Chapitre VIII

Une grande fille au visage de madone, déshabillée par une robe orange s’arrêtant en haut de ses longues cuisses, s’approcha de Malko, un verre à la main. Sa petite poitrine se dessinait parfaitement sous le léger tissu. Son regard parcourut Malko avec l’intérêt d’un turfiste devant un pur-sang, pour s’arrêter aux yeux dorés.

Une fraction de seconde, l’expression de ses yeux chavira.

— Je m’appelle Jill, dit-elle. Nouveau en ville ? Je ne vous ai jamais vu chez Gene.

— Prince Malko Linge, répliqua Malko. Je suis en effet de passage.

— J’aime la couleur de vos yeux, dit « Darling » Jill pensivement.

Ils lui rappelaient ceux de Sun. Jill, peu à peu, oubliait la mort du Navajo. Rien n’avait bougé et elle reprenait goût à la vie.

Malko n’eut pas le temps de répondre à son compliment direct. Une autre fille, en mini-robe dorée, lança une bouteille de Champagne dans la piscine, juste devant Malko et Jill.

Celle-ci posa la main sur le bras de Malko.

— Allez la chercher, nous allons la boire.

Malko avait beau n’être vêtu que d’une chemise de voile et d’un pantalon, il hésita. Jill lui tendit son verre sans mot dire.

Tranquillement, elle descendit les marches de marbre et s’avança dans l’eau bleue et lumineuse, éclairée par des projecteurs sous-marins, jusqu’au moment où elle attrapa la bouteille de Champagne. Elle avait alors de l’eau jusqu’aux épaules. Lorsqu’elle ressortit de la piscine, sa robe collée par l’eau dessinait toutes les formes de son corps, avec une précision anatomique.

Malko put ainsi vérifier qu’elle ne portait strictement aucun dessous.

Personne – parmi les personnes présentes – ne semblait trouver déplacé l’expédition de « Darling » Jill.

La jeune femme posa la bouteille par terre et offrit son dos à Malko.

— C’est désagréable, ce tissu mouillé, dit-elle, très mondaine. Voulez-vous la faire glisser, s’il vous plaît ?

Malko s’exécuta, un peu surpris. « Darling » Jill ondula des hanches et la robe ne fut plus qu’un petit tas aux pieds de la jeune femme. Il lui restait ses escarpins, un très joli chignon, des boucles d’oreilles en rubis et des colliers fantaisie. Elle se retourna vers Malko et, avec le plus parfait naturel, elle ordonna :

— Maintenant allez chercher des coupes au buffet et débouchez la bouteille, j’ai soif.

Ça commençait bien. Malko s’exécuta.

Le « love-in » commençait à s’animer, mais Jill était la première à se déshabiller. Gene Shirak ne lâchait pas Daphné d’une semelle. Celle-ci était une des rares femmes à porter un slip sous sa mini-robe. Sa chevelure flamboyante émergeait d’une balancelle où Gene Shirak, tout en mauve, l’avait entraînée dès son arrivée. Joyce était invisible. Le producteur avait accueilli Malko chaleureusement et immédiatement accaparé Daphné.

— C’est gentil d’avoir bien voulu participer à notre petit « love-in » avait-il dit à Malko.

Il y avait une quinzaine de couples. Toutes les femmes, jeunes et jolies, rivalisaient d’indécence. Certaines jouaient au billard dans le living, ou buvaient ; d’autres dansaient autour de la grande piscine en L. À part Jill, on se serait cru dans une partie ordinaire.

Malko revint vers Jill et ils débouchèrent le Champagne. La jeune femme but deux coupes coup sur coup, et dit paisiblement :

— J’ai envie de vous. Dans l’eau.

Elle se leva, fit jouer les muscles de ses cuisses et de ses fesses et plongea, sans une éclaboussure. Après quelques mouvements, elle revint s’accouder au rebord de marbre, le corps abandonné dans l’eau, près de Malko.

Gene Shirak se félicitait de voir Malko et Jill ensemble. Cela lui laissait le champ libre pour Daphné. Ce dont il ne se privait pas.

Une grande blonde, vêtue uniquement d’un pantalon, la poitrine un peu grasse, plongea soudain dans la piscine derrière une nouvelle bouteille de Champagne. Jill ricana :

— Cette idiote de Patricia ! Gene n’aurait jamais dû l’inviter. Elle va encore gâcher la soirée.

Elle était pourtant dans l’ambiance. Déjà, elle ressortait de l’eau, faisant des mimiques obscènes avec la bouteille.

— Pourquoi ? demanda Malko.

— Elle ne sait pas ce qu’elle veut, expliqua Jill. Chaque fois qu’elle vient à un « love-in », elle se suicide après. C’est une maniaque du suicide depuis qu’elle a joué au cinéma un rôle où elle se suicidait. Elle continue dans la vie.

La dernière fois, elle a eu neuf hommes dans sa soirée. Tous ceux qui étaient là. Ensuite, elle se dégoûtait tellement, qu’elle est sortie toute nue et qu’elle s’est étendue sur Beverly Drive, soi-disant pour se faire écraser. C’était nouveau. D’habitude, elle avale des pilules. Évidemment, un flic est arrivé. Il a fallu tirer au sort pour savoir qui allait le calmer. C’est tombé sur moi. C’était affreux : un vieux type de cinquante ans avec un ventre tout mou…

Pauvre « Darling » Jill.

Gene Shirak dansait avec Daphné, en lui tenant carrément les fesses. Sa femme, Joyce, avait fait son apparition et dansait avec un jeune éphèbe, collée à lui. Encore un couple uni.

— Il se moque de ce que fait sa femme ? demanda Malko à Jill.

La jeune femme ricana. Elle en était à sa sixième coupe de Champagne.

— Il la hait, fit-elle. Un jour, elle se baignait à Malibu, il priait pour qu’elle se noie.

Soudain, sans transition, « Darling » Jill saisit la main de Malko, la plongea dans l’eau. Il sentit sous ses doigts la rondeur d’une cuisse.

— Caressez-moi, souffla-t-elle.

Un autre couple se rapprocha d’eux. Une fille brune et un garçon jeune et poupin, presque obèse, avec de grosses lunettes d’écaille. Il jeta un regard mouillé à « Darling » Jill qui se laissait aller, sous la caresse de Malko.

— Hello ! dit-il.

Puis, sans transition, il glissa la main sous la robe de sa cavalière et caressa ses fesses. Puis, ils s’éloignèrent dans l’ombre du jardin.

Malko avait beau se creuser la tête, il ne voyait pas la moindre trace d’espionnage parmi tous ces détraqués. Tous les gens qui faisaient des partouzes ne travaillaient pas pour les Russes ou les Chinois… Distrait, il relâcha son attention et « Darling » Jill le rappela à l’ordre par un léger grognement. Il vit Mme Shirak disparaître dans la villa avec son éphèbe. Gene ne broncha pas. Un autre couple faisait l’amour près de la piscine, étendu sur un matelas. Deux filles s’approchèrent et regardèrent.

L’attention de Malko fut détournée par un nouvel arrivant. Un homme d’une beauté presque gênante tant elle était parfaite, très bronzé, au visage impénétrable. Il était pieds nus, vêtu d’un vieux blue-jean et d’une chemise sans boutons, ouverte sur son torse parfait. Un petit singe était en équilibre sur son épaule gauche. L’inconnu balaya l’assistance d’un regard indifférent et alla s’allonger sur une chaise longue de l’autre côté de la piscine.

« Darling » Jill sembla soudain agitée de convulsions, enfonça ses ongles dans le bras de Malko et ouvrit la bouche toute grande comme si elle allait se noyer.

Au même moment, une fille en maillot noir déposa près d’eux une petite assiette pleine de gâteaux secs.

— C’était si bon, soupira Jill. Vous êtes doux. Prenez un cookie.

Presque de force, elle fourra dans la bouche de Malko une poignée de gâteaux. Il faillit s’étouffer avec et dut les arroser de Champagne. « Darling » Jill éclata de rire.

— Vous allez vous sentir bien, vous aussi…

— Pourquoi ? demanda Malko, vaguement inquiet.

— Ce sont des grass-cookies[14] dit Jill. À la Marijuana. Beaucoup plus efficaces que les cigarettes. C’est concentré et cuit. Après ça, c’est formidable de faire l’amour…

De mieux en mieux. Tout à coup une fille rousse et maigre, avec des cheveux courts et des yeux bleus, drapée dans une sorte de sarong, s’avança vers le bel inconnu au singe. Malko remarqua la couperose de ses pommettes et le grand verre de whisky dans la main droite. « Darling » Jill ricana avec distinction.

— Il va y avoir du sport. Sue a envie de Joe. Regardez. Celle que Jill avait appelé Sue se dirigea droit sur l’homme étendu sur une chaise-longue. Elle s’agenouilla près de lui, posa son verre et commença à lui caresser la poitrine en lui parlant à l’oreille.

« Darling » Jill en avait arrêté de boire.

— Ça fait des mois qu’elle le veut, commenta-t-elle. Lui qui n’aime déjà pas beaucoup les bonnes femmes, quand il voit ce sac à whisky…

Là-bas, l’homme n’avait pas bronché. Il caressait son singe tandis que Sue le caressait. Soudain, la main de la jeune femme descendit le long du blue-jean. Jill eut un gloussement énervé.

— Elle va… commença-t-elle.

Soudain Joe se redressa calmement. Il attrapa la fille par le devant de son sari, la fit lever et, d’une poussée violente, l’envoya dans la piscine. Puis, il se recoucha et reprit sa méditation.

« Darling » Jill éclata de rire. Sue émergea, trempée, ramassa son verre et le jeta de toutes ses forces à la figure de Joe Makenna. Celui-ci ne bougea pas, s’essuyant seulement les yeux. Un garçon arriva derrière Sue et la poussa dans la piscine, mais elle eut le temps de s’accrocher à lui et ils tombèrent ensemble.

Il y eut une mêlée confuse qui se transforma en étreinte, debout dans l’eau.

Enfin, Sue sortit de la piscine entièrement nue, s’étira et sans un regard pour Joe Makenna fila vers le buffet. Elle était maigre avec une toute petite poitrine et des cuisses fortes et musclées. Jill essaya d’attirer Malko dans l’eau, très émoustillée.

— Venez.

Elle hasarda une caresse si précise qu’il regarda autour de lui. Personne ne prêtait attention à eux. Par la porte du living, il voyait un homme danser à genoux devant une fille paraissant quinze ans, dont les ondulations se passaient de commentaires. Il commençait à ne plus savoir très bien où il se trouvait. Ni ce qu’il faisait. Comment croire à une histoire d’espionnage dans cette ambiance démentielle. Il n’avait pas eu le temps de fumer les cigarettes offertes par Albert Mann et la marijuana commençait à le plonger dans un état second.

Jill s’énervait.

— Venez !

Soudain, une cloche placée près du buffet, couvrit le bruit de la musique.

— Venez tous, les jeux vont commencer, criait Gene Shirak.

Docilement, les couples se rapprochèrent. Sauf le gros jeune homme à lunettes, qui s’allongea sur une chaise longue, à l’écart. Même « Darling » Jill sortit de l’eau et prit Malko par la main.

Gene Shirak ôta sa chemise et fit glisser la fermeture Éclair de son pantalon. En un clin d’œil, il fut nu. Les autres hommes l’imitèrent et les femmes qui avaient encore leur robe les plièrent soigneusement sur une table, gardant seulement leurs bijoux.

Malko avait fait comme tout le monde. Il était nu comme un ver. « Darling » Jill regarda ses cicatrices et ses yeux brillèrent.

— Vous vous êtes battu ?

— Accidents de voiture, dit-il laconiquement. Daphné finissait de se débarrasser de sa robe avec beaucoup de grâce. Il sembla à Malko que ses seins avaient encore grossi. Il vit le regard de Gene Shirak posé sur la jeune femme : les marchands du temple devant le Veau d’Or.

« Darling » Jill, qui ne dédaignait pas à l’occasion une excursion à Lesbos, se passa la langue sur les lèvres et remarqua :

— Ton amie est très belle.

Gene Shirak claqua des mains. Martha, la vieille bonne noire toute desséchée, sortit de la cuisine, portant à grand-peine une vasque pleine d’un liquide incolore sur lequel flottait une éponge. Ses yeux passèrent sur les corps dévêtus des hommes et des femmes avec une indifférence totale.

Gene Shirak annonça :

— Vous connaissez les règles du jeu. Les hommes vont aller au fond du jardin, près du bungalow. Ensuite, ils n’auront plus qu’à faire leur choix, s’ils arrivent à attraper nos gracieuses compagnes.

Il eut un geste large vers les femmes :

— Mesdames.

« Darling » Jill, avant de quitter Malko, lui glissa à l’oreille :

— Tâchez de m’attraper le premier.

Interdit, il contempla l’incroyable spectacle. Entièrement nues, les femmes faisaient sagement la queue devant la vieille bonne. Sue Scala se présenta la première. D’une main experte, la Noire lui enduisit le corps avec le liquide contenu dans la vasque. Aussitôt, sa peau se mit à luire d’un éclat agréable.

— C’est de la pure huile d’olive, cria Gene, très excité. Importée.

On est snob ou on ne l’est pas.

Le badigeonnage dura une dizaine de minutes. Malko s’était écarté avec les autres hommes. Joyce, la femme de Gene Shirak, faisait sagement la queue comme au supermarché.

Seuls, Joe Makenna et le gros jeune homme joufflu étaient restés habillés. Ce dernier attrapa Malko par le bras lorsqu’il passa près de lui.

— Stranger, dit-il, votre amie est magnifique. J’organise une petite partie en avion dans quelques jours, j’espère que vous serez des nôtres…

Malko n’osa pas lui demander pourquoi il n’en profitait pas sur-le-champ.

Le badigeonnage était terminé. Les femmes attendaient en bavardant comme chez le coiffeur. Soudain, Gene, velu comme un chimpanzé, mit sur l’électrophone la bande sonore de « Hair » et hurla :

— Maintenant le jeu commence.

Aussitôt, il se précipita sur Daphné, qui était la plus proche de lui. D’ailleurs, il était le seul mâle a être resté près de la piscine. Discrètement, la vieille Noire se retira dans sa cuisine, en emportant ce qui restait d’huile d’olive.

Gene Shirak enserra les hanches de Daphné. Mais le badigeonnage avait été trop bien fait. Elle lui glissa littéralement entre les mains et s’enfuit en riant aux éclats.

Jouant le jeu, Malko s’avança à son tour. Si ses ancêtres l’avaient vu ! La sécurité des USA passait par d’étranges méandres. Il aperçut « Darling » Jill poursuivie par un petit homme bedonnant qui la saisit à bras-le-corps et voulut la renverser sur une balancelle.

Elle lui échappa, aperçut Malko, et fonça sur lui. Ce dernier se heurta presque à Daphné. Ainsi ointe, elle était somptueusement belle. On aurait dit une statue de bronze. Au même moment, « Darling » Jill atterrit dans ses bras. Soudain un objet brillant sur le corps de Daphné, accrocha l’œil de Malko.

Enfoncé dans le nombril, elle portait le bijou que lui avait confié Albert Mann. La pierre de lune trouvée sur le corps du Navajo assassiné ! Elle avait dû fouiller ses affaires et le lui « emprunter ».

Malko en oublia la sangsue huileuse qui se frottait contre lui. Si l’assassin du Navajo se trouvait là et apercevait le bijou, il saurait immédiatement que Malko n’était pas un simple prince en goguette. Il fallait faire disparaître le bijou compromettant coûte que coûte.

Il repoussa Jill et se lança à la poursuite de Daphné, talonné par Gene Shirak.

— Hé ! hurla Jill, furieuse d’être laissée en plan.

Mais Malko courait déjà comme un fou derrière la somptueuse chute de reins de Daphné. Gene Shirak lui cria :

— Vous n’avez pas envie de changer pour une fois ? Son état physique aurait fait honte à un chimpanzé très mal élevé.

La jeune femme faisait le tour de la piscine, s’accrochant aux colonnades de stuc.

Pendant quelques instants, les deux hommes coururent côte à côte sur le marbre glissant. Tout à coup, Gene poussa vicieusement Malko qui tomba dans l’eau tiède de la piscine.

Lorsqu’il fit surface, Gene ceinturait Daphné, l’appuyant à une des colonnes. Malko jaillit de la piscine comme un poisson volant et empoigna Daphné par la seule partie qui restait libre : ses hanches. Il rencontra le regard furieux de Gene Shirak. Collé contre Daphné, sa main droite partit vers le ventre de la jeune femme, à la recherche du bijou. Gene Shirak se méprit sur son geste.

— Il y a place pour deux, murmura-t-il.

Daphné tourna un visage effaré vers Malko. Elle ne comprenait plus. Philosophiquement, elle se dit que décidément les hommes étaient tous des cochons.

Avant que Malko ait pu atteindre le bijou, une tornade atterrit sur son dos et l’enserra dans deux bras huileux.

— Tu n’en as pas assez de ta vache à lait, siffla la voix furieuse de Jill.

À la seconde bouteille de Champagne, elle devenait grossière.

La jeune femme empoigna Malko et Gene et poussa les deux hommes dans la piscine, entraînant du même coup Daphné, prise en sandwich.

Puis, avec un cri sauvage, elle sauta à pieds joints et les rejoignit.

Ils se redressèrent tous les quatre, avec de l’eau jusqu’à la taille. Les deux femmes étaient face à face et le regard de « Darling » Jill balaya le ventre de Daphné sans émotion particulière. Comme pour jouer, Malko se jeta sur Daphné et, dans la bousculade, en profita pour faire tomber le bijou au fond de la piscine.

La jeune femme sentit sa main arracher la pierre de lune et ouvrit la bouche pour protester. Devant l’expression de Malko, elle se tut.

Déjà, Gene Shirak l’avait reprise à bras-le-corps et l’entraînait. Ils entrèrent dans la villa et Malko les perdit de vue.

« Darling » Jill jeta un regard noir à Malko :

— Je ne vous plais pas ? demanda-t-elle hargneusement.

— Mais si.

Autour d’eux, c’était Sodome et Gomorrhe, dans leurs meilleurs jours.

« Darling » Jill attira Malko et se laissa aller sur le dos dans l’eau tiède et fluorescente, ses jambes autour des hanches de Malko, ses cheveux flottant autour d’elle.

Soudain, elle semblait très jeune et très pure. Mais l’expression de ses yeux démentait la pureté de ses traits.

— Maintenant, murmura-t-elle.

Ils restèrent presque immobiles dans l’eau. « Darling » Jill haletait légèrement, les yeux dans les étoiles. Malko éprouva soudain un profond dégoût.

En dépit du luxe, des cocotiers, de la piscine tiède, du corps souple et consentant de Jill, cette villa était ce qui se rapprochait le plus de l’enfer.

La jeune femme enserra les hanches de Malko avec ses cuisses et cria. Puis elle se redressa et prit le visage de son amant entre ses longues mains, se reflétant dans les yeux d’or de Malko. Elle ne pouvait pas lui dire qu’il lui rappelait Sun et qu’elle était amoureuse à cause de cela.

Tout à coup, Patricia avança comme une somnambule vers Joe Makenna qui semblait se désintéresser complètement de l’orgie se déroulant autour de lui.

— Regardez, souffla Jill.

Joe Makenna ne bougea pas. Patricia « la suicidée » s’installa en face de lui et commença à caresser son singe. Le chimpanzé poussait des cris aigus sous les doigts habiles de la jeune femme. Soudain, celle-ci enfouit son visage dans le ventre du petit animal.

« Darling » Jill frissonna.

— Oh ! je ne pourrais jamais faire cela !

Il y avait maintenant plusieurs invités autour de l’étrange trio. Le singe poussait des cris de plus en plus aigus, ses mains minuscules accrochées dans les cheveux de Patricia. Joe avait un visage toujours aussi impassible. Patricia s’écarta brusquement, avec un rire hystérique.

Aussitôt, le singe termina son entreprise, dans un concert de cris aigus. Patricia s’apprêtait à faire profiter Joe Makenna du même traitement, mais il la repoussa fermement.

— C’est tout ce qu’il leur permet de faire, remarqua Jill, je crois qu’il est vraiment dingue.

Elle s’amusait à onduler contre lui dans l’eau. Malko aperçut le gros jeune homme poupin, en train de les contempler de son regard humide. Il était resté habillé.

— C’est un voyeur ? demanda Malko. Cela manquait à la collection.

« Darling » Jill éclata de rire.

— Pas du tout. Mais ce pauvre Dennis est terrorisé par sa femme. S’il divorce, cela lui coûte au moins vingt millions de dollars. C’est pour cela qu’il ne se déshabille pas. Il a toujours peur qu’elle surgisse !

— C’est déjà arrivé ?

— Pensez-vous, dès qu’il tourne le dos, elle file se faire racoler au Watts. Elle aime les gros machins noirs. On l’a dit à Dennis, mais il ne veut pas le croire. Alors, une fois par mois, il donne un « love-in » dans son avion privé. Là, il sait que sa femme ne surgira pas. Et je vous assure qu’en dépit de sa graisse, il est rudement rapide.

Pour l’instant, Dennis achevait une bouteille de whisky, considérablement frustré.

Malko n’eut pas le temps de s’appesantir sur les malheurs de Dean. Un cri perçant jaillit de la chambre ou Gene Shirak avait disparu avec Daphné. Puis des voix féminines crièrent des injures. Malko lâcha aussitôt « Darling » Jill et courut vers la maison. Il y avait du grabuge avec Daphné.

Il entra dans la pièce faiblement éclairée au moment où deux corps roulaient sur la moquette blanche : Daphné et Joyce, la femme du producteur, aussi nues l’une que l’autre. Joyce tirait de toutes ses forces sur les longs cheveux roux, le visage déformé par la haine. Daphné lui envoya une manchette en pleine poitrine, la bascula sur le ventre et s’assit à califourchon sur son dos, triomphante.

Elle pesait bien vingt livres de plus que son adversaire. Joyce gigotait furieusement et hurla :

— Gene, fous-moi cette ordure dehors ou j’appelle la police !

Le producteur émergea de la salle de bains, les reins enroulés dans une serviette. Une large estafilade zébrait son visage ennuyé.

Il prit Malko par le bras et dit à voix basse :

— Elle est folle. Elle a voulu m’éborgner avec des ciseaux. Il vaudrait mieux emmener votre amie. Nous nous reverrons.

— Venez Daphné, appela Malko. Nous partons. Daphné se souleva gracieusement. Malko n’était pas fâché de quitter cette ambiance de dingues. Si le but de l’opération était d’entrer dans l’intimité de Gene Shirak, c’était réussi. Un peu trop, même.

Joyce se releva à son tour. Sans souci de sa nudité, elle s’approcha de Malko :

— Vous savez ce qu’il voulait ? siffla-t-elle.

Elle égrena un chapelet d’obscénités à faire rougir tous les hippies de San Francisco.

— Je suis désolé, dit Malko très gêné.

— C’est un porc, hurla hystériquement Joyce, en désignant son mari. Un horrible porc.

Elle sortit en claquant la porte. Daphné alla récupérer sa robe. Malko achevait de se rhabiller lorsque « Darling » Jill surgit.

— Pourquoi partez-vous déjà ? demanda-t-elle. Gene Shirak tamponnant sa joue blessée, grommela :

— Parce que ça vaut mieux.

« Darling » Jill se coula contre Malko, ravie d’exciter Gene.

— Je veux te revoir, murmura-t-elle. Téléphone-moi CR 3 2885.

— Promis, jura Malko.

Au moment où il sortait, il se heurta à Sue.

— Pourquoi partez-vous ? Décidément, c’était un refrain.

— Appelez-moi, proposa-t-elle. HOL 42739.

Enfin Malko et Daphné se retrouvèrent dehors. L’air était tiède. Soudain, il s’arrêta net. Le bijou ! Il était toujours au fond de la piscine.

— Bon sang, jura-t-il. Vous avez fait du joli. Pourquoi n’avez-vous pas pris ce bijou ?

Daphné fit la moue.

— C’était important ?

— Très.

Maintenant il était trop tard pour aller le chercher au fond de la piscine. Qui allait le trouver ?

Soudain, tout cela leur parut futile. Les gens de la CIA perdaient la raison. Gene Shirak n’était qu’un milliardaire comme la Californie en comptait quarante-cinq au dernier recrutement.

Il réprima une grimace de dégoût : l’odeur de l’huile d’olive mélangée au parfum de « Darling » Jill, collait encore à sa peau.

Ils marchèrent jusqu’au Beverley Hills. Cinquante mètres. Malko se promit de téléphoner à Albert Mann. Il avait hâte de retrouver son château.

Daphné resta dix minutes sous la douche, tandis qu’il rêvait, étendu sur le lit. Ses oreilles bourdonnaient et il se sentait curieusement léger : la marijuana.

Soudain, en voyant Daphné sortir de la salle de bains il éprouva un désir brutal, dépersonnalisé. Son corps voulait cette superbe femelle. Sa volonté était comme annihilée par la drogue. Daphné porta les yeux sur lui et gémit :

— Ah ! non, pas vous, maintenant !

Malko confus, tira les draps. Mais, bonne fille, Daphné vint s’allonger près de lui. Ensuite, elle murmura :

— Vous vous sentez mieux maintenant ? Cinq minutes plus tard, ils dormaient.

Gene Shirak alla retrouver « Darling » Jill dans la petite salle de billard. Il se sentait repu et apaisé par le corps de Daphné. Ses autres soucis s’étaient envolés avec la marijuana. Ce soir, la vie valait la peine d’être vécue.

« Darling » Jill, par contre, appuyée au billard, était de méchante humeur. Malko était parti beaucoup trop tôt à son goût.

— Tu as fait vite pour lui offrir des trucs à ta vache à lait, attaqua-t-elle.

Elle haïssait toutes les femmes ayant plus de poitrine qu’elle.

De bonne foi, Gene Shirak la regarda :

— Un bijou ? Je ne lui ai rien donné du tout…

— Ne raconte pas d’histoires, coupa Jill. Je l’ai vu dans la piscine quand elle était près de moi. Le même que celui que tu m’avais offert. La pierre de lune. Seulement, le mien, il est resté avec ton Indien… Je l’avais mis dans sa poche et je n’ai pas pensé à la récupérer. Il faudra que tu m’en offres un autre…

Gene Shirak eut soudain l’impression qu’une condensation d’eau glacée lui entourait le corps. Désespérément, il chercha à rassembler des idées dans son cerveau embrumé. Lorsqu’il avait fait l’amour à Daphné, il était sûr qu’elle n’avait aucun bijou. Pourtant, Jill ne rêvait pas. Le bijou avait dû tomber au cours de la lutte dans la piscine.

Déjà « Darling » Jill, pensait à autre chose.

— Je m’en vais, annonça-t-elle. Tâche de voir beaucoup ta vache à lait parce que son petit camarade me plaît fichtrement.

Gene ne l’écoutait que d’une oreille. Il fila dans le jardin. Il n’y avait plus personne autour de la piscine, à part deux couples endormis dans des balancelles. Il entra dans l’eau transparente, et, immédiatement, aperçut le bijou, posé dans le fond.

Il se pencha et le ramassa, puis revint s’enfermer dans sa salle de bains. Son cœur battait à grands coups dans sa poitrine. Gene mit la pierre de lune sous la lumière du néon et l’examina. Au fur et à mesure que les secondes passaient, il avait l’impression que la vie se retirait de lui.

Car ce bijou existait à un seul exemplaire. Il l’avait fait faire spécialement pour « Darling » Jill. Celui qu’il tenait dans le creux de sa main était donc celui qui s’était trouvé sur le cadavre du Navajo. Assommé par ce que cela signifiait, Gene Shirak se laissa tomber sur une chaise.

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