Le soir, Mr. Trelawny nous emmena de nouveau dans le bureau. Quand nous fûmes tous attentifs, il révéla ses plans:
– J'ai abouti à la conclusion que pour la réalisation convenable de ce que nous appellerons notre Grande Expérience, nous devrons être absolument et complètement isolés. Non pas seulement pendant un jour ou deux, mais pendant tout le temps qu'il faudra. Ici, cela serait impossible, les besoins et les habitudes d'une grande ville avec tout ce qu'ils entraînent de possibilités d'interruption, nous dérangeraient, ou pourraient le faire. Les télégrammes, les lettres recommandées, les messagers express suffiraient déjà; mais la grande armée de ceux qui veulent obtenir quelque chose causerait à coup sûr un désastre. En outre, les événements de la semaine dernière ont attiré l'attention de la police sur cette maison. Même si des instructions spéciales n'ont pas été données à Scotland Yard ou par le Commissariat de District, de la garder à l'œil, vous pouvez être sûrs que le policier qui fait ses rondes ne manquera pas de la surveiller. En outre, les domestiques qui ont donné leur congé se mettront sous peu à parler. Ils y sont obligés; car il leur faut, pour leur réputation, donner une raison quelconque à l'interruption d'un service qui leur assurait, dirais-je, un certain prestige dans le voisinage. Les domestiques du quartier vont se mettre à jaser, et peut-être les voisins eux-mêmes. Alors cette presse si active et si intelligente avec son zèle habituel à vouloir éclairer le public, et ses efforts pour augmenter son tirage s'emparera de l'affaire. Lorsque le reporter s'accrochera à nous, l'intimité deviendra impossible. Même si nous devions nous barricader, nous ne serions pas à l'abri d'une interruption, peut-être d'une intrusion. L'une comme l'autre ruinerait nos plans; nous devons donc prendre nos dispositions pour effectuer une retraite, en emportant tous nos bagages. J'y suis préparé. Voilà longtemps que j'ai envisagé cette éventualité et que j'ai pris mes dispositions en conséquence. Je ne prévoyais naturellement pas ce qui s'est passé, mais je savais que quelque chose arriverait. Depuis plus de deux ans, ma maison de Cornouailles a été préparée pour recevoir tous les objets de collection qui se trouvent conservés ici. Lorsque Corbeck est parti à la recherche des lampes, j'ai fait préparer la vieille maison de Kyllion; l'électricité est installée partout et tout est prévu pour que nous puissions produire le courant. Il valait mieux que je vous dise peut-être, car personne, même pas Margaret, ne connaît rien de cette maison, qu'elle est absolument coupée de tout accès pour le public, et même à l'abri de la vue. Elle se trouve sur un petit promontoire rocheux derrière une colline escarpée, et n'est visible de nulle part, sauf de la mer. Depuis longtemps elle a été entourée d'un mur de pierre élevé, car la maison sur l'emplacement de laquelle elle se trouve avait été bâtie par l'un de mes ancêtres à l'époque où une grande maison éloignée d'un centre devait être en état de se défendre par ses propres moyens. Elle est aussi bien adaptée à nos besoins que si elle avait été construite à dessein. Je vous l'expliquerai quand nous serons tous là-bas. Ce ne sera pas long, car le déménagement est déjà en train. J'ai écrit un mot à Marvin pour faire préparer tout ce qui est nécessaire à notre transport. Il va faire chauffer un train spécial, qui partira de nuit pour éviter que nous nous fassions remarquer. Il a également prévu un certain nombre de camions avec des accessoires et des hommes en nombre suffisant pour transporter toutes nos caisses à Paddington. Nous serons partis avant que le journaliste à l'œil d'Argus soit en éveil. Nous allons commencer aujourd'hui à emballer nos affaires; et je pense que nous serons prêts demain soir. Dans les dépendances nous avons encore les caisses qui ont été utilisées pour transporter toutes les collections depuis l'Égypte, et je pense que si elles ont suffi pour le voyage à travers le désert, la descente du Nil jusqu'à Alexandrie, et le trajet de là jusqu'à Londres, elles assureront sans encombre le transport d'ici à Kyllion. Nous sommes quatre hommes, nous avons Margaret pour nous passer tout ce dont nous pouvons avoir besoin, nous pourrons donc procéder à l'emballage en toute sécurité; et les hommes du transporteur chargeront les caisses sur les camions.
Cependant, comme nous devons commencer immédiatement notre travail d'emballage, nous remettrons à plus tard, quand nous en aurons le loisir, les opérations ultérieures.
Le lendemain, à l'heure du dîner, le travail était terminé, et tout était prêt pour les transporteurs, qui devaient venir à minuit. Un peu avant l'heure fixée, nous entendîmes un bruit de voitures, et nous ne tardâmes pas à être envahis par une armée de travailleurs qui, grâce à leur nombre, emportèrent sans effort visible, en une procession ininterrompue, tous les paquets que nous avions préparés. Il leur suffit d'un peu plus d'une heure, et quand les camions se furent éloignés, nous étions tous prêts à les suivre à Paddington. Silvio faisait naturellement partie de l'expédition.
Avant de partir nous avons parcouru en groupe la maison qui paraissait en vérité assez désolée. Comme les domestiques étaient partis pour la Cornouailles, il n'y avait eu aucune tentative de nettoyage; toutes les pièces, tous les couloirs dans lesquels nous avions travaillé, tous les escaliers, étaient jonchés de papiers et de détritus, et portaient des traces de pieds boueux.
La dernière chose que fit Mr. Trelawny avant de partir fut de prendre dans le grand coffre-fort le Rubis aux Sept Étoiles. Tandis qu'il le plaçait en sécurité dans son portefeuille, Margaret qui avait soudain paru très fatiguée, qui se tenait à côté de lui, pâle et rigide, s'épanoui soudain, comme si la vue de la Pierre Précieuse l'avait inspirée. Elle sourit à son père d'un air approbateur et dit:
– Vous avez raison, père. Il n'y aura aucun ennui ce soir. Elle ne contrariera pas vos arrangements pour quelque cause que ce soit. J'en mettrais ma main au feu.
– Elle, ou quelque chose, nous a créé des difficultés lorsque nous étions dans le désert en sortant du tombeau de la Vallée de la Sorcière!
Tel fut le commentaire sarcastique de Corbeck qui se tenait à côté d'elle. Margaret répondit à la vitesse de l'éclair:
– Ah! elle était alors près de son tombeau, d'où son corps n'avait pas été bougé depuis des milliers d'années. Elle doit savoir que les choses sont différentes à présent.
– Comment doit-elle le savoir? demanda Corbeck sur un ton incisif.
– Si elle est douée de ce corps astral dont parle mon père, elle doit sûrement le savoir! Comment en serait-il autrement, avec une présence invisible et une intelligence qui peut s'en aller au loin, même jusqu'aux étoiles et jusqu'aux mondes qui sont au-delà de nous.
Elle se tut et son père déclara solennellement:
– C'est de cette hypothèse que nous partons. Nous devons avoir le courage de nos convictions, et agir en conséquence – jusqu'à la fin!
À la gare, lorsque tous les fardeaux furent chargés, les ouvriers montèrent dans le train. Celui-ci prit aussi quelques-uns des plateaux utilisés pour transporter les caisses avec les grands sarcophages. Des camions ordinaires et un grand nombre de chevaux nous attendraient à Westerton, qui était notre gare pour Kyllion. Mr. Trelawny avait commandé un wagon-lit pour notre expédition. Dès que le train eut démarré, nous nous sommes tous installés dans nos cabines.
Cette nuit-là, je dormis profondément. J'avais une conviction de sécurité absolue et suprême. La déclaration définitive de Margaret: «Il n'y aura aucun ennui cette nuit! «semblait emporter la certitude. Je ne la mis pas en question et tout le monde fit comme moi. Ce n'est qu'après que je me mis à me demander comment elle pouvait en être si sûre. Le train était lent, il était sujet à des arrêts fréquents et très longs. Comme Mr. Trelawny ne tenait pas à arriver à Westerton avant la nuit, il n'y avait pas lieu de se presser; et des arrangements avaient été pris pour faire manger les ouvriers en certains points du parcours. Quant à nous, nous avions nos paniers de provisions dans notre wagon réservé.
Pendant tout l'après-midi, nous avons parlé de la Grande Expérience qui avait pris corps dans notre pensée. Mr. Trelawny était de plus en plus enthousiaste à mesure que le temps passait; l'espoir avait chez lui laissé la place à la certitude.
Quant à Margaret, elle paraissait d'une certaine façon paralysée. Soit qu'il y ait eu quelque chose de changé dans ses sentiments, soit qu'elle ait pris l'entreprise plus au sérieux qu'elle ne l'avait fait jusque-là. Elle était généralement plus ou moins distraite, comme si elle avait sombré dans la méditation; mais elle en sortait brusquement. C'était habituellement à l'occasion d'une péripétie du voyage, comme un arrêt dans une gare, ou quand le fracas de tonnerre déclenché par le passage d'un viaduc venait éveiller les échos des collines et des falaises qui nous environnaient. À chacune de ces occasions, elle se mêlait à la conversation, y prenait part de façon à montrer que, bien que sa pensée se soit égarée ailleurs, ses sens avaient pleinement enregistré ce qui se passait autour d'elle. Ses manières à mon égard étaient étranges. Quelquefois elle se tenait à distance dans une attitude à moitié timide, à moitié hautaine, qui était nouvelle pour moi. À d'autres occasions, c'étaient des regards, des gestes et des intonations passionnés qui me faisaient presque tourner la tête de délices. Cependant on ne put guère juger de son caractère pendant le voyage. Il n'y eut qu'un épisode qui avait en lui-même quelque chose d'inquiétant, mais comme nous étions tous endormis à ce moment-là nous n'en avons pas été dérangés. Nous ne l'avons appris que le lendemain matin par un employé bavard. Entre Dawlish et Teignmouth le train fut arrêté par quelqu'un qui agitait une torche sur la voie. En s'arrêtant, le mécanicien s'était aperçu qu'un petit éboulement s'était produit juste devant le train: de la terre rouge venant du talus. Cependant, cela n'était même pas arrivé jusqu'aux rails; le mécanicien était reparti, assez peu satisfait de ce retard.
Nous arrivâmes à Westerton vers neuf heures du soir. Des camions et des chevaux nous attendaient, et le travail de déchargement commença immédiatement.
Nous n'attendîmes pas pour voir faire le travail, qui était entre les mains d'hommes compétents. Nous prîmes la voiture qui nous attendait, et dans la nuit, nous nous dirigeâmes rapidement vers Kyllion.
Quand la maison apparut dans un brillant clair de lune, nous fûmes tous impressionnés. Un grand manoir de pierre grise de l'époque de Jacques Ier, vaste et spacieux dominant la mer sur le bord d'une falaise élevée.
Nous trouvâmes tout prêt à l'intérieur de la maison, et quand le dîner fut terminé, nous nous sommes tous transportés dans la pièce que Mr. Trelawny avait installée à côté de son bureau, à proximité immédiate de sa chambre. En entrant, la première chose qui me frappa fut un grand coffre-fort, assez semblable à celui qui se trouvait à Londres dans sa chambre. Une fois tous réunis, Mr. Trelawny s'approcha de la table, prit son portefeuille et l'y déposa. Ce faisant, il appuya dessus avec la paume de sa main, et pâlit étrangement. En tremblant, il ouvrit le portefeuille et dit aussitôt:
– La bosse ne paraît pas la même, j'espère qu'il n'est rien arrivé!
Les trois hommes se rassemblèrent autour de lui. Seule Margaret conserva son calme; elle restait debout et silencieuse, comme une statue. Elle avait un regard lointain, comme si elle n'avait pas su ce qui se passait autour d'elle ou ne s'en souciait pas.
D'un geste désespéré, Trelawny ouvrit la poche du portefeuille où il avait mis le Rubis aux Sept Étoiles. Il s'effondra dans un fauteuil en disant d'une voix rauque:
– Mon Dieu! Il a disparu. Sans lui la Grande Expérience est réduite à néant!
Ses paroles parurent réveiller Margaret de sa rêverie intérieure. Son visage se contracta dans un spasme d'angoisse, puis elle retrouva presque instantanément son calme, et c'est presque en souriant qu'elle dit:
– Vous l'avez peut-être laissé dans votre chambre, père. Il a pu tomber de votre portefeuille quand vous vous êtes changé.
Sans un mot, nous nous précipitâmes tous dans la pièce voisine en passant par la porte ouverte qui séparait le bureau de la chambre à coucher. Et soudain le calme se rétablit.
Là! sur la table, était posée la Pierre aux Sept Étoiles, brillante, étincelante de lumière, comme si chacune des sept pointes des sept étoiles avait lui à travers du sang!
Timidement, nous regardâmes tous derrière nous, et ensuite notre voisin. Margaret était à présent comme les autres. Elle avait abandonné son calme de statue. Toute cette rigidité accompagnant son attitude d'introspection avait disparu; et elle serra les mains avec une telle force que ses phalanges en devinrent blanches.
Sans un mot, Mr. Trelawny saisit la pierre, et se précipita, en l'emportant, dans la pièce voisine. Il ouvrit avec autant de calme qu'il put la porte du coffre au moyen de la clef suspendue à son bracelet et mit la pierre à l'intérieur. Quand les lourdes portes furent refermées et la clef tournée, il eut l'air de respirer plus librement.
D'une certaine façon cet épisode, bien que troublant à bien des égards, parut nous remettre d'aplomb. Depuis notre départ de Londres, nous avions été surmenés, et nous éprouvions une sorte de soulagement. Une autre étape de notre étrange entreprise était franchie.
Le changement était plus accentué chez Margaret que chez n'importe lequel d'entre nous. Peut-être parce qu'elle était une femme, et nous des hommes; peut-être parce qu'elle était la plus jeune. Ou pour ces deux raisons. En tout cas, le changement était là, et j'étais plus heureux que je ne l'avais été à aucun moment du voyage. Tout son entrain, sa tendresse, ses sentiments profonds apparaissaient de nouveau; de temps à autre, lorsque les yeux se posaient sur elle, son visage semblait s'éclairer.
Pendant que nous attendions l'arrivée des camions, Mr. Trelawny nous fit faire le tour de la maison, en nous indiquant, avec explications, les endroits où les objets devraient être placés. Sur un seul sujet il s'abstint de confidence: la place que devaient occuper les objets ayant un rapport avec la Grande Expérience. Les caisses qui les contenaient devaient pour le moment être laissées dans le vestibule extérieur.
Quand nous eûmes terminé notre inspection, les camions commencèrent à arriver; et l'agitation de la nuit précédente reprit. Mr. Trelawny se tenait dans le hall à côté de la porte massive doublée de fer et donnait des instructions sur l'endroit où devaient être déposées les grandes caisses. Celles qui contenaient plusieurs objets étaient placées dans le vestibule intérieur, où elles seraient déballées.
Tout fut livré en un temps incroyablement bref; et les hommes partirent, après avoir reçu chacun, par l'intermédiaire de leur contremaître, un souvenir qui provoqua de leur part des remerciements empressés. Puis nous nous sommes tous rendus dans nos chambres. Nous étions gagnés par une étrange confiance. Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous ait éprouvé le moindre doute sur l'atmosphère de calme dans laquelle allait se dérouler la fin de la nuit.
Cette confiance se révéla justifiée, car, le lendemain matin, en nous réunissant, nous pûmes vérifier que tout le monde avait dormi profondément et paisiblement.
Au cours de cette journée, tous les objets de collection, à l'exception de ceux qui serviraient à la Grande Expérience, furent mis à leur emplacement désigné. On prit alors les dispositions pour que tous les domestiques retournent le lendemain matin à Londres avec Mrs. Grant.
Après leur départ, Mr. Trelawny, après avoir vérifié que les portes étaient bien fermées à clef, nous emmena dans le bureau.
– À présent, dit-il, lorsque nous fûmes assis, j'ai un secret à vous confier; mais, en raison d'un engagement ancien qui m'y oblige, je dois vous demander de me promettre solennellement de ne pas le révéler. Depuis au moins trois cents ans, cette promesse a été exigée de tous ceux à qui il a été révélé, et plus d'une fois son respect a permis d'assurer la sécurité et de sauver des existences. Même ainsi, je suis en contradiction avec l'esprit, sinon avec la lettre de cette tradition; car je ne devrais le dire qu'aux membres directs de ma famille.
Nous fîmes tous la promesse demandée. Il continua:
– Il y a ici un endroit secret, une caverne, naturelle à l'origine, mais améliorée ensuite, sous la maison. Je ne vais pas entreprendre de vous dire qu'elle a toujours été utilisée d'une manière conforme à la loi. Pendant les Assises Sanglantes, un certain nombre de Cornouaillais y ont trouvé asile; antérieurement, et postérieurement, elle a constitué, j'en suis sûr, un endroit commode pour entreposer des marchandises de contrebande. Les Trelawny, je suppose que vous le savez, ont toujours été plus ou moins contrebandiers; leurs parents, amis et voisins n'étaient pas étrangers à ce genre d'entreprises. Pour toutes ces raisons une cachette sûre a toujours été considérée comme utile à avoir. Et comme les chefs de notre maison ont toujours insisté pour que le secret soit gardé, je mets un point d'honneur à m'y conformer. Plus tard, si tout va bien, je te le dirai naturellement, Margaret, et à vous aussi, Ross, sous les conditions que je suis obligé de poser.
Il s'est levé et nous l'avons suivi. Il nous a laissés dans le vestibule extérieur et s'est absenté pendant quelques minutes; quand il est reparu, il nous a fait signe de le suivre.
Dans le vestibule intérieur, nous avons trouvé toute une section d'un angle en saillie déplacée, laissant apparaître une cavité où, dans la pénombre, s'amorçait un escalier grossièrement taillé dans le roc. Comme il ne faisait pas absolument noir, il y avait manifestement un système d'éclairage naturel, si bien que sans avoir besoin de nous arrêter, nous avons suivi notre hôte qui descendait. Après quarante ou cinquante marches taillées dans un passage sinueux, nous sommes parvenus dans une grande caverne dont l'extrémité se perdait dans l'obscurité. C'était une salle énorme, vaguement éclairée par quelques fentes irrégulières de forme bizarre. C'étaient manifestement des fentes du rocher qui permettaient aux fenêtres d'être invisibles du dehors. Tout près de chacune était suspendu un volet qu'on pouvait amener dessus au moyen d'une corde. Le bruit des vagues qui venaient se briser sans cesse arrivait, étouffé, de loin au-dessus de nous. Mr. Trelawny prit immédiatement la parole:
– Voici l'endroit que j'ai choisi, comme cadre de notre Grande Expérience. C'est ce que j'ai trouvé de mieux. De cent différentes façons il remplit les conditions que j'ai été conduit à considérer comme primordiales pour son succès. Ici nous sommes, et serons, aussi isolés qu'aurait été la Reine Tera elle-même dans son tombeau de la Vallée de la Sorcière, et également dans une caverne taillée dans le roc. Pour le bien comme pour le mal, nous devons courir ici notre chance, et nous incliner devant les résultats. Si nous réussissons, nous serons en mesure d'inonder le monde de la science moderne d'un tel flot de lumière jaillie du Monde Antique que toutes les conditions de la pensée, de l'expérimentation et de la pratique s'en trouveront changées. Si nous échouons, alors, même le souvenir de notre tentative disparaîtra avec nous. Pour cela, et pour tout ce qui peut survenir d'autre, je crois que nous sommes prêts!
Mr. Trelawny prit une longue inspiration, et poursuivit sur un ton plus réconfortant, et en même temps plus décidé:
– Comme nous sommes tous d'accord, le plus tôt nous mettrons les choses en train, le mieux cela vaudra. Laissez-moi vous dire que cette salle, comme tout le reste de la maison, peut être éclairée à l'électricité. Nous n'avons pas pu connecter les fils aux câbles d'arrivée de peur de révéler notre secret, mais j'en ai un ici que nous pouvons brancher dans le vestibule pour compléter le circuit.
Tout en parlant, il commençait à monter les marches. Tout près de l'entrée, il prit l'extrémité d'un câble; il le tira en avant et le fixa à une prise dans le mur. Il tourna le bouton illuminant ainsi la caverne et l'escalier. Je pouvais voir à présent d'après la quantité de lumière qui arrivait dans le hall que le trou ménagé à côté de l'escalier arrivait directement dans la caverne. Au-dessus se trouvait une poulie avec une masse d'engins et de treuils faisant partie du matériel de Smeaton. Mr. Trelawny voyant que je regardais, me dit, en interprétant correctement ma pensée:
– Oui! C'est nouveau. Je l'ai pendu là exprès. Je savais que nous aurions à descendre des fardeaux importants; et comme je ne désirais pas mettre trop de monde dans la confidence, j'ai arrangé un dispositif que je pourrais manœuvrer seul si nécessaire.
Nous nous sommes mis immédiatement au travail; et avant la tombée de la nuit, nous avions descendu, décroché et mis à la place désignée par Trelawny tous les grands sarcophages, les pièces de collection et les autres objets que nous avions emportés avec nous.
C'était une opération étrange et curieuse que d'installer les témoignages merveilleux d'un siècle lointain dans cette vaste caverne qui représentait, avec ses dispositifs modernes et sa lumière électrique, un mariage entre l'ancien monde et le nouveau. Je fus très troublé lorsque Silvio, que sa maîtresse avait apporté dans la caverne en le tenant entre ses bras, et qui s'était endormi sur ma veste après que je l'eus ôtée, bondit dès que le chat momifié eut été déballé et se jeta sur lui avec la même férocité que la première fois. Cet incident fit apparaître Margaret sous un nouvel aspect, qui me donna un coup au cœur. Elle se tenait, très calme, sur un côté de la caverne, penchée sur un sarcophage, perdue dans sa rêverie, comme cela lui arrivait depuis peu; mais, en entendant le bruit, et en voyant la façon violente qu'avait eue Silvio d'attaquer, elle parut soudain en proie à une fureur passionnée. Ses yeux lançaient des éclairs, sa bouche se crispa dans une expression dure et cruelle que je ne lui connaissais pas. Elle fit instinctivement un pas vers Silvio comme pour intervenir mais moi aussi, j'avais fait un pas en avant; et quand elle surprit mon coup d'œil elle se contracta étrangement, et elle s'arrêta. L'intensité de sa réaction me coupa la respiration, et je levai la main pour m'éclaircir la vue. Quand je l'eus fait, elle avait sur l'instant recouvré son calme et il y eut sur son visage, pendant un court instant, une expression d'étonnement. Avec toute la grâce qu'elle avait autrefois, et toute sa douceur, elle s'avança pour saisir Silvio et le soulever, exactement comme elle avait fait précédemment; elle le tint dans ses bras, en le caressant et en le traitant comme un petit enfant qui s'est écarté du droit chemin.
En la regardant, je fus pris d'une peur étrange. La Margaret que j'avais connue semblait être en train de changer, et dans le plus profond de mon cœur je faisais des prières pour que la cause de ce trouble disparaisse bientôt. Plus que jamais, j'attendais avec impatience le moment où notre terrible Expérience aboutirait à un dénouement favorable.
Lorsque tout eut été arrangé dans la pièce suivant les désirs de Mr. Trelawny, celui-ci se tourna successivement vers chacun de nous, jusqu'à ce que nous ayons tous concentré notre attention sur lui. Il dit alors:
– Maintenant, tout est prêt. Il ne nous reste plus qu'à attendre le moment convenable pour commencer.
Nous sommes restés un instant silencieux. Le Dr Winchester fut le premier à parler:
– Quel est le moment convenable? Avez-vous une approximation, même si vous n'êtes pas fixé sur le jour exact?
– Après avoir longuement réfléchi j'ai choisi le 31 juillet!
Puis-je demander pourquoi, cette date?
Il répondit lentement:
– La Reine Tera s'inspirait du plus haut degré de mysticisme, et il y a tellement de preuves qu'elle envisageait sa résurrection qu'on peut penser qu'elle choisirait naturellement une période régie par un Dieu spécialisé dans ce genre d'entreprise. Le quatrième mois de la saison de l'Inondation était sous le signe d'Harmachis, ce nom étant celui de «Ra» le Dieu-Soleil à son lever le matin, et personnifiant par conséquent le réveil. Ce réveil est manifestement celui qui concerne la vie physique, puisqu'il correspond au milieu de la vie quotidienne de l'homme. Comme ce mois commence le jour de notre 25 juillet, le septième jour sera le 31 juillet, car vous pouvez être sûrs que la reine, mystique comme elle est, n'aurait jamais choisi que le sept ou un multiple de sept.
J'ose dire que certains d'entre vous se sont demandé pourquoi nos préparatifs ont été entrepris aussi délibérément. C'est la raison. Nous devons être prêts de toutes les façons possibles lorsque le moment sera venu; mais ce n'était pas la peine d'avoir à attendre sans utilité un grand nombre de jours.
Si bien que nous attendîmes seulement le 31 juillet, le surlendemain, jour où devrait être tentée la Grande Expérience.