CHAPITRE VI

Ils roulaient depuis le lever du jour à bord de ce G.M.C. bringuebalant qu’ils avaient payé deux mille dollars au Guatemala. Il avait fallu l’embarquer sur un cargo, payer son passage et le leur, discuter durant deux jours à Maracaïbo avec les douaniers et la police pour recevoir l’autorisation de débarquer.

— Que ? La Marginal ? Oui, on en a entendu parler, quelque part dans le Sud, dans la cordillère de Merida. Mais il n’y a pas encore de travaux. Juste des relevés topographiques… Le piquetage, quoi.

— Mais non, avait dit un autre policier. Il faut demander au service des communications routières. On construit des ponts et même un remblai de cinquante kilomètres du côté de San Cristobal.

Un policier soupçonneux fouillait dans les réservoirs avec une longue tige :

— Vous venez du Guatemala ? Vous auriez mieux fait d’y rester. Ici… Oh ! il y a du fret, mais c’est la grosse bagarre ! Les transporteurs italiens et allemands font la vie dure aux autres.

— Je suis allemand, avait dit Marcus Clark.

— Et moi, polonais, ajouta Kovask. Nous sommes deux, et pas prêts à nous laisser faire.

Ce qui avait fait hausser les épaules du policier :

— Ce que j’en dis… Ici, la tonne-kilomètre est de sept cents. Si vous croyez faire fortune avec ça… Mieux vaut avoir des mulets, car alors le prix monte à quatre-vingt-dix cents.

— Mais si la route marginale se construit… Ils ont besoin de camionneurs.

— Allez voir et tâchez de vous faire embaucher. Mais attention, señores, si vous ne voulez pas de difficultés avec nous autres, les policiers, refusez certain fret qu’on vous paiera aussi cher que s’il était transporté à dos de mulet.

— Merci de l’avertissement, riposta Kovask. De quoi s’agit-il ?

— Vous l’apprendrez bien sans moi.

Enfin, on les avait autorisés à poursuivre vers le sud. Ils avaient fait le plein d’essence, emporté des jerricans de secours, quelques provisions. La route transversale était bonne, encore qu’étroite. Il y avait énormément de trafic. Des camions de toutes les marques, mais le plus souvent dans un état épouvantable. Seuls quelques Fiat, quelques Dodge et des Nissan japonais appartenant à de grandes sociétés étaient de construction récente.

— On fonce dans le brouillard, répétait Marcus Clark cramponné à son volant, mais j’aime ça. Si jamais on ne réussit pas, le commodore saute. Tu penses que la C.I.A. voudra sa peau ! Dissimulation d’informations concernant l’Amérique du Sud, leur terrain de chasse. Tu verras qu’ils vont nous tomber sur le dos d’ici peu.

— Surveille ton thermomètre, pour l’instant, dit Kovask, s’escrimant sur un gros cigare noir qui tirait mal. Le reste viendra bien assez vite.

— Le fret à 90 cents ?

— Ça et le reste. Nous allons dans la zone la plus dangereuse du coin. Il se produira bien quelque chose.

— On passe la nuit à se taire masser les fesses ou on arrête ?

— Trouve une fonda pas trop moche.

Deux étages, une dizaine de fenêtres et le mot « Shell » éclaboussant de néon rouge quelques maisons tassées. Clark se rangea derrière une grosse citerne. Lorsqu’ils sautèrent à terre, leurs jambes tremblaient et ils chaloupèrent pour arriver jusqu’au bar encombré. Ils commandèrent deux bières dans le brouhaha indifférent. Tout le monde se connaissait et ils se trouvèrent mêlés à une conversation sans l’avoir voulu.

Un Danois énorme s’approcha de Kovask en mordant dans un sandwich, une bouteille de bière dans l’autre main.

— Colombie ?

— Mon copain et moi, on débarque du Guatemala. On va essayer la Marginale.

L’autre but un coup de bière :

— Le G.M.C. garé derrière moi ?

— La citerne ? Oui.

— Tiendrez pas le coup. Remplissent les camions avec une saloperie de bull. Les types sont ronds constamment et la lame défonce tout. Un vrai cirque… Parfois, le conducteur a reçu un ordre des F.A.L.N., alors il démolit quelques camions. Et puis, il faut parcourir quinze bornes pour livrer. La prime au rendement ! Les vacheries ! Je préfère traverser la Colombie malgré les bandes armées… Vingt mille litres d’essence.

— La citerne est à toi ?

— Nous sommes quatre. Deux par voyage. Si tout va bien, en un an on a payé nos dettes. Sinon…

Kovask buvait sa bière à petits coups, jaugeant son gaillard.

— Pas de combines, dans le coin ? Les flics nous ont prévenus à Maracaïbo.

— Ecoute, boy. Tu risques ta peau déjà, dans ton tacot. Si tu cherches encore les emm…

— J’en ai eu, au Guatemala. Ça bouge là-bas aussi. On a été plus ou moins obligés de filer. Les Ricains supportent rien.

Le Danois s’écarta de lui pour le jauger, engouffra une partie du sandwich.

— Ici, c’est du même. Pire encore, peut-être, car le pétrole les énerve. Méfie-toi de tout le monde, mon vieux.

Clark réussit à le rejoindre avec deux sandwiches à la main.

— Ça va se tasser, paraît-il. On peut avoir un lit…

— Un lit ?

— En dortoir. Les gars attendent le jour pour se risquer dans la Cordillère, et puis la frontière. Paraît que c’est dur, à la Marginale.

— Je sais, répondit Kovask en examinant son sandwich.

Précautionneux, il retira quelques-uns des piments posés sur la charcuterie, flaira cette dernière. Pas d’odeur suspecte. Il mangea avec appétit. Il se sentait fatigué.

Une semaine qu’ils avaient quitté Washington. Lorsqu’ils avaient compris qu’ils ne retrouveraient pas les photographies, Carmina n’avait rien ajouté et il avait fallu le rendre aux siens. Gary Rice s’était obstiné, mais ils savaient que, à la moindre fuite, la C.I.A. ne le manquerait pas. Ils s’étaient démenés au Mexique, puis au Guatemala avec leur nouvelle personnalité. Ils avaient préféré ne pas changer de nom. Trop compliqué pour la suite.

— Il y a soixante camions qui tournent à une heure d’ici. La route grimpe en pleine montagne. On comble les creux, on rabote les bosses. Des fondus ne dorment que quelques heures pour gagner les primes. Il y a de la bagarre. Plus de dix camions ont sauté dans le vide depuis un mois, et pas seulement par accident.

— Les guérilleros ?

— Oui. Paraît qu’on sera contactés au début. Propagande, mais pas de promesse d’argent. Ils cherchent des gars travaillant pour la peau. On peut pas accepter sans être suspects. Nous sommes venus ici pour gagner de l’argent, non ?

Kovask regardait autour de lui, essuyant la sueur qui ruisselait de son front. Sa chemise collait à sa peau. Marcus Clark n’était pas en meilleur état.

— On ne va pas roupiller ici, un dortoir…

— Si, insista Marcus. Il se vide de bonne heure. Et puis, là-haut, ça discute. On peut avoir des tuyaux. Ah ! autre chose : paraît qu’il y a pas mal d’agents de la C.I.A. par ici.

— Je sais, répondit le Commander. On risque d’être reconnus. J’en connais bien deux ou trois dizaines.

— Moi aussi. Mais ceux qui travaillent ici sont en place depuis des années. Nous avons toutes nos chances.

Un juke-box éclata soudain à plein tube.

— Salut, les gars ! dit en espagnol un petit homme brun. Vrai, que vous allez à la Marginale ?

— Les nouvelles vont vite, remarqua Kovask.

— J’y vais aussi. Martinez. J’ai un Berliet. Paraît que c’est très dur pour le matériel. Je veux bien essayer de tourner un jour ou deux, mais si ça ne va pas, je file. Remarquez, j’en ai vu d’autres. L’Orénoque. Le camion sur un radeau, et vogue la galère, avec deux Johnson de dix-huit chevaux. De la folie, quoi ! Du minerai de fer plein la benne. On a coulé deux fois et, chaque fois, j’ai sauvé le camion. Puis, j’en ai eu marre. La Bethlehem Steel organisait son propre transport et ne nous donnait plus que cinq cents la tonne-kilomètre.

Martinez les entraîna vers la partie la plus calme de la salle, découvrit une table et des chaises.

— Venez de loin ?

— Guatemala. Avant, le Mexique.

— Et il n’y a pas de boulot ?

— Si, mais les Américains sont pointilleux.

— Il y en a à la Marginale. Des ingénieurs. Et des autres aussi, mais enfin, on les emm… Tandis qu’au Guatemala…

Lui aussi avait retenu un lit. Ils montèrent vers neuf heures, échappant au tumulte. Le premier se divisait en plusieurs dortoirs et ils purent trouver facilement leur numéro. Des gars ronflaient déjà tandis que la plupart jouaient aux cartes. Kovask ôta sa chemise, son pantalon, alla se mettre sous le robinet du seul lavabo visible. Il revint vers son lit et s’y étendit. Découvrir une piste secrète dans ces conditions représentait des difficultés énormes, des journées de patience avec un travail exténuant et dangereux. S’ils en réchappaient, Marcus et lui…

Lorsqu’il se réveilla, le jour pointait et la plupart des lits étaient vides. Il alla secouer Marcus Clark qui adopta tout de suite une attitude de défense.

— Doucement, vieux…

— Je rêvais qu’on était coincés par une vingtaine de gars armés de barres à mines.

Martinez les rejoignit alors qu’ils avalaient un café brûlant et des beignets.

— On roule ensemble ?

— Bien sûr, dit Kovask.

— Tu ne le trouves pas collant ? demanda Marcus alors que Martinez se dirigeait vers les lavabos.

— On verra bien.

Le Vénézuélien revint, la mine réjouie.

— Au fait, j’ai un tuyau. Celui qui embauche, c’est un copain à un copain. Un Ricain nommé Roy. Un dur, mais si on est recommandé… Dans une heure, on sera devant lui.

— La prime, c’est calculé comment ?

— Plus de vingt voyages en moins de vingt-quatre heures. Il y a des chauffeurs qui en font jusqu’à trente. La deuxième prime. Ça va chercher jusqu’à quarante dollars par jour. Mais on y laisse aussi le matériel. Les mécanos sont débordés et faut leur filer de drôles de pourboires pour qu’ils travaillent sur votre matériel. Faut pas s’amener là-bas avec des camions peu usuels. C’est vrai que, au Mexique, il y a des cimetières de G.M.C. ? Ça vaudrait le coup d’aller acheter les pièces pour les revendre ici. Dix fois plus cher. Les gars sont fous pour ne pas perdre une seconde. Marcus Clark le regarda dans les yeux :

— Pour un gars qui débarque, tu es rudement bien renseigné, hey ? On dirait que tu y as été, amigo.

— Au Mexique ?

— Non, à la Marginale.

— Je me suis documenté. J’ai emporté quelques pièces de rechange, fait équiper un filtre à air spécial. Avec la poussière…

Ils attendirent qu’il démarre pour en faire autant. Clark, la cigarette au coin des lèvres, avait l’expression morose. Kovask écoutait les bruits du G.M.C.

— Le Martinez, faudra l’avoir à l’œil. Il nous tombe dessus un peu trop par hasard, dit le lieutenant de vaisseau.

— On va le serrer de près. Une fois dans le cirque, ce sera assez facile. Il ne pourra pas quitter le boulot sans qu’on le repère.

Bientôt, la route devint effroyable, poussiéreuse et ravinée par les orages.

— C’est ça, la Marginale ? Ils feraient mieux de la goudronner avant qu’elle ne disparaisse totalement, grommela Marcus Clark. Ça promet pour le reste !

Devant eux le Berliet de Martinez roulait, invisible, au centre d’un nuage. Il y eut un embranchement, la route de droite piquant directement vers la Colombie, la ville-frontière de Cucuta. Celle de droite n’était plus qu’une vague piste.

Ils ne prêtèrent guère attention au premier camion dans le fossé, mais, au quatrième, ils comprirent.

— Ça paye, commenta Marcus Clark. Notre ferraille n’ira pas loin. Et, sans moyen de transport, dans le coin…

Kovask ralentit. Devant, le nuage retombait, se dégonflait comme une baudruche. Martinez venait de s’arrêter pour discuter avec le chauffeur d’un camion venant d’en face.

— Je vais aux nouvelles, dit Marcus. Il revint rapidement.

— Il y a de l’embauche. Le gars fout le camp comme une dizaine d’autres depuis le début de la semaine.

Kovask embraya lentement. Le torse en dehors de la portière, le chauffeur de l’autre camion leur cria quelque chose sur un ton très véhément.

— Il n’a pas l’air content, remarqua Marcus Clark. Les guérilleros ont attaqué des isolés et ont flanqué le feu aux camions.

— Il faut croire que le tracé de la Marginale les empoisonne fort, dans ce secteur. Les autorités ne se sont pas étonnées de leur acharnement ?

Une demi-heure plus tard, ils arrivaient en vue du chantier. Ils découvrirent un impressionnant matériel, d’énormes engins dont beaucoup semblaient immobilisés. Quelques mécanos se donnaient l’air de s’affairer. Plus loin la chaîne des camions s’enfonçait dans la montagne, en ressortait par une sorte de gorge, les bennes chargées d’une terre rougeâtre.

Martinez continuait, passait auprès d’un tas impressionnant de pneus de grosse taille, disparaissait derrière les pyramides de bidons pleins de carburant. Ils rencontrèrent plusieurs soldats armés qui surveillaient ces dépôts.

— L’ami Martinez connaît bien le chemin, remarqua Kovask. Tiens, il s’est arrêté devant ce baraquement.

Il les attendait, souriant.

— C’est ici qu’on se fait inscrire. Le gars rencontré en route m’a renseigné. Au fait, vous avez cent dollars devant vous ?

— Cent dollars ?

— La caution pour pouvoir bénéficier d’une assistance mécanique rapide et pour payer les huit jours d’assurance. On renouvelle chaque semaine lorsqu’on passe à la paye.

— Entrons, on verra bien.

Ils furent étonnés de voir des filles dans le baraquement. Une demi-douzaine dont plusieurs étaient jolies. Il y avait aussi plusieurs types dont un, gigantesque, le crâne rasé et la gueule arrogante.

— Roy, les avertit discrètement Martinez.

Ils s’en seraient doutés. L’homme avança vers le comptoir qui partageait la pièce, suivi par deux autres d’origine latine.

— Alors, les gars, on vient s’embaucher ?

— Je suis un ami de Satander, de Caracas. C’est lui qui m’a conseillé de venir ici.

— Satander ? Le patron de la société de bus ? Eh bien ! les gars, on va certainement s’entendre. D’ailleurs, c’est facile. Quel camion ?

— Berliet, dit Martinez.

— Ça colle. Et vous ?

— G.M.C., mais pour tous les deux. Roy hocha la tête :

— Dommage pour nous et pour vous. La paye sera à partager, et ici, mieux vaut travailler pour soi. Tâchez de vous tenir peinards et de ne pas vous bagarrer lorsqu’on vous remettra l’enveloppe.

— On est ensemble depuis dix ans, dit Kovask.

Un des Latins prenait la parole.

— Vous devez avancer cent dollars. Quatre-vingts pour la caution en cas de pépin mécanique. On vous dépanne où que vous soyez. Dix dollars d’assurance pour trois jours, dix dollars, c’est-à-dire cinq dollars chacun, d’avance pour la cantine.

— Vingt dollars d’assurance pour une semaine ? Non, mais ça fait mille dollars par an. Pour une ferraille.

— C’est obligatoire, répondit l’autre, imperturbable. Si vous ne voulez pas, à votre guise. On n’oblige personne à travailler, ici.

Les deux Américains firent semblant de se consulter du regard, puis Marcus Clark haussa les épaules.

— Qu’est-ce qu’on risque, pour une semaine ?

Il sortit cinquante dollars de son portefeuille et Kovask en fit autant. Il y eut des difficultés à propos de l’immatriculation au Guatemala.

— Vous n’êtes pas en règle. Il vous faut un permis de travail d’un mois, qui sera ensuite renouvelé pour trois mois.

— On ira le chercher à Maracaïbo. Nous n’avons pas eu la patience ni l’argent nécessaire pour attendre. Quand nous aurons fait huit jours, on se mettra en règle.

Le Vénézuélien se butait, visiblement, mais Roy intervint.

— Laisse tomber, Eusebio. Il me faut des camions. J’enverrai un message à Maracaïbo et le permis arrivera, ainsi que l’immatriculation nationale pour le tacot. Vous connaissez le tarif, les gars ? Sept cents la tonne-kilomètre. Autant que vous sachiez chacun ce que ça va vous rapporter. Toi, Martinez, environ huit dollars le voyage. Vous devez faire quinze voyages au minimum par jour, sinon on fait sauter un cinquième. Après vingt voyages, vous avez droit à une prime d’un cinquième ; après trente, deux cinquièmes. Je doute que vous alliez plus loin.

Seul, Martinez rit avec complaisance. Roy examina les visages fermés des deux nouveaux.

— Noms, nationalité, passeport ?

— Combien on va toucher, pour notre G.M.C. ?

— Un peu plus de six dollars le voyage. Vous serez avantagés par la vitesse puisque le poids n’y sera pas. Vos vingt voyages, à deux, ce sera presque du gâteau.

— D’accord, on marche.

Ils tendirent leurs cinquante dollars chacun et leur passeport.

— Polonais ? Allemand ? Drôle d’entente.

— On s’est connus après la guerre, dit Kovask. Inutile de revenir là-dessus. Nous, on n’y pense jamais.

— Vous trouverez facilement de la place dans les baraquements. Je vous conseille le E, il y a des étrangers comme vous. Les autres sont pleins de Vénézuéliens, Colombiens et Antillais.

— Je peux aller avec mes copains ? demanda Martinez. Puisqu’on est arrivés ensemble.

— Comme tu veux. Passe me voir ce soir pour boire un verre à la cantina. Au fait, vous commencez dès demain. Quand vous voudrez, mais le plus tôt est le mieux. Avec la chaleur, c’est plus dur. Seuls les Noirs tiennent le coup, et encore… Autour du chantier, c’était la ronde des camions, un cercle de bruits de moteurs. Plus au sud, le fracas des bulldozers et des autres gros engins.

— Ça ne vous dérange pas, que je vous suive ? demanda Martinez.

Ils grognèrent un « non » peu convaincu, mais, dans le fond, ils en étaient satisfaits. Dans le bâtiment E, ils trouvèrent un gars couché avec un bras cassé, un Anglais nommé Rowood, qui leur désigna la rangée de lits en face :

— Tout ça est libre. Les gars ont filé. Sans leur camion. Moi, je m’en suis tiré avec un bras cassé et trois cents dollars de réparation. Ça va encore.

Ils l’entourèrent et Kovask lui offrit une cigarette.

— Les guérilleros ont tiré dans mes pneus. J’ai perdu le contrôle de ma direction et je suis tombé dans un trou.

— Et tu restes ? demanda Martinez.

— Que veux-tu que je foute ? Ici ou ailleurs… Je me fais près de trois cents dollars par jour avec mon gros Mack américain. Il y a deux mois que je suis ici et j’ai un petit paquet à la banque de San Cristobal. L’assurance marche pour les dégâts. Seule l’immobilisation me coûte, mais je suis fataliste…

Martinez racla sa gorge :

— Mais on peut se faire descendre ou tuer ?

— Une chance sur dix. C’est le pourcentage. Ou bien casser son camion et toucher une somme si dérisoire de l’assurance que mieux vaut foutre le camp. Certains sont revenus avec d’autres tacots, les ont cassés et sont repartis. Je suis sûr qu’ils reviendront. On gagne du pognon, tu comprends, et ça…

Il se mit à rire.

— Dans un mois, le chantier se transportera à plus de trente miles. Ce sera encore pire. En pleine jungle, les moustiques, les maladies. Peut-être qu’on obtiendra une augmentation. De toute façon, j’espère en être. On m’enlève le plâtre dans huit jours. Je vais me rééduquer soigneusement et je serai paré ensuite.

Les trois hommes s’installèrent en face de lui. A la tête de chaque lit, il y avait une armoire. A côté du dortoir, plusieurs cabines de douches et des lavabos avaient été prévus. L’eau qui les alimentait était brûlante.

Lorsque Marcus et lui furent prêts, ils partirent en direction de la cantina pour juger de l’atmosphère.

— Je ne vois pas comment on découvrira la piste secrète « Fidel Castro », murmura Marcus Clark, à partir d’ici. Les guérilleros ouvrent le feu sur les camionneurs, ils ne les embauchent pas.

— Patience, nous venons simplement d’arriver. Il se présentera bien une occasion un jour ou l’autre.

— Roy, tu ne crois pas qu’il ait des copains à Langley ? Avec un poste pareil, il peut surveiller son monde.

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