CHAPITRE X

Pour du travail, ç’a été du travail. Quasi scientifique !

Nous sommes montés tout d’abord au grenier, et nous avons tout exploré, centimètre par centimètre : les meubles, les murs, les plafonds, les planchers. Puis nous sommes redescendus en passant de chambre en chambre…

Elles s’intéressaient à ce travail… Une espèce de sombre fureur les animait. Elles voulaient en finir… Pour cela, elles devaient découvrir une poignée de bijoux…

Nous avons visité le rez-de-chaussée… Bureau, salle à manger, cuisine, cabinet de toilette, débarras…

Ensuite la cave…

Au fur et à mesure que se rapetissait notre champ d’exploration, je sentais que Maurice était plus malin que nous quatre réunis.

S’il était revenu chez sa mère, c’est qu’il savait qu’il existait dans la vieille demeure une planque introuvable ! Une planque lui permettant de dormir sur ses deux oreilles…

Nos recherches ont duré trois heures. Il était une heure de l’après-midi lorsque nous avons eu terminé. Nous étions fatigués par ces piétinements, ces allées et venues…

J’étais furieux.

— C’est bon, ai-je déclaré, puisque c’est ainsi, attendons.

Elles avaient des figures plutôt moroses, ces dames.

Tout à coup, comme nous allions passer à table, Sylvie a fait claquer ses doigts.

— J’ai une idée !

— Qu’est-ce que c’est ?

— Venez avec moi !

Je l’ai suivie à la cave.

Il faut vous dire que le sous-sol était divisé en trois compartiments. Il y avait la cave à vin, à un niveau inférieur aux deux autres compartiments. Puis la cave à charbon où se trouvait la chaudière, enfin une sorte de réserve où l’on entreposait les légumes…

La cave à charbon était fermée par une porte de fer… Sylvie a tiré le verrou et elle est entrée. J’étais intrigué… d’autant plus que nous venions justement d’explorer cet endroit.

— Alors, cette idée ?

— Le charbon ?

— Quoi ?

— Sous le charbon il existe une trappe de fer. Elle masque une niche qui contenait l’ancien compteur d’eau…

L’idée était plus que bonne.

— Dites, c’est formidable !

J’ai empoigné la pelle servant à charger la chaudière et je me suis transformé en soutier.

À la quatrième pelletée, un gros bruit m’a fait sursauter… C’était la porte de fer qui venait de le produire en le refermant. Le verrou hâtivement tiré a miaulé.

J’ai gagné la porte pour essayer de la repousser. C’est un geste qu’on fait toujours en pareil cas, même en comprenant qu’il est inutile.

J’étais bel et bien prisonnier. La petite garce m’avait possédé dans les grandes largeurs. Le bruit de ses talons dans l’escalier de la cave a décru…

Après un haussement d’épaule, je me suis remis au travail. Il fallait procéder par ordre ; et avant tout vérifier si cette histoire de trappe était vraie.

Après une heure d’effort, je me suis aperçu qu’elle ne l’était pas. Sylvie m’avait raconté ça uniquement pour pouvoir m’emprisonner.

J’étais bien trop en colère pour me laisser aller à un éclat quelconque… Je me méprisais Cordialement. M’être laissé manœuvrer par ces femmes, après que le fils m’eût possédé, voilà qui portait un coup grave à mon standing !

Je me suis assis sur un billot de bois pour réfléchir. Alors une ombre est venue me bouffer le jour tombant du soupirail. J’ai regardé, c’était Mme Broussac.

— Monsieur Lino ! a-t-elle appelé.

— Oui ?

Je… Ma fille cadette vous a fait une farce…

Elles avaient fait le tour de la situation et compris qu’elles étaient trop chétives pour garder un tigre prisonnier. Ça les menait où ? À rien… Elles savaient que dehors j’avais des complices. Des complices que ma disparition inquiéterait.

— Vous m’entendez ?

— Bien sûr…

— Il faut la comprendre ; elle a pris peur et…

— Finissez vos salades et ouvrez si vous en avez l’intention ! ai-je rétorqué.

Mon calme l’impressionnait.

— J’espère que vous ne lui en tiendrez pas rigueur… Je…

Les Bourgeois de Calais, quoi ! On me ramenait les clés de la taule ! En chemise si je l’exigeais, et la corde au cou.

— Écoutez, chère madame, je n’ai pas envie de parler. Encore une fois ouvrez… sinon j’agirai…

D’autres ombres remuaient, à l’arrière-plan, celles des deux filles. Elles n’osaient pas se montrer. C’était la mère, une fois de plus, qui encaissait le sale turbin. Son vieux visage ridé, anxieux, navré, était plaqué contre la rose de fer barrant le soupirail.

— Si vous tardez, Madame Broussac, vous savez ce que je vais faire ? Non ?

Je devenais franchement sadique ; j’avais besoin de lui foutre la trouille bien à fond, de la saccager.

— Je vais me mettre à charger la chaudière, Mme Broussac. Je laisserai la porte du cendrier ouverte et je vous promets que la température grimpera dans les pièces… Jusqu’à ce que votre installation pète et que ça inonde la maison…

Elles ont quitté le soupirail.

J’ai entendu leurs pas dans l’escalier. Le verrou a grincé comme une lame de scie qui rencontre un clou.

Elles étaient là, toutes les trois, serrées, peureuses, indivisibles.

Il n’y a pas eu un mot. Sylvie se planquait derrière les deux autres, s’attendant à prendre des coups.

J’ai souri.

— Pas la peine de vous cacher, moustique. On réglera ça plus tard. La vengeance est meilleure froide ! Allez, à table !

* * *

Le plus drôle, c’est qu’elles n’avaient pas osé déjeuner sans moi. Des idiotes, je vous dis !

Le pot-au-feu s’effilochait comme des semelles d’espadrilles usées. C’était plutôt de la bouillie de viande et de légumes. Je l’ai mangée néanmoins de bon appétit. J’avais mon sale rire plaqué sur le visage. De temps à autre, je l’apercevais dans la grande glace de la salle à manger. J’essayais de le chasser, mais il revenait, telle une mouche obstinée. Ce rictus, je l’ai toujours quand ça bouillonne en moi.

Elles n’osaient plus proférer un son et elles avaient du mal à avaler la boustifaille. Après le repas, comme d’habitude, les filles ont débarrassé la table et leur mère est allée tricoter, près de la fenêtre, son long truc noir qui n’en finissait plus et qui me faisait penser à un corbillard.

— Je vous remercie, a-t-elle bégayé sans me regarder…

— Pourquoi ?

— De… de votre indulgence…

— Ne remerciez pas trop vite !

— Qu’est-ce que ?…

Je n’ai pas répondu. Je suis sorti fumer une cigarette dans le jardin. Je cherchais quelque chose de carabiné pour me soulager. Quelque chose de terrible ! Je sentais que si je ne trouvais pas très vite, j’allais tout briser pour me remettre les nerfs en place.

Drôle de dimanche…

À la deuxième cigarette, j’ai eu la grosse trouvaille. Je suis revenu dans la maison. Mme Broussac et Sylvie étaient installées à la table de la salle à manger, sur laquelle on avait mis la nappe nylon. Elles faisaient une partie de dames. Jacqueline était en haut… Dans sa chambre. Le dimanche, ces dames ne faisaient aucun travail, hormis les repas. Elles s’emmerdaient gentiment, entre elles, histoire de glorifier le jour du Seigneur.

J’ai gravi l’escalier sans bruit. Parvenu devant la chambre de Jacqueline, j’ai prêté l’oreille. Je percevais un bruissement d’étoffe. J’ai essayé de regarder par le trou de la serrure mais la clé était engagée dedans. Alors j’ai frappé, doucement.

— Oui ?

— C’est moi, Lino…

— Que voulez-vous ?

— J’ai à vous parler, ouvrez vite !

— Non !

— Comme vous voudrez… Votre mère vient de se trouver mal.

J’ai attendu. Elle avait compris que c’était là un mensonge. Seulement, le doute faisait son chemin dans sa petite tête. Une minute plus tard, la clé tournait, la porte s’entrouvrait et son visage grave se montrait dans l’encadrement. J’ai donné dans la porte une bourrade qui a culbuté Jacqueline. Je suis entré, j’ai refermé à clé et mis la clé dans ma poche.

Elle était en robe de chambre… Son regard clair ressemblait à celui d’un animal sauvage.

— Que voulez-vous…

— Une petite proposition à vous faire…

Elle a attendu.

— Je suis un homme à femme, moi, mon petit. Depuis plusieurs jours je fais tintin et ça ne peut plus durer… Faut comprendre la vie… Pour punir ta sœur du vilain tour de ce matin, j’ai dans l’idée de lui donner la faveur… de mes faveurs !

« Si on peut appeler ça une punition !

À cet instant, je crois que je lui ai fait horreur. Pour elle, c’était brusquement le bout de la nuit. Je m’amusais comme un petit fou, parce que je vois la vie sous son vrai jour. Je sais l’importance qu’il convient d’accorder aux choses. Qu’est-ce que c’est qu’un coup d’amour ? Quelques minutes d’extase, un point c’est tout ! Et la virginité, qu’est-ce que c’est ? Un état provisoire… Il n’y a que les petites bourgeoises de cambrousse pour y attacher de l’importance…

— Vous n’allez pas faire une chose pareille !

— Justement, je viens te demander conseil, ma gosse ! Qui est-ce que je saute ? Ta sœur… ou toi ?

Elle a commencé à reculer. Elle s’est blottie au fond de la chambre, dans une encoignure. Je suis resté où j’étais. J’avais tout mon temps.

— Ne fais pas de théâtre, Jacqueline… Et réponds-moi : ta sœur ou toi ? Il m’en faut une, et je te laisse le choix ! Avec la petite, ce serait plus marrant. Avec toi… plus intéressant… C’est pourquoi je n’arrive pas à me décider…

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