Chapitre XI LE TOMBEAU D'UNE REINE

» Les espérances de Mr. Trelawny étaient au moins aussi grandes que les miennes. Nous réunîmes une bande d'Arabes que nous avions l'un ou l'autre connus à l'occasion de voyages antérieurs dans le désert, et en qui nous pouvions avoir confiance; c'est-à-dire, de qui nous nous défiions un peu moins que des autres. Nous étions assez nombreux pour nous défendre contre les bandes de maraudeurs que nous pourrions rencontrer, et nous prîmes avec nous un matériel important. Nous avions obtenu le consentement et la coopération passive des fonctionnaires restés en termes amicaux avec l'Angleterre; j'ai à peine besoin de dire que la richesse de Mr. Trelawny a joué un rôle non négligeable pour nous aider à obtenir ce consentement. Nous avons trouvé notre chemin à travers les dhahabiyehs jusqu'à Assouan; de là, après avoir obtenu du Cheik qu'il mette à notre disposition quelques Arabes et avoir donné nos backnichs habituels, nous partîmes dans notre voyage à travers le désert.


» Après beaucoup de recherches, après avoir essayé tous les lacets dans cet interminable enchevêtrement de collines, nous parvînmes finalement, à la tombée de la nuit, sur la vallée même décrite par Van Huyn. Une vallée aux parois hautes et abruptes; se rétrécissant au centre, s'élargissant aux deux extrémités, ouest et est. À la lumière du jour, en nous trouvant devant la falaise, nous pouvions facilement repérer l'ouverture, à une grande hauteur dans le roc, et les hiéroglyphes qui à l'origine avaient eu évidemment pour but de la dissimuler.


» Mais les signes qui avaient égaré Van Huyn et les gens de son époque – et d'époque plus récente – n'avaient plus de secrets pour nous. L'armée de savants qui avaient consacré leur intelligence et leur vie à ce travail, avaient arraché à la langue égyptienne ses derniers secrets. Nous, qui les connaissions, nous pouvions lire sur la paroi rocheuse gravée ce que les prêtres thébains y avaient inscrit près de cinquante siècles auparavant. L'inscription était ainsi conçue: «Ici, les Dieux ne répondent à aucune invocation. Celui qui est «Sans Nom» les a insultés, il est seul à jamais. N'approche pas, de peur que leur vengeance ne te foudroie.»


» L'avertissement devait être terriblement puissant à l'époque où il fut écrit et par la suite, pendant des millénaires; même lorsque la langue dans laquelle il était donné était devenue un complet mystère pour les habitants du pays. La tradition d'une telle terreur dure plus longtemps que la cause qui se trouve à l'origine. Même dans les symboles utilisés s'ajoutait une signification d'allitération. «À jamais» est mis dans les hiéroglyphes pour «des millions d'années». Ce symbole était répété neuf fois, par trois groupes de trois, et après chaque groupe se trouvait un symbole: le Monde d'En-haut, le Monde d'En-dessous, et le Ciel. Si bien que pour Celui qui est Seul, il ne pouvait y avoir, du fait de la vengeance de tous les Dieux, de résurrection ni dans le Monde du Soleil, ni dans le Monde de la Mort, ou pour l'âme dans la région des Dieux.


» Ni Mr. Trelawny, ni moi-même nous n'avons osé dire à aucun de nos gens ce que signifiait cette inscription. Ils ne croyaient pas à la religion qui se trouvait à la base de cette malédiction, ni aux Dieux qui menaçaient de se venger; cependant, ils étaient si superstitieux que, s'ils avaient su, ils auraient probablement abandonné leur tâche et pris la fuite.


» Cependant, leur ignorance, et notre discrétion nous ont protégés. Nous avons établi notre camp à proximité, mais derrière un rocher en saillie, un peu plus loin dans la vallée, ce qui leur évitait d'avoir sans cesse cette inscription devant eux. Car même l'appellation traditionnelle de l'endroit, La Vallée de la Sorcière, était pour eux une cause de terreur; et pour nous aussi, par leur intermédiaire. Avec le bois que nous avions apporté, nous avons confectionné une échelle pour monter sur la face du rocher. Nous avons suspendu une poulie à une poutre disposée de manière à faire saillie au sommet de la falaise. Nous avons trouvé la grande dalle, qui constituait la porte, mise grossièrement en place et maintenue par quelques pierres. Son poids suffisait à la maintenir. Pour entrer, nous avons dû la repousser vers l'intérieur, et nous sommes passés dessus. Nous avons trouvé la chaîne fixée au rocher telle qu'elle est décrite par Van Huyn.


» Mr. Trelawny et moi-même, nous sommes entrés seuls dans le tombeau. Nous avions pris avec nous énormément de torches; nous les fixions à mesure que nous avancions. D'après le raffinement des sculptures et des peintures, la perfection du travail, il était évident que le tombeau avait été préparé du vivant de celle qui devait y reposer. Le tracé des hiéroglyphes était délicat, les coloris superbes; et dans cette caverne élevée, très éloignée de l'humidité apportée par le Nil, tout était aussi frais que si les artistes venaient à peine de déposer leur palette. Il y avait une chose que nous ne pouvions éviter de voir. Bien que la taille du rocher extérieur ait été l'œuvre des prêtres, le polissage de la face de la falaise faisait probablement partie du dessein original du constructeur du tombeau. Le symbolisme de la peinture et de la gravure de l'intérieur inspirait la même idée. La caverne extérieure, en partie naturelle, en partie creusée, n'avait au point de vue architectural que le sens d'une antichambre. À son extrémité, de manière à être tourné vers l'est, se trouvait un portique à colonnes, taillé dans le roc. Les colonnes étaient massives et à sept faces, chose que je n'avais encore rencontrée dans aucun tombeau. Sculptés sur l'architrave on voyait le Bateau de la Lune, à bord duquel se trouvait Hathor, à la tête de vache, et portant le disque et les plumes, et Hapi, le Dieu du Nord, à tête de chien. Le bateau était dirigé par Harpocrate vers le nord, représenté par l'Étoile Polaire entourée par le Dragon et la Grande Ourse. Dans celle-ci, les étoiles formant ce que nous appelons le «Chariot» étaient représentées plus grandes que n'importe laquelle des autres étoiles; et elles étaient remplies d'or si bien qu'à la lueur sautillante des torches, elles brillaient d'un éclat particulier. Après avoir franchi le portique nous avons trouvé deux caractéristiques architecturales d'un tombeau creusé dans le roc, la Chambre, ou Chapelle, et la Fosse, telle que Van Huyn l'avait vue – bien que, de son temps, les noms donnés à ces parties du tombeau par les anciens Égyptiens aient été inconnus.


» La Stèle, ou plaque commémorative, qui était placée au pied du mur de l'ouest, était si remarquable que nous l'avons examinée minutieusement, avant même de poursuivre notre chemin pour trouver la momie qui était le but de notre recherche. Cette Stèle était constituée par une grande dalle de lapis-lazuli entièrement gravée d'hiéroglyphes de petites dimensions et d'une grande beauté. Le creux de la gravure était rempli par une sorte de ciment d'une extrême finesse et d'une couleur vermillon. L'inscription commençait ainsi: «Tera, Reine des Égyptes, fille d'Antef, Monarque du Nord et du Sud, Fille du Soleil, Reine des Diadèmes.»


» Suivait l'histoire détaillée de sa vie et de son règne.


» Les signes de souveraineté étaient donnés avec une profusion d'ornements vraiment féminine. Les Couronnes unies de la Haute et de la Basse Égypte étaient, en particulier, gravées avec une précision délicate. C'était nouveau pour nous de trouver le Hejet et le Desher – les couronnes Blanche et Rouge de la Haute et de la Basse Égypte – sur la Stèle d'une reine; car la règle voulait que dans l'ancienne Égypte, ces deux couronnes soient portées seulement par un roi, et on n'y connaît pas d'exception; cependant on les trouve sur des déesses. Plus tard nous avons trouvé une explication, sur laquelle je m'étendrai par la suite.


» Les murs de la chambre supérieure de la Fosse et la Chambre du sarcophage étaient abondamment gravés; toutes les inscriptions, à l'exception de celle de la Stèle, étaient colorées d'un pigment bleu verdâtre. Quand on les voyait de côté, l'œil ne percevait que les facettes vertes, et cela faisait l'effet d'une vieille turquoise de l'Inde décolorée.


» Nous descendîmes dans la Fosse à l'aide de l'attirail que nous avions emporté. Trelawny passa le premier. C'était une fosse profonde, de plus de soixante-dix pieds; mais elle n'avait jamais été comblée. Le couloir ménagé au fond montait en pente jusqu'à la Chambre du sarcophage et était plus long que ceux qu'on trouve habituellement. Il n'avait pas été muré.


» À l'intérieur, nous avons trouvé un grand sarcophage de pierre jaune. Mais je n'ai pas besoin de le décrire: vous l'avez vu dans la chambre de Mr. Trelawny. Son couvercle était posé sur le sol; il n'avait pas été cimenté et était exactement tel que Van Huyn l'avait décrit. Inutile de le dire, nous étions très énervés quand nous avons regardé à l'intérieur. Il y avait, cependant, un motif de déception. Je ne pouvais m'empêcher de sentir combien était différent le spectacle rencontré par les yeux du voyageur hollandais, quand il avait regardé à l'intérieur et trouvé cette main blanche ayant toute l'apparence de la vie, et posée sur les bandelettes de la momie.


• Mais nous avons eu un sujet de saisissement que n'avait pas eu Van Huyn! Une partie du bras se trouvait là, blanche, couleur d'ivoire; mais l'extrémité du poignet était couverte de sang séché! C'était comme si le corps avait saigné après la mort! L'extrémité déchiquetée du poignet rompu était rugueuse du fait que du sang caillé s'y était déposé; l'os apparaissait, tout blanc, comme une opale dans sa gangue. Le sang avait coulé et fait des taches couleur de rouille sur les bandelettes. Nous avions sous les yeux une confirmation totale du récit. Devant un tel témoignage de la véracité du narrateur, nous ne pouvions plus douter de ce qu'il avait dit par ailleurs, comme du sang sur la main de la momie, ou des marques des sept doigts sur le cou du Cheik étranglé.


» Je ne vais pas vous importuner avec les détails de tout ce que nous avons vu, ou en vous racontant comment nous avons appris tout ce que nous savons. Ces connaissances appartiennent pour une part au savoir commun à tous les savants. Pour le reste, nous l'avons déchiffré sur la Stèle du tombeau, ou sur les sculptures et les peintures hiéroglyphiques des murs.


» La Reine Tera était le onzième souverain de la dynastie Thébaine qui a régné du vingt-neuvième au vingt-cinquième siècles, avant Jésus-Christ. Elle était la fille unique d'Antel, à qui elle succéda. Elle a dû être une femme d'un caractère extraordinaire et d'une étonnante habileté, car elle n'était qu'une toute jeune fille à la mort de son père. Sa jeunesse et son sexe encouragèrent l'ambition des prêtres, qui jouissaient d'une immense puissance. Du fait de leur richesse, de leur nombre, de leur instruction, ils dominaient toute l'Égypte, et plus spécialement la Haute Égypte Ils étaient alors prêts à faire un effort pour réaliser leur audacieux dessein depuis longtemps mûri transférer le gouvernement d'une royauté à une hiérarchie. Mais le Roi Antef avait soupçonné la possibilité d'une telle manœuvre et avait pris la précaution d'assurer à sa fille la fidélité de l'armée. Il lui avait également appris l'art de gouverner et l'avait même fait étudier dans les textes traditionnels des prêtres eux-mêmes. Il s'était appuyé sur les représentants d'un culte pour combattre l'autre; chacun espérait réaliser grâce à l'influence du Roi, un profit immédiat aux dépens de l'autre ou un profit ultérieur grâce à son influence sur sa fille. La Princesse avait ainsi été élevée au milieu des scribes, et elle était elle-même une artiste non négligeable. Un grand nombre de ces détails étaient relatés sur les murs au moyen de peintures ou d'hiéroglyphes d'une grande beauté; et nous arrivâmes à cette conclusion qu'en nombre appréciable, ces peintures et ces inscriptions avaient été faites par la Princesse elle-même. Ce n'était pas sans raison qu'elle était désignée sur la Stèle comme «Protectrice des Arts.»


» Mais le roi avait été beaucoup plus loin, et avait enseigné à sa fille la magie, ce qui lui donnait pouvoir sur le Sommeil et la Volonté. Il s'agissait de vraie magie – de magie «noire» – et non de la magie des temples qui, je peux vous l'expliquer, était une magie inoffensive ou blanche», et avait pour but d'impressionner plutôt que d'agir. Elle avait été une excellente élève, et elle avait surpassé ses professeurs. Son pouvoir et les ressources dont elle disposait lui avaient donné de grandes possibilités, qu'elle avait pleinement exploitées. Elle avait, par d'étranges moyens, arraché à la Nature ses secrets; et elle avait même été jusqu'à se placer elle-même dans le tombeau, après avoir été entourée de bandelettes, mise dans un cercueil où elle était restée pendant un mois entier comme une morte. Les prêtres avaient essayé de faire croire que la vraie Princesse Tera avait péri au cours de l'expérience, et qu'une autre jeune fille lui avait été substituée; mais elle avait prouvé leur erreur d'une manière incontestable. Tout cela était relaté dans des peintures et des textes écrits, d'une grande qualité. C'est probablement à son époque qu'a été donnée la première impulsion au rétablissement de la grandeur artistique de la Quatrième Dynastie qui a atteint la perfection à l'époque de Chafu.


» Dans la Chambre du sarcophage se trouvaient des fresques et des inscriptions tendant à prouver qu'elle avait vaincu le Sommeil. En un endroit elle était représentée en vêtements masculins, ceinte des Couronnes Blanche et Rouge. Sur la peinture suivante, elle était en habits féminins, mais toujours ceinte des deux couronnes, celle de la Haute et celle de la Basse Égypte, tandis que gisaient à ses pieds les vêtements masculins qu'elle avait dépouillés.


» La plus remarquable déclaration contenue dans ces annales, aussi bien sur la stèle que sur les inscriptions murales, était que la Reine Tera avait le pouvoir de plier les Dieux à sa volonté. Ce n'était pas, soit dit en passant, une croyance isolée dans l'histoire égyptienne, mais celle-ci avait une cause différente. Elle avait gravé sur un rubis, taillé en forme de scarabée, et brillant de sept étoiles à sept branches, les mots magiques pour contraindre à l'obéissance tous les Dieux, aussi bien ceux du Monde d'En-haut que du Monde d'En-bas.


» Dans cette déclaration, il était clairement dit que les prêtres avaient accumulé contre elle toutes leurs ressources de haine. Elle le savait. Après sa mort, ils essaieraient de faire disparaître son nom. C'était, je peux vous le dire, une terrible vengeance, si l'on en croit la mythologie égyptienne; car, sans un nom, personne ne peut, après sa mort, être présenté aux Dieux, on ne peut dire des prières pour lui. Elle se proposait donc d'obtenir sa résurrection après un temps très long et dans un pays situé plus au nord, sous la constellation dont les sept étoiles avaient présidé à sa naissance. Dans ce but, sa main devait être à l'air – «non enveloppée de bandelettes» – et elle devait tenir la Pierre des Sept Étoiles, de telle sorte que partout où il y avait de l'air, elle puisse se déplacer comme son Ka se déplaçait! Après y avoir réfléchi, Mr. Trelawny et moi-même, nous avons été d'accord pour le reconnaître. Cela signifiait que son corps pourrait devenir astral à son commandement et ainsi se déplacer, particule par particule, pour se reconstituer quand et où il le faudrait. Il y avait alors un texte dans lequel il était fait allusion à un coffre ou un cercueil où étaient contenus tous les Dieux, et la Volonté, et le Sommeil. Cette boîte était, disait-on, à sept faces. Nous ne fûmes donc pas très surpris de trouver, sous les pieds de la momie, un coffret à sept faces, que vous avez également vu dans la chambre de Mr. Trelawny. En dessous du tissu enveloppant le pied gauche était peint, dans le même vermillon que celui qui avait été utilisé pour la Stèle, le symbole hiéroglyphique pour une grande quantité d'eau, et sous le pied droit le symbole de la terre. Nous avons interprété ce symbolisme de la façon suivante son corps, immortel et transférable à sa volonté, régnait à la fois sur la terre et l'eau, sur l'air et le feu – ce dernier élément étant concrétisé par la lueur de la Pierre Précieuse et ensuite par le silex et le fer qui se trouvaient à l'extérieur des bandelettes de la momie.


» Au moment où nous sortions le cercueil du sarcophage, nous avons remarqué sur le côté les étranges protubérances que vous avez déjà vues; mais sur le moment, nous n'avons pas été en état d'expliquer leur présence. Il y avait quelques amulettes dans le sarcophage, mais aucune qui ait une valeur ou un sens particuliers. Nous nous sommes dit que s'il y en avait qui soient dans ce cas, elles se seraient trouvées à l'intérieur des bandelettes ou plus probablement dans le coffret étrange qui était sous les pieds de la momie. Mais toutefois, nous ne pouvions pas ouvrir ce dernier. Tout semblait indiquer qu'il comportait un couvercle; la partie supérieure et la partie inférieure étaient certainement chacun d'une seule pièce. La ligne mince, qui apparaissait près du haut, semblait indiquer le point de jonction du couvercle; mais il était ajusté avec tant de précision qu'on ne pouvait guère voir le joint. La partie supérieure ne pouvait certainement pas être enlevée. Nous avons admis qu'elle était, d'une façon ou d'une autre, fixée de l'intérieur.


» Nous avons séjourné dans les alentours de la Vallée de la Sorcière le temps de prendre une copie sommaire des dessins et des inscriptions qui se trouvaient sur les murs, le plafond et le sol. Nous avons pris avec nous la Stèle de lapis-lazuli, dont l'inscription gravée était colorée de pigment vermillon. Nous avons pris le sarcophage et la momie, le coffre de pierre avec les vases d'albâtre; les tables de jaspe sanguin, d'albâtre, d'onyx et de cornaline; l'oreiller d'ivoire reposant sur un arceau dont les pieds étaient entourés d'un uræus d'or ciselé. Nous avons pris tous les objets qui se trouvaient dans la Chapelle et dans la Fosse de la Momie, les bateaux de bois avec leur équipage, les amulettes symboliques.


» En nous éloignant, nous ôtâmes les échelles; nous les enfouîmes dans le sable à une certaine distance, en notant bien l'endroit pour pouvoir les retrouver le cas échéant. Puis, avec notre lourd bagage, nous partîmes dans notre pénible voyage pour regagner le Nil. Nous avions sorti la momie du sarcophage et par mesure de sécurité, nous l'avions mise pour la durée du voyage, dans une caisse séparée. Pendant la première nuit, il y eut deux tentatives pour voler les objets contenus dans notre chariot; et le matin, on trouva deux hommes morts.


» La deuxième nuit, il y eut une violente tempête, l'un de ces terribles simouns du désert qui vous laissent désemparé. Nous étions submergés par le sable que le vent avait apporté. Quelques-uns de nos Bédouins s'étaient enfuis avant la tempête, dans l'espoir de trouver un abri. Nous qui restions, nous avons subi l'épreuve, enroulés dans nos burnous, avec toute la patience dont nous étions capables. Au matin, une fois la tempête apaisée, nous avons récupéré sous des amoncellements de sable ce que nous avons pu de nos bagages. Nous avons trouvé, brisée en morceaux, la caisse dans laquelle se trouvait la momie, mais quant à celle-ci, impossible de la découvrir. Nous avons cherché partout, creusé le sable, qui s'était entassé autour de nous, mais en vain. Nous ne savions que faire, car Trelawny tenait absolument à rapporter cette momie. Nous avons attendu une journée entière, espérant que les Bédouins en fuite reviendraient; nous avions comme l'intuition aveugle qu'ils avaient sorti la momie du chariot d'une façon quelconque, et qu'ils la rendraient. Cette nuit-là, un peu avant l'aube, Mr. Trelawny me réveilla et me chuchota à l'oreille:


– Il faut que nous retournions au tombeau dans la Vallée de la Sorcière. Ne montrez aucune hésitation quand, dans la matinée, je donnerai les ordres. Si vous posez des questions sur l'endroit où nous nous rendons, cela fera naître des soupçons et ruinera notre projet.


» – Très bien, répondis-je. Mais pourquoi retourner là-bas?


» Sa réponse me fit frissonner comme si elle avait fait vibrer en moi une corde toute prête à réagir.


» – Nous trouverons la momie là-bas! J'en ai la certitude!


» Puis, s'attendant à ce que j'émette des doutes ou à ce que je discute, il ajouta:


» – Attendez, vous verrez! Et il s'enroula à nouveau dans sa couverture.


» Les Arabes furent surpris de nous voir revenir sur nos pas; certains d'entre eux en furent mécontents. Il y eut pas mal de frictions, et plusieurs désertions; si bien que c'est avec une escorte moins importante que nous sommes repartis vers l'est. Tout d'abord, le Cheik ne manifesta aucune curiosité pour notre destination précise. Mais quand il devint visible que nous nous dirigions de nouveau vers la vallée de la Sorcière, il parut à son tour préoccupé, et cela ne fit que s'aggraver à mesure que nous approchions du but. Jusqu'au moment où nous nous sommes trouvés à l'entrée de la vallée. Là, il s'arrêta et refusa d'aller plus loin. Il dit qu'il attendrait notre retour si nous choisissions de poursuivre notre chemin seuls. Il resterait trois jours; si, après ce délai, nous n'étions pas revenus, il s'en irait. Aucune offre d'argent ne put le tenter au point de le faire changer d'avis. La seule concession qu'il voulut bien nous faire, ce fut de retrouver les échelles et de les apporter au pied de la falaise. Il le fit; puis, avec le reste de la troupe, il retourna à l'entrée de la vallée pour nous y attendre.


» Mr. Trelawny et moi-même nous nous munîmes de cordes et de torches, et nous montâmes de nouveau jusqu'au tombeau. Il était évident que quelqu'un était venu en notre absence, car la dalle de pierre qui fermait l'entrée du tombeau était retombée à l'intérieur, et une corde pendait du sommet de la falaise. À l'intérieur, une autre corde plongeait dans la Fosse de la Momie. Nous nous sommes regardés, mais nous n'avons pas dit un mot. Nous avons fixé notre propre corde, et comme prévu, Trelawny descendit le premier, tandis que je le suivais immédiatement. Ce n'est qu'une fois que nous fûmes parvenus au fond de la fosse qu'une pensée me traversa l'esprit: il n'était pas impossible que nous fussions tombés dans une sorte de piège. Quelqu'un pouvait descendre par la corde fixée au sommet de la falaise, couper celle qui nous avait servi à descendre dans la fosse, et nous enterrer vivants. Cette pensée était horrifiante, mais il était trop tard pour faire quoi que ce fût. Je ne dis rien. La seule chose que nous avons pu remarquer, c'était le vide qui nous entourait. Malgré ses ornements magnifiques, le tombeau donnait une impression de désolation à cause de l'absence du grand sarcophage qui, pour être logé, avait nécessité qu'on taille dans le roc, du coffre aux vases d'albâtre, des tables sur lesquelles étaient posés le matériel et la nourriture destinés au mort, et des figurines ushaptiu.


» Le spectacle était rendu encore plus désolé par la présence de la momie de la Reine Tera qui gisait sur le sol à l'endroit où se trouvait antérieurement le grand sarcophage. À côté gisaient également, dans l'attitude convulsée attestant d'une mort violente, trois des Arabes qui avaient déserté. Leur visage était noir, leurs mains et leur cou étaient souillés du sang qui avait jailli de leur bouche, de leurs yeux et de leur nez.


» Ils portaient tous sur le cou la marque à présent noircie, d'une main à sept doigts.


» Nous nous sommes approchés, Trelawny et moi, et, tandis que nous regardions, nous étions tellement impressionnés et terrifiés que nous avons dû nous soutenir mutuellement.


» Car détail plus merveilleux que tous les autres, en travers de la poitrine de la reine momifiée, était posée une main à sept doigts, d'un blanc d'ivoire, dont le poignet présentait seulement une cicatrice, comme une ligne rouge irrégulière, et de laquelle semblaient tomber des gouttes de sang.

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