Chapitre V

— Attachez vos ceintures.

Le voyant lumineux s’alluma au-dessus de la tête de Malko. Helga, la svelte hôtesse, vint délicatement enlever sa coupe de Champagne et l’avertit.

— Nous traversons une zone de turbulences. Un orage magnétique. Nous risquons d’être secoués…

Malko suivit la silhouette de Helga qui disparut dans le cockpit. Longues jambes, poitrine haute, un visage fin et de grands yeux gris. Tout ce qu’il aimait. Une des raisons pour lesquelles il voyageait souvent sur les Scandinavian Airlines. Toutes les compagnies ont les mêmes avions et les mêmes prix. Certaines ont un petit quelque chose en plus. Comme les yeux gris de Helga ou le Champagne glacé Krug qu’il buvait pratiquement sans interruption depuis Copenhague. L’hospitalité Scandinave ne se démentait jamais sur les jets des Scandinavian Airlines. Un peu vieux jeu, Malko était sensible à cette ambiance de confort « personnalisé » dans un monde où tout est de plus en plus stéréotypé.

Sous le Super-DC-8 des Scandinavian, le Pacifique était gris et houleux. Temps rare pour la Californie. Ils étaient partis de Copenhague avec un soleil radieux. Les ailes de l’avion frémissaient sous les rafales, mais Malko se sentait parfaitement tranquille.

Trois des voisins de Malko étaient Japonais. À Copenhague, ils étaient passés directement du « Transasian Express » – le vol direct Bangkok-Copenhague des Scandinavian Airlines – au Super-DC-8 en route pour Seattle et Los Angeles. C’était plus court et plus rapide que de traverser tout le Pacifique.

— Nous nous excusons, grésilla la radio de bord, mais, en raison d’un orage magnétique, nous sommes obligés de retarder notre arrivée à Los Angeles de trente minutes environ.

Helga réapparut, une coupe de Champagne à la main. Les yeux dorés de Malko se firent plus tendres, mais elle ignora l’invite. Déçu, il se plongea dans le New York Herald Tribune. On annonçait déjà le prochain vol d’Apollo 11 vers la lune.

Malko resta songeur. Il savait que ces merveilles qui se déroulaient en apparence si bien demandaient le dévouement de milliers d’obscurs collaborateurs. Comme lui, par exemple.

Qui pouvait soupçonner Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge, chevalier de l’Ordre des Séraphins, margrave de Basse-Lusace, maître de l’Ordre de la Toison d’or, Chevalier de droit de l’Aigle noir, comte du Saint-Empire romain, landgrave de Kletgaus, chevalier d’honneur et de dévotion de l’Ordre souverain de Malte, propriétaire d’un château historique aux confins de l’Autriche-Hongrie, d’être une barbouze de luxe mais terriblement efficace pour la Central Intelligence Agency, ou CIA ?

Un espion.

Mais c’est un mot que les gens du « Renseignement » abhorraient. Particulièrement les patrons de la CIA, presque tous anciens de l’OSS[7] que les mauvaises langues de Washington appelaient « Oh So Social ». Les titres de Malko les impressionnaient beaucoup. Étrange métier.

Une fois de plus, Malko se retrouvait dans un avion, volant pour la CIA.

Le voyant lumineux s’éteignit. Maintenant, le DC-8 glissait sans secousse à neuf cent soixante à l’heure. Confortablement installé dans son moelleux fauteuil, Malko se demandait pourquoi la CIA l’avait une fois de plus arraché à la réfection de son château. Onze heures de vol depuis Copenhague. Il passait toujours par le Danemark, à cause de l’argenterie, des merveilleuses porcelaines et du confort de la Scandinavian.

Et puis, en voyageant sur la SAS, il avait l’impression d’être un peu sur ses terres… Ses amis américains avaient contracté son titre en ces trois initiales, ce qui avait dû faire se retourner ses ancêtres dans leur tombe…

Helga lui apporta le menu. Son dernier repas « européen » avant l’absence de cuisine américaine. Heureusement que la Scandinavian était affiliée à la Chaîne des Rôtisseurs, la plus vieille société gastronomique du monde.

Dix minutes plus tard, Malko étalait à la petite cuillère du caviar sur un toast. Il fit ensuite descendre la langouste avec une demi-bouteille de Laffite-Rothschild et revint au Champagne pour le dessert. Une euphorie béate l’envahissait. Il aimait le luxe et le confort des grands jets et l’hospitalité Scandinave.

Un peu plus tard, Helga lui apporta pour se rafraîchir le visage une petite serviette imbibée d’eau de Cologne. Le DC-8 des Scandinavian descendait lentement vers Los Angeles. Malko était intrigué. D’habitude, c’est le FBI qui traitait les questions de sécurité à l’intérieur des USA.

Bien sûr, la CIA s’était implantée « clandestinement » dans la plupart des grandes villes et possédait un département spécialement chargé des activités américaines : la « Domestic Opérations Division ». Le centre nerveux était tout près de la Maison-Blanche, à Washington, 1 750 Pennsylvania Avenue. Cet organisme qui n’avait pas d’existence légale se dissimulait sous le titre bizarre de « US Army, Joint Opération Group ».

Évidemment, aucune unité de ce nom n’existait dans l’armée des USA. C’est pourtant sur son ordre que Malko allait à Los Angeles.

Les roues du DC-8 touchèrent le sol avec la douceur d’un baiser kiss-landing. Le voisin de Malko, endormi, ne s’était même pas aperçu qu’ils étaient arrivés. Finalement, ce n’était pas trop long ; entre le Champagne, les repas somptueux, le cinéma et les ravissantes hôtesses, le temps passait vite.

— Nous venons d’atterrir à Los Angeles, International Airport, annonça la voix fraîche d’Helga. Il est 17 heures 20, heure locale. Les Scandinavian Airlines vous souhaitent un bon séjour en Californie…

Malko descendit un des premiers, son attaché-case à la main. En dépit du long vol, il se sentait en pleine forme. D’habitude, il emportait dans le double fond de sa Samsonite noire un pistolet extra-plat, offert quelques années plus tôt par son « patron », David Wise. Une petite merveille fabriquée dans les ateliers discrets de la CIA, pouvant être portée sous un smoking sans donner l’air d’un voyou.

Cette fois, il ne l’avait pas pris. Los Angeles, ce n’était pas Bagdad ou Mexico.

Il ôta ses lunettes. Ses yeux d’or liquide étaient un excellent signe de reconnaissance. Gênant dans un métier où il faut parfois passer inaperçu. Mais on ne se refait pas…

Un homme aux cheveux très courts, grand, le visage banal et rond, s’approcha aussitôt de lui.

— SAS ? Je suis Albert Mann. J’espère que vous avez fait bon voyage.

La Pontiac grise roulait sagement sur le San Diego Freeway à soixante-cinq miles à l’heure, vitesse légale autorisée. De chaque côté, les maisons plates s’alignaient en contrebas par milliers. Culver City, Jefferson City, Airport Village, Inglevood, toute la banlieue triste de Los Angeles.

Un grand panneau vert annonça : « Sunset Boulevard-1/2 mille ». Albert Mann mit son clignotant et prit la file de droite. Malko sourit :

— Vous allez me faire visiter Hollywood ? Jusque-là, ils n’avaient pas échangé trois mots.

— Nous nous arrêtons au Beverly Hills Hôtel, dit Albert Mann. Je vous ai réservé un bungalow.

— Est-ce que je peux savoir pourquoi je suis ici ? demanda Malko comme la Pontiac enfilait les lacets du Sunset Boulevard qui longent UCLA.[8]

— Pour faire connaissance des gens agréables, expliqua Albert Mann, énigmatique.

— Quels gens dois-je rencontrer ?

Le Sunset Boulevard s’élargissait. Maintenant, les villas de rêve se succédaient de chaque côté.

Ils passèrent devant la maison rose bonbon de Jayne Mansfield, en bordure de Bel-Air.

Albert Mann soupira :

— Il va falloir vous introduire dans un milieu totalement fermé aux agents classiques. C’est la raison pour laquelle on a fait appel à vous. Celui du « crazy hollywood[9] », des producteurs, des vedettes, des dingues milliardaires qui se droguent, partouzent et boivent leur litre de whisky par jour. (Il eut un coup d’œil en coin pour Malko.) Si j’en crois votre réputation, cela ne devrait pas vous déplaire.

La Pontiac glissait sans bruit entre deux rangées de cocotiers. Malko sourit :

— Où sont les espions ? L’homme de la CIA secoua la tête.

— C’est une histoire grave. Sinon, on ne vous aurait pas fait venir d’Europe… Voici ce dont il s’agit…

Malko écoutait, ébahi.

— Mais qu’est-ce que les Cubains veulent faire d’un Navajo ? demanda-t-il.

Le visage d’Albert Mann se ferma.

— Je ne suis pas autorisé à vous le dire. C’est une information classée.

Ils arrivaient au Beverly Hills Hôtel. Un bâtiment rose, tarabiscoté, perdu dans des cocotiers verts. Un vrai cauchemar psychédélique. On enfonçait dans la moquette également verte jusqu’aux chevilles. Les murs étaient verts décorés d’immenses feuilles vertes aussi. Il ne manquait que de vrais lézards pour faire des couloirs une très jolie jungle tropicale. Albert Mann avait retenu pour Malko un des petits bungalows au fond du jardin. Deux pièces et une salle de bains pour cent dollars par jour.

Dès qu’on eut apporté les bagages de Malko, Albert Mann tira une photo de sa poche et la tendit à Malko.

— Voici l’homme dont vous devez devenir l’ami.

— Mais c’est Gene Shirak le producteur, dit Malko. Depuis quand les milliardaires travaillent-ils pour les Russes ?

Prudent, l’homme de la CIA corrigea :

— Nous ne disons pas qu’il travaille pour les Russes. Il a un « clean security record[10] » depuis qu’il est dans notre pays. Vingt-neuf ans cette année. Mais il n’a pas toujours été Américain. Gene Shirak est né en Hongrie.

— Qu’attendez-vous au juste de moi ? Albert Mann s’assit sur le lit :

— Que vous deveniez assez lié avec Gene Shirak pour découvrir ce qui se trame. À propos, nous avons trouvé ceci sur le cadavre du Navajo. Cela pouvait être un signe de reconnaissance, ou un cadeau. Prenez-le.

Il tendit à Malko la pierre de lune enchâssée dans sa minuscule gangue d’or.

Malko examina le curieux bijou. Il avait beau être blindé contre les situations bizarres, celle-ci dépassait tout ce qu’il avait déjà vu. Enfin, cela valait mieux que les prisons de Bagdad…[11]

Il empocha la pierre de lune et commença à défaire ses trois valises, dépliant ses éternels complets d’alpaga pour les pendre soigneusement, puis il installa la photo panoramique de son château sur la coiffeuse. Albert Mann le regardait faire, sérieux comme un pape. Malko se demanda soudain si ses amis de la CIA n’étaient pas en train de lui jouer un énorme canular.

Malko déplia une chemise de voile. Il avait beau se creuser le crâne, il ne voyait pas ce qu’un Navajo avait à voir avec la sécurité des États-Unis. Les Indiens navajos sont la tribu la plus importante des USA, une cinquantaine de mille, et vivent dans le nord de l’Arizona, pacifiquement et assez pauvrement.

À moins qu’ils n’aient fomenté un complot pour reconquérir la terre de leurs ancêtres. Mais c’était une hypothèse trop futile pour expliquer l’insistance de la CIA à le plonger dans la débauche.

— Vous avez déjà fumé de la marijuana ? demanda tranquillement Albert Mann.

Malko dut avouer à sa courte honte que non. L’homme de la CIA sortit un paquet de Marlboro de sa poche et le jeta sur le lit.

— Entraînez-vous… Commencez par deux ou trois cigarettes à la fois. Pour voir l’effet que cela vous fait. Tenez, prenez cela aussi.

« Cela » c’était des pilules vertes dans un étui transparent. Malko les regarda avec méfiance.

— Encore de la drogue ?

— Non. Un antidote pour l’alcool. Cela permet de garder la tête froide.

— Vous n’avez pas d’aphrodisiaque ? demanda Malko, pince-sans-rire. Pour que ma panoplie soit complète.

Albert Mann tendit à Malko une carte marron, de la taille d’une carte de visite :

— Voici votre carte de membre de la « Factory ». Ne la perdez pas. Elle nous a coûté mille dollars, précisa-t-il.

Puis il sortit de sa poche un colt 38 au canon de deux pouces, et une boîte de cartouches.

Malko soupesa l’arme et remarqua qu’elle ne portait aucun numéro de série. Décidément la CIA soignait les détails.

— Vous croyez que je vais avoir besoin de cela, ici ? L’Américain haussa les épaules :

— Si nous avons raison, vous en aurez sûrement besoin, ici ou ailleurs.

Charmant. Malko contempla la panoplie étendue sur le lit. Si tous les clients du Beverly Hills en avaient autant…

— Ce n’est pas avec cela que je vais me lier avec M. Gene Shirak, soupira-t-il.

Le sourire froid réapparut sur les lèvres d’Albert Mann.

— Nous avons pensé à cela aussi. Vous aurez une collaboratrice. Elle vous sera d’un grand secours pour lier connaissance avec Gene Shirak.

— Ah ?

C’était peu courant à la CIA, qui ne prisait pas les Mata-Hari.

Albert Mann se leva et ouvrit la porte de la seconde chambre du bungalow.

— Je vous présente miss Daphné La Salle, annonça-t-il.


* * *

Il y a des spectacles comme la mer en furie ou un cyclone tropical qui coupent le souffle et la parole. Daphné La Salle appartenait à la même catégorie de phénomènes. Malko faillit se frotter les yeux et parvint, dans un reste de galanterie, à s’incliner devant la fabuleuse apparition.

À en juger par l’odeur qui envahit la pièce, elle achetait son parfum par camion-citerne. Les rares insectes épargnés par la climatisation tombèrent raides morts.

Daphné La Salle semblait descendre tout droit d’une page de Play-Boy Magazine. La poitrine fabuleuse pointait droit sur Malko, comme pour l’éborgner. Ou il y avait un truc, ou c’était un prodige de la nature. Bien entendu, elle ne portait pas de soutien-gorge sous son tricot de filet de marin.

La jupe rose ne cachait guère qu’une dizaine de centimètres de jambes interminables, et des cuisses rondes et bronzées.

Le regard de Malko remonta jusqu’au visage. Un dessin de Varga. La bouche pulpeuse à souhait, d’immenses yeux verts légèrement en amande et des cascades de cheveux roux. Avec assez de noir autour des yeux pour peindre un tableau.

Daphné La Salle bougea et le plancher sembla onduler. Grâce à ses talons de quinze centimètres, elle dépassait Malko. Elle sourit et roucoula, la main tendue :

— Bonjour.

Sa voix aurait fait jeter sa soutane aux orties à feu le cardinal Spellmann. Basse, rauque, intime. La voix de Jackie Kennedy. Sa main enveloppait celle de Malko comme une pieuvre parfumée. Elle consentit enfin à la lui rendre, imbibée de parfum pour une semaine.

Malko avait envie de se pincer. Ce n’était pas possible, Daphné La Salle était un dessin, elle n’existait pas.

— Que pensez-vous de votre collaboratrice ? demanda suavement Albert Mann.

Ce que pensait Malko aurait choqué les oreilles d’une femme honnête. Il préférait laisser le bénéfice du doute à Daphné La Salle. À condition de ne pas la laisser sortir d’un lit, c’était une compagne de vacances parfaite.

— Je la trouve extraordinaire, dit-il sincèrement. J’espère que nous nous entendrons bien.

Albert Mann reprit de son air sérieux :

— Miss La Salle est exactement le type de femme dont raffole Gene Shirak. Nous l’avons choisie pour cela.

Indifférente, Daphné se leva, ondula jusqu’au réfrigérateur, l’ouvrit, en sortit une bouteille de White Label, en vida le quart dans un verre à dents et l’avala.

— Miss La Salle tient également très bien l’alcool, précisa Albert Mann.

Décidément, Daphné avait tout pour faire le bonheur d’un homme…

— Je crois que vous vous entendrez parfaitement bien, fit Albert Mann avec un rien d’ironie. Vous faites un très beau couple…

Malko frémit à la pensée d’être rencontré par un de ses pairs en compagnie de cette créature terrifiante. C’était dur de gagner son argent, parfois. Albert Mann avait déjà la main sur le bouton de la porte :

— Je vous laisse, dit-il avec la légèreté d’une mère maquerelle.

Malko le rattrapa dans l’allée, paniqué :

— Qui est-ce ?

Albert Mann se rengorgea :

— Assez étonnante, n’est-ce pas ? Nous l’avons débauchée d’une grande compagnie qui l’employait au mois comme call-girl pour distraire les gros clients. Elle ne sait pas exactement pour qui elle travaille. Elle se moque totalement de ce qu’on lui fait faire du moment qu’on la paie.

Ils étaient arrivés au polo-room. Albert Mann s’arrête :

— Encore une chose. Vous êtes un de ces types de la Dolce Vita européenne, bourré. Daphné est votre dernière toquade. Vous l’avez rencontrée à New York. Voici ce qui est prévu. Après, ce sera à vous de vous débrouiller…

Lorsque Malko quitta l’homme de la CIA, l’ingéniosité des Américains avait remonté dans son estime.


* * *

Daphné La Salle était étendue sur l’immense lit, vêtue d’un slip mauve microscopique, ses seins pointant vers le plafond, au mépris de la pesanteur. Malko s’arrêta sur le seuil, le souffle coupé. Il n’avait encore jamais rencontré un tel concentré de femelle.

— Salut, fit-elle. J’espère que nous allons bien nous entendre. Venez près de moi.

Malko obéit. Gentiment, Daphné défit sa cravate et les premiers boutons de sa chemise, puis passa sa longue main sur la poitrine. Sa voix veloutée plongea Malko dans des abîmes de réflexions.

— Si on regardait le « late, late show », murmura-t-elle. Moi, j’adore la télé.

— Pourquoi pas… fit héroïquement Malko.

— Chouette ! je sens qu’on va être copains.

Daphné se mit à manipuler fiévreusement la télécommande de la télé-couleur jusqu’à ce qu’elle trouve le western de ses rêves sur le canal 7.

Avec un soupir, elle cala sa tête rousse sur la poitrine de Malko.

Elle revint à la vie, le dernier coup de pistolet tiré sur l’écran, s’étira avec une grande sensualité et vint se blottir contre Malko qui s’était déshabillé à son tour. Son regard tomba sur la chevalière de Malko et son œil brilla soudain.

Elle prit le doigt et inspecta la bague.

— C’est groovy[12], fit-elle. Où l’avez-vous achetée ? J’adore les bijoux.

Malko dut lui expliquer ce qu’étaient des armoiries. Daphné ne connaissait que le blason des Cadillac. Lorsque Malko lui parla de son titre, elle eut un roucoulement de joie.

— Je croyais que tous les princes étaient vieux, susurra-t-elle. Et qu’ils portaient des guêtres blanches avec des grandes moustaches…

Pour Daphné, l’histoire s’était arrêtée à l’Empereur François-Joseph.

— J’ai encore jamais connu de prince, sauf un Mexicain, mais il devait pas être vrai.

Les grands yeux verts se voilèrent légèrement. Malko vit approcher la grande bouche charnue et plongea dans un abîme de volupté, tandis que Daphné lui appliquait un baiser de VIP.

Soudain, il sentit l’étreinte se relâcher, puis Daphné le repoussa fermement, et s’assit sur le lit. Ses belles lèvres étaient toutes boudeuses.

— Ça ne colle pas, laissa-t-elle tomber. Je croyais qu’avec un prince, ça me ferait quelque chose, mais je peux pas. Comme toujours.

Malko ne comprenait plus.

— Vous ne faites jamais l’amour ? Elle hocha la tête affirmativement.

— Oh ! si, mais toujours pour le boulot. Si je le fais pour rien, je me dis que ça pourrait me rapporter, je suis furieuse et ça me coupe tout… Il faudrait peut-être que je voie un psychiatre.

— Ce n’est pas idiot, dit prudemment Malko. Soudain sa voix se fit encore plus veloutée :

— Le seul truc serait que vous me donniez quelque chose, cinquante ou cent dollars.

Malko sentit son désir se calmer d’un coup. Cette machine à sous déguisée en pin-up était déprimante.

— Quand nous aurons réussi ce que nous avons à faire, dit-il évasivement. Ce soir, je suis un peu fatigué. Les DC-8 des Scandinavian Airlines ont beau être confortables, j’ai volé pendant treize heures.

Daphné ébouriffa ses cheveux.

— Eh bien, je vais me démaquiller et on va dormir. Demain on a du boulot. Mais j’aimerais bien essayer avec vous un jour…

Un quart d’heure plus tard, ils s’endormaient chastement, chacun de leur côté. Daphné serrant tendrement dans sa main le remote-control de la TV.

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