Six

« Qui et où ? demanda Drakon.

— Le colonel Dun. »

Bien qu’il se trouvât à l’intérieur d’un immeuble, Drakon leva machinalement les yeux au ciel ; même s’il avait fait nuit, il n’aurait pas pu voir la principale installation orbitale de la planète.

« Que fabrique-t-elle ? Son dernier rapport affirmait que tous les serpents de cette station avaient été neutralisés et qu’elle-même se soumettait à mon autorité.

— Je crains que la solidité de son contrôle ne soit plus le problème désormais. J’ai transmis au colonel Dun vos plus récentes instructions et je viens de recevoir sa réponse. Au lieu de confirmer qu’elle se plierait à vos ordres, elle déclare, je cite : “Je vais réfléchir à mes options.”

— Ses options ? » Dun ne faisait pas partie des subordonnés que Drakon avait amenés avec lui à Midway. Elle venait d’ailleurs, pour un motif qu’il ignorait. « Rappelle-moi pourquoi Dun était toujours aux commandes de cette station au lieu de quelqu’un à qui nous savions pouvoir nous fier. »

Morgan haussa les épaules. « Elle était en cheville avec les serpents. Elle leur transmettait des rapports, censément sous la contrainte. C’est bien pourquoi elle n’entrait pas dans nos plans. Et chercher à l’évincer de son commandement aurait attiré l’attention du SSI et mis la puce à l’oreille des serpents. Certes, on aurait pu l’assassiner, ce qui nous aurait offert une opportunité pour la faire remplacer par quelqu’un de plus fiable, mais personne, à part moi, n’a voulu approuver ce choix.

— J’aurais peut-être dû te laisser faire. » Drakon entra dans son bureau, suivi de Morgan et Malin. « Dun est assez maligne pour se rendre compte du formidable moyen de pression que lui procure le contrôle de cette station orbitale. Elle peut nous menacer de larguer de lourdes masses sur la planète et réussir là où les serpents ont échoué. Mais elle est aussi assez stupide pour chercher à vous faire chanter.

— J’abonde dans le sens du colonel Morgan, déclara Malin. Tant au regard de l’intelligence du colonel Dun qu’à celui de sa bêtise. »

Drakon afficha les informations dont on disposait sur la station orbitale. À son grand dam, ces données ne firent que confirmer les pires souvenirs qu’il en conservait. L’installation abritait d’importantes usines, alimentées par le minerai extrait et importé des astéroïdes ; ces énormes stocks feraient effectivement d’épouvantables bombes, affreusement destructrices et impossibles à arrêter pour peu qu’on les larguât sur la planète depuis l’orbite. Les soldats placés sous les ordres de Dun avaient précisément pour mission d’interdire à des cinglés de rebelles de se livrer à de telles exactions, mais elle faisait désormais partie de ces cinglés de rebelles. Ainsi que l’avait déclaré Morgan, les dégâts équivaudraient à la dévastation provoquée par les bombes nucléaires que les serpents avaient tenté de faire exploser. « Nos options ? Pouvons-nous contacter ses soldats ? Les retourner contre elle ?

— Il faudrait alors les retourner tous en même temps, répondit Morgan. Si la moitié seulement se mutinait contre elle tandis que l’autre prenait son parti, quelqu’un aurait largement le temps de larguer les projectiles. Je ne donne pas une grande chance de succès à ce stratagème.

— Engageons des pourparlers, suggéra Malin. Elle aura des exigences. Continuez de palabrer, accordez-lui quelques menus avantages. Pendant ce temps, nous échafauderons un plan pour la liquider et nous l’appliquerons.

— Même un sot peut parfois mettre dans le mille, railla Morgan, souriante.

— Aucun de vous deux ne croit qu’on puisse la rallier à nous ? demanda Drakon. En faire une loyale subordonnée ? »

Malin secoua la tête.

Morgan éclata de rire. « Dun ne sera sûre qu’une fois morte.

— En ce cas, je vais lui parler en lui faisant accroire que j’entre dans son jeu. Entre-temps, attelez-vous à un plan nous permettant d’investir cette station orbitale. Je tiens à ce qu’il soit impeccable et je le veux très vite. Le plus pressant sera de veiller à ce qu’on ne largue aucun projectile sur la planète depuis la station. Deuxième objectif prioritaire, éliminer définitivement le colonel Dun. Oh, une dernière chose ! Vérifiez dans les dossiers sur les serpents que nous avons réquisitionnés si, parmi ceux qui sont encore intacts, on ne trouverait pas le motif du bannissement de Dun à Midway.

— Quelle importance ? demanda Morgan.

— Je ne la mesurerai que quand je connaîtrai ce motif. Voyez si vous pouvez me dénicher ça puis échafaudez-moi ce plan. »

Malin affecta une mine résignée et Morgan leva les yeux au ciel, mais tous deux prirent congé en même temps. En dépit de leur antagonisme réciproque, ils travaillaient ensemble efficacement lorsqu’il s’agissait d’ourdir un projet commun. Drakon n’avait jamais réussi à percer ce mystère, et il se demandait si ce n’était pas le fruit d’une bizarre relation d’amour/haine, encore que la perspective d’une telle liaison pût sembler non seulement irréelle mais encore quelque peu obscène.

Le premier regard qu’il accorda au colonel Dun lorsque le contact fut enfin établi ne l’incita pas à revenir sur sa décision.

Confortablement assise, Dun souriait avec décontraction du sourire d’une chatte qui vient de vider un aquarium. « Félicitations, Artur. »

En l’appelant par son prénom, elle lui laissait entendre qu’elle comptait faire de cette conversation un entretien d’égal à égal. Or, dans la mesure où il ne disposait d’aucun moyen de lui rabattre son caquet, il lui faudrait supporter encore un certain temps son insolence.

« Qu’est-ce que j’apprends… Sira ? Vous donneriez du fil à retordre au colonel Malin ? »

Le sourire de Dun s’élargit un peu plus. « Je ne vois pas la nécessité de me soumettre à un inférieur compte tenu du nouvel état de fait. D’autant que je vous toise littéralement de très haut.

— Pas les forces mobiles de la présidente Iceni, en tout cas.

— Présidente, hein ? Intéressant. Vous avez raison. Mais, si elles tentent quoi que ce soit, je m’en apercevrai assez tôt pour déclencher un tir de barrage cataclysmique. Pareil si je vois s’approcher quelque chose de suspect. Vous préférez éviter cela, j’imagine.

— Qu’est-ce que vous cherchez ? s’enquit Drakon.

— On dirait bien qu’Iceni et vous comptez régir ce système en tandem. J’aimerais transformer votre duo en un triumvirat. »

Tu fais une grosse erreur en me fournissant une excuse idéale pour tergiverser. Voire une erreur fatale. Drakon se contenta de hausser les épaules sans trop se mouiller. « Je ne peux pas en décider seul. Je dois en parler avec Iceni.

— Prenez votre temps. Je n’irai nulle part. Orbite géosynchrone, rappelez-vous. » Dun éclata de rire. « On se recontacte. »

Drakon fit mine de boxer la fenêtre de com là où elle s’était ouverte puis appela Iceni. Il ne pouvait débattre avec elle de ses propres projets dans la mesure où Dun risquait d’intercepter la communication, mais il pouvait au moins la saupoudrer de quelques phrases codées connues des seuls CECH, signalant qu’il tenait à ce que la réaction s’éternisât le plus possible.

Deux heures plus tard, Malin et Morgan entraient ensemble mais gagnaient immédiatement des angles opposés de son bureau. Malin inclina la tête de côté en la relevant légèrement pour indiquer la direction approximative de la station orbitale. « Notre plan se base sur le fait que le colonel Dun a consacré la majeure partie de sa carrière à des affectations dans l’industrie. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu le commandement de la station. Une fois dans l’armée, elle s’est occupée de systèmes stratégiques.

— Nucléaires ? demanda Drakon.

— Pour la plupart. Planification et conception. »

Morgan sourit nonchalamment. « Elle va s’attendre à une attaque d’envergure. Missiles, gros vaisseaux d’assaut et le reste à l’avenant. Elle n’a aucune expérience des opérations au sol, ni d’ailleurs d’aucune autre.

— De combien de combinaisons furtives disposons-nous encore après les assauts contre le SSI ? s’enquit Drakon.

— Bien assez, répondit Morgan. Le plan en tient compte. »

Drakon l’afficha. Repérer les points cruciaux d’un plan d’opération et s’en imprégner promptement était un talent qu’il avait acquis en travaillant durement. En se noyant dans les détails, un commandant risquait de manquer le tableau général, voire de n’en pas comprendre le sens.

Celui-là au moins faisait sens, mais il ne s’était pas attendu à moins. « Deux forces d’assaut ? »

Malin opina. « Une pour livrer bataille aux soldats qui lui restent loyaux et l’éliminer, elle, par tous les moyens nécessaires, et l’autre pour s’assurer, en sécurisant les commandes et en outrepassant les directives, que la station ne larguera aucun caillou. Nous croyons le colonel Kaï…

— Kaï reste en dehors de cette affaire. Tout comme Gaiene et Rogero. Dun est sans doute trop sûre d’elle, mais nous ne pouvons pas la présumer assez négligente pour avoir omis de faire surveiller mon QG et les positions respectives de mes commandants de terrain. Si l’un de mes trois colonels ou moi-même quittions la planète ou ne nous trouvions plus sur site en train de régler les affaires comme à l’ordinaire, elle l’apprendrait nécessairement. »

Morgan haussa les sourcils. « Ne restent donc plus que ceux à qui je pense, non ?

— Si. Vous deux. Malin prendra la tête de la troupe d’assaut et toi celle de l’autre.

— Dun nous espionne peut-être aussi, fit remarquer Malin.

— Ce n’est pas exclu, mais elle ne dispose pas de ressources illimitées pour surveiller tout le monde ici-bas, et on peut affirmer sans risque qu’elle vous présupposera tous les deux à mes côtés.

— Super ! » Morgan fléchit les doigts de la main droite comme pour se préparer à passer illico à l’action. « Je veux prendre la tête de la troupe qui la liquidera. »

Malin haussa les épaules. « Ça me va. Vous vous êtes enquis du motif qui avait conduit Dun à son bannissement à Midway, mon général.

— Ouais. Qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Nous avons retrouvé son dossier du SSI. Il ne donne aucune raison à cet exil. »

Drakon le fixa. « Aucune ?

— Aucune, mon général. C’est très inhabituel. Je commence à me demander si elle ne serait pas elle-même un serpent opérant en sous-marin.

— Elle ne correspond pas au profil requis, précisa Morgan, mais nous ne pouvons pas l’exclure et, si c’est vrai, alors elle est encore plus dangereuse que nous ne le croyons. Nous avons pu vérifier trop de détails sur sa carrière pour en douter, de sorte que nous connaissons son domaine d’expertise, mais elle pourrait aussi opérer en ce moment même en sous-main pour les serpents, dans le cadre d’un plan de crise.

— Dans quel délai pourrez-vous l’épingler ?

— Nous pourrions dissimuler nos mouvements de troupes en recourant à des navettes régulières pour la station et les installations orbitales proches, mais ça prendra du temps. Vingt-quatre heures. Je tenais à repousser l’assaut jusqu’à ce qu’on ait repéré les blancs dans les états de service de Dun. Mais, maintenant, je veux m’assurer avec certitude qu’on ne lui met pas la puce à l’oreille. »

Morgan incitant à la prudence ? Cette attitude était si peu typique de sa part qu’elle soulignait à quel point il était important de suivre son avis. « Très bien. Vingt-quatre heures. La présidente Iceni et moi-même allons faire durer les négociations avec Dun pour détourner son attention. Je ne veux plus avoir de vos nouvelles avant que vous ayez investi cette station.

— Je peux établir une connexion par laser entre vous et la base de données de la force d’assaut, proposa Malin. Il y aura un léger retard dans la transmission en raison des relais qui interdiront aux gens de Dun de la repérer, mais nous devrons de toute façon nous y résoudre pour la coordination des équipes, et la connexion devrait être sécurisée. »

Alléchant, d’autant qu’il lui faudrait rester assis pendant qu’ils affronteraient le danger sans lui. Il hocha la tête. « Merci. Faites. »

Iceni s’était montrée très douée pour tenir la jambe au colonel Dun en lui faisant miroiter d’importantes concessions qui restaient toujours hors de sa portée. Drakon s’était surpris à admirer son habileté tant et plus. Ça ne signifiait pas qu’il lui faisait confiance, bien sûr. En réalité, à la voir si bien mener Dun en bateau, il se demandait jusqu’à quel point elle ne l’avait berluré lui-même, ou, tout du moins, si elle ne s’en montrerait pas capable lorsqu’elle le jugerait nécessaire.

Il n’avait pas réussi à superviser les troupes qui, entassées avec les cargaisons régulières, étaient acheminées vers la station par des navettes ou des jets. Si Dun les espionnait réellement, elle ne verrait que ce à quoi il assistait lui-même.

Quoi qu’il en fût, c’était un assaut d’envergure. Le colonel Dun n’avait qu’une quarantaine de soldats sous ses ordres à bord de la station, rien que des locaux à l’expérience et l’entraînement limités. Malin et Morgan leur opposaient deux équipes d’assaut de quinze commandos chacune, tous vétérans hautement entraînés. Sans le risque d’un bombardement cinétique de la planète, Drakon n’aurait nourri aucune inquiétude quant à l’issue de l’opération. Mais celle-là était de taille.

Il se vida l’esprit pour se concentrer sur les vidéos qui, sous ses yeux, affichaient les images captées par les combinaisons furtives des commandos. Douze vignettes dans la fenêtre, dont deux lui parvenaient de Morgan et Malin, et les dix autres de chefs d’escouade commandant chacun à une équipe de deux hommes.

La moitié environ des soldats s’étaient déjà posés sur la station ; certains ouvraient des cadres à claire-voie spécialement conçus pour permettre de s’introduire à l’intérieur de compartiments de stockage, tandis que d’autres arpentaient encore la coque dans le vide glacé de l’espace ou franchissaient d’un grand bond la distance la séparant d’autres installations orbitales voisines, aussi indétectables dans leur combinaison furtive que le leur permettait l’ingéniosité humaine. La tête de Malin pivota et une enfilade de fixations utilitaires, délimitant une section de la coque extérieure, entra dans son champ de vision. Bien qu’ils fussent eux-mêmes invisibles aux yeux de leurs camarades, la connexion établie entre tous les commandos permettait à Malin de les « voir » sous la forme de silhouettes spectrales se dessinant sur le fond noir du ciel.

Le groupe de Morgan avait également atteint l’installation et se déployait le long d’autres sections, pareil à un essaim de fantômes voletant précautionneusement vers leurs cibles. Un des chefs d’escouade passa devant une caméra de surveillance braquée sur cette zone extérieure de la station ; l’objectif le prit dans son champ sans même s’y arrêter.

Quelques groupes parvenaient déjà à différents accès menant à l’intérieur : sas destinés au personnel de maintenance en cas de réparations, évents de conduits de ventilation ou de tunnels non destinés à l’homme. Ceux des commandos qui s’étaient déjà introduits dans la station fracturaient certains sas pour leurs camarades, mais, partout ailleurs, ces petits outils complexes qu’on appelait encore des « passes », en référence à un moyen archaïque d’ouvrir les portes, étaient posés sur les points clés et entreprenaient de casser les codes d’accès et de manœuvrer les verrous de sécurité jusqu’à ouverture des barrières.

Les commandos entreprirent de s’infiltrer dans la station, chacun couvrant ses camarades de ses armes prêtes à tirer. Quelques-uns longeaient à présent des coursives éclairées, d’autres se faufilaient dans des secteurs encore plongés dans l’obscurité et encombrés de boîtes, de caisses et de conteneurs, où seul un robot occasionnel passait parfois, indifférent, tout à sa tâche spécifique.

Un silence irréel avait régné jusque-là, tandis que les silhouettes fantomatiques, à peine visibles sur l’écran du casque de leurs camarades, se déplaçaient sans un bruit en se fiant au plan que les commandos avaient mémorisé et chargé dans les systèmes tactiques de leur combinaison furtive. Mais ceux qui se trouvaient dans les coursives commençaient à percevoir les échos d’une activité humaine, alors que ceux des zones de maintenance et de stockage entendaient des coups sourds répercutés par les parois.

Une contrôleuse tourna l’angle d’une coursive, penchée sur son unité de com, et passa sous le nez d’une escouade qui s’écarta silencieusement pour lui céder la place. Elle s’arrêta brusquement et releva les yeux, l’air intriguée, puis se concentra de nouveau sur son unité de com et reprit son chemin.

Drakon, qui avait assisté à la scène, se souvint soudain de l’étrange exaltation qui s’empare de vous lorsqu’une combinaison furtive vous confère cette quasi-invisibilité ; sensation qu’il faut soigneusement contrôler car elle peut aisément vous pousser à des erreurs susceptibles de trahir votre présence : heurter un objet, par exemple, ou se laisser tamponner par un autre, faux pas déclenchant trop de bruit ou de vibrations, et jusqu’au léger souffle de votre déplacement qui peut alerter des sens humains aiguisés au fil des siècles. L’entraînement des sentinelles les incitait à prêter davantage attention à ces signaux subliminaux. Si tu sens comme une légère brise alors qu’il ne devrait pas y en avoir, ce sera peut-être la dernière chose que tu sentiras. Et, si l’alerte était donnée par des sentinelles (ou d’autres) dans une installation telle que celle-ci, ses défenses inonderaient aussitôt les coursives et les principaux compartiments de brumes facilitant le repérage de silhouettes indistinctes, fussent-elles vêtues des plus efficaces combinaisons furtives.

Mais ces commandos étaient vigilants et expérimentés. Les individus qu’ils croisaient au passage ne semblaient pas s’inquiéter d’une attaque. Le colonel Dun les avait-elle informés de ses projets ? Peut-être que non. Plus d’un vice-CECH et d’un CECH avaient pour philosophie de laisser les travailleurs dans l’ignorance ; c’était préférable. Une fois qu’on commence à leur expliquer, au lieu d’exécuter les ordres ils veulent en connaître les raisons, c’est ainsi que l’un d’eux avait un jour sermonné Drakon après l’avoir surpris en train de briefer son unité.

Son regard dansait constamment d’une fenêtre virtuelle à l’autre et suivait la progression des commandos dans une douzaine de secteurs. Une escouade avait déjà atteint le principal centre de contrôle du chargement et se déployait pour occuper des positions d’où ses hommes pourraient instantanément désactiver tout système de transport de vrac. Une autre occupait un compartiment entièrement automatisé contenant des circuits et des commandes redondants destinés aux situations d’urgence, ce qui permettrait à ses hommes de charger un logiciel capable de bloquer certaines fonctions de l’installation sans alerter les gardiens qui veillaient sur celui du contrôle central.

Alors que Morgan tournait un angle, sa combinaison transmit l’image d’un petit couloir où un soldat de faction devant un panneau d’accès semblait s’ennuyer à mourir. Il portait au poignet un bracelet métabolique, conçu pour sonner l’alerte si on le lui ôtait sans avoir entré les codes requis ou si son métabolisme montrait des signes d’extrême tension. Drakon n’avait jamais oublié la sentinelle de son unité qui avait arrangé un rendez-vous galant pendant son dernier quart sans se rendre compte que son excitation sexuelle risquait de déclencher le bracelet. Le planton ne l’avait sans doute pas oublié non plus ; cela dit, il pouvait s’estimer heureux de n’avoir pas été fusillé à l’aube.

La section de Morgan la suivit quand elle tomba sur cette sentinelle en quelques fulgurantes enjambées, et l’homme n’eut que le temps de jeter autour de lui un regard médusé avant qu’un des commandos ne lui plante un incapacitant dans le bras. L’homme se convulsa, son contrôle de posture volontaire brusquement coupé tandis que se maintenaient des fonctions réflexes telles que la respiration et les battements de cœur. Le bracelet n’émit aucun avertissement. On déposa doucement l’individu sur le pont, puis les commandos traversèrent l’aire sécurisée abritant le centre de commandement de la station et les bureaux du colonel Dun.

La plupart des escouades de Malin étaient en position, et lui-même conduisait les autres au pas de course vers le fond de l’aire sécurisée pour interdire toute tentative de fuite. Celles de Morgan se déployaient à toute allure dans la zone, en même temps que ses hommes, au passage, abattaient les quelques gardes qui rôdaient encore dans les parages avant même qu’ils ne prissent conscience du danger. Les plus chanceux, ceux qui portaient un bracelet métabolique, étaient laissés en vie mais réduits à l’impuissance. Les autres connaissaient une mort aussi silencieuse que foudroyante.

Les yeux de Drakon se portèrent sur les moniteurs de contrôle du stress, et il constata que les commandos commençaient à éprouver une certaine tension, causée par leur rapidité de mouvement, la durée de leur approche et la démarche glissante, contre nature, imposée par la nécessité d’étouffer le bruit de leurs pas dans ces combinaisons furtives. Cela suffisait à vous épuiser très vite son homme, même aussi bien conditionné que ces soldats.

Mais tout se déroulait à la perfection.

Jusqu’à ce qu’une des combinaisons décide de flancher.

Pour les travailleurs qui surveillaient les voyants de l’équipement du centre de contrôle des transports, ce fut comme si un soldat en cuirasse légère de combat apparaissait soudain au milieu d’eux. Les plus futés se pétrifièrent, cessant parfois momentanément de respirer, un instinct préhistorique leur soufflant que la seule manière de survivre à l’attaque d’un prédateur était de rester parfaitement immobile.

Mais une au moins était soit courageuse, soit paniquée, car elle abattit la paume sur le bouton d’alarme qui saillait près de sa main avant qu’un soldat eût pu réagir. Une seconde plus tard, un brutal coup de crosse lui faisait vaciller la tête et elle s’effondrait, ne devant la vie sauve qu’à l’ordre de Drakon, qui avait exhorté les commandos à ne tuer aucun travailleur, sauf s’ils n’avaient pas le choix.

Des voyants rouges se mirent à clignoter partout et des sirènes à ululer, plaçant toute la station en alerte. « Giclez ! » hurla Morgan. Ses commandos piquèrent aussitôt un sprint, sans plus se soucier de recourir à l’allure furtive.

L’escouade de Morgan fit sauter le sas de la cloison du fond puis tira sur un garde qui arrivait droit sur elle au pas de course. L’homme fut projeté en arrière par de multiples impacts puis frappa la cloison en tournoyant sur lui-même et s’effondra sur le pont, privé de vie.

Des soldats commençaient à jaillir d’un des compartiments qui leur servaient de baraquements, mais un déluge de feu les cueillit, qui renvoya bouler ceux de tête à l’intérieur. Un au moins tenta d’ouvrir la sortie de secours du compartiment et découvrit à la dure la charge explosive qu’y avaient placée les commandos.

Quelqu’un avait enfin compris que l’adversaire se servait de combinaisons furtives, et, dans certaines zones essentielles, les coursives et compartiments s’emplissaient d’une fine brume. Mais les commandos contrôlaient déjà les positions les plus critiques de la station et, avant que la brume ne se fût pleinement déployée, une des escouades de Morgan pénétrait dans le poste de commandement militaire et y éliminait les soldats de garde.

Morgan se déplaça avec une impitoyable célérité et tua deux soldats près de l’entrée des quartiers de Dun, si vite qu’ils tombaient encore lorsqu’elle atteignit la porte. Un commando posa une charge directionnelle puis tous s’aplatirent contre la cloison, de part et d’autre, et l’explosion arracha le vantail à ses gonds en même temps qu’elle grillait les défenses automatisées du seuil.

Drakon vit Malin rappliquer et se rapprocher de la position de Morgan alors que celle-ci pénétrait avec sa section dans les quartiers de Dun. Lui aussi accélérait le mouvement. Pourquoi ? Voulait-il tuer Dun lui-même ? Ou la sauver pour l’interroger avant que Morgan n’eût mis la main dessus ?

La porte intérieure protégeant l’espace privé de Dun fut à son tour enfoncée par une charge directionnelle, et Morgan franchit la dernière barrière en cherchant des cibles de son arme pointée.

Malin gagna enfin l’arrière de la zone personnelle de Dun, et sa propre escouade se fraya un chemin vers elle à coups d’explosifs.

Morgan logea une balle au beau milieu du lit de Dun puis tira sur chaque porte de placard avant même que ses hommes les eussent ouvertes. « Pas là », fit un des commandos.

L’image transmise par la combinaison de la colonelle tangua follement lorsqu’elle inspecta des yeux la chambre à coucher, puis elle se focalisa sur un panneau mural qui donnait l’impression d’être plus neuf que ses voisins. « Là ! » Deux tirs achoppèrent puis une ultime charge directionnelle fit voler en éclats la porte blindée dérobée.

Morgan, qui s’était plaquée à la cloison près de la porte avant qu’elle n’explose, se retournait encore quand Dun apparut, braquant sur elle son arme. Drakon assistait sans doute à toute la scène sous plusieurs angles à la fois, mais il était impuissant. L’espace de quelques secondes, le temps lui fit l’effet de se figer : Morgan relevant son arme pour viser, interposée dans la ligne de mire de ses commandos, le doigt de Dun crispé sur la détente de la sienne, et Malin s’engouffrant dans la chambre avec ses hommes, son arme déjà pointée sur le dos de Morgan.

Un « Nooon ! » jaillissait encore de la gorge de Drakon quand Malin fit feu.

« Pourquoi ? » hurla Drakon. Son regard transperçait Malin qui se tenait devant lui au garde-à-vous.

« Il fallait arrêter Dun avant qu’elle n’active un circuit de sécurité, répondit l’autre d’une voix aussi impassible que son visage.

— C’était la mission première de Morgan. Tu le savais.

— J’ai estimé qu’elle avait besoin de renfort.

— Tu trouves cette excuse suffisante ?

— Vous nous avez toujours encouragés à agir en fonction de nos évaluations, général…

— Bon sang, Malin, à une fraction de millimètre près tu faisais sauter la tête de Morgan au lieu de celle de Dun ! Pourquoi diable as-tu pris ce risque ? Était-ce d’ailleurs un coup de chance ? Tu le savais, une fois qu’elle aurait abattu Morgan, Dun n’aurait pas eu le temps de tirer à nouveau… Les hommes de Morgan l’auraient descendue avant. Éliminer “accidentellement” Morgan durant un combat, c’était le meilleur moyen de mettre fin à vos querelles interminables. » Drakon s’était remis à hurler. « Si tu tenais tellement à la voir morte, pourquoi n’as-tu pas laissé Dun s’en charger ? Craignais-tu qu’elle ne la rate ? »

Malin avait blêmi, mais il s’efforça de répondre d’une voix ferme. « Je… Général Drakon…

— Oui ou non, as-tu essayé de tuer Morgan ?

— Non ! » La voix de Malin se fêla et il fixa Drakon. « Non, répéta-t-il plus sourdement mais sur un ton toujours aussi tendu. Elle… Je savais que Morgan voulait descendre Dun. J’ai cru… qu’elle allait… qu’elle avait besoin d’aide. »

Le général recula d’un pas et se laissa lourdement tomber dans son fauteuil en fixant Malin d’un œil noir. « Par l’enfer, Bran. Tu avais peur que Morgan soit blessée ? C’est ça ta ligne de défense ?

— Oui, mon général.

— Si je ne te connaissais pas, si je n’avais pas été plus de mille fois témoin de ton professionnalisme et de ta compétence, je ne te croirais pas. J’ai d’ailleurs encore du mal à te croire. » Il souffla avec colère. « Ton tir aurait pu tuer Morgan. Mais elle serait sans doute morte si tu n’avais pas tiré. Tu ne t’attends pas à ce qu’elle te remercie, j’espère ?

— Le colonel Morgan m’a déjà fait part de ses sentiments à cet égard, affirma Malin.

— Ouais. Tu peux fichtrement te féliciter que j’aie été branché au canal de commandement sur le moment et, par le fait, en mesure de désactiver sa combinaison. Sinon, elle t’aurait abattu sur le tas. Pourquoi, Bran ?

— Je n’ai pas tenté de tuer Morgan, mon général. Si ça vous chante, vous pouvez m’enfermer dans la salle d’interrogatoire du plus haut niveau qu’il vous plaira, et je referai cette même déclaration à l’envi, autant de fois qu’il le faudra. »

Drakon le fixa dans le blanc des yeux. « Si je t’y enfermais et que je te demandais pourquoi tu t’es tant échiné à rejoindre Morgan, que me répondrais-tu ? »

Malin hésita un instant. « Que… je tâchais de prévenir son meurtre, mon général.

— Vous vous détestez mutuellement.

— Oui, mon général.

— Alors ? Auriez-vous une espèce de sentiment malsain l’un pour l’autre ? »

Malin pâlit de nouveau mais secoua la tête, l’air révulsé.

« Je n’entretiens rien de la sorte à son endroit. »

Drakon se fendit au bout de quelques secondes d’un geste irrité. « Il me faut bien te croire. Ou te faire fusiller. Je préfère te croire. Dorénavant, la version officielle sera que tu as tiré pour sauver Morgan, même si personne n’y croit de ceux qui vous connaissent tous les deux. Mais, si ça devait se reproduire, que Morgan soit ou non touchée, ce sera du pareil au même. Tu seras frit. »

Malin eut l’air brièvement déconcerté. « Vous… me permettez de faire encore partie de votre état-major ?

— Elle et toi. Oui. Elle n’y verra pas d’inconvénient. Une fois calmée, Morgan s’est dite très impressionnée que tu aies cherché à la descendre dans les seules conditions où tu aurais pu réussir et t’en tirer. C’est précisément ce qu’elle admire chez autrui. Certes, elle ne te tournera plus jamais le dos, mais, maintenant, elle a l’air de croire que tu vaux la peine qu’on te tue. »

Malin inspira profondément puis hocha la tête. « Je vais devoir surveiller mes arrières, j’imagine.

— Ouais. Ce serait une excellente idée, encore que je lui ai expliqué que j’avais besoin de vous deux. Et je te dis la même chose. Si l’un de vous s’avise de descendre l’autre, je veillerai à ce que le survivant regrette de n’être pas mort le premier. Est-ce totalement et parfaitement clair, colonel Malin ?

— Oui, mon général. »

Assise dans son bureau, Iceni se demandait pourquoi Drakon ne l’avait pas encore appelée quand il s’y décida enfin. L’image virtuelle de son codirigeant semblait assise de l’autre côté de son propre bureau. « L’installation orbitale est complètement sécurisée, lui apprit-il. Nous l’avons fouillée de fond en comble, jusqu’au niveau du quark, et, à l’exception des petites surprises que nous avait préparées le colonel Dun, nous n’avons rien trouvé d’anormal, sinon les articles de contrebande, la pornographie et les drogues récréatives habituels. La mauvaise nouvelle, c’est que nous sommes désormais certains qu’elle travaillait pour le SSI.

— Dun, un agent du SSI ? » s’étonna ostensiblement Iceni. Elle n’avait pas envie d’apprendre à Drakon qu’elle tenait déjà cette information d’un intime du général.

« Il ne subsiste aucun doute à cet égard. Dun disposait d’un second bureau dissimulé, plus petit, donnant sur sa chambre à coucher. Blindage massif, à l’épreuve de toute détection et connecté à tous les systèmes de la station. Seuls les serpents auraient pu l’installer sans se faire repérer.

— Pourtant, rien ne permettait de soupçonner qu’elle était stipendiée par le SSI ? »

Drakon secoua la tête. « En effet. Les serpents avaient même tenté de nous induire en erreur en laissant filtrer des fuites selon lesquelles elle faisait partie de leurs informateurs occasionnels. Nombre de gens étaient dans ce cas, car on ne pouvait guère le leur refuser quand ils vous le demandaient. Dun opérait effectivement en sous-marin. On avait dû la recruter depuis plusieurs décennies. Et je dois avouer que ça m’inquiète. Si elle a pu bénéficier d’une telle couverture, qui sait combien d’autres personnes travaillent pour eux en sous-main dans ce système ?

— Semer la méfiance générale et la zizanie était l’arme la plus efficace du SSI, admit Iceni. Cela dit, nous avons nous-mêmes versé dans ce travers. Donc il nous faut maintenant ajouter à la longue liste de nos soucis l’existence de serpents et d’autres agents du SSI travaillant pour lui clandestinement. Merci, général Drakon. Autre chose ?

— Non. Rien pour l’instant. »

L’image de Drakon disparue, Iceni se tourna vers Togo, lequel, debout près de son bureau, avait été dissimulé à la vue du général par son logiciel de com. « Qu’est-ce qu’il m’a caché ? »

Togo consulta son lecteur. « Juste avant qu’on n’entre par effraction dans le bureau secret du colonel Dun, elle avait envoyé une transmission en rafale au C-625. Le croiseur a dû la recevoir une demi-heure avant d’emprunter le portail de l’hypernet.

— As-tu une idée de sa teneur ?

— Non. L’équipement du colonel s’est effacé puis autodétruit. Je n’ai pas été à même de déterminer si les gens du général Drakon avaient réussi à récupérer des bribes.

— Je vois. Rien d’autre ?

— La rumeur se répand que l’un des plus proches assistants du général Drakon, en l’occurrence le colonel Malin, aurait tenté d’en abattre un autre durant l’assaut, la colonelle Morgan. Selon moi, ça s’est réellement produit. Ou du moins quelque chose qui pourrait être interprété comme une tentative d’assassinat de Morgan par Malin.

— Intéressant. » Iceni s’était persuadée jusque-là que Drakon savait tenir ses gens. « À ce que j’ai pu voir de ces deux individus, j’aurais pourtant parié sur l’inverse : Morgan tentant d’assassiner Malin. » Le front plissé, elle pianota pensivement des doigts sur son bureau. « Penche-toi de nouveau sur le cas du colonel Morgan. Tâche de déterrer ce que tu peux sur elle maintenant que nous avons accès aux dossiers du SSI. Je tiens à en apprendre plus long sur son compte.

— Autant que nous le sachions, elle ne couche pas avec Drakon. »

Ce qui permet au moins de prêter au général un minimum de bon sens, ainsi qu’un certain respect de la déontologie, songea Iceni. Techniquement parlant, on exigeait des supérieurs des Mondes syndiqués qu’ils s’abstiennent de tout rapport sexuel avec leurs subordonnés, car il leur eût été beaucoup trop facile d’abuser ainsi de leur pouvoir sur eux. Mais, en réalité, c’était depuis très longtemps une pratique courante, et tout CECH ou presque fermait les yeux sur ces relations illicites d’un de leurs pairs avec un subalterne, de peur de donner à des tiers de bonnes raisons de fouiller dans ses propres atteintes à la loi. « Une des raisons pour lesquelles je me suis assez fiée à Drakon pour accepter de conspirer avec lui, c’est précisément qu’il ne couche avec aucun de ceux qui travaillent pour lui. Mais Morgan est assez séduisante, par de nombreux aspects, pour se lier à un CECH plus puissant que Drakon, surtout depuis qu’il a été banni à Midway. Mon instinct me souffle qu’elle joue une partie bien plus complexe que la seule promotion canapé.

— Le bruit court que quelques-uns de ses rivaux auraient disparu par le passé, fit remarquer Togo.

— D’accord. Épluche tous les dossiers, retourne toutes les pierres et déniche ce que tu peux. Je dois savoir ce qu’elle mijote.

— Et le colonel Malin ?

— Sur lui aussi. » Iceni s’interrompit de nouveau pour réfléchir. « Mon sentiment à propos de Malin, c’est qu’il est prudent, tempéré, et qu’il aimerait se débarrasser définitivement des méthodes syndics. Mais, s’il a tenté d’assassiner Morgan durant une intervention militaire, il s’agissait certainement d’un geste précipité, impulsif, qui cadre parfaitement avec ces anciennes méthodes. Tâche de découvrir qui est le véritable Malin. »

Après le départ de Togo, Iceni consulta sans vraiment les lire quelques documents sur son écran. Pourquoi Drakon ne m’a-t-il pas parlé du message de Dun au C-625 ? Quel pouvait bien être son contenu ? Mon informateur m’affirme que les gens de Drakon n’ont rien pu tirer du matériel de Dun. Qu’il se soit abstenu de m’informer des querelles intestines de son état-major, c’est une autre question, plus compréhensible. Aucun CECH ne serait prêt à reconnaître ces dissensions, toutes les salles de conférence fussent-elles jonchées des cadavres de la moitié de ses cadres tandis que les survivants s’emploieraient à se laver les mains de leur sang. Mais j’ai toujours pensé que c’était une façon ignoble de travailler. Seul le patron devrait décider de ceux sur qui s’abat le couperet.

C’était une farce, non ? Une manière de plaisanterie. Dommage que personne dans ce système stellaire ne soit capable d’en goûter le sel.

Un nouveau message entrant venait d’arriver, de la part du vice-CECH Akiri et en provenance du C-448. « Madame la CECH… pardon, madame la présidente, un rebondissement imprévu vient de se produire. » Akiri s’interrompit, ostensiblement tout faraud d’être le porteur de nouvelles importantes, pendant qu’Iceni bouillait, exaspérée par ce léger retard dans leur divulgation. « Un des avisos qui accompagnait le C-625 n’a pas emprunté le portail de l’hypernet avec les autres forces mobiles. Il est resté à Midway, et nous venons tout juste de recevoir une transmission de cet A-6336 nous annonçant qu’on avait triomphé à son bord des agents du SSI et des gens qui demeuraient fidèles aux Mondes syndiqués, et qu’il se joignait à nous. L’A-6336 rend également compte de pertes importantes à l’occasion des combats mais précise que tout son équipement est encore opérationnel.

— Parfait. Qu’en est-il des trois avisos qui me sont fidèles et qui filaient le C-625 ?

— Ils se trouvent encore à une heure-lumière du portail et attendent les ordres.

— Dites-leur de poursuivre leur mission vers les autres systèmes stellaires. Je dois impérativement savoir ce qui se passe à Lono, Taroa et Kahiki. Veillez à aviser leurs commandants que tous ceux qui recruteront d’autres vaisseaux pour Midway pourront s’attendre à une récompense substantielle.

— À vos ordres, madame la présidente. » Akiri avait l’air légèrement déçu, car il n’aurait aucune chance de toucher cette récompense, mais il était hors de question qu’Iceni se séparât d’un de ses croiseurs lourds. On avait besoin d’eux à Midway.

Bon, la révélation n’avait pas de quoi ébranler toute la planète. Un unique aviso ne pouvait pas grand-chose. Mais c’était en même temps une bribe de bonne nouvelle, de sorte qu’Iceni n’allait certainement pas faire la fine bouche, d’autant que tous les vaisseaux sur lesquels elle pourrait mettre la main seraient les bienvenus. Je dois faire bonne figure. Je me demande ce que Drakon soupçonne de mes cachotteries et, en particulier, de l’inquiétude que m’inspire la faiblesse de notre flottille en cas de tentative de reconquête du pouvoir par le gouvernement des Mondes syndiqués. Aide-toi et les vivantes étoiles t’aideront, paraît-il… Mais les chantiers spatiaux de Midway ne peuvent fabriquer que des vaisseaux de la taille d’un croiseur lourd, et encore ne pourraient-ils en produire qu’un ou deux à la fois si je leur donnais l’ordre de s’y consacrer entièrement. Le gouvernement de Prime aurait de toute façon eu vent de la rébellion, mais le C-625 l’en informera bien plus tôt que je ne l’espérais. Grâce à Black Jack, Prime reste à la portion congrue, mais le gouvernement ne tardera pas à bricoler une flottille autour des quatre croiseurs lourds. Mes avisos, en revanche, mettront un bon moment à atteindre les points de saut pour les systèmes stellaires auxquels ils rendent visite, sans même compter la durée de leur transit. Je n’ai pas de temps à perdre.

Si nous ne nous trouvons pas bientôt des vaisseaux, notre révolution risque d’être très éphémère.

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