23

Paul s'était résolu, enfin, à remonter dans sa cabine Mais, le hublot ne s'aveuglant d'aucune sorte de rideau ou de volet, la lumière y était trop vive et il ne put dormir guère plus d'une couple d'heures. Il descendit sur le pont avant midi, trouva Garlonne assez vacant. Le second lui donna son point de vue sur la puissance du vent, l'état des eaux, la disposition des nuages et la scolarité de sa fille. Les autres aussi semblaient inoccupés, faisaient fonctionner le cargo comme sans y croire, comme s'il avançait tout seul. Ainsi leurs actions prenaient l'air accessoire – on roule un cordage, on arrime une caisse, on taille en pointe un bout de bois, on donne à Lopez un coup de main. On trouve toujours de quoi s'occuper. On ne voit toujours pas le capitaine Illinois.

On n'avait pas attendu, finalement, pour lever l'ancre, que Lopez eût fini de repeindre le château. Il poursuivit son travail en pleine mer. En fait il expédia quelque peu le dernier étage, y procédant juste par touches, posant des rustines d'antirouille là où pointait l'oxyde, avec un peu de peinture dessus. La partie haute de la superstructure était ainsi badigeonnée d'un blanc hétérogène, tout en repeints superposés comme un camouflage de tank polaire, conçu pour un conflit de boules de neige intercontinentales. Au bout de sa balancelle, Lopez actionnant sa poulie se déplaçait en ludion sur les flancs au château arrière. Il s'appliqua beaucoup à la remise en état des hublots, spécialement celui de la cabine où Paul achevait de déjeuner seul, assis devant la fin d'un plateau-repas apporté par le jeune Gomez. Exagérément absorbé par sa tâche, le faciès inclément s'encadrait dans le disque au-dessus de Paul en train d'achever un fromage mal à l'aise. Paul prit un livre pour contenance, ses doigts graissant les pages, ses yeux glissant le long des lignes. L'âpre voix de Lopez sonnait de temps en temps, s'adressant à Gomez passivement accoudé à la rambarde en contrebas. Paul ne savait pas l'espagnol encore moins quoi que ce fût des idiotismes cartagénois mais, s'aidant abusivement d'une idée générale des langues du Sud, il parvint à se convaincre que son cas était évoqué.

Un peu plus tard, traînant sur le gaillard d'avant, il dut s'effacer au passage de Sapir qui transportait une chaîne d'ancre amoncelée, lovée dans ses bras nus allégoriques. L'homme à la tête de pelle passa sans paraître le voir, comme un bédouin averti dans une zone de mirages, comme si Paul effacé n'avait pas d'existence. Paul se fût senti bien seul si Darousset, à l'heure du thé, n'avait discuté un moment avec lui.

Darousset, poids coq soudanais, était originaire du point où se fondent en un seul Nil immense ses deux branches mères, l'éthiopienne bleue du lac Tane, la blanche kenyane de Victoria. Huit ans plus tôt, le premier bateau de sa vie l'avait emmené le long du fleuve jusqu'à Port-Saïd, recommandé à un cousin par un autre cousin. Hélas dans cette vaste ville il n'y avait plus du tout de cousin, ni d'argent pour rentrer, Darousset démuni s'embarqua sur un deuxième bateau, quelconque vracquier, et depuis d'un navire à l'autre il n'avait plus quitté la mer. Il profitait avec mesure des escales, méfiant des ports et des grandes cités depuis ce sale souvenir de Port-Saïd, n'aimant connaître du monde que ses mers et son village natal à la fourche du Nil. Un jour, son pécule assez constitué, il rentrerait au village sans plus rien vouloir faire d'autre que de nombreux enfants, jusqu'au bout. Paul encouragea le gabier dans ce plan de vie.

Lopez finit de peindre en fin d'après-midi, démonta son échafaudage et prit la relève du second à la barre, laissant sécher le travail. Mais les jours suivants tout ce blanc resterait poisseux, les mains colleraient aux rampes, jamais ce ne serait vraiment sec. On frappa à la porte de la cabine, Garlonne parut.

– C'est moi, rappela-t-il, ça vous dirait de dîner avec le capitaine? Tous les trois. On causera, on pourra causer.

Pure clause de style que ce projet, Illinois de prime abord paraissant mutique. Il s'était mis à table avant leur arrivée, il mangeait lentement, avec des mouvements lents qui prenaient tout leur temps – tournant le singe dans son assiette pour assurer le meilleur angle d'attaque à son couteau, pelletant des lots distincts de légumes et de riz, tournant son verre sur lui-même, usant tauromachiquement de sa serviette. Voûté sur son manger en arc d'ogive obtuse, il décomposait ses mouvements au ralenti, réglés comme pour une démonstration. Comme Paul entrait dans le carré, Illinois leva les yeux vers lui du fond de sa barbe qu'il essuya, déployant la serviette en demi-véronique.

– Naturellement c'est l'ordinaire, s'excusa le second, mais il y a du gâteau. Naturellement du surgelé. C'est étonnant, le surgelé, ce qu'ils arrivent à faire maintenant. On ne marche qu'à ça, c'est bien commode. C'est un grand progrès pour nous. A terre, bien sûr, vous ne connaissez pas bien.

Certes si, assura Paul, le surgelé sans cesse gagne du terrain. Ah, fit Garlonne, je ne pensais pas que c'était à ce point. Donc on parla du surgelé un moment, puis des piles, par association. Le capitaine suivait des yeux les interlocuteurs, comme s'il devait lire sur leurs lèvres Passé le gâteau, Garlonne se retira sans vouloir de café. Paul resta seul avec Illinois qui rajustait sa tasse dans sa soucoupe, prélevait un peu de mousse beige au bout de sa petite cuiller, poussa le sucrier vers lui.

– Longue traversée, dit-il enfin. Monotone traversée pour vous, non? C'est un petit bateau, on n'est pas trop équipés. Le minimum.

– Je lirai, dit Paul. J'ai un peu de lecture.

– La lecture, répéta le capitaine pensif, la crise de la lecture. Dans la marine on lisait, dans le temps. Moi-même. On lit moins, à bord, on ne sait pas pourquoi,

A terre il en allait un peu de même, lui fit remarquer Paul, semblablement au surgelé, on en discuta donc. Le capitaine somme toute était doué de la parole, il s'exprimait comme il se nourrissait: méthode et lenteur. Sa voix tournait comme une machine, un moteur bien réglé qui arasait quelque peu les pronoms, les articles, certains adjectifs. Vos caisses, au fait, toutes vos caisses. Il pointait un index entendu vers le fond de cale. Oui, dit Paul.

– Tout est en bas, bien au fond. Bien caché.

– La douane, fit Paul, pas de problèmes?

– Que du feu, dit Illinois avec un souriant mouvement de pouce vers un point du monde où l'on se représentait, outragée, l'institution douanière trépignant de rancœur.

– L'équipage, ils sont au courant pour les caisses?

– Personne, il n'y a que nous deux. Prudence élémentaire, risques minimums, Même Garlonne, il ne sait pas ce qu'il y a dedans. J'ai dit des chaudières, des accessoires pour les chaudières. J'ai dit que vous êtes dans les chaudières.

Dès le lendemain, Paul rencontra l'ennui en mer tel que le second puis le capitaine l'avaient évoqué. Le tour du bâtiment était vite fait, l'océan perpétuellement semblable. A sa surface montèrent souffler deux cachalots, spectacle qu'il épuisa dans son moindre détail, puis cela redevint égal. Le ciel seul offrirait un peu de variété. Même lorsqu'il formait une parfaite unité bleue, pure toile de fond, scène vide, on sentait bien que les nuages patientaient en coulisse au-delà de l'horizon, préparant mille façons de ne pas rater leur entrée: par moutonnement eczémateux, par fils croisés, plaques tenaces, coulées, par zébrure ou par diffusion, se défaisant en fibrilles comme au contact de l'air, se tassant comme des menaces en forme d'organes d'où jaillissait la pluie. On les voyait légers, profilés, étincelants, ou bien graves et gonflés, lugubres, ou encore inconstants, indécis, flous – entrouverts ou déchirés. S'ils survenaient principalement par bandes, certains anachorètes ou francs-tireurs passaient aussi à d'autres altitudes sans se mêler, s'ignorant, tout enflés d'un dédain montgolfier. Parfois, sans prévenir, l'un d'eux se suicidait en soluté crémeux, se diffusant dans l'éther, laissant en souvenir de lui quelque nébulosité pellucide, flottant survêtement d'ange gardien.

Toute cette deuxième journée, Paul considéra donc le ciel – au point qu'il se plaignit le soir, au dîner, se serrant le crâne et se frottant les yeux. Débattant avec le capitaine d'un point de gestion du personnel, Garlonne tardait à réagir. Paul dut exagérer ses symptômes pour que le second se levât vers la pharmacie murale, une boîte en métal peint fermée à clef, contenant le minimum thérapeutique: beaucoup d'aspirine, quelques antibiotiques à large spectre et des rouleaux de bande Velpeau – rien contre les affections qu'on supposerait professionnelles, mal de mer ou mal du pays. Paul engloutit trois cachets d'aspirine, laissant Garlonne continuer à se plaindre: Lopez ne l'aimait pas, Lopez était par trop antipathique, même si dans le travail rien à dire.

– Ça met la sale ambiance à bord, déplorait le second A peine si je peux lui adresser la parole.

– C'est votre affaire, Garlonne, dit le capitaine L'harmonie à bord, ce n'est pas mon rayon. Ça fait partie de vos attributions.

Garlonne ouvrit l'autre volet de son malaise: contradictoire à ses yeux avec l'état de second, sa fonction accessoire de délégué de l'équipage lui pesait. L'enclume et le marteau, n'est-ce pas, ce n'était pas une vie d'être toujours entre; est-ce qu'on ne pourrait pas trouver quelqu'un d'autre? Comme Illinois haussait les épaules sans répondre, Garlonne se mit à bouder avant d'annoncer, sans regarder personne, qu'il préférait aller se coucher. Après son départ, le capitaine offrit à Paul de lui prêter sa casquette de rechange pour se protéger du soleil: trop grande, elle oscillait en équilibre instable sur les oreilles de Paul. Illinois lui montra comment resserrer la coiffe en repliant le ruban de cuir intérieur. L'ayant remercié, Paul sortit essayer tout de suite le couvre-chef sur le pont. Le soir, un peu d'air du large aidait à s'endormir.

Il effectua son tour de pont: c'était éteint dans la cabine du second, mais la lumière brillait encore chez les hommes d'équipage. Paul, jetant un coup d'oeil par les carreaux de la chambrée, aperçut Garlonne qui les avait rejoints. Il discourait seul sans discontinuer, persuasivement semblait-il, Paul n'entendait pas ce qu'il disait. Près de lui, le jeune Gomez ainsi que Darousset l'écoutaient avec application; Sapir lui-même paraissait attentif, assis un peu plus loin sur le rebord d'une couchette. Il continuait de toucher son nez, de flairer ses doigts qu'il se fourrait parfois dans l'une ou l'autre narine, caressant aussi leurs poils saillants, tirant sur l'un comme sur un filin. Il semblait mû par la nécessité d'établir une relation permanente, une manière de pont aérien entre ses sièges de préhension et d'olfaction. De quart au poste de pilotage, l'antipathique Lopez était absent. Le second, peut-être, évoquait sa fille aux trois autres, en des termes qui flattaient leur célibat forcé; et les documents qu'il faisait glisser vers eux, sur la table jonchée de magazines scandinaves et de cartes à jouer, pouvaient être des photographies choisies de celle-ci, parmi les mieux appropriées à leurs rêveries.

– Tiens, lui dit Paul le lendemain matin, je vous ai vu hier soir, avec les autres. Je n'ai pas osé entrer.

– Ah, fit Garlonne en haussant le sourcil. Oui, le soir je les alphabétise un peu. Vous auriez dû, ajouta-t-il sans conviction, il fallait nous rejoindre.

Au soir du quatrième jour, ils essuyèrent un violent grain. Tous les nuages observés par Paul, tribus rivales de hautains cumulus, altostratus endogamiques et fiers cirrus qui l'avant-veille encore se tenaient en respect, soucieux de leur nébuleuse identité, tous s'étaient fédérés sous le menaçant pouvoir d'un seul gros nimbus absolu, opaque précipité qui se resserrait pour examiner le cargo de tout près, de toutes parts, réduisant l'horizon au diamètre d'un hula-hoop. On craignit.

Au mieux de son épaisseur ce nimbus éclata, fouettant le bâtiment d'une pluie immédiatement hargneuse, propulsant une grenaille de grosses gouttes drues pour le ronger, le percer, le détruire, cependant qu'un vent violent bouleversait les esprits, creusait des vagues aux vertigineuses façades. Affolé, le Boustrophédon se mit à verser dans tous les sens, sans que tangage ni roulis ne fussent plus repérables, tentant plutôt de se tordre sur lui-même comme un chat exalté poursuit vainement son arrière-train, parfois. La coque produisait de violents craquements douloureux, rageurs, couvrant toute voix. Contre le plat-bord, sur le pont, d'énormes blocs liquides explosaient en gerbes plus énormes encore peuplées de poissons en équilibre instable, eux-mêmes au bord de l'inquiétude. A fond de cale, les timbres chinois hurlaient sans discontinuer, cramponnés aux guidons de toute la force de leur écrou. Bientôt les monstrueuses secousses ne se suivaient même plus, elles attaquaient toutes ensemble pour tuer jusqu'à l'idée d'une succession, faisant s'abolir le temps massé dans son apocalypse, à peine sous le choc le cargo tentait-il de se tordre qu'un autre choc déjà le pliait en sens inverse, au seuil extrême de la dislocation; rien ne paraissait plus solide ni droit, y compris les idées dans les crânes.

Le capitaine, malaisément suivi du second, avait rejoint Lopez dans l'abri de navigation. D'abord ils tentèrent de maintenir un cap souple, au coup par coup en tâchant de négocier, de composer avec le tremblement de mer, puis les commandes devinrent inutiles, on ne pouvait plus les tenir ni même jeter un œil sur un cadran, les hommes se mirent à rebondir contre les parois, sans plus de libre arbitre qu'une balle de flipper emballée dans du ciré jaune. Garlonne parvenant à s'accrocher au gouvernail, son corps balaya un moment l'espace comme s'il s'agrippait à la queue d'un cheval fou, puis il lâcha prise et s'en fut se défaire parmi les cartes marines traversant l'air par longs accordéons; ensuite il n'essaya même plus de se relever, glissait en wassingue sur le sol au gré d'un ordre aveugle.

Enfermé dans sa cabine, Paul tombait également sans cesse, en tous sens, bientôt ne s'y retrouvait même plus dans l'espace: les repères ordinairement constitués par le haut et le bas, la gauche ou le sud, se trouvaient abrogés par la tempête au même titre que le temps. Convulsivement il parvint à étreindre sa couchette, pris d'un hoquet chronique et s'y vidant de tout, vomissant jusqu'à ses organes dans un projet de vaste régurgitation de soi – son spasme parfois n'était pas même achevé qu'il se trouvait encore projeté à travers l'habitacle, son bol alimentaire décrivant derrière lui de longues gerbes courbes comme des poignées de grain. Ainsi roué de coups, Paul finit par perdre connaissance, brièvement il vit s'engloutir sa connaissance dans un profond liquide épais, obscurément visqueux, où seules voulurent bien surnager, maussades, quelques fonctions végétatives.

Ce qui se présenta sous ses yeux, lorsque nombre d'heures plus tard il les eut rouverts, était de prime abord une chose abstraite, et son cerveau eut un peu de mal à traiter cette information. Puis cela se rétablit: envisagés en torve contre-plongée, ce n'était que débris et déchirures d'objets, d'envers d'objets, traces de chocs d'objets sur d'autres, tous plus ou moins piquetés de nourriture plus ou moins digérée. Le bat-flanc s'était descellé de la paroi et le sommier brisé, répandu au milieu de la cabine, avait laissé fuir son matelas échoué dans la tourmente sur Paul inconscient. Le matelas pesait sur sa poitrine ainsi qu'un requin mort. Le reste de son corps se trouvait rencogné sous l'abattant désarticulé de la tablette, sa tête étant à moitié prise dans un sac bleu venu d'ailleurs.

A présent nul mouvement nulle part, comme pour rattraper le mal. Au pochoir du hublot, un tuyau de lumière lisse formait un impeccable disque sur la cloison souillée. Nul bruit non plus, hormis les hypocrites vaguelettes claquant de toutes leurs langues contre la coque, paisiblement comme si rien ne s'était passé – c'était pour rigoler, allez, c'est fini maintenant, sans rancune -, laissant parfois monter quelque vague plus forte, bourrade affectueuse de l'élément bleu-vert, discret rappel de ce dont il est capable. Avec d'infinies précautions, Paul se mit en mouvement, traînant son corps plein d'hématomes vers la couchette démise l'escaladant presque aussi facilement qu'un cheval.

Son mal de tête, sans commune mesure avec celui de l'avant-veille, se trouvait annulé par toutes les autres douleurs, partout. Paul n'était plus qu'un muscle unique, une vaste courbature. Sa conscience même lui faisait mal: l'avenir n'était guère plus souriant que le présent, ni rétroactivement la totalité du passé. Il resta allongé. Il eût aimé avoir sommeil. Il roula des idées négatives durant les heures qui suivirent, également traversées par la soif, la nausée, la faim, la chaleur contingentes, heures mortes où de nouveau toute durée s'abolissait. Il revint au gabier Darousset de rétablir la continuité des choses: lointaine, voletant depuis les altitudes de la superstructure, sa voix clamait à qui voulait l'entendre que Port-Saïd était en vue.

La ville poussait une clameur chaude vers la mer, au-delà des équipements portuaires. Dès l'accostage, les hommes avaient extrait des cales le bouquet de vélos enchevêtrés par la tempête, en s'aidant d'un palan. A peine remis de l'épreuve, exemplaire fut leur énergie à séparer puis réparer les cycles, avant de s'égailler dans la cité en vue d'y satisfaire quelques pulsions. Sur leurs engins, les marins passaient presque inaperçus. Plus proche était l'Orient, plus naturel était le cyclisme, avant de s’épanouir en Asie où ce transport usuel permet de se fondre à peu de frais dans le corps social. Paul préféra ne pas se risquer en ville, restant à bord en compagnie des officiers. On sommeillait sous les casquettes, respirant la moiteur de l'estuaire au creux des transatlantiques dépliés sur le pont. Garlonne prodiguait des rafraîchissements.

– Je ne descends pas, dit-il en servant Paul, je ne descends pas souvent à terre. Mais c'est la petite qui aimerait ça, voyez-vous.

Il songeait à gratifier sa fille unique d'une croisière, à l'occasion du baccalauréat: dans cette perspective, quoi de mieux approprié que le Boustrophédon, quoi de plus économique et sûr? Ainsi lui-même serait toujours présent pour lui expliquer les choses et lui montrer la vie. Au courant de ce projet, le capitaine temporisait, suspendant sa réponse à un fil dilatoire.

– Vous y avez repensé, au fait? s'enquit le second.

Illinois mâchonna une difficulté: rien que des hommes à bord, n'est-ce pas, c'est un risque réel – mais nous verrons, Garlonne, on va réfléchir, on va voir. La fin de la matinée coula dans le calme avec quoi contrastaient, à terre, les cris et gestes fourmillants des dockers. Leur fébrilité décrut vers midi, puis l'idée de sieste fit son chemin dans tous les raisonnements, bientôt dévoyés par les rêves de puissance et d'amour.

Des cris subits vinrent crever la torpeur générale: à quai, le duc Pons agitait le bras en sautillant sur place; derrière lui, Bob avait encore l'air fatigué. Tout de suite, le duc parla trop fort.

– Toute une affaire pour vous trouver, trépignait-il au débouché de la passerelle. Que de bruit, que de monde. Quel monde. Trois heures pour un renseignement. Enfin, nous voilà.

Загрузка...