14.


De retour à Istanbul, Alice n’eut plus qu’une idée en tête, retrouver son frère. Mme Yilmaz lui avait confié qu’il s’en était allé, le jour de ses dix-sept ans, tenter sa chance à Istanbul. Il venait lui rendre visite une fois par an et lui écrivait de temps à autre une carte postale. Il était devenu pêcheur et passait la plupart de sa vie en mer à bord de grands thoniers.

Durant l’été, tous les dimanches, Alice arpenta les ports le long du Bosphore. Dès qu’un bateau de pêche accostait, elle se précipitait sur le quai et demandait aux marins qui descendaient s’ils connaissaient un certain Rafael Kachadorian.


Juillet, août et septembre passèrent.


Un dimanche, profitant de la douceur d’une soirée d’automne, Can invita Alice à dîner dans le petit restaurant que Daldry avait tant aimé. En cette saison, les tables s’étendaient en terrasse, le long de la jetée.

Au milieu de leur discussion, Can s’arrêta soudain de parler. Il prit la main d’Alice avec une infinie tendresse.

— Il y a un point sur lequel j’avais tort, et un autre sur lequel j’ai toujours eu raison, reprit-il.

— Je t’écoute, dit Alice, amusée.

— Je m’étais trompé, l’amitié entre un homme et une femme peut vraiment exister, vous êtes devenue mon amie, Alice Anouche Pendelbury.

— Et sur quel point as-tu toujours eu raison ? demanda Alice, le sourire aux lèvres.

— Je suis réellement le meilleur guide d’Istanbul, répondit Can dans un grand éclat de rire.

— Je n’en ai jamais douté ! s’exclama Alice alors que le fou rire de Can la gagnait, mais pourquoi me dis-tu cela maintenant ?

— Parce que si vous avez un sosie masculin, il est assis à deux tables derrière vous.

Alice cessa de rire, se retourna et retint son souffle.

Dans son dos, un homme un peu plus jeune qu’elle dînait en compagnie d’une femme.

Alice repoussa sa chaise et se leva. Les quelques mètres à parcourir lui semblaient interminables. Lorsqu’elle arriva devant lui, elle s’excusa d’interrompre sa conversation et demanda s’il se prénommait Rafael.

Les traits de l’homme se figèrent quand il découvrit dans la pâle lumière des lampions le visage de l’étrangère qui venait de lui poser cette question.

Il se leva et son regard plongea dans les yeux d’Alice.

— Je crois que je suis votre sœur, dit-elle, d’une voix fragile. Je suis Anouche, je t’ai cherché partout.

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