Chapitre IX LE BESOIN DE SAVOIR

Mr. Corbeck semblait avoir perdu la tête en retrouvant ses lampes. Il les prit une par une, les regarda amoureusement. Dans sa joie et son énervement, il respirait si bruyamment qu'on aurait cru un chat qui ronronnait. Le sergent Daw dit tranquillement une chose qui fit l'effet d'une fausse note dans une mélodie:


– Êtes-vous tout à fait sûr que ces lampes sont celles que vous possédiez, et qui vous ont été dérobées? Y a-t-il des points qui vous permettent de les identifier comme étant les vôtres?


Cette fois, Mr. Corbeck se mit réellement en colère. Il perdit toute réserve, et son indignation s'exprima en un torrent de phrases hachées, incohérentes, mais instructives:


– Identifier! Des copies! British Museum! Allons donc! Ils en ont peut-être un jeu à Scotland Yard pour apprendre l'égyptologie aux policiers idiots! Vous les connaissez? Quand je les ai portées sur moi, dans le désert, pendant trois mois; quand je me réveillais toutes les nuits pour les surveiller! Quand je les regardais toutes les heures à la loupe, jusqu'à en avoir mal aux yeux; jusqu'à ce que la moindre tache, la plus petite égratignure, la bosse la plus dérisoire me deviennent aussi familières qu'une carte marine pour le capitaine d'un vaisseau; aussi familières qu'elles ont toujours été sans aucun doute pour tous les rôdeurs abrutis existant à la surface du globe. Voyez, jeune homme, regardez cela!


Il disposa les lampes les unes à côté des autres sur le haut du cabinet.


– Avez-vous déjà vu une série de lampes de cette forme – une seule affectant l'une de ces formes? Regardez les images dominantes qui s'y trouvent! Avez-vous jamais vu une série si complète – même à Scotland Yard, même à Bow Street? Regardez! sur chacune, l'une des sept formes de Hathor. Regardez cette figuration de Kaa, tenant, dans chaque main, les couronnes des Deux Égyptes, entre Ra et Osiris dans le Bateau de la Mort, avec l'OEil du Sommeil, monté sur des jambes, se penchant devant lui; et Harmachis se levant au nord. Trouverez-vous cela au British Museum, ou à Bow Street? Ou peut-être vos études au Musée Gizeh, ou au Fitzwilliam, ou à Paris, ou à Leyde, ou à Berlin, vous ont-elles permis de voir que l'épisode est commun dans les hiéroglyphes; et que ceci est seulement une copie. Peut-être pouvez-vous me dire ce que signifie la figure de Ptah-Seker-Ausar tenant le Tet enveloppé dans le rouleau de papyrus? Aviez-vous déjà vu cela; même au British Museum, ou à Gizeh, ou à Scotland Yard?


Il s'interrompit subitement, puis reprit sur un ton différent:


– Regardez! il me semble que l'idiot abruti c'est moi-même! Je vous demande pardon, mon vieux, de ma brutalité. Je ne pouvais plus me contenir quand je vous ai entendu dire que je ne connaissais pas ces lampes. À présent, dites-moi comment vous les avez récupérées?


J'étais si surpris que je dis sans réfléchir:


– Nous ne les avons pas récupérées!


Le voyageur rit ouvertement.


– Que diable voulez-vous dire? demanda-t-il. Vous ne les avez pas récupérées? Voyons, elles sont là sous vos yeux! Quand nous sommes entrés, nous vous avons trouvés en train de les examiner.


À ce moment j'étais revenu de ma surprise et j'avais recouvré mes esprits.


– Eh bien! c'est précisément cela, dis-je. Nous sommes simplement tombés dessus accidentellement, à ce moment précis!


Mr. Corbeck se recula, eut un regard dur pour Miss Trelawny et pour moi; il tourna les yeux vers l'un puis vers l'autre de nous deux, et demanda:


– Vous prétendez que personne ne les a déposées ici; que vous les avez trouvées dans le tiroir? Que, pour ainsi dire, personne ne les a rapportées?


– Je suppose que quelqu'un a dû les apporter ici; elles n'ont pas pu venir toutes seules. Mais qui, à quel moment, comment, nous ne le savons ni l'un ni l'autre. Il faudra faire une enquête et chercher si l'un des domestiques sait quelque chose à ce sujet.


Nous sommes tous restés silencieux pendant plusieurs secondes, et cela nous parut long. Le premier à parler fut le détective, qui dit avec inconscience:


– Bon, je veux bien être pendu! Je vous demande pardon, mademoiselle! Sa bouche se referma avec rage.


Nous avons appelé les domestiques, un par un, et nous leur avons demandé s'ils savaient quelque chose au sujet d'objets placés dans un tiroir du boudoir; mais aucun d'eux ne put jeter la moindre lumière sur la question. Nous ne leur dîmes pas de quels objets il s'agissait; et nous ne les leur avons pas montrés.


Mr. Corbeck enveloppa les lampes dans du coton et les mit dans une boîte de fer-blanc. Celle-ci, soit dit en passant, fut portée dans la chambre des détectives, où l'un d'eux resta à la surveiller toute la nuit, le revolver au poing. Le lendemain nous nous procurâmes un petit coffre-fort, et nous les y avons placées. Il y avait deux clefs. J'en gardai une; je mis l'autre dans mon tiroir de ma salle des coffres-forts. Nous étions tous décidés à ce que les lampes ne soient pas perdues une deuxième fois.


Une heure environ après que nous avons retrouvé les lampes, le Dr Winchester arriva. Il portait un grand paquet qui, une fois défait, révéla la présence d'une momie de chat. Avec la permission de Miss Trelawny il la plaça dans son boudoir; et on amena Silvio tout à côté. À la grande surprise de tous, sauf peut-être du Dr Winchester lui-même, il ne manifesta pas le moindre ennui; il n'y fit même pas attention. Il resta tout à côté sur la table, en ronronnant bruyamment. Ensuite, conformément à notre plan, le docteur l'emporta dans la chambre de Mr. Trelawny. Nous suivions tous. Le docteur était très énervé, Miss Trelawny inquiète. J'étais moi-même plus qu'intéressé, car je commençais à entrevoir l'idée du docteur. Le détective affichait une attitude calme et froidement supérieure; mais Mr. Corbeck, qui était un enthousiaste, brûlait de curiosité.


Dès que le Dr Winchester entra dans la chambre, Silvio commença à miauler et à s'agiter; puis, bondissant de ses bras, il courut jusqu'à la momie du chat et se mit à la griffer avec fureur. Miss Trelawny eut quelque difficulté à le faire lâcher; mais dès qu'il fut sorti de la chambre, il retrouva son calme. Quand elle fut revenue, ce fut un concert de commentaires:


– Je pensais bien! dit le docteur.


– Qu'est-ce que cela peut vouloir dire? demanda Miss Trelawny.


– C'est très étrange! dit Mr. Corbeck.


– Curieux! mais cela ne prouve rien! dit le détective.


– Je réserve mon jugement! dis-je moi-même, pensant qu'il valait mieux dire quelque chose.


Puis, d'un commun accord, nous abandonnâmes ce sujet – provisoirement.


Ce soir-là, j'étais dans ma chambre en train de prendre quelques notes sur ce qui s'était passé, lorsqu'on frappa discrètement à ma porte. Quand j'eus répondu qu'on pouvait entrer, le sergent Daw fit son apparition; il referma soigneusement la porte derrière lui.


– Eh bien, sergent, lui dis-je, asseyez-vous. Qu'y a-t-il?


– Je voulais vous parler, monsieur, au sujet de ces lampes.


Je fis un signe d'approbation et attendis la suite.


– Vous savez que cette pièce dans laquelle on les a trouvées donne directement sur la chambre dans laquelle Miss Trelawny a dormi la nuit dernière?


– Oui.


– Pendant la nuit, quelque part dans cette partie de la maison, une fenêtre a été ouverte, puis refermée. Je l'ai entendue et j'ai jeté un coup d'œil aux alentours; mais je n'ai rien vu.


– Oui, je sais cela! dis-je. J'ai entendu moi-même cette fenêtre.


– Vous n'êtes pas frappé par ce que cela a d'étrange, monsieur?


– Étrange? dis-je. Mais cette affaire est dans son ensemble la chose la plus déconcertante, la plus affolante que j'aie jamais rencontrée. Tout cela est si étrange qu'on en est réduit à se poser des questions, ou plus simplement à attendre ce qui va arriver. Mais qu'entendez-vous par étrange?


Le détective marqua un temps, comme s'il voulait choisir ses mots; puis il se lança délibérément:


– Vous voyez, je ne suis pas de ceux qui croient à la magie et aux choses de ce genre. Je m'en tiens toujours aux faits; et je finis toujours à la longue par découvrir qu'il y a une raison et une cause à toute chose. Ce nouveau monsieur dit que ces objets lui ont été volés dans sa chambre d'hôtel. Ces lampes, je l'ai compris par ce qu'il a dit, appartiennent en réalité à Mr. Trelawny. Sa fille, la patronne dans cette maison, ayant quitté la chambre qu'elle occupe habituellement, dort cette nuit au rez-de-chaussée. On entend pendant la nuit une fenêtre s'ouvrir et se fermer. Quand nous, qui avons passé la journée à essayer de découvrir un indice concernant ce vol, arrivons dans la maison, nous trouvons les lampes volées dans une pièce contiguë de celle dans laquelle elle a dormi, et donnant sur celle-ci!


Il s'arrêta. La même sensation douloureuse et d'appréhension que j'avais ressentie lors de notre conversation précédente se développait en moi, ou plutôt m'envahissait. Il me fallait cependant faire face à la situation. Mes relations avec elle, le sentiment que j'éprouvais pour elle et qui, je le savais désormais, était à base d'amour profond et de dévouement, l'exigeaient. Je dis avec tout le calme dont j'étais capable, car je sentais le regard perçant de cet enquêteur adroit posé sur moi:


– Et votre conclusion?


Il répondit avec l'audace froide de la conviction:


– Ma conclusion est qu'il n'y a pas eu de vol. Les objets ont été apportés ici par quelqu'un et ils ont été passés à une autre personne par une fenêtre du rez-de-chaussée. On les a placés dans le cabinet, prêts à être découverts au moment propice.


– Et qui, d'après vous, les aurait apportés dans cette maison?


– Je reste ouvert à toutes les hypothèses. Peut-être Mr. Corbeck lui-même; l'affaire aurait été trop risquée pour qu'il se fie à une tierce personne.


– Alors la conséquence naturelle de votre conclusion est que Mr. Corbeck est un menteur et un fraudeur; et qu'il cherche, avec la complicité de Miss Trelawny, à tromper une personne ou une autre à propos de ces lampes.


– Voilà des termes bien durs, Mr. Ross. Ils sont tellement durs qu'ils sont susceptibles de paralyser un homme et d'inspirer de nouveaux doutes à son égard. Mais il faut que j'aille dans la direction que m'indique mon raisonnement. Il est possible qu'il y ait dans l'affaire quelqu'un d'autre que Miss Trelawny. À dire vrai, s'il n'y avait pas eu cette autre affaire qui m'a fait réfléchir et qui m'a inspiré des doutes particuliers à son endroit, je n'aurais jamais songé à la mêler à tout cela. Mais je suis formel pour Corbeck. Quel que soit l'autre qui ait trempé dans l'affaire, lui en est en tout cas! Les objets n'ont pas pu être dérobés sans sa connivence – si ce qu'il dit est vrai. Si ça ne l'est pas, eh bien, c'est en tout cas un menteur! Je penserais que c'est une mauvaise chose qu'il reste dans la maison avec tant d'objets de valeur, mais l'avantage est que cela nous donnera à mon collègue et à moi, l'occasion de l'observer. Nous allons exercer une belle surveillance, c'est moi qui vous le dis. Il est là-haut dans ma chambre, il garde ces lampes; mais Johnny Wright est là, lui aussi. J'irai avant qu'il ne s'en aille; mais il n'y aura pas beaucoup de risque de violation de domicile. Naturellement, Mr. Ross, tout ce que nous venons de dire reste entre nous.


Peu après, j'eus une nouvelle visite privée du Dr Winchester qui venait comme chaque soir, de voir son malade et qui rentrait chez lui. Il s'assit et commença aussitôt:


– C'est tout de même une affaire étrange. Miss Trelawny vient de me parler du vol de ces lampes, et de la façon dont on les a retrouvées dans le cabinet Empire. Je me demande si je pourrais poser quelques questions à Mr. Corbeck et solliciter son concours, sans donner lieu à de nouvelles complications susceptibles de nous embarrasser? Il paraît savoir énormément de choses sur l'Égypte et sur tout ce qui s'y rapporte. Il ne verrait peut-être pas d'inconvénient à nous traduire quelques hiéroglyphes. C'est pour lui un jeu d'enfant. Qu'en pensez-vous?


Je réfléchis quelques secondes avant de répondre. Nous avions besoin de tous les concours possibles. Pour ma part, j'avais une parfaite confiance dans ces deux hommes; comparer des notes, se prêter une assistance mutuelle, cela pourrait donner de bons résultats. En tout cas, cela ne pouvait pas faire de mal.


– Attendez! dis-je, pourquoi ne resteriez-vous pas un moment; je vais lui demander de venir fumer une pipe avec nous. Nous pourrons réexaminer tout cela.


Il acquiesça; j'allai donc dans la chambre où se trouvait Mr. Corbeck, et le ramenai avec moi. Je pensais que les détectives étaient heureux qu'il vienne. Tandis que nous nous rendions dans ma chambre, il dit:


– Je n'aime pas tellement laisser ces objets là avec seulement ces hommes pour les garder. Ils sont beaucoup trop précieux pour être confiés à la police!


D'où il ressortait que la suspicion n'était pas réservée au sergent Daw.


Mr. Corbeck et le Dr Winchester, après avoir échangé un rapide coup d'œil, devinrent tout de suite très amis. Le voyageur proclama son désir de fournir toute l'assistance qu'il pourrait, pourvu ajouta-t-il, que ce soit sur un sujet à propos duquel il était libre de parler. Ce n'était pas très prometteur; mais le Dr Winchester commença aussitôt:


– J'aimerais, si vous le voulez bien, que vous me traduisiez quelques hiéroglyphes.


– Certainement, avec le plus grand plaisir, dans la mesure où je le pourrai. Car je peux vous dire qu'on n'est pas encore complètement en possession de l'écriture hiéroglyphique; bien que nous en approchions! Nous en approchons! Quelle est cette inscription?


– Il y en a deux, répondit-il. Je vais vous en apporter une.


Il sortit et revint une minute après avec la momie qu'il avait le même soir présentée à Silvio. Le savant la prit et, après un rapide examen, il déclara:


– Cette inscription ne présente rien de spécial. C'est une invocation à Bast, la divinité de Bubastis, pour qu'elle lui donne du bon pain et du lait aux Champs-Élysées. Il y en a peut-être plus long à l'intérieur; et si cela ne vous fait rien de le dérouler, je ferai de mon mieux. Je ne pense pas, toutefois, qu'il n'y ait rien de spécial. D'après la méthode d'emmaillotement je pourrais dire que cela provient du Delta; et d'une période récente, car ce travail est vulgaire et bon marché. Quelle est l'autre inscription que vous vouliez me montrer?


– L'inscription qui se trouve sur la momie de chat qui est dans la chambre de Mr. Trelawny.


Mr. Corbeck changea aussitôt d'expression.


– Non! dit-il, je ne peux pas faire cela. Je suis, quant à présent et à toute éventualité, lié par le secret qui concerne tous les objets se trouvant dans la chambre de Mr. Trelawny. Il ne faut pas vous méprendre! Je ne suis lié par aucun serment, mais par le respect que je dois à Mr. Trelawny en raison de la confiance qu'il m'a faite, je peux vous le dire, dans une très large mesure. Au sujet d'un grand nombre des objets de cette pièce, il envisage des projets très précis; et ce ne serait ni correct ni convenable de ma part à moi, qui suis son confident, et un ami en qui il a confiance, d'anticiper sur ce qu'il envisage. Il est sur le chemin d'une découverte qui le mettra au rang des plus éminents chercheurs de son siècle. Je connais l'époque dont il s'occupe; et les personnages historiques dont il étudie la vie. Il reconstitue avec une patience infinie tous les documents dont il peut disposer. Mais en dehors de cela, je ne sais rien. Qu'il se soit assigné un but, qu'il ait un objectif lorsqu'il sera en possession de tout ce qu'il cherche à savoir, j'en suis convaincu. Je suis en mesure de deviner de quoi il s'agit, mais je ne dois rien dire. Rappelez-vous, s'il vous plaît, messieurs, que j'ai accepté volontairement de recueillir une confidence partielle. Sur ce point, j'ai respecté mes engagements, et je dois demander à tous mes amis d'en faire autant.


Il parlait avec une grande dignité; et, progressivement, le respect que nous avions pour lui et l'estime dans laquelle nous le tenions, le Dr Winchester et moi-même, ne cessaient de croître. Nous sentions qu'il n'avait pas dit tout ce qu'il avait à dire; si bien que nous attendîmes en silence, et qu'il continua en ces termes:


– J'en ai dit autant, tout en sachant très bien que même un indice que vous pourriez l'un ou l'autre tirer de ce que je viens de dire, suffirait à compromettre le succès de son œuvre. Mais je suis convaincu que vous êtes l'un et l'autre désireux de lui venir en aide – à lui et à sa fille – et en disant ces mots, il me regardait fixement entre les deux yeux – au mieux de vos possibilités, honnêtement, et sans préoccupations égoïstes. Il est tellement frappé, et d'une manière si mystérieuse que je ne peux me défendre de penser qu'elle est d'une façon quelconque la conséquence de son travail. Qu'il ait tablé sur quelque incident, cela nous saute aux yeux, à tous. Dieu sait! Je suis désireux de faire ce que je peux, d'utiliser dans ce but tout mon savoir. Je suis arrivé en Angleterre fou d'exaltation à la pensée que j'avais accompli la mission qu'il m'avait confiée. J'avais en ma possession les objets dont il m'avait dit qu'ils constituaient l'objectif ultime de ses recherches; et j'étais certain qu'il allait désormais pouvoir commencer l'expérience à laquelle il avait si souvent fait allusion devant moi. C'est trop affreux de penser que c'est à ce moment précis qu'une telle calamité a fondu sur lui. Docteur Winchester, vous êtes médecin, et si l'on peut en croire votre visage, vous êtes un médecin intelligent et audacieux. Vous ne voyez aucun moyen de réveiller cet homme de ce sommeil qui n'est pas naturel?


Il y eut un silence; la réponse vint alors, lentement et délibérément articulée:


– Il n'y a pas, à ma connaissance, de remède naturel. Il pourrait y en avoir un, de nature extraordinaire. Mais il serait inutile d'essayer de le découvrir, si une condition n'était pas remplie.


– Et laquelle?


– Être au courant! Je suis complètement ignorant des questions égyptiennes: langue, littérature, histoire, secrets, médicaments, poisons, pouvoirs occultes – tout ce qui constitue le mystère de ce pays mystérieux. Cette maladie – ou cet état – quel que soit le nom que vous lui donniez – dont souffre Mr. Trelawny, est, d'une certaine façon, en relation avec l'Égypte. Je l'ai suspecté dès le début, ce soupçon s'est ensuite transformé en certitude, sans que j'aie eu cependant de preuve. Ce que vous avez dit ce soir vient à l'appui de ma conjecture et me fait croire qu'il faut avoir une preuve. Je ne crois pas que vous connaissiez à fond tout ce qui s'est passé dans cette maison depuis la nuit où Mr. Trelawny a été victime de cette attaque – où l'on a trouvé son corps. Je propose à présent que nous vous fassions confiance. S'il est d'accord, Mr. Ross va, sur ma demande, tout vous raconter.


J'acquiesçai et me mis à retracer, aussi exactement que je le pus, tout ce qui s'était passé depuis le moment où je m'étais réveillé parce qu'on frappait à ma porte, à Jermyn Street. Les seuls points que je gardai pour moi concernaient mes sentiments personnels à l'égard de Miss Trelawny, et les questions de peu d'importance qui en découlaient; ainsi que mes conversations avec le sergent Daw. Ces sujets étaient par eux-mêmes confidentiels et auraient en tout état de cause exigé le secret. Mr. Corbeck suivait mon récit avec un intérêt qui lui coupait la respiration. Il était évident que j'avais emporté sa conviction. Il ne s'engagea dans aucune explication mais alla droit au but, sans crainte, comme un homme:


– Cela me décide! Il y a en jeu une Force qui nécessite une attention particulière. Si nous continuons tous à avancer dans le noir, nous allons nous gêner mutuellement, chacun risquant de détruire ce qu'un autre a pu faire de bien. C'est l'inconvénient qu'il y a à agir en ordre dispersé. Il me semble que la première chose que nous ayons à faire, c'est de tirer Mr. Trelawny de son sommeil artificiel. La façon dont l'infirmière s'est remise montre qu'il est possible de le réveiller; cependant, personne ne peut dire quels dommages supplémentaires le fait d'être resté couché dans cette chambre a pu lui causer. Cependant, nous devons le risquer. Il est resté couché là, et quelle qu'en puisse être la conséquence, il est toujours couché là. Nous devons, nous devrons agir à cet égard comme en présence d'un fait. Un jour de plus ou de moins ne lui fera aucun tort en fin de compte. Mr. Ross, j'ai compris que vous aviez cette nuit à assurer la garde dans la chambre du malade pendant un certain temps. Je vais vous remettre un livre qui vous aidera à passer le temps. Mr. Trelawny connaît depuis longtemps tout ce qu'il contient et qui pourrait présenter de l'intérêt pour vous. Mais il sera nécessaire, ou du moins profitable, de comprendre d'autres choses dont je vous parlerai par la suite. Il vous sera loisible de dire au Dr Winchester tout ce qui pourra lui être utile. Nous prendrons chacun la question par un bout; et cela nous prendra tout le temps et l'intelligence de chacun de nous d'aller jusqu'au bout de ses devoirs. Il ne sera pas nécessaire que vous lisiez le livre dans son entier. Tout ce qui vous intéresse, c'est la préface, et deux ou trois chapitres que je vous marquerai.


Le Dr Winchester s'était levé pour partir. Ils se serrèrent chaleureusement la main.


Pendant qu'il était absent, je restai seul, à réfléchir. Le monde qui m'entourait me semblait démesurément grand. Le seul petit point qui m'intéressait était comme une tache minuscule au milieu d'une immensité sauvage. Tout autour, c'était la nuit, le danger inconnu, qui faisait pression de toutes parts. Et au centre de notre petite oasis se trouvait un être qui était toute douceur et toute beauté. Un être qu'on pouvait aimer; pour lequel on pouvait peiner. Pour lequel on pouvait mourir…


Mr. Corbeck revint très vite avec le livre. Il l'avait immédiatement trouvé à l'endroit où il l'avait vu trois ans auparavant. Il avait placé plusieurs bandes de papier pour marquer les passages que je devais lire; il me remit le tout en disant:


– C'est ce qui a orienté au début Mr. Trelawny et moi aussi, quand je l'ai lu; ce livre sera pour vous, je n'en doute pas, un intéressant point de départ pour une étude spéciale, quel qu'en puisse être le dénouement. Si, à vrai dire, l'un de nous soit jamais en mesure d'y assister.


Il s'arrêta un instant à la porte pour me dire:


– Je veux revenir sur un point. Ce détective est un brave garçon. Ce que vous m'avez dit de lui me le fait voir sous un jour nouveau. La meilleure preuve, c'est que je m'en vais aller dormir tranquillement cette nuit en laissant les lampes à sa garde!


Quand il fut parti, je pris le livre, mis en place mon masque respiratoire, et allai prendre mon tour de garde dans la chambre du malade.

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