Chapitre XIII LE RÉVEIL

– De quoi avez-vous parlé tout ce temps, Mr. Ross? Je suppose que Mr. Corbeck vous a raconté toutes ses aventures pendant qu'il était parti à la recherche des lampes. J'espère que vous me le raconterez aussi à moi, un jour, Mr. Corbeck; mais pas avant que mon pauvre père se sente mieux. Il aimerait, j'en suis sûre, me raconter tout cela lui-même; ou être présent quand j'entendrai ce récit.


Elle nous lança un regard pénétrant à l'un, puis à l'autre.


– Oh! c'est ce que vous étiez en train de dire quand je suis entrée? Très bien! J'attendrai; mais j'espère que ce ne sera pas long. L'état dans lequel se trouve mon père, en se prolongeant, me déprime complètement. Il y a un petit moment, j'ai senti que mes nerfs étaient en train de craquer, si bien que j'ai décidé d'aller faire un tour dans le parc. Je suis sûre que cela me fera du bien. Je voudrais, si cela ne vous fait rien, vous savoir auprès de mon père pendant mon absence. Je me sentirai plus tranquille.


Je me levai avec empressement, en me réjouissant que la pauvre fille sorte, ne serait-ce qu'une demi-heure. Elle paraissait terriblement lasse et hagarde; et la vue de ses joues pâles me fendait l'âme. J'entrai dans la chambre du malade, et je m'installai à ma place habituelle.


Je restai là un long moment à réfléchir à ce que Mr. Corbeck m'avait dit et à introduire les choses étonnantes que j'avais entendues dans le tissu d'étrangetés que j'avais vu se dérouler depuis que j'étais entré dans cette maison. À certains moments, j'étais enclin à douter; à douter de tout et de tout le monde; à douter même du témoignage de mes propres sens. Les avertissements de ce détective expérimenté ne cessaient de me revenir à l'esprit. Il avait rabaissé Mr. Corbeck au rang d'un menteur intelligent, ayant partie liée avec Miss Trelawny! Avec Margaret! C'était net! En face d'une telle affirmation, le doute se dissipait. Chaque fois que son image, son nom, sa simple pensée, se présentaient à mon esprit, chaque événement se dressait, fort comme un fait vivant. Ma vie contre sa confiance!


Je fus sorti de ma rêverie qui tournait rapidement au rêve d'amour, d'une manière saisissante. Une voix venait du lit; une voix grave, vigoureuse, autoritaire. La première note retentit à mes oreilles comme un coup de clairon. Le malade était réveillé et il parlait:


– Qui êtes-vous? Que faites-vous ici?


Quelles qu'aient été les idées que nous nous étions faites les uns et les autres sur la façon dont il se réveillerait, je suis tout à fait sûr que personne ne s'attendait à le voir se réveiller tout d'un coup, parfaitement maître de soi. J'étais tellement surpris que je répondis presque machinalement:


– Je m'appelle Ross. Je vous veillais!


Il parut surpris pendant un instant, et ensuite je pus voir que son habitude de juger par lui-même entrait en jeu.


– Me veiller! Que voulez-vous dire? Pourquoi me veiller?


Son œil s'était posé sur son poignet enveloppé d'un épais pansement. Il continua sur un ton différent; moins agressif, plus cordial, le ton de quelqu'un qui admet les faits:


Êtes-vous médecin?


Quand je répondis, je me sentis esquisser comme un sourire; le soulagement survenant après une longue période d'anxiété commençait à faire son effet.


– Non, monsieur!


– Alors, que faites-vous ici? Si vous n'êtes pas médecin, qu'est-ce que vous êtes?


– Je suis avocat. Cependant, ce n'est pas à ce titre que je me trouve ici; mais simplement en qualité d'ami de votre fille. C'est probablement parce qu'elle savait que j'étais avocat qu'elle a pris à l'origine la décision de m'appeler, car elle croyait que vous aviez été victime d'une tentative d'assassinat. Ensuite elle a eu la bonté de me considérer comme un ami et de m'autoriser à rester, conformément au vœu que vous aviez exprimé et d'après lequel quelqu'un devait veiller sur vous.


Mr. Trelawny pensait vite et parlait peu, c'était évident. Pendant que je discourais, il m'examinait de son regard pénétrant, il semblait lire dans ma pensée. À mon grand soulagement, il n'en dit pas davantage, semblant accepter de confiance ce que je lui disais. Il dit soudain:


– Elle a cru qu'on avait voulu m'assassiner! Était-ce hier au soir?


– Non. Il y a quatre jours.


Il parut surpris. Tout en parlant, il s'était, pour la première fois assis dans son lit; il fit à présent un mouvement qui aurait pu faire croire qu'il avait l'intention d'en sortir. Cependant, en faisant un effort, il s'en abstint; il se laissa retomber sur ses oreillers en disant tranquillement:


– Racontez-moi tout cela! Tout ce que vous savez! Jusqu'au moindre détail! N'oubliez rien! Mais, attendez fermez d'abord la porte au verrou. Avant de voir qui que ce soit, je veux savoir exactement, où en sont les choses.


En conséquence, je lui racontai tous les détails, jusqu'au plus insignifiant resté gravé dans ma mémoire, sur tout ce qui s'était passé depuis mon arrivée dans la maison. Je ne dis naturellement rien de mes sentiments pour Margaret et ne lui parlai que des choses qu'il connaissait déjà. En ce qui concernait Corbeck, je dis simplement qu'il avait rapporté des lampes qu'il avait été rechercher. Je me mis alors à lui raconter en détail comment elles s'étaient trouvées perdues, et comment on les avait retrouvées dans la maison.


Il écoutait avec une maîtrise de soi qui, étant donné les circonstances, me paraissait presque miraculeuse. Ce n'était pas de l'impassibilité, car par moments ses yeux brillaient ou lançaient des flammes, et les doigts vigoureux de la main intacte agrippaient le drap, en lui faisant faire des plis qui s'étendaient loin. Cela fut le plus évident lorsque je lui racontai le retour de Corbeck et la découverte des lampes dans le boudoir. Il parlait de temps en temps, mais pour dire à peine quelques mots, comme s'il avait fait inconsciemment un commentaire causé par l'émotion. Les parties mystérieuses, celles qui nous avaient intrigués le plus, ne paraissaient pas avoir pour lui d'intérêt particulier. On aurait dit qu'il les connaissait déjà. Le moment où il laissa paraître le plus d'émotion fut celui où je lui racontai l'épisode des coups de revolver tirés par Daw.


– Quel âne stupide! murmura-t-il en jetant un coup d'œil à travers la chambre sur le cabinet endommagé, avec un dégoût marqué.


Quand je lui parlai de l'anxiété poignante éprouvée par sa fille, de ses soins et de son dévouement sans bornes, de la tendre affection dont elle avait fait montre, il parut très remué. Il y eut comme une sorte de surprise voilée dans son murmure inconscient:


– Margaret! Margaret!


À la fin de mon récit, qui allait jusqu'au moment où Miss Trelawny était sortie pour faire sa promenade (je pensais à elle comme «Miss Trelawny», et non plus comme «Margaret», en présence de son père), il resta assez longtemps silencieux. Cela dura probablement deux ou trois minutes, mais me parut interminable. Puis soudain, il se tourna vers moi et me dit avec vivacité:


– À présent, dites-moi tout sur votre compte!


– Mon nom, comme je vous l'ai dit, est Ross, Malcolm Ross. Je suis avocat de profession. J'ai été nommé Conseiller de la reine la dernière année de son règne. J'ai assez bien réussi.


– Oui, je sais, dit-il à mon grand soulagement. J'ai toujours entendu dire du bien de vous! Où et quand avez-vous fait la connaissance de Margaret?


– D'abord chez les Hay à Belgrave Square, il y a dix jours. Ensuite à un pique-nique en remontant le fleuve avec Lady Strathconnell. Nous avons été de Windsor à Cookham. Mar… Miss Trelawny était dans mon bateau. Je fais un peu d'aviron et j'avais mon bateau à Windsor. Nous avons beaucoup parlé naturellement. J'ai eu un aperçu de sa vie intérieure. Un aperçu comme peut en avoir un homme de mon âge et de mon expérience quand il s'agit d'une jeune fille!


Tandis que je continuais, le visage du père se faisait de plus en plus grave, mais il ne disait mot. Je m'étais à présent engagé dans un exposé bien défini et je poursuivais avec toute la maîtrise que je pouvais exercer sur mon esprit. L'occasion pouvait être également riche en conséquence pour moi:


– Je ne pouvais pas ne pas remarquer qu'il y avait en elle un sentiment qui lui était habituel, celui d'être délaissée. Je croyais le comprendre; je suis moi-même fils unique. Je me risquai à l'encourager à me parler librement, et je fus assez heureux pour y parvenir. Une sorte de confiance s'instaura entre nous.


Il se peignit sur le visage du père quelque chose qui me fit ajouter immédiatement:


– Comme vous pouvez bien l'imaginer, monsieur, rien n'a été dit qui ne fut correct et convenable. Elle m'a simplement parlé de la manière impulsive de quelqu'un qui aspire à exprimer des pensées depuis longtemps soigneusement dissimulées, à se rapprocher d'un père adoré; d'avoir avec lui plus de rapports, d'être en confiance avec lui, plus proche de lui, dans le cercle de ses sympathies. Oh! croyez-moi, monsieur, tout cela était pour le mieux! C'était tout ce que peut espérer et désirer un cœur de père! C'était entièrement loyal. Si elle me parlait à moi, c'était peut-être parce que j'étais presque un étranger et qu'entre nous aucune barrière ne s'était jusque-là dressée pour s'opposer aux confidences.


Ici, je marquai un temps. Il était difficile de continuer, et je craignais de nuire à Margaret par excès de zèle. C'est son père qui dissipa cet état de tension.


– Et vous?


– Monsieur, Miss Trelawny est charmante et belle. Elle est jeune; son âme a la pureté du cristal. Jouir de sa sympathie est une joie. Je ne suis pas vieux, et mon affection n'était pas engagée. Elle ne l'avait jamais été jusqu'à présent. J'espère pouvoir dire tout cela, même à un père.


Involontairement, je baissai les yeux; quand je les relevai, Mr. Trelawny me regardait toujours d'un œil pénétrant. Toute la bonté de son caractère apparut dans son sourire, quand il me tendit la main en disant:


– Malcolm Ross, j'ai toujours entendu parler de vous comme d'un homme intrépide et ayant le sens de l'honneur. Je suis heureux que ma fille ait un ami tel que vous. Continuez!


– Il y a un avantage à vieillir: utiliser judicieusement son expérience. J'en ai beaucoup. Je me suis donné du mal toute ma vie pour en acquérir, et j'ai eu l'impression que j'étais justifié à l'utiliser. Je me suis risqué à demander à Miss Trelawny de me compter au nombre de ses amis; de me permettre de lui venir en aide si l'occasion se présentait. Elle m'a promis de me le permettre. Je ne me doutais guère que l'occasion de lui venir en aide se présenterait aussi vite, et de cette façon. Mais le soir même vous étiez blessé. Dans sa désolation et son anxiété elle a pensé à me faire appeler!


Je marquai un temps. Il continuait à me regarder tandis que je poursuivais:


– Lorsqu'on découvrit votre lettre d'instructions, j'offris mes services. Ils furent acceptés, comme vous le savez.


– Et ces journées, comment se sont-elles passées pour vous?


La question me prit au dépourvu. On y reconnaissait quelque chose de la voix et des manières de Margaret; quelque chose qui rappelait tellement ses moments de légèreté qu'elle fit sortir toute la virilité qu'il y avait en moi. Je me sentais à présent en terrain plus solide et je répondis:


– Ces journées, monsieur, malgré l'anxiété torturante, malgré le chagrin qu'elles apportaient à une jeune fille que je me mettais d'heure en heure à aimer davantage, ont été les plus heureuses de mon existence!


Il resta longtemps silencieux; si longtemps qu'en attendant, le cœur battant, qu'il se remette à parler, je commençais à me demander si je n'avais pas été d'une franchise excessive. Il finit par dire:


– Margaret, mon enfant! Tendre, pleine d'attentions, forte, sûre, courageuse! Comme sa chère mère! Comme sa chère mère!


Et alors, dans le plus profond de mon cœur, je me réjouis d'avoir parlé franchement. Mr. Trelawny dit ensuite:


– Quatre jours! Le seize! Nous sommes donc le 20 juillet?


J'acquiesçai, et il continua:


– Ainsi, j'ai été en catalepsie pendant quatre jours. Ce n'est pas la première fois. Je me suis trouvé dans le même état pendant trois jours, dans d'étranges circonstances; et je ne m'en serais jamais douté si l'on ne m'avait pas dit le temps qui s'était écoulé. Je vous raconterai tout cela un jour, si cela vous intéresse. Pour le moment, il est préférable que je me lève. Quand Margaret rentrera, dites-lui vous-même que je vais très bien. Cela lui épargnera un choc! Et voudriez-vous dire à Corbeck que j'aimerais le voir le plus tôt possible? Je voudrais examiner ces lampes, et tout savoir de ce qui les concerne.


Son attitude à mon égard me comblait d'aise. Elle avait un côté «beau-père éventuel» qui m'aurait fait lever de mon lit de mort. Je me précipitai pour faire ce qu'il m'avait demandé; ma main était déjà sur la clef de la porte quand il me rappela:


– Mr. Ross!


Je n'aimais pas l'entendre m'appeler «monsieur». Après avoir appris mon amitié avec sa fille, il m'avait appelé «Malcolm Ross»; et ce retour évident au formalisme, non seulement me peinait, mais m'emplissait d'appréhensions. Ce devait être quelque chose au sujet de Margaret. Je pensais à elle comme «Margaret», et non comme «Miss Trelawny», maintenant qu'il y avait un danger de la perdre. Je connais aujourd'hui les sentiments que j'éprouvais alors; j'étais prêt à me battre plutôt que de la perdre. Je revins, en me roidissant instinctivement. Mr. Trelawny, observateur subtil, parut lire dans ma pensée; son visage qui était de nouveau contracté par l'anxiété, se détendit et il me dit:


– Asseyez-vous une minute; il vaut mieux que nous parlions maintenant que plus tard. Nous sommes des hommes, et des hommes du monde. Tout ce que vous venez de me dire sur ma fille est très nouveau pour moi, et très brutal; je veux savoir exactement où j'en suis. Remarquez, je ne fais aucune objection; mais en ma qualité de père, j'ai des devoirs sérieux, et qui peuvent se révéler pénibles. Je… je… (Il semblait légèrement embarrassé, ne sachant par où commencer, et cela me donna de l'espoir.) Je suppose que je dois comprendre, d'après ce que vous m'avez dit de vos sentiments à l'égard de ma fille, que vous auriez l'intention de briguer sa main, par la suite?


Je répondis aussitôt:


– Absolument! Absolument décidé! c'était déjà mon intention le matin qui a suivi notre promenade sur le fleuve de venir vous trouver, au bout d'un délai convenable, pour vous demander si je pouvais aborder ce sujet avec elle. Les événements m'ont conduit à devenir son intime plus rapidement que je n'osais l'espérer; mais cette première intention était restée vivante dans mon cœur, s'était développée, multipliée d'heure en heure.


Son visage semblait se radoucir tandis qu'il me regardait; des souvenirs de jeunesse, lui revenaient instinctivement. Au bout d'un moment, il dit:


– Je suppose que je peux également comprendre, Malcolm Ross – le retour à cette formule familière pour s'adresser à moi détermina en moi un frisson de joie – que jusqu'à présent vous n'avez fait aucune déclaration à ma fille?


– Pas en paroles, monsieur! L'obligation de me montrer discret alors qu'elle était sans défense; mon respect pour son père – je ne vous connaissais pas encore, monsieur, personnellement, mais je pensais à son père, en général – me retenait. Mais, ces barrières n'auraient pas existé, que je n'aurais pas osé me déclarer en présence d'un tel chagrin et d'une inquiétude pareille. Mr. Trelawny, je vous donne ma parole d'honneur que votre fille et moi, nous ne sommes – du moins, en ce qui me concerne, jusqu'à présent – que des amis, et rien de plus!


De nouveau, il tendit les mains, et je les lui serrai chaleureusement. Il dit alors avec cordialité:


– Je suis satisfait, Malcolm Ross. Naturellement, j'entends bien que tant que je ne l'aurai pas vue et que je ne vous en aurai pas donné la permission, vous ne ferez aucune déclaration à ma fille – en paroles, ajouta-t-il, avec un sourire indulgent. Mais il redevint sérieux pour continuer:


– Le temps presse; j'ai à m'occuper de choses si urgentes et si étranges que je n'ose pas perdre une heure. Autrement, je n'aurais pas été prêt à aborder, à si brève échéance, et avec un ami d'aussi fraîche date, le sujet de l'avenir de ma fille, et de son bonheur futur.


Il y avait dans ses manières une certaine fierté – et une dignité qui m'impressionnaient beaucoup.


– Je respecterai vos désirs, monsieur! dis-je en me retirant et en ouvrant la porte. J'entendis qu'il la refermait à clef derrière moi.


Quand je dis à Mr. Corbeck que Mr. Trelawny était complètement rétabli, il se mit à danser de joie. Mais il s'arrêta brusquement et me demanda de bien veiller à ne tirer aucune conclusion, d'abord à toute éventualité, ensuite en parlant de la découverte des lampes, ou des premières visites au tombeau. Cela, dans le cas où Mr. Trelawny aborderait le sujet; comme il le fera, bien entendu», ajouta-t-il avec un regard oblique qui signifiait qu'il connaissait mes affaires de cœur. Je me déclarai d'accord avec lui, car j'estimais qu'il avait tout à fait raison. Je ne comprenais pas très bien pourquoi; mais je savais que Mr. Trelawny était un homme particulier. On ne peut jamais commettre d'erreur en se montrant réticent. La réserve est une qualité qu'un homme fort respecte en toutes circonstances.


La façon dont les autres habitants de la maison prirent la nouvelle du rétablissement de Mr. Trelawny fut très variable. Mrs. Grant pleura d'émotion; puis elle se précipita pour voir si elle ne pourrait pas faire quelque chose personnellement, pour mettre la maison en état à l'intention du «Maître», comme elle disait toujours. L'infirmière se décomposa: c'était une garde intéressante qui disparaissait. Mais cette déception fut de courte durée, et elle se réjouit bientôt de voir la fin de ces ennuis. Elle était prête à se rendre auprès du malade dès qu'on aurait besoin d'elle, mais, en attendant, elle se mit à faire sa valise.


Je fis entrer le sergent Daw dans le bureau, pour être seul avec lui au moment où je lui annoncerais la nouvelle. Malgré le contrôle qu'il avait sur ses réactions, il parut surpris quand je lui dis comment le réveil s'était produit. Ce fut mon tour d'être étonné quand il commença à dire:


– Et comment a-t-il expliqué la première agression? Il était inconscient quand la seconde s'est produite.


– Vous savez une chose, je n'ai pas eu l'idée de le lui demander?


L'instinct professionnel était poussé chez cet homme, il paraissait prendre le pas sur tout.


– C'est pourquoi si peu d'affaires sont menées à leur conclusion, dit-il, à moins que des gens à nous n'y soient mêlés. Votre détective amateur ne va pas jusqu'au fond des choses. Pour les gens qui ne sont pas du métier, dès que les choses commencent à s'arranger, que la tension s'atténue, on peut laisser tomber. C'est comme le mal mer, ajouta-t-il avec philosophie après un silence: dès que vous mettez pied à terre, vous n'y pensez plus, et vous vous précipitez au buffet pour vous sustenter! Eh bien, Mr. Ross, je suis heureux que cette affaire soit terminée; car elle l'est, du moins en ce qui me concerne. Je suppose que Mr. Trelawny connaît ses affaires; maintenant qu'il est rétabli, il va les prendre en main lui-même. Cependant, peut-être ne fera-t-il rien. Comme il paraissait s'attendre à ce que quelque chose se produise, mais sans avoir en aucune façon demandé la protection de la police, je crois comprendre qu'il ne veut pas qu'elle s'en mêle avec comme objectif le châtiment du coupable. Nous apprendrons officiellement, je suppose, qu'il s'agissait d'un accident, ou d'une crise de somnambulisme, ou d'une chose de ce genre, pour calmer les scrupules de notre Service des Archives; et ce sera terminé. En ce qui me concerne, je vous dirai franchement, monsieur, que ce sera une délivrance. Je me sentais vraiment devenir dingue. Il y avait trop de mystères, qui ne sont pas du genre auquel je suis habitué, pour que je me sente réellement satisfait par les faits ou par leurs causes. À présent, je peux me laver les mains de tout cela et retourner à un travail criminel net et sans histoires. Naturellement, monsieur, je serai heureux d'être mis au courant si vous mettez jamais en lumière une cause quelconque. Et je vous serai reconnaissant, si vous pouviez jamais me dire comment cet homme a été jeté hors de son lit lorsque le chat l'a mordu et qui a manié le couteau la deuxième fois. Car maître Silvio n'aurait jamais pu faire cela tout seul.


Lorsque Margaret rentra de sa promenade, j'allai au-devant d'elle dans le vestibule. Elle était encore pâle et triste; je m'étais plus ou moins attendu à la voir rayonnante à son retour. Dès qu'elle me vit ses yeux se mirent à briller et elle me regarda d'un œil pénétrant.


– Vous avez de bonnes nouvelles à m'annoncer, dit-elle. Est-ce que mon père va mieux?


– En effet. Pourquoi croyez-vous cela?


– Je l'ai vu sur votre figure. Il faut que j'aille le voir tout de suite. Elle se précipita déjà quand je l'arrêtai.


– Il a dit qu'il vous ferait chercher dès qu'il serait habillé.


– Il a dit qu'il me ferait chercher! répéta-t-elle, stupéfaite. Alors, c'est qu'il est réveillé, et qu'il a repris connaissance! Je n'avais pas idée qu'il fût aussi bien que cela! Oh! Malcolm!


Elle se laissa tomber sur le fauteuil le plus proche et se mit à pleurer. J'étais moi-même très ému. Le spectacle de sa joie et de son émotion, la façon dont elle avait dit mon prénom, et en pareille circonstance, l'afflux de toutes sortes de possibilités merveilleuses survenant en même temps, me bouleversèrent littéralement. Elle le vit, et parut comprendre. Elle tendit la main. Je la serrai fort, y déposai un baiser. De pareils moments – les occasions qui se présentent aux amoureux – sont des dons des dieux. Jusqu'à cet instant, tout en sachant que je l'aimais, en croyant même qu'elle me rendait mon affection, je n'avais eu que de l'espoir. À présent, cet abandon manifeste, sa bonne volonté à me laisser prendre sa main, l'ardeur avec laquelle elle pressa la mienne à son tour, la flamme amoureuse qui brillait dans ses beaux yeux noirs et profonds quand elle les leva vers les miens, étaient autant d'aveux éloquents susceptibles de combler l'amoureux le plus impatient ou le plus exigeant.


Aucune parole ne fut prononcée; il n'en était pas besoin. Même si je ne m'étais pas engagé à conserver le silence, les mots auraient été bien pauvres et bien ternes pour exprimer ce que je ressentais. La main dans la main, comme deux enfants, nous avons gravi l'escalier et nous sommes allés attendre sur le palier l'invitation de Mr. Trelawny.


Je lui dis à l'oreille – c'était plus charmant que de parler haut et à distance – comment son père s'était réveillé, et quelles avaient été ses paroles; tout ce qui s'était passé entre nous, sauf quand c'était elle qui était le sujet de la conversation.


Bientôt on sonna dans la chambre. Margaret se dégagea, et se retourna, un doigt sur les lèvres à titre d'avertissement. Elle alla jusqu'à la porte de son père et frappa doucement.


– Entrez! dit une voix forte.


– C'est moi, père! Sa voix tremblait d'amour et d'espoir.


Il y eut à l'intérieur de la chambre un bruit de pas rapides, la porte s'ouvrit précipitamment, et en un instant, Margaret, qui s'était élancée, était dans les bras de son père. Il n'y eut pas de long discours; simplement quelques phrases entrecoupées.


– Père! Mon cher, cher père!


– Mon enfant! Margaret! Ma chère, chère enfant!


– Oh père, père! Enfin! Enfin!


À ce moment, le père et la fille entrèrent ensemble dans la chambre, dont la porte se referma.

Загрузка...