de filer dare-dare à Tokyo, pour essayer de récupérer l’enveloppe. Je refuse, mais il m’apprend que Pinaud qui s’était mis à le suivre a subi le même sort que moi et que si je n’obéis pas, il sera liquidé, bien que ce ne soit pas dans ses principes.

« Tu me suis ? »

Tu parles que je le suis. Béru, par contre, à bout de forces, en écrase après avoir lichetrogné la moitié de la boutanche de scotch.

— Alors ?

— Un coup de fil qu’il donne chez Pinuche et à l’agence, tandis que j’ai l’écouteur, me prouve qu’il ne me berlure pas. J’hésite. Mais un voyage au Japon, c’est tentant. Alors j’ai accepté. Comme je n’avais pas de passeport et que le temps pressait, il m’a refilé le sien et je me suis fait sa bouille. A cause de la barbe et des lunettes, ça n’était pas difficile. Je suis arrivé à Tokyo cette nuit. Ce matin je commence à prendre contact avec la ville, et, voyant une agence française, je m’y arrête d’instinct. Humain, non ?

— Bien sûr.

— Tiens, passe-moi la bouteille de ton acolyte que je m’humecte les muqueuses, fait-il.

J’obéis. Il avale une lampée de gnole et me tend le flacon.

— Si le cœur t’en dit.

— Non, merci.

— A ta guise, cousin. Je musarde donc dans le hall de l’agence et je tombe sur l’écriteau…

— Je sais la suite, fais-je. Mais comment diantre as-tu reconnu l’enveloppe ?

— Helder en avait pris une photographie au début de l’exposition.

— Et comment l’as-tu volée ?

— Pas dur. J’ai éloigné la secrétaire.

— Je sais.

— Je suis entré et j’ai ouvert le coffre.

— Mais tu n’avais pas la combinaison !

— Ces sortes de coffres ça me connaît, on avait le même au bureau, on y rangeait nos casse-croûte et nos bouteilles de jus de réglisse.

— Mais la combinaison ! Tu ne l’avais pas.

Il hausse les épaules.

— C’est là que je vais te prouver que nous sommes bien de la même famille, Tonio, et que j’ai du chou, moi aussi. Je me suis dit, il faut un mot de cinq lettres, et un Français expatrié ne peut choisir que parmi deux mots.

— Qui sont ?

— Merde ou Paris.

— Et c’était Paris ?

— Non, c’était l’autre…

Je tends la main à Hector.

— Bravo, cousin. Pendant des années je t’ai pris pour une crêpe, je te demande pardon.

— Inutile, riposte Hector. Pendant des années, j’en ai été une en effet.

Nous tenons un rapide conseil de guerre. Je le décide à me remettre l’enveloppe et je colle Béru dans un taxi avec mission de l’aller restituer au fils du dieu-vivant décédé. Nous, pendant ce temps, nous allons aller chez Roult lui donner des nouvelles et téléphoner une fois de plus au Vieux pour qu’il agisse vite du côté de Pinuche.

— Tu as prévenu Helder que tu avais récupéré l’enveloppe ? demandé-je.

— Et comment ! Un câble. Il doit bicher. Dommage que tu le fasses alpaguer, j’allais palper une de ces primes !

— Ah ! non, Hector, protesté-je. Si tu veux rester un policier émérite, ne marche jamais dans de louches combines.

— Amen, soupire Hector. Y a pas : tu es vieux jeu dans ton genre ! Quand rentrons-nous ?

— A la pointe du jour !

— Des clous, j’ai rancard avec une petite frangine, ce soir ! Tu ne vas pas me casser mon coup !

Il commence à m’ennuyer, le cousin, avec ses airs de matamore. S’il se prend pour Sherlock Holmes, il a tort.

— J’ai dit qu’on rentrait demain, hé ! Fesse de rat ! N’oublie pas que tu voyages sous un faux blaze ! Si tu viens au renaud, je te fais pincer par les matuches. Et d’ici que tu aies appris le japonais pour leur expliquer ton cas…

— Oh ! bon, moule-moi, ronchonne Hector. Quelle famille !

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