11. DES CONS VENUS : DÉCONVENUE

Ça se voyait comme comme l'Empire State Building qu'elle aurait volontiers remis le couvert avec ma pomme, la gentille de la réception. La troussée du jubilé la tentait, espère. En cet instant, sa figue ressentait ma belle tringlée levrette d'autrefois, quand je la tirais dans la loge désaffectée du vieux casino. Elle se serait même contentée d'un petit calumet express dans le boui-boui attenant, réservé à la comptabilité. Elle arrivait à un moment de son destin où on fait flèche de toute queue. Seulement, elle tombait mal, Rosemonde (elle m'avait révélé son blase) ; dans l'état mental où je me trouvais, même la sublime Ophélie Winter n'aurait pas réussi à m'extrapoler le pollen.

Le père Chatounet étant absent, j'ai visité sa chambre. Pas folichonne ! Un gros chapelet accroché au montant du lit ; sur la table de chevet un crucifix noir, un missel et quelques livres pieux, dont la vie de saint Jérôme Garcin qui combattit les Hordes de Cons dans les plaines du château d'If.

A l'intérieur de l'armoire, des fringues austères (voire pater noster), et encore des ouvrages à la lecture rébarbative.

Sur le bureau, la photo d'un vieillard en soutane, au milieu d'un groupe de négrillons hilares.

— C'est lui ? questionné-je.

— Oui. Vous ne trouvez pas qu'il a une tête de saint ?

— J'en ai connu des saints avec des gueules de forbans, assuré-je.

Je suis déçu ; plus flétri de l'âme que jamais. Mais cependant, la flicaillerie me réempare. Comment se fait-il que la clé de cette chambre soit venue jusque dans notre plate-bande d'iris ? Tu as une explication valable à me soumettre, Sylvestre ?

— J'aimerais parler à cet ecclésiastique, dis-je à la dame en train de jouer l'Éternel retour (d'âge).

— Il fait un remplacement au Sacré-Cœur de Montmartre, m'assure-t-elle, et ne regagne l'hôtel qu'en fin de journée.

J'opine (elle préférerait mieux), elle me croque de la prunelle et murmure :

— Vous êtes plus beau « qu'avant » !

— Merci.

— J'adore vos deux petites rides au coin des yeux.

— Je reviendrai vous voir lorsque j'en aurai quatre, promets-je. Il est à vous, l'hôtel ?

— Non, à ma tante. Elle est âgée et ne sort plus beaucoup de son appartement.

— Vous faites tourner l'établissement toute seule ?

— Avec deux femmes de chambre et un vieux valet qui se payait tantine lorsque ses rhumatismes ne l'avaient pas encore clouée dans un fauteuil.

— C'est quoi, le genre de la clientèle ?

— Des gens paisibles : représentants, vieux amants, femmes seules choisissant ce mode de vie avant d'aller dans quelque Hespéride.

Je l'écoute en branlant le chef. Je devrais calter maintenant, pourtant une force mystérieuse me retient dans la piaule du père Chatounet.

— Il y a longtemps que le religieux est arrivé chez vous ?

— Six jours.

On redescend après que l'exquise Rosemonde a coulé en direction du plumard ce regard suprême que la vache accorde au vétérinaire venant de l'inséminer. C'est alors que je perçois des aboiements facilement reconnaissables : ceux de Salami resté dans ma Jag, car ce palace pour curés est interdit aux clébards.

— Excusez-moi ! fais-je sobrement en fonçant à l'extérieur.

Mon cador est assis à la place passager, comme à son habitude, la truffe engagée dans l'ouverture de la vitre légèrement baissée.

— Que t'arrive-t-il, amigo ? lui demandé-je.

Mon quadrupote pousse un lamento si admirablement modulé qu'un ténor italoche en bédolerait de jalousie.

— Besoin de licebroquer ? ajouté-je en déponant.

Sans me donner la moindre explication, le brave clebs bondit sur le trottoir, puis se précipite dans l'hôtel.

Je l'imite. Entre au moment où ma convoitrice se met à lui vociférer contre.

— C'est mon chien ! l'interromps-je.

Salami se trouve déjà dans l'escadrin ; il a l'air d'une grosse chenille ascensionnaire. Il respire plus fort que mon tonton Hugues qui était asthmatique comme un accordéon percé. Faut le voir passer chacune des marches à l'aspirateur nasal, kif l'engin dont les gaziers de la voirie se servent pour enlever les feuilles mortes lesquelles, depuis lurette, ne se ramassent plus à la pelle.

Il grimpe lentement, atteint l'étage, cornifle puis fonce jusqu'à la chambre du père Chatounet et se retourne pour demander qu'on la lui ouvre. J'enjoins à mon amoureuse de le faire.

— Que cherche-t-il ? questionne-t-elle, impressionnée par le comportement houndien.

— Le sait-il lui-même ?

Le bon toutou se rue chez le missionnaire, se prend à tourner en rond au centre de la petite chambre avant de se diriger vers l'armoire dont il gratte frénétiquement la glace, produisant un vilain son crisseur.

Je l'ouvre.

Rapide coup de truffe, puis Salami se dresse sur ses misérables pattoches arrière et aboie de nouveau.

— Dites-lui de se taire ! supplie Rosemonde. Si ma tante l'entend, elle va crier au scandale car elle a horreur des chiens !

— Tu as entendu madame, fais-je à mon cador.

Il jette un regard flétrisseur sur l'ancienne pin-up du Fluctuat nec Vergetures et hausse les épaules, exercice qu'il est le seul de son espèce à pouvoir réaliser. N'après quoi, se remet en position verticale et, de son museau galochard, m'indique de grimper sur une chaise pour examiner le dessus de l'armoire.

Je souscris à cette requête. Trouve sur le chapiteau du meuble un sac de plastique provenant d'une grande surface voisine (non : il ne s'agit pas du cimetière). Le paquet est plutôt léger. Je me déperche pour l'aller ouvrir sur le lit.

Et voilà mon cœur qui vole en éclats ! Je me tétanise tel le poisson « traité » par une gymnote[6]. Tout chavire, le monde titube, la mère Rosemonde se met à sentir l'asperge pissée !

Ce que contient le sac, Ravaillac ?

Ni plus ni moins que le pyjama d'Antoinette ! Il est rose frêle, décoré d'une maman canard et de ses deux canetons. Une inscription en suédois est tracée au-dessous, que je ne saurais lire puisque je ne parle que des langues usuelles.

Un immense frisson glacé me parcourt de bas en haut. Seigneur tout-puissant (d'après ce qu'on dit), je Vous supplie d'épargner ma petite fille.

Je suis triste et désenchanté comme la vie d'un con.

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