8. FIN D'UNE CROISIÈRE ENCHANTERESSE

Complètement chaviré par les émanations du gaz injecté dans sa cabine, Félix abandonna le gracieux cadavre de Valérie Demeuil et retourna dans la salle de bains. Il plaça des linges mouillés au bas de la porte pour colmater l'interstice qui s'y trouvait et avait permis au produit nocif de l'atteindre.

D'esprit athée, il entretenait avec Dieu des relations espacées. Pourtant, dans le cas présent, il ne put s'empêcher de Lui adresser un bref remerciement. Si son membre extravagant avait pu se frayer le passage souhaité, il est certain que le brave universitaire serait mort sur l'excellente femme. Cette fin plaisante, dont le président Félix Faure reste le champion, ne le tentait pas car il souhaitait s'anéantir en pleine lucidité. Selon lui, « rater sa mort » c'était ne pas se rendre compte qu'elle survenait, or ce brave philosophe comptait bien, le dernier instant venu, la savourer comme un gin-fizz, avec une paille ou un embout de ballon d'oxygène.

Il demeura plusieurs heures allongé dans la baignoire, sur des peignoirs de tissu-éponge en guise de matelas. Il y dormit d'un méchant sommeil, fréquemment éveillé par des nausées consécutives à l'inhalation du produit mortel.

Les cauchemars qui peuplèrent ce temps d'inertie ne sont pas racontables et, d'ailleurs, tout le monde s'en fout. Rien ne me fait davantage chier qu'une personne évoquant ses songes.

Pendant l'heure du déjeuner, un garçon de cabine promenait son aspirateur en laisse dans la coursive quand une odeur âcre désobligea son olfactif. Troublé, il frappa à la porte. Nul ne répondant, il utilisa son passe.

Il devait se rappeler longtemps le spectacle : face à l'entrée, une femme cambrée dans un fauteuil d'acajou, le buste renversé, les jambes écartées à l'extrême, la craquette béante.

— Oh ! pardon, bredouilla le marin-valet de chambre, un Jaune de trente-deux ans qui en paraissait douze.

Il relourda précipitamment. Son cœur s'accéléra malgré l'impassibilité asiate. C'était son premier con français, d'un châtain harmonieux ; il en fut profondément troublé. Il demeura immobile un bout, ressassant le gracieux tableau. Ensuite, l'esprit de réflexion lui revint, lesté de questions. Pourquoi cette personne si ouverte n'avait-elle pas répondu à ses « toc-toc », ni réagi à son intrusion. D'où provenait l'insidieuse odeur ? Comment se faisait-il que le vieux bonhomme occupant la cabine soit absent ?

Il donna un sucre à son aspirateur, ponctué d'une petite tape amitieuse sur la carène en lui demandant de se tenir tranquille et s'en fut alerter le commissaire du bord.

* * *

La croisière s'achevait le lendemain à Toulon. Les autorités étaient parvenues à tenir l'aventure secrète. On avait drivé M. Félix à l'infirmerie où la jeune assistante du médecin fut stupéfiée par l'ampleur de son membre. En cachette, elle réalisa des photos à l'intention de ses amies.

L'on plaça la pauvre Valérie Demeuil à la morgue dans un modeste cercueil de bois blanc en attendant que sa famille choisisse une boîte plus compatible avec son niveau social.

L'aumônier, un vieux routard de l'Église, prononça une prière évasive. Il ne la fit pas de bon cœur car il avait appris les circonstances entourant ce trépas.

Une fois à terre, une commission rogatoire procéda à un brouillon d'enquête qui se révéla négative.

Et l'on transporta le doux Galochard à l'hôpital où son état fut jugé sérieux. Le normalien anomalien avait été incommodé par le gaz plus gravement qu'il ne le pensait.

Au cours de son transfert du bateau à l'établissement public, l'ambulance fut suivie par une fourgonnette jaune frappée du sigle des Postes.

Mais que ce détail reste entre nous !

Загрузка...