Pendant que j'attendais d'être appelé dans la chambre de Mr. Trelawny, comme je savais que cela arriverait, le temps me parut long et je me sentis seul. Je poursuivais des rêves bien personnels, lorsque la porte s'ouvrit, et Mr. Trelawny me fit signe d'entrer.
– Entrez, Mr. Ross! dit-il avec cordialité, mais avec une certaine solennité qui me fit peur. J'entrai dans la chambre, et il referma la porte. Il tendit la main, et j'y mis la mienne. Il ne la lâcha pas, et la conserva pour me conduire vers sa fille. Le regard de Margaret alla de lui à moi, pour revenir à lui, puis elle baissa les yeux. Quand je fus tout près d'elle, Mr. Trelawny cessa de me tenir la main, et dit, en regardant sa fille bien en face:
– Si les choses sont telles que je les imagine, il n'y aura pas de secrets entre nous. Malcolm Ross en sait déjà tant sur mes affaires que j'estime qu'il doit laisser les choses où elles en sont et s'en aller sans rien dire, ou bien – en apprendre davantage. Margaret! Veux-tu autoriser Mr. Ross à voir ton poignet?
Elle lui lança un regard suppliant, mais, en même temps, elle paraissait prendre une décision. Sans un mot, elle leva la main droite, de manière à ce que le bracelet en forme d'ailes étendues qui lui recouvrait le poignet retombe, en laissant la peau nue. Je fus alors parcouru par un frisson glacé. Sur son poignet se trouvait une ligne fine, rouge, irrégulière, à laquelle semblaient être suspendues des taches rouges comme des gouttes de sang!
Elle restait là, sans bouger, véritable image de la fierté patiente. Car elle paraissait fière! À travers toute sa douceur, toute sa dignité, son oubli de soi, marque d'une âme élevée, que je lui connaissais et qui n'avait jamais paru plus marqué – à travers les flammes qui semblaient jaillir des profondeurs de ses yeux sombres pour pénétrer mon âme, la fierté apparaissait de la manière la plus visible. La fierté confiante; la fierté qui résulte d'une pureté consciente; la fierté d'une véritable reine de l'Ancien Temps, quand le fait d'être d'essence royale, impliquait qu'elle était la première, la plus grande, et la plus courageuse. Tandis que nous restions ainsi quelques secondes, la voix profonde et grave de son père retentit à mes oreilles comme un défi:
– Que dites-vous à présent?
Ma réponse ne fut pas formulée en paroles. Je pris dans la mienne la main droite de Margaret telle qu'elle se présentait, je la tins serrée et, de mon autre main, je remontai le bracelet d'or; je me penchai et déposai un baiser sur le poignet. Quand je levai les yeux vers elle, sans lâcher sa main, il y avait sur son visage une expression de joie, comme j'en rêve quand je pense au ciel. Alors je regardai son père en face:
– Vous avez ma réponse, monsieur!
Son visage énergique prit une expression grave et aimable. Il posa la main sur les deux nôtres réunies, se pencha pour embrasser sa fille, et ne prononça qu'une parole:
– Bon!
Nous fûmes interrompus par un coup frappé à la porte. En réponse à un «entrez!» impatient de Mr. Trelawny, Mr. Corbeck fit son apparition. Quand il nous vit réunis, il voulut se retirer mais en un instant, Mr. Trelawny s'était déjà précipité et l'entraînait vers nous. Ils se serrèrent les deux mains. Mr. Corbeck était un autre homme. Tout son enthousiasme juvénile, dont Mr. Trelawny nous avait parlé, semblait lui être revenu en un instant.
– Ainsi, vous avez les lampes! dit-il presque en criant. Mon raisonnement était finalement juste. Venez dans la bibliothèque où nous serons seuls, et racontez-moi tout! Et pendant ce temps, Ross, dit-il en se tournant vers moi, voulez-vous, comme un bon garçon, aller chercher la clef du coffre, pour que je puisse jeter un coup d'œil sur les lampes!
Ils entrèrent donc tous les trois dans la bibliothèque; la fille serrait affectueusement le bras de son père; pendant ce temps je me hâtais vers Chancery Lane.
Nous avons dîné ensemble de bonne heure. Nous restâmes ensuite un bon moment à nous reposer, puis Mr. Trelawny dit:
– À présent, je crois que nous ferions mieux de nous séparer et d'aller nous coucher de bonne heure. Nous pourrons parler longuement demain; et ce soir, je désire réfléchir.
Le Dr Winchester partit, emmenant par une prévenance courtoise, Mr. Corbeck et me laissant seul en arrière. Quand les autres furent partis, Mr. Trelawny déclara:
– Je crois qu'il serait bon que, vous aussi, vous rentriez chez vous ce soir. Je désire être en tête à tête avec ma fille; il y a des choses dont je veux l'entretenir, et elle seule. Peut-être, dès demain, pourrai-je vous en parler à vous aussi; mais d'ici là; nous serons moins distraits si nous sommes seuls dans la maison.
Je comprenais très bien et je partageais ses sentiments. Mais les expériences de ces derniers jours étaient encore présentes à ma mémoire et je lui dis avec un peu d'hésitation:
– Mais, cela ne peut-il pas être dangereux? Si vous saviez comme nous…
À ma grande surprise, Margaret m'interrompit:
– Il n'y aura aucun danger, Malcolm. Je serai avec père!
En parlant, elle se serrait contre lui dans un geste de protection. Je ne dis plus rien, mais je me levai pour partir aussitôt. Mr. Trelawny dit avec chaleur:
– Venez d'aussi bonne heure que vous le désirez, Ross. Soyez-là pour le petit-déjeuner. Ensuite, nous pourrons parler tous les deux.
Il quitta la pièce en silence, nous laissant seuls. Je saisis les mains de Margaret et les couvris de baisers, puis elle vint tout près de moi, et nos lèvres se joignirent pour la première fois.
Avant neuf heures, j'étais à Kensington. Toute inquiétude semblait s'être envolée quand je vis Margaret. La pâleur de son visage avait déjà laissé la place au teint de fleur que je lui connaissais. Elle me dit que son père avait bien dormi, et qu'il n'allait pas tarder à nous rejoindre.
– Je crois bien, dit-elle à voix basse, que mon cher père, si attentionné, est resté en arrière exprès, pour que je sois la première à vous accueillir – et que je reste un peu seule avec vous!
Après le petit-déjeuner, Mr. Trelawny nous emmena dans le bureau. Il dit en entrant:
– J'ai demandé à Margaret de venir aussi.
Quand nous fûmes assis, il dit avec gravité:
– Je vous ai laissé entendre hier soir que nous aurions peut-être quelque chose à nous dire. J'ose croire que vous avez pu penser qu'il s'agissait de Margaret et de vous. N'est-ce pas?
– Je crois.
– Eh bien, mon garçon, c'est parfait. Margaret et moi, nous avons parlé, je connais ses désirs.
Il tendit la main. Quand je l'eus saisie et que j'eus embrassé Margaret, que celle-ci eut rapproché son siège du mien, pour que nous puissions, en écoutant, nous tenir par la main, il poursuivit, mais avec une certaine hésitation – on aurait pu presque parler de nervosité – qui était nouvelle pour moi:
– Vous connaissez beaucoup de choses sur ma chasse après cette momie et ce qui lui appartenait; et j'ose croire que vous avez deviné une grande partie de mes théories. Mais en tout cas, je les expliquerai plus tard, d'une manière concise et catégorique, si cela est nécessaire. Le point sur lequel je veux vous consulter à présent est celui-ci Margaret et moi, nous sommes en désaccord sur une question. Je suis sur le point de faire une expérience; l'expérience qui couronnera vingt années de recherches, de dangers courus, de travaux de préparation. Grâce à cette expérience nous pouvons apprendre des choses qui ont été tenues à l'écart des yeux et de la connaissance des hommes depuis des siècles – des dizaines de siècles. Je ne désire pas que ma fille soit présente; car je ne peux pas m'aveugler sur un point: il peut y avoir du danger – un grave danger, et d'une nature inconnue. Cependant, j'en ai déjà affronté de tels, de même que le courageux savant qui m'a aidé dans mon œuvre. En ce qui me concerne, je suis disposé à courir n'importe quel risque. Pour que la science, l'histoire, et la philosophie puissent en bénéficier; et nous allons peut-être tourner une page d'une sagesse inconnue dans ce siècle terre à terre. Mais j'hésite à faire courir à ma fille un tel risque. Sa jeune et brillante existence est trop précieuse pour être exposée de la sorte; surtout à présent où elle se trouve sur le seuil d'un bonheur nouveau. Je ne désire pas voir sa vie sacrifiée, comme a été celle de sa chère mère…
Il s'interrompit un moment, et se couvrit les yeux des mains. En un instant, Margaret fut à côté de lui, le serra contre elle, l'embrassa, le réconforta par des paroles affectueuses. Puis, en se redressant, une main posée sur la tête de son père, elle dit:
– Père! mère ne vous a pas prié de rester auprès d'elle, même lorsque vous vouliez partir pour ce voyage en Égypte présentant des dangers inconnus, bien que ce pays ait été bouleversé de fond en comble par la guerre et les dangers qui en découlent. Vous m'avez dit qu'elle vous avait laissé libre de partir si vous le désiriez; cependant le fait qu'elle craignait un danger pour vous est prouvé par ceci! Elle leva son poignet avec la cicatrice d'où le sang paraissait couler. À présent, la fille agit comme aurait agi la mère!
Puis se tournant vers moi:
– Malcolm, vous savez que je vous aime! Mais l'amour c'est la confiance; et vous devez avoir confiance en moi aussi bien devant le danger que dans la joie. Vous et moi, nous devons nous tenir aux côtés de mon père devant ce péril inconnu.
– Mr. Trelawny! dans ceci, Margaret et moi, nous ne faisons qu'un!
Il prit nos mains et les serra fort. Puis il dit, en proie à une profonde émotion:
– C'est ce que sa mère aurait fait!
Mr. Corbeck et le Dr Winchester arrivèrent exactement à l'heure fixée et vinrent nous rejoindre dans la bibliothèque. Malgré mon grand bonheur, je trouvai à notre réunion quelque chose de solennel. Car je ne pourrais jamais oublier les choses étranges qui s'étaient passées, et la perspective des choses étranges qui pourraient à nouveau se produire faisait planer comme un nuage qui nous oppressait tous. De la gravité de mes compagnons je déduisais qu'ils étaient eux aussi sous l'emprise d'une pensée obsédante.
Nous rapprochâmes instinctivement nos sièges de manière à former un cercle autour de Mr. Trelawny qui avait pris le grand fauteuil près de la fenêtre. Margaret était assise à sa droite, et j'étais à côté d'elle. Mr. Corbeck était à sa gauche avec le Dr Winchester de l'autre côté. Après quelques secondes de silence, Mr. Trelawny dit à Mr. Corbeck:
– Vous avez mis le Dr Winchester au courant de tout ce qui s'était passé jusqu'à aujourd'hui, comme nous en étions convenus?
– Oui, répondit-il, si bien que Mr. Trelawny dit:
– Et j'ai tout dit à Margaret, ce qui fait que nous sommes tous au courant.
Alors, se tournant vers le docteur, il demanda:
– Dois-je comprendre que, sachant tout comme nous, qui avons suivi l'affaire en question depuis des années, vous désirez participer à l'expérience que nous espérons tenter?
Sa réponse fut directe et sans équivoque.
– Certainement! Voyons, lorsque cette affaire était toute nouvelle pour moi, j'ai offert de la suivre jusqu'à sa conclusion. À présent qu'elle présente un si étrange intérêt, je ne m'en désintéresserais pas pour tout l'or du monde. Rassurez-vous tout à fait, Mr. Trelawny. Je suis un savant et un chercheur. Je ne dépends de personne, personne ne dépend de moi. Je suis tout à fait seul, et libre de faire ce que je veux avec ce qui m'appartient – y compris ma vie!
Mr. Trelawny s'inclina avec gravité et, se tournant vers Mr. Corbeck, il déclara:
– Voilà bien des années que je connais vos idées, mon vieil ami; je n'ai donc pas à vous poser de question. Quant à Margaret et Malcolm Ross, ils m'ont déjà dit leur façon de voir d'une façon non équivoque.
» L'expérience qui s'offre à nous consiste à essayer de savoir s'il y a vraiment une force, une réalité, dans la vieille Magie. Il ne peut pas y avoir de conditions plus favorables pour cette tentative, et mon désir est de réaliser tout ce qu'il est possible de faire pour mettre à exécution le projet d'origine. Qu'il existe un tel pouvoir, je le crois fermement. Il n'est peut-être pas possible de susciter, ou d'aménager, de diriger un tel pouvoir de nos jours; mais je prétends que si un tel pouvoir a existé dans les Temps Anciens, il peut présenter quelque survivance exceptionnelle. Après tout, la Bible n'est pas un mythe; et nous y lisons que le soleil s'est arrêté sur l'ordre d'un homme et qu'un âne – non pas un âne humain – a parlé. Et si, à Endor, la magicienne a pu évoquer devant Saül l'esprit de Samuel, il n'y a là qu'un cas choisi entre un grand nombre et le fait qu'elle ait été consultée par Saül n'est qu'une question de hasard. Il cherchait seulement un homme parmi ceux, nombreux, qu'il avait emmenés d'Israël: «Tous ceux qui avaient des Esprits Familiers, et les Sorciers.» Cette Reine Égyptienne, Tera, qui régna près de deux mille ans avant Saül, avait un Esprit Familier, et était également une Sorcière. Voyez comment les prêtres de son époque, et ceux des époques ultérieures, ont essayé de faire disparaître son nom de la surface de la terre et de jeter un sort sur la porte même de son tombeau pour que personne ne pût découvrir le nom disparu. Et ils y sont si bien parvenus que même Manetho, l'historien des Rois Égypte, qui écrivait au dixième siècle avant Jésus-Christ, avec derrière lui toute la tradition des prêtres s'étendant sur quarante siècles, avec la possibilité de se référer à tous les documents existants, n'a même pas pu trouver son nom. En pensant aux événements récents, n'avez-vous pas, les uns ou les autres, été frappés par une chose: qu'était, ou qui était son Esprit Familier?
Il y eut une interruption, car le Dr Winchester avait bruyamment claqué l'une de ses mains contre l'autre en s’écriant:
– Le chat! Le chat momifié! Je le savais! Mr. Trelawny lui sourit.
– Vous avez raison! Tout indique que l'Esprit Familier de la Reine Sorcière était ce chat qui fut momifié en même temps qu'elle et qui fut placé, non seulement dans son tombeau, mais dans son propre sarcophage. C'est lui qui m'a mordu au poignet, qui m'a coupé de ses crocs acérés.
Il marqua un temps. Le commentaire de Margaret fut celui d'une vraie petite fille:
– Alors, mon pauvre Silvio est acquitté. Je suis bien contente!
Son père lui caressa les cheveux et poursuivit:
– Cette femme semble avoir joui d'un extraordinaire pouvoir prophétique. Qui allait loin, très loin, au-delà de son siècle et de la philosophie de son époque. Elle semble avoir vu au-delà des faiblesses de sa propre religion et s'être préparée à un retour dans un monde différent.
Toutes ses aspirations tendaient vers le Nord, le point de la boussole d'où viennent les vents frais qui font une joie de la vie. Dès le début, ses yeux semblent avoir été attirés par les sept étoiles du Chariot. Comme le relatent les hiéroglyphes de son tombeau, sa naissance a coïncidé avec la chute d'un aérolite, du centre duquel fut en définitive extrait la Pierre aux Sept Étoiles, qu'elle considéra comme le talisman de sa vie. Il paraît avoir jusqu'à présent régi sa destinée au point que toute sa pensée, tous ses soucis gravitent autour. Le Coffre Magique, si merveilleusement sculpté travaillé et comportant sept pans provenait aussi de l'aérolite, nous l'apprenons de la même source. Sept était pour elle un chiffre magique; et cela n'a rien d'étonnant quand on a sept doigts à une main. Avec un talisman constitué par un rubis précieux comportant sept étoiles disposées comme la constellation ayant présidé à sa naissance, chaque étoile parmi ces sept ayant sept pointes – en soi, une merveille géologique – il aurait été étrange qu'elle n'ait pas été attirée par ce chiffre. De plus, nous l'apprenons grâce à la Stèle qui se trouve dans son tombeau, elle était née le septième mois de l'année – le mois commençant en même temps que les inondations du Nil. La Déesse de ce mois était Hathor, la Déesse de sa propre maison, les Antef de la dynastie Thébaine – la Déesse qui, sous ses différentes formes, symbolise la beauté, le plaisir, et la résurrection. De plus, dans ce septième mois – qui, selon l'astronomie égyptienne plus récente, débute le 28 octobre et va jusqu'au 27 de notre mois de novembre -, le septième jour, le jour de sa naissance, le Garde du Chariot se lève juste au-dessus de l'horizon dans le ciel de Thèbes.
» Ces différents éléments sont donc groupés dans la vie de cette femme d'une manière merveilleusement étrange. Le chiffre sept; l'Étoile Polaire avec la constellation de sept étoiles; le Dieu du mois, Hathor, qui était son Dieu personnel, le Dieu de sa famille, les Antef de la Dynastie Thébaine dont le Roi était symbolisé par lui, et dont les sept formes présidaient à l'amour et aux délices de la vie et de la résurrection. Si jamais il y a eu un fondement à la magie, au pouvoir du symbolisme utilisé à des fins mystiques, à la croyance en des esprits définis à une époque qui ne connaissait pas le Dieu Vivant, c'est là qu'il faut le chercher.
» Rappelez-vous, également, que cette femme excellait dans la science de son époque. Son père avisé et prévoyant y a veillé, sachant qu'elle devrait grâce aux ressources de sa propre sagesse combattre finalement les intrigues de la Hiérarchie. Ayez présent à l'esprit le fait que dans l’Égypte antique, la science de l'Astronomie, à ses débuts avait pourtant atteint un niveau extraordinaire; et que l'Astrologie suivait les progrès de l'Astronomie. Et il est possible qu'avec les récents progrès de la science concernant les rayons lumineux, nous découvrions un jour que l'Astrologie a une base scientifique. Le prochain bond en avant de la pensée scientifique peut très bien s'occuper de ce problème. J'aurai tout à l'heure à attirer votre attention sur quelque chose de spécial dans cet ordre d'idées. N'oubliez pas non plus que les Égyptiens avaient des connaissances scientifiques sur des points que nous ignorons complètement, malgré les avantages dont nous jouissons sur d'autres plans. L'acoustique, par exemple, science exacte pour les constructeurs de Karnak, de Luxor, des Pyramides est aujourd'hui un mystère pour Bell, Kelvin, Edison et Marconi. De plus ces travailleurs du miracle d'autrefois connaissaient probablement un moyen pratique d'utiliser d'autres forces, parmi lesquelles les forces de la lumière, que nous n'imaginons pas aujourd'hui. Mais j'aborderai ce sujet plus tard. Ce Coffre Magique de la Reine Tera est probablement une boîte magique à plus d'un point de vue. Il peut – cela est possible – contenir des forces que nous ignorons. Nous ne pouvons pas l'ouvrir; il doit être fermé de l'intérieur. Comment alors a-t-il été fermé? C'est un coffre de pierre massive, d'une étonnante dureté, ressemblant davantage à une pierre précieuse qu'à un marbre ordinaire, avec un couvercle aussi massif; et cependant il est si finement ajusté que l'outil le plus fin parmi ceux que nous fabriquons aujourd'hui ne peut s'insérer entre le coffre et son couvercle. Comment a-t-il été ajusté avec une telle perfection? Comment la pierre a-t-elle été choisie de sorte que ses parties translucides correspondent par leur position à celle des sept étoiles de la constellation? Comment se fait-il, et d'où cela provient-il, que lorsque la lumière des étoiles éclaire, il devient lumineux de l'intérieur; que lorsque je place les lampes d'une matière analogue la lueur devient encore plus intense; et cependant la boîte ne réagit pas à la lumière ordinaire, quelle que soit son intensité. Je vous dis que cette boîte recèle un grand mystère scientifique. Nous nous apercevrons que la lumière l'ouvre d'une certaine façon; soit en tombant sur une certaine substance, particulièrement sensible à son action, soit en libérant une force encore plus grande.
» D'autre part, il y a peut-être, cachés dans cette boîte, des secrets qui, pour le bien ou pour le mal, apporteront des lumières au monde. Nous savons d'après leurs documents, et aussi par déduction, que les Égyptiens étudiaient les propriétés des herbes et des minéraux à des fins magiques – de magie blanche et aussi bien noire. Nous savons que certains magiciens d'autrefois pouvaient provoquer en partant du sommeil des rêves d'un genre donné. Que ce résultat était principalement obtenu par l'hypnotisme, qui est encore un art, ou une science du Nil antique, j'en suis presque certain. Mais en outre ils devaient avoir une connaissance des drogues dépassant largement tout ce que nous pouvons savoir. Grâce à notre pharmacopée nous pouvons, jusqu'à un certain point, provoquer des rêves. Nous pouvons même faire une différence entre les bons et les mauvais – les rêves de plaisir, ou les rêves troublants et inquiétants. Mais ces praticiens de jadis semblent avoir été en mesure de commander à volonté n'importe quelle forme ou quelle couleur de rêve; pouvaient partir de n'importe quel sujet, de n'importe quelle pensée dans presque n'importe quel sens désiré. Dans ce coffre, que vous avez vu, est peut-être déposé un véritable arsenal de rêves. À dire vrai, certaines des forces qu'il contient ont peut-être été déjà utilisées dans ma maison.
Il y eut alors une nouvelle interruption du Dr Winchester:
– Mais, si dans votre cas, quelques-unes des forces emprisonnées ont été utilisées, qui les a libérées au moment voulu, et comment? En outre, vous avez été, vous et Mr. Corbeck plongés dans un état de transe pendant trois jours entiers lorsque vous vous trouviez pour la seconde fois dans le tombeau de la Reine. Et alors, d'après ce que j'ai retenu du récit de Mr. Corbeck, le coffre n'était pas revenu dans la sépulture, bien que la momie s'y soit trouvée. Dans les deux cas, il doit y avoir eu sûrement une intelligence active en éveil, et quelque autre pouvoir qui s'est exercé.
La réponse de Mr. Trelawny fut aussi directe:
– Il y avait en éveil une intelligence active. J'en suis convaincu. Et elle exerçait un pouvoir qui ne lui fait jamais défaut. Je crois que dans ces deux occasions, le pouvoir exercé était l'hypnotisme.
– Et où se trouve contenu ce pouvoir? Quel point de vue avez-vous à ce sujet?
La voix du Dr Winchester vibrait du fait de l'intensité de son excitation. Il se penchait en avant, sa respiration était entrecoupée, il avait le regard fixe. Mr. Trelawny dit avec solennité:
– Dans la momie de la Reine Tera! J'allais y arriver. Peut-être aurait-il mieux valu que nous attendions que j'aie éclairci un peu le terrain. Ce que je crois fermement, c'est que la préparation de cette boîte était faite pour une occasion spéciale; comme du reste tous les préparatifs du tombeau et de tout ce qui s'y rattache. La Reine Tera ne se souciait pas de se protéger des serpents et des scorpions, dans ce tombeau de roc taillé dans une falaise abrupte à cent pieds au-dessus du niveau de la vallée, et à cinquante pieds au-dessous du sommet. Ses précautions étaient dirigées contre les dégâts causés par des mains humaines; contre la jalousie et la haine des prêtres qui, s'ils avaient connu les buts qu'elle poursuivait, auraient essayé de les déjouer. À son point de vue, elle avait tout préparé pour le moment de sa résurrection, à quelque date qu'elle se produise. Je déduis des peintures symboliques du tombeau qu'elle s'écartait des croyances de son époque au point d'envisager une résurrection de la chair. C'était sans aucun doute ce qui exacerbait la haine des prêtres, et leur donnait une raison acceptable d'abolir l'existence, présente et future de quelqu'un qui avait infligé un outrage à leurs théories et blasphémé leurs dieux. Tout ce dont elle pourrait avoir besoin, soit dans l'accomplissement de sa résurrection, soit ensuite, était contenu dans une suite de chambres creusées dans le roc et presque hermétiquement scellées. Dans le grand sarcophage qui, comme vous le savez, est d'une taille tout à fait inhabituelle même pour les rois, se trouvait la momie de son Esprit familier, le chat, qui, en raison de sa grande taille, était, je pense, une sorte de chat-tigre. Dans le tombeau, contenues également dans un récipient solide, se trouvaient les jarres scellées qui contiennent habituellement ces organes internes qui sont embaumés séparément, mais qui, dans le cas qui nous occupe, ne contenaient rien de semblable. De telle sorte, je pense, qu'il y avait, dans son cas, une déviation aux règles de l'embaumement; les organes étaient remis dans le corps, chacun à sa place, dans le cas, en vérité, où on les aurait d'abord retirés. Si cette hypothèse est exacte, nous découvrirons que le cerveau de la Reine, ou bien n'a jamais été extrait à la manière habituelle, ou bien, s'il l'a été, a été remis en place, au lieu d'être enfermé dans les bandelettes de la momie. Enfin, il y avait dans le sarcophage le Coffre Magique sur lequel ses pieds reposaient. Remarquez aussi le soin pris à préserver son pouvoir de contrôle sur les éléments. D'après ce qu'elle croyait, la main ouverte placée en dehors des bandelettes contrôlait l'Air, l'étrange Pierre Précieuse aux étoiles scintillantes contrôlait le Feu. Le symbolisme inscrit sur la semelle de ses pieds lui donnait l'empire sur la Terre et l'Eau. Pour ce qui est de la Pierre aux Étoiles, je vous en parlerai ensuite, mais pendant que nous en sommes au sarcophage, remarquez comment elle gardait son secret pour le cas d'une violation de sépulture ou d'intrusion. Personne ne pouvait ouvrir son Coffre Magique sans les lampes, car nous savons aujourd'hui que la lumière ordinaire est inopérante. Le grand couvercle du sarcophage n'était pas scellé comme de coutume, parce qu'elle voulait contrôler l'air. Mais elle avait caché les lampes qui normalement se rattachaient au Coffre Magique, dans un endroit où personne n'aurait pu les trouver, sauf en suivant les directives secrètes qu'elle avait préparées à l'intention exclusive d'yeux avisés. Et même là, elle s'était protégée contre les risques de découverte en prévoyant un verrou de la mort dirigé contre un curieux non prévenu. Elle avait pour ce faire appliqué la leçon traditionnelle du garde vengeur des trésors de la pyramide, construite par son grand prédécesseur de la Quatrième Dynastie sur le trône Égypte
» Vous avez remarqué, je suppose, qu'il y avait, dans le cas de son tombeau, certaines déviations aux règles habituelles. Par exemple, le puits d'accès à la Fosse de la Momie, qui est habituellement comblé au moyen de pierres et de déblais, avait été laissé ouvert. Pourquoi cela? Je pense qu'elle avait pris ses dispositions pour quitter son tombeau lorsque, après sa résurrection, elle serait devenue une femme nouvelle, avec une personnalité différente, et moins aguerrie aux épreuves qu'elle avait connues dans sa première existence. Autant que nous puissions juger de ses intentions, elle avait pensé à tout ce dont elle aurait besoin pour son entrée dans le monde, même la chaîne de fer, décrite par Van Huyn, tout près de la porte ménagée dans le rocher, grâce à laquelle elle pourrait se laisser descendre jusqu'au sol. Le choix de la matière prouve qu'elle s'attendait à ce qu'il s'écoule de nombreuses années avant qu'elle ait à l'utiliser. Une corde ordinaire se serait affaiblie ou serait devenue peu sûre avec le temps, mais elle imaginait, à juste titre, que le fer tiendrait.
» Quelles étaient ses intentions lorsqu'elle se promènerait de nouveau à ciel ouvert, nous ne le savons pas, et nous ne le saurons jamais, à moins que ses lèvres mortes ne recouvrent leur souplesse et se mettent à parler.