Ça, ça se passe le lendemain du lendemain.

Il fait un temps à mettre tout le monde dehors, y compris le nez de Cléopâtre.

Dans son bac en zinc de l'institut médico légal, Son Excellence commence à être un peu moins raide que la justice de Berne. D'ici quelques heures, on va lui faire toilette, la ravauder, la pomponner pour, ensuite, la transporter à l'ambassade où le corps diplodocus viendra lui rendre les honneurs.

* * *

Régalo (ex-Edmond l'Auverpiot), est à la fenêtre de son studio. Il fait, tu devineras jamais quoi ? Il arrose un pot de réséda acquis la veille. Poète. Tueur, mais des sensibilités d'adolescente. Il aime voir éclore les fleurs, se multiplier les pousses, s'élargir les feuilles. Le mystère de la germination l'émeut.

Un jour, si Dieu donne le feu vert, il aura une belle propriété avec un coin pour ses jardineries à lui. Il lit toujours avec intérêt les intéressantes chroniques de Daniel Gélin, ce Vilmorin de l'art dramatique.

Ayant accordé ses soins attentifs au réséda, il jette un regard dans la rue de la Muette. Il voit radiner Blanche-Fleur (ex-Chochotte). Elle tient des sacs en papier dont les anses de cordonnet donnent à penser qu'ils sortent d'une bonne maison.

Il admire la démarche féline de sa compagne. Blanche-Fleur l'excite, simplement en se mouvant. On croirait toujours qu'elle fait l'amour ou s'y prépare.

Bon, elle traverse la chaussée sagement, dans le passage clouté, et s'engage dans leur immeuble. Régalo guette son pas. Compte les secondes, lui en accordant une par marche. Elle s'abstient de prendre l'ascenseur afin de ne pas négliger cet exercice supplémentaire bon pour sa chère ligne. Elle a la clé et ouvre. Régalo continue de regarder la rue.

Lorsqu'elle parvient derrière lui, à la croisée, posant ses deux mains sur les yeux du tueur, il se dégage assez brusquement, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Au contraire, chaque attouchement de la jeune femme est prétexte à batifolages.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Blanche-Fleur.

Régalo lui désigne une silhouette bizarre qui s'éloigne.

— Tu vois ce vieux type, là-bas ?

— Celui qui a un chapeau et un imper pourri ?

— J'ai eu l'impression qu'il te suivait.

Elle a un léger frémissement.

— Tu crois ?

— Il se tenait derrière toi, et quand tu as traversé la rue, il a failli en faire autant. Et puis il s'est ravisé et il est resté planté un instant au bord du trottoir, regardant l'immeuble. Il a vu que je l'observais, alors il est reparti.

Elle suit des yeux la silhouette presque cocasse.

— Qu'est-ce que tu crois ?

— Je ne sais pas. Ce type a l'air bien trop vieux pour être flic. Peut-être qu'il admirait ton cul, tout simplement. Quand tu marches, on a envie de dégainer sa bite !

— Il est écroulé, ce mec ! pouffe Blanche-Fleur.

— Plus ils sont vioques, plus ils sont lubriques, assure Régalo avec le mépris assuré de sa jeunesse.

Ça y est : le type a disparu.

Ils se mettent séance tenante à l'oublier.

— Tu as pris les billets pour Londres ? demande le tueur à gages.

— Oui, mais pas pour demain, à cause de la grève des aiguilleurs du ciel.

— Pour quand, alors ?

— Dans trois jours.

Il n'est pas contrariant, Régalo. Lui, ici ou ailleurs…

— J'irai voir l'exposition Magritte qui débute après-demain, décide-t-il, satisfait.

Elle le considère avec une admiration pensive :

— C'est marrant que tu sois passionné de peinture.

— Pourquoi ?

— On ne s'imagine pas un homme comme toi fréquentant des galeries ou des musées.

— Parce que les gens sont bourrés d'idées reçues. Sous prétexte que je gagne mon bœuf en tuant des gens, je devrais être un type inculte, dénué de tout sens artistique !

Il hausse les épaules et retourne à la croisée. Le vieux type, genre M. la Souris, s'est gommé du paysage bourgeois.

— T'as des projets pour aujourd'hui ? questionne Blanche-Fleur.

Il réfléchit un instant, supputant des possibilités.

— Je vais prendre contact avec l'ambassade U. S., décide Régalo.

Ça amuse sa compagne.

— Toi, depuis que tu as mis le pied dans la diplomatie, tu n'en sors plus !

Ils se marrent.

Ils ont raison car ça ne durera pas !

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