Douze

On ne ressentait strictement rien de cette sidération qui caractérise l’entrée dans l’espace du saut et le retour dans l’espace conventionnel, pas plus que ne se déployait autour des vaisseaux sa grisaille infinie, ni que de mystérieuses lumières n’apparaissaient aléatoirement. Il n’y avait que le néant, littéralement rien, hors de la bulle dans laquelle voyageait la flotte. En réalité, comme on l’avait expliqué à Geary, la flotte ne voyageait pas au sens propre. Elle s’était trouvée devant un portail, celui de Varandal, elle l’avait emprunté, et, dans quelques jours, tous ses vaisseaux émergeraient de celui d’Unité Suppléante sans, techniquement, s’être déplacés entre les deux.

Si étrange que fût l’espace du saut, la mécanique quantique qui présidait au fonctionnement de l’hypernet était, d’une certaine façon, encore plus déconcertante.

Geary se redressa et se détendit : rien ne pourrait les atteindre durant les prochains jours et, réciproquement, tout leur resterait inaccessible. Ce qui adviendrait adviendrait. « Ce départ est un soulagement », fit-il observer à Tanya.

Elle releva les yeux et se tourna vers lui. « Ne comptez-vous pas prendre un peu de repos ?

— Si fait. Dussé-je appeler le docteur Nasr pour qu’il m’administre de quoi m’assommer pendant un bon moment.

— Parfait. Je n’aurai donc pas à le convoquer pour lui demander de vous poser un patch de somnifère. Espérons que vous ne rêverez pas de vaisseaux obscurs.

— Je vais rêver de quelque chose d’entièrement différent, j’imagine », répondit Geary en lui coulant un regard en biais.

Elle secoua la tête, l’air agacée. « Vous êtes toujours à bord de mon bâtiment, amiral. Tâchez de garder à vos rêves une tonalité professionnelle.

— Vous voulez rire, n’est-ce pas ? » Il n’attendit pas la réponse, guère persuadé ni même désireux de vouloir la connaître.

Une fois dans sa cabine, il s’allongea sur sa couchette et fixa le plafond en espérant avoir pris la bonne décision. Combien de nuits similaires avait-il passées depuis qu’il s’était réveillé de son sommeil de survie d’un siècle ? Impossible de se le rappeler. Il y en avait eu beaucoup trop. Et celle-ci ne ferait jamais qu’une de plus.

« Les Danseurs auraient donc sauté d’un trait de leur région de l’espace jusqu’au point de saut de Varandal ? » Geary secoua la tête avec incrédulité. « Comment ?

— Nous avons eu du mal à obtenir une réponse technique, surtout en forme de haïku, reconnut le lieutenant Iger.

— Nous avons eu malgré tout droit à un avertissement, ajouta Jamenson. Les Danseurs nous ont prévenus que vous ne deviez surtout pas tenter un tel saut. Ils se sont montrés très insistants.

— Lieutenant, deux semaines d’affilée dans l’espace du saut, c’est bien le maximum que je pourrais supporter, déclara Geary. Où en êtes-vous ?

— Amiral ? s’enquit Iger, appréhendant la suite.

— Je parle de vos conditions de travail. Je vous veux tous les deux frais et dispos à notre sortie de l’hypernet.

— Nous serons parés, affirma Jamenson. Amiral, les Danseurs sont inquiets. Nous l’avons consigné dans nos rapports, mais peut-être n’avez-vous pas eu le temps de les consulter. Ils affirment que les “esprits froids” – leur nom pour les vaisseaux obscurs – ont plus d’une fois donné la preuve qu’ils étaient bien plus difficiles à neutraliser qu’on ne pouvait s’y attendre.

— Croyez-moi, après Bhavan, je ne m’attends pas à ce que ce soit du gâteau. Si nous réussissons à mettre leur structure de soutien logistique hors service, nous pourrons les arrêter.

— Et si nous n’y réussissons pas, amiral ?

— Alors ce sera beaucoup plus coton. »

Deux jours plus tard, assis sur la passerelle, il attendait la sortie de l’hypernet en se demandant ce qui pouvait bien se passer à Unité en ce moment même. Le Sénat avait-il pris des mesures contre l’organisation clandestine qui avait acquis beaucoup trop de pouvoir au cours des dernières décennies ? Geary ne doutait pas que le général Carabali fournirait au Sénat tout le soutien dont il aurait besoin. Les vaisseaux obscurs avaient-ils déjà lancé une autre attaque pour le pousser à les combattre ? Étaient-ils allés à Varandal ? Retournés à Bhavan ? Voire à Unité elle-même ? Et combien seraient-ils à l’attendre à Unité Suppléante ?

Au moins aurait-il bientôt la réponse à l’une de ces questions.

« Dix minutes avant la sortie de l’hyperespace, annonça le lieutenant Castries.

— L’Indomptable est pleinement paré au combat, déclara Desjani.

— Les Danseurs ont déjà affronté cette situation, lâcha Geary, histoire de tuer le temps. Ils ont déjà eu affaire à une menace de cette espèce.

— Nous aussi, dit Desjani. Vous rappelez-vous ce site avec les pierres levées ?

— Stonehenge ? Oui. Peut-être retiendrons-nous la leçon cette fois.

— Je vous parie bien que non. Oh, pendant un petit moment peut-être, ajouta Tanya.

— Vous avez sans doute encore raison.

— Deux minutes avant sortie de l’hyperespace. »

Ils attendirent en silence la fin du compte à rebours.

À zéro, les étoiles réapparurent subitement. Le portail de l’hypernet était maintenant derrière eux et, devant, deux étoiles orbitaient l’une autour de l’autre, formant ce qu’on appelle une binaire rapprochée.

« Je n’avais encore jamais vu ça », dit Desjani d’une voix émerveillée.

Les écrans se réactualisaient rapidement à mesure que les senseurs analysaient, établissaient et consolidaient les données. Geary vit apparaître sur le sien de vastes installations dont l’orbite avait pour centre la plus grosse des deux étoiles, ce qui devait parfois les rapprocher un peu trop dangereusement de son compagnon plus petit. Six planètes de taille très diverse, allant d’un caillou stérile gros comme la moitié de la Terre à ce qui avait dû être une géante gazeuse, mais qui, sans doute, avait perdu régulièrement son atmosphère à son périhélie avec une des étoiles. Une armée d’objets célestes plus petits gravitaient aussi autour de l’étoile double, dont certains décrivaient une orbite si excentrique qu’ils la frôlaient. « Nous ne distinguons rien à la surface des planètes, rapporta le lieutenant Yuon. Mais il y a de très grosses installations orbitales. Hangars. Entrepôts…

— Elles pourraient assurer la maintenance d’une flotte quatre fois plus forte que la nôtre ! s’exclama Geary, sidéré. Et pendant très longtemps !

— Ils étaient prêts à poursuivre la guerre si le pire se produisait, reconnut Desjani à contrecœur, mais quelque peu admirative. Visez-moi ces orbites ! Ce système est un vrai souk. Pas étonnant qu’ils n’aient rien construit à la surface des planètes. Eh, regardez ce que nous avons encore trouvé, amiral ! »

Geary n’eut pas besoin de lui demander à quoi elle faisait allusion. « L’Invincible. Ils l’ont ramené ici. »

Bien plus grand que tout vaisseau de facture humaine, le supercuirassé extraterrestre était suspendu sur sa propre orbite à quelque deux minutes-lumière des hangars d’amarrage. « Ces hangars eux-mêmes n’auraient pas pu abriter un bâtiment de la taille de ce cuirassé bof, fit remarquer Desjani. Le vaisseau est froid. Est-ce normal ?

— Oui, commandant, répondit Yuon. Nos senseurs ne captent aucun signe d’activité, énergétique ou autre, à bord de l’Invincible. Il n’en émane aucune chaleur. Le bâtiment est complètement éteint et manifestement désert.

— Qu’en est-il de ces remorqueurs ? » demanda Desjani. Les nombreux puissants remorqueurs qu’on avait attelés à la coque de l’Invincible pour le tracter depuis Varandal étaient encore là, rangés autour de lui en deux anneaux. « Eux aussi sont froids ?

— Juste alimentés pour la maintenance, à ce que peuvent en dire les senseurs. Cela mis à part, tous les systèmes sont désactivés et les supports vitaux ne fonctionnent pas. Aucun signe de la présence d’un équipage, pas même d’une équipe d’entretien. Les remorqueurs ont l’air d’être en veille.

— Ils étaient censés conduire l’Invincible là où l’on aurait pu étudier la technologie bof et tenter d’en apprendre davantage sur ces extraterrestres, s’insurgea Desjani. Au lieu de cela, on s’est contenté de le remorquer jusqu’ici et de l’oublier.

— Peut-être a-t-on interrompu les recherches quand les vaisseaux obscurs ont commencé à poser des problèmes, avança Geary.

— En ce cas, on n’a pas tout bouclé de manière précipitée. Ça sent la désactivation méthodique.

— En effet. Et on a garé l’Invincible loin de tout, comme si on en avait peur. » Geary sentit un sourire ironique s’afficher sur son visage. « Peut-être craignait-on les spectres bofs.

— J’aimerais assez apprendre que les spectres bofs ont fichu une sainte trouille aux “fantômes” humains qui s’activaient à Unité Suppléante », déclara Desjani en se servant du jargon de la flotte qui désignait les agents secrets. Elle reporta le regard sur son écran. « Mais on ne détecte rien d’autre. Aucun trafic.

— Il n’y a aucun vaisseau obscur ? » s’étonna Geary. Il fixa son propre écran, en proie à un sentiment mitigé entre soulagement et désappointement. Il n’aurait pas été malvenu, en effet, de surprendre une petite force de vaisseaux obscurs et de l’éliminer en même temps que leur installation de soutien logistique.

« Nous ne repérons rien de tel, confirma Yuon. Cela étant, nous ne pouvons pas voir à travers les cloisons des hangars. Tous semblent alimentés en énergie, mais les supports vitaux ne fonctionnent pas.

— Et ces énormes hangars sont nombreux, marmonna Desjani.

— Détruisons-les », décida Geary. La vue de ces hangars et de ces installations, manifestement inanimés mais continuant malgré tout à servir les desseins des vaisseaux obscurs, lui inspirait une sorte de répulsion. Autant de dispositifs automatisés menant une guerre mécanique. L’incarnation sans âme de l’argument du capitaine Tulev selon lequel il ne fallait pas confier à des IA le contrôle de l’armement.

Geary afficha sur son écran le programme de bombardement cinétique et entreprit de lui désigner pour cibles les installations orbitales. Une assez vaste et massive structure orbitant à quelque distance des hangars et des entrepôts semblait tout indiquée pour héberger le gouvernement en exil. Il l’ôta de sa liste puis demanda des solutions de tir au système.

Un traitement qui aurait dû produire des résultats pratiquement instantanés rama plusieurs secondes, puis pendant une bonne minute, avant de se remettre à tourner. « Commandant Desjani, une partie des systèmes de combat m’ont l’air d’avoir un problème.

— Quoi ? » Elle se pencha sur son écran en fronçant les sourcils puis entra des commandes. « Ça marche. Il cherche à établir une solution. Pourquoi diable… ? Oh !

— Quoi ? s’inquiéta Geary.

— Les champs gravitationnels interfèrent avec les orbites excentriques. Les programmes de bombardement sont incapables de gérer ça. Ils ne peuvent pas diriger un tir précis sur de telles distances dans ces conditions. On va devoir se rapprocher bien davantage de ces installations si nous voulons larguer nos cailloux avec la certitude de les frapper.

— Une autre bonne raison d’établir Unité Suppléante dans ce système, j’imagine, admit Geary. Comment se sont-ils assurés que les installations ne seraient pas aspirées dans des orbites destructrices ?

— Toutes sont dotées d’un système de propulsion, rapporta le lieutenant Yuon d’une voix surprise. Pas assez puissant pour leur permettre de beaucoup se déplacer mais suffisamment pour ajuster leur orbite… » Il s’interrompit en prenant conscience des implications.

« Oh, bon sang ! s’indigna Desjani. Si leurs systèmes de manœuvre sont à ce point performants, elles risquent de voir venir le bombardement cinétique et d’altérer leur orbite pour esquiver nos cailloux. Une chance que nous ne les ayons pas encore lancés. Même si leur trajectoire avait été précise, on les aurait gaspillés pour rien.

— Quelles sommes ont-ils bien pu consacrer à la construction de tout ce bastringue ? » s’interrogea le lieutenant Castries, éberluée.

Le portail de l’hypernet avait été édifié assez loin des deux étoiles pour n’être pas affecté par l’imbrication de leurs champs de gravité. Cette distance impliquait donc, en l’occurrence, un transit inhabituellement long jusqu’aux installations orbitales. « Plus de sept heures-lumière, précisa Desjani. Nous avons un long trajet devant nous. Avons-nous une bonne image de la grosse station qui semble avoir été conçue pour servir de siège et de centre de commandement au gouvernement ?

— Certains supports vitaux sont activés et elle est alimentée en énergie, répondit le lieutenant Yuon en consultant ses données. Mais seulement dans son quart supérieur. Tout le reste est froid et plongé dans l’obscurité. Nous ne captons cependant aucun signe laissant entendre qu’elle est encore habitée.

— Un tas de gens pourraient vivre très confortablement dans un espace de cette taille, dit Geary. Nous n’interceptons ni communications ni signaux d’aucune sorte ?

— Non, amiral. Un réseau local relie probablement la station aux hangars, aux entrepôts et aux autres structures de soutien logistique, mais il doit se servir de signaux hautement directionnels que nous ne sommes pas en mesure d’intercepter compte tenu de notre position actuelle.

— D’accord. Voyons si quelqu’un nous répond. » Geary s’assura que son uniforme présentait bien, se redressa dans son siège puis appuya sur la touche du canal de diffusion. « À tous ceux qui résideraient dans ce système stellaire ou occuperaient une des installations d’Unité Suppléante, ici l’amiral Geary de la Première Flotte de l’Alliance. Nous sommes venus investir et neutraliser ces installations sur l’ordre du gouvernement. Quiconque aurait besoin d’être secouru ou évacué bénéficiera de notre assistance. Ceux qui travailleraient dans ces installations devront accepter l’autorité du gouvernement de l’Alliance et se préparer aussi à l’évacuation. Contactez-moi dès que possible pour m’informer de votre situation. La Première Flotte se dirige vers votre position orbitale. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Toute réponse mettrait quatorze heures à leur parvenir, et il n’avait nullement l’intention de tourner autour du portail en l’attendant. « À toutes les unités de la Première Flotte, virez sur tribord… » Il s’interrompit brusquement. « Une minute !

— Quel est le problème ? demanda Desjani.

— Tribord, bâbord, lâcha Geary. Vers l’étoile ou en s’en éloignant. Mais quelle étoile ?

— Oh ! C’est une binaire rapprochée. » Elle eut un sourire penaud. « Nous n’avons jamais rencontré ce problème dans les systèmes à étoile unique, n’est-ce pas ? »

Geary pianotait impatiemment tout en réfléchissant. « Quoi qu’il en soit, c’est complètement arbitraire. Nous appelons un côté le haut et l’autre le bas. » Il activa de nouveau ses coms. « Ici l’amiral Geary. L’étoile la plus brillante de ce système sera désignée par le mot Alpha et l’autre par le mot Bêta. Toutes les instructions de manœuvre et autres paramètres de navigation de la flotte feront d’Alpha l’étoile de référence. À toutes les unités de la Première Flotte, virez de sept degrés sur tribord et de dix vers le bas à T vingt-cinq. Accélérez à 0,2 c. » Pas question de perdre du temps pour en finir.

Les vaisseaux de la formation de l’Alliance pivotèrent autour de l’Indomptable, si bien que son cylindre s’aligna sur la longue parabole qui les conduirait à proximité des installations orbitales.

« Trente-huit heures avant l’interception, rapporta le lieutenant Castries.

— Autant nous détendre. » Geary activa de nouveau ses coms. « À toutes les unités de la Première Flotte, fin du branle-bas de combat. »

Desjani le dévisagea. « Vous n’êtes pas détendu, ça se voit. Pour la même raison que moi ?

— Laquelle, en ce qui vous concerne ?

— Ça sent mauvais. Nous n’avons jamais affronté la flotte des vaisseaux obscurs en son entier. Ils ont toujours dû laisser quelques bâtiments à leur base. Certains de ceux que nous avons endommagés à Bhavan devraient encore se trouver là, à tout le moins, et, même s’ils se cachent dans les bassins de radoub, nous devrions capter quelques indications prouvant que des réparations y ont bien été conduites.

— Ouais, convint Geary. C’est aussi le raisonnement que j’ai tenu. Je me suis dit que nous devrions au moins tomber sur une sorte de garde.

— Si les IA continuent bien à raisonner comme vous, si elles n’ont pas modifié leur programmation et suffisamment rationalisé leurs débordements pour s’écarter trop amplement des tactiques de Black Jack, dans quelles circonstances, à leur place, laisseriez-vous ainsi votre base sans défense ? »

Geary rumina un instant la question puis secoua la tête. « Jamais. Nous avons conduit la Première Flotte ici, mais Varandal ne reste pas sans défense. Le système dispose toujours de quelques-uns de ses vaisseaux. En outre, Varandal n’est pas notre seule base. Sa perte serait sans doute une tragédie, mais elle ne nous paralyserait pas.

— Alors où sont passés les vaisseaux obscurs ?

— Je n’en sais rien. Nous ne pouvons qu’appliquer le programme prévu, déclara Geary. Puis retourner à Varandal et découvrir ce que les vaisseaux obscurs sont peut-être en train d’y faire eux-mêmes. »

Après s’être contraint à quitter la passerelle pour éviter de s’épuiser et d’offrir à ses occupants le spectacle de sa fébrilité, Geary parcourut un moment les coursives de l’Indomptable afin de bavarder avec des matelots et de sonder leur humeur. Avant la bataille de Bhavan, certains de remporter la victoire, la plupart s’étaient montrés confiants, voire enjoués. Depuis, une certaine morosité s’était emparée d’eux, faite de détermination tempérée par le pressentiment que la victoire serait sans doute chèrement acquise. Mais, à leur contact, Geary s’aperçut que la fascination qu’exerçait sur eux la proximité d’un système binaire prenait pour le moment le dessus sur l’inquiétude que leur inspiraient les vaisseaux obscurs. En dépit de tous les systèmes stellaires qu’avaient visités la plupart d’entre eux, c’était la première fois qu’ils voyaient deux étoiles si proches l’une de l’autre.

L’exercice eut l’effet souhaité : il l’épuisa et Geary put dormir quelques heures avant d’être brutalement réveillé par un appel de Tanya. « J’aimerais vous faire voir quelque chose. Il n’y a pas d’urgence, mais c’est sérieux.

— Montrez-moi ça. » La carte céleste de sa cabine prit vie. Il sauta de sa couchette et s’en rapprocha pour mieux distinguer les images du système stellaire.

« Voilà. Je l’ai mis en surbrillance. » La voix de Desjani s’était assombrie.

Geary s’assit tandis qu’un secteur de l’écran s’éclairait pour préciser les détails. « Des débris ?

— Oui. On a mis un moment à les repérer et à les analyser à cause de toutes les cochonneries qui flottent à la dérive entre les deux étoiles. L’interaction de leurs champs de gravité doit provoquer des collisions avec des rochers expulsés de leur orbite stable. »

Geary tapota le symbole représentant les débris et parcourut les données qui s’affichèrent. « Ce n’était pas un vaisseau de guerre ?

— Non. Ni non plus un cargo si l’on se fonde sur la composition de ces débris. Il n’y a aucune trace d’une cargaison ni des restes d’une cargaison. »

Ne subsistait qu’une seule et glaçante possibilité. « Un transport de passagers ?

— Oui. » Tanya fit la grimace. « Peut-être une navette régulière servant à la relève des gens qui travaillaient ici. Ou bien une tentative de fuite quand les vaisseaux obscurs ont commencé à se déchaîner. À en juger par la dispersion des débris, ça remonte à environ un mois.

— C’est le seul champ de débris que nous ayons détecté ?

— Jusqu’ici. Nous ne pourrons obtenir d’explications des éventuels occupants des installations logistiques que dans quelques heures. S’il en reste à leur bord, nous saurons s’ils crèvent de trouille ou s’ils sont à ce point tétanisés par le désir d’obéir aux ordres qu’ils restent disposés à se battre jusqu’à la mort.

— Pour l’heure, je suis assez mortifié pour laisser aux fusiliers le soin d’accommoder à leur sauce ceux qui voudraient combattre à mort, déclara Geary. Y a-t-il autre chose de nouveau ?

— Rien de vraiment neuf. J’ai remarqué quelque chose de bizarre concernant les Danseurs.

— Quelque chose que nous n’avons pas encore observé, voulez-vous dire ?

— D’accord, oui, une nouvelle bizarrerie. » Elle désigna son écran. « Normalement, quand nous entrons dans un système stellaire, ils se mettent à voleter dans tous les sens, à filer où bon leur chante et à décrire des cercles autour de leurs vaisseaux et des nôtres. Mais, depuis notre arrivée, ils respectent la même formation et restent toujours près de nous.

— C’est assez étrange, en effet. » Geary étudia les vaisseaux des Danseurs sur son propre écran. Ils avaient conservé la même formation cylindrique plus petite que la sienne et, effectivement, ils gardaient la même position relative par rapport à sa flotte. Il appela le compartiment hébergeant le matériel de com spécial et connecta Desjani à la communication. « Salut, général. J’ai encore une question à vous poser.

— Merci, répondit Charban, l’air presque sincère.

— Au lieu de se disperser tous azimuts pour caracoler dans tout le système stellaire, les Danseurs restent collés à nous depuis notre arrivée à Unité Suppléante. Pouvez-vous découvrir s’ils sont nerveux ou quelque chose comme ça ?

— Intéressant. Ils n’ont pas spontanément révélé de telles dispositions, mais c’est un comportement très inhabituel de leur part, convint Charban. Je m’informerai. Ils viennent de nous faire une proposition qui a trait à l’Invincible, me semble-t-il. Nous en discutions avec les lieutenants avant de vous la transmettre.

— Ils ne revendiquent pas la propriété du supercuirassé, au moins ? demanda Geary. Quand nous avons pris l’Invincible aux Bofs, les Danseurs sont convenus qu’il resterait en notre possession.

— Non, ce n’est pas une revendication. Voici ce qu’ils ont envoyé…

» “Les êtres grégaires bâtissent grand.

» Assurez-vous que le troupeau est toujours là,

» Qu’il ne reste pas seul.”

— Que le troupeau est toujours là ? répéta Geary. Veulent-ils dire qu’il reste des Bofs à son bord ? Comment serait-ce possible ? Nous en avons inspecté chaque centimètre carré.

— Je ne crois pas que ce soit une allusion à la présence de Bofs à bord du supercuirassé, répondit Charban. Le lieutenant Iger a souligné l’emploi du présent de l’indicatif, mais aussi la référence transparente à un “troupeau”, soit à de très nombreux Bofs. Sauf s’ils sont matériellement encastrés dans la structure même de la coque, je vois mal comment ça se pourrait.

— Une petite minute ! » Geary se tourna vers la représentation du supercuirassé en se remémorant sa brève visite de l’Invincible. « Les gens sentent la présence de Bofs à son bord. Je l’ai moi-même ressentie. Comme une cohorte d’esprits vous accompagnant partout où vous allez. C’était extrêmement accablant. Quand on ne fait pas partie d’un groupe très nombreux, la sensation peut devenir intolérable. Même les forces spéciales syndics qui ont tenté de capturer ou de détruire l’Invincible n’ont pas pu la supporter. »

Charban eut une soudaine expression de surprise. « “Qu’il ne reste pas seul”, cita-t-il. Amiral, c’est aussi simple que ça. Ces spectres relèvent d’un processus délibéré. Quelle que soit la façon dont les Bofs s’y prennent pour créer cette impression, elle vise à convaincre chaque Bof, où qu’il se trouve à bord du vaisseau et même s’il est seul dans le secteur, qu’il est toujours entouré par le troupeau.

— Vous voulez rire ? » Mais plus Geary y réfléchissait, plus ça lui paraissait logique. « Ce n’est donc pas un moyen de dissuasion contre les intrus, mais de défense contre la sensation d’isolement ou de solitude de créatures qui doivent sans cesse se sentir entourées de leurs congénères.

— Bizarre, n’est-ce pas ? Seul dans un endroit isolé, un homme lui-même peut craindre les fantômes et éprouver de l’effroi, parce que les hommes sont aussi des êtres sociaux. Imaginez ce qu’éprouverait un Bof élevé dans la présence constante de son troupeau s’il se retrouvait brusquement isolé de tout et de tous. Nous pouvons le comprendre. C’est même la première chose que nous pouvons à la fois appréhender à propos des Bofs et partager avec eux.

— Ce ne sera probablement pas un terrain d’entente suffisant pour une coexistence pacifique, fit observer Desjani.

— Non, admit Charban. Difficile d’éprouver beaucoup d’empathie pour une espèce qui regarde comme normal le génocide de toute rivale potentielle.

— D’autant que les Bofs semblent considérer toutes les autres espèces comme des compétitrices, ajouta Geary. Vous savez quoi ? Peut-être les Danseurs sont-ils plus versés que nous dans la technologie des Bofs. Ils en savent assurément plus long à leur sujet. Quand nous en aurons fini avec les vaisseaux obscurs, ils pourront certainement nous aider à comprendre le fonctionnement du matériel de l’Invincible. »

Charban fit la moue. « Exprimer par la poésie le contenu d’un manuel de technologie est probablement un défi qui dépasse nos compétences, amiral. En tout cas jusqu’à ce jour. Je ne nous crois pas capables de traduire avec bonheur une Ballade du quark vibrant ni un Réglage fin de l’oscillateur bipolaire. Peut-être une enquête permettrait-elle de découvrir dans la flotte, parmi vos ingénieurs, un parolier aussi émérite que talentueux. C’est de celui-là que nous aurions besoin.

— Un ingénieur qui serait aussi un auteur de chansons ? laissa tomber Desjani, sarcastique. On devrait trouver ça facilement.

— Plus aisément que vous ne le croyez, commandant, répondit Charban. Il existe entre l’ingénierie et la musique une intime affinité. Songez à la conception ou à la facture d’un instrument de musique. C’est un exercice qui relève de l’ingénierie, de notions telles que les tensions, les forces, la structure des matériaux, les vibrations et les résonances.

— Je n’y avais jamais réfléchi sous cet angle, avoua-t-elle. Pour le moment, je crois que nous ferions mieux de nous concentrer sur la question de l’amiral : les Danseurs sont-ils nerveux ? Unité Suppléante me rend moi-même nerveuse. C’est un peu trop calme à mon goût.

— J’en conviens, dit Charban. Je ne suis pas un spatial, j’appartiens aux forces terrestres, mais même moi j’ai l’impression que ça se passe un peu trop bien. »

Seize heures après leur arrivée à Unité Suppléante et à vingt-deux d’atteindre la région de l’espace abritant les installations, un message leur parvint.

Geary vit un homme soigné mais vêtu d’un complet quelconque s’adresser à lui avec calme et précision. « Votre présence n’est pas tolérée ici. Vous avez ordre de quitter sans délai ce système stellaire. Cette intrusion dans une propriété officielle du gouvernement a d’ores et déjà été enregistrée et sera transmise à qui de droit, qui prendra les mesures appropriées. Vous avez l’ordre de ne parler à personne de ce système stellaire, à moins d’être contacté par un représentant dûment habilité des autorités. Si vous persistez à vous rapprocher d’installations du gouvernement de l’Alliance interdites aux voyageurs, nous nous verrons contraints de prendre les mesures nécessaires, y compris par l’usage de la force.

— Il est pas vrai, celui-là, fit Desjani.

— En fait, c’est exactement la question que je me posais, répondit Geary. Est-il réel ou bien avons-nous sous les yeux une sorte d’avertissement préenregistré qu’auraient déclenché nos tentatives de communication ?

— Un répondeur automatique ? » Desjani héla ses lieutenants d’un geste. « Vérifiez auprès de nos experts s’ils peuvent affirmer que ce message nous a été adressé par un être humain. »

La réponse ne tarda pas : « Non. C’est une image numérique, assura l’officier des trans. Nous pouvons dire quand il a été envoyé, mais il n’y a pas de signature jointe qui nous permettrait de préciser la date où on l’a établi. Sans ce chronotimbre incorporé dans l’enregistrement, nous sommes dans l’incapacité de dire s’il a été composé il y a quelques heures ou six mois plus tôt. » Il marqua une pause. « Mais, reprit-il, et ce n’est qu’une opinion personnelle, je ne crois pas à un message en direct. L’expression était très basique : le genre de formules qu’on nous demande d’insérer dans des communications destinées à servir sur le long terme. »

Geary opina. « Toutefois, même préenregistré, ça ne signifie pas qu’il n’a pas été envoyé par quelqu’un plutôt que par un répondeur automatique.

— C’est vrai, amiral. Ça ne nous apprend rigoureusement rien, sinon que ceux qui occupaient ces installations n’ont pas franchement posé devant leur porte un paillasson de bienvenue à l’intention des visiteurs. »

Six heures plus tard, des sirènes d’alarme se mettaient à carillonner impérieusement. Geary était déjà en route vers la passerelle et il y arriva au pas de course avant de quasiment bondir dans son fauteuil près de Tanya Desjani. « Que se passe-t-il ?

— Nous en avons probablement débusqué quelques-uns », répondit-elle, laconique.

Geary dut étudier un bon moment son écran avant de comprendre ce qu’il avait sous les yeux.

Les immenses portes de certains des hangars d’amarrage étaient en train de coulisser vers l’intérieur. Compte tenu de la position actuelle de la flotte, son angle de vision ne lui permettait pas encore de distinguer ce qui se trouvait derrière, mais il n’y avait qu’une seule raison plausible à cette activité : les hangars s’apprêtaient à larguer quelque chose. « Quoi que contiennent ces hangars, nous devrions pouvoir l’affronter aisément. Ils ne peuvent pas abriter une force bien puissante. »

Il n’avait pas terminé sa phrase que les portes d’un nouveau hangar s’entrouvraient.

« Voulez-vous bien cesser ce manège ? » le tança Desjani.

Mais aucun autre ne s’ouvrit. Ceux qui avaient commencé allèrent jusqu’au bout, leurs portes entièrement rétractées. Là-dessus, plus rien.

« Ça fait une demi-heure, maugréa Desjani. Qu’est-ce qu’ils attendent ?

— Ils sont peut-être vides, spécula Geary. Croyez-vous qu’ils se soient ouverts parce qu’ils nous ont vus arriver ? Une fonction de maintenance automatisée s’apprêtant à s’occuper de nos vaisseaux ?

— Aucun robot de ces hangars ne posera le doigt sur l’Indomptable ! » Desjani fixa son écran d’un œil noir comme s’il allait lui fournir d’autres informations. « Vous avez peut-être raison, finalement. »

D’autres alarmes sonnèrent. « Ou peut-être pas », lâcha Geary.

Les proues arrondies évoquant des museaux de squales qui commençaient d’apparaître à mesure qu’elles émergeaient étaient indubitablement menaçantes. « Des croiseurs de combat, murmura Desjani, comme mise en appétit. Quatre. »

D’autres vaisseaux plus petits se montraient aux ouvertures des hangars. « Six croiseurs lourds, dix légers et vingt et un destroyers, compta le lieutenant Yuon.

— On n’aura aucun mal à les éliminer, exulta Desjani.

— Est-ce bien tout ce que nous aurons à braver ? » s’enquit Geary en faisant les gros yeux à son écran.

À présent extraits de leur quai d’amarrage, les vaisseaux obscurs se rassemblaient en une mince formation rectangulaire, de taille relativement réduite. « L’analyse des caractéristiques de leur coque confirme que deux de ces croiseurs de combat obscurs étaient présents à Bhavan, rapporta le lieutenant Yuon. Nous n’avions pas encore rencontré les deux autres.

— Les deux qui manquaient à Bhavan, souffla Geary. Je me demande bien pourquoi.

— Tout peut se briser, répondit Desjani. Ils avaient probablement besoin de grosses réparations. »

La formation ennemie pivotait et accélérait vers une interception de la force de Geary. « Quatre heures avant le contact sur les vecteurs actuels », annonça le lieutenant Castries.

La jubilation de Desjani avait viré à la suspicion. « Ils nous facilitent un peu trop le travail.

— Content d’apprendre que je ne suis pas le seul à le penser, lâcha Geary. S’ils continuent de foncer ainsi droit sur nous, nous les liquiderons dès la première passe de tir. Voyons s’ils s’entêtent sur ce vecteur. »

Il était loin d’avoir eu son content de sommeil depuis l’arrivée à Unité Suppléante et il se surprenait parfois à piquer brièvement du nez dans son fauteuil de commandement. Une heure plus tard, de nouvelles alarmes le remettaient sur le qui-vive.

« D’autres hangars sont en train de s’ouvrir », expliqua Desjani. La même séquence se reproduisit : ouverture des hangars, longue pause, apparition de proues de vaisseaux obscurs. Mais cette fois les premières à se montrer étaient plus massives que celles des croiseurs de combat. « Cuirassés.

— Quatre, précisa Yuon. Plus quatre croiseurs lourds, huit légers et dix-huit destroyers. »

À l’instar des croiseurs de combat, les cuirassés adoptèrent une étroite formation rectangulaire, évoluant sans doute plus lentement que la précédente mais avec une lourde et terrifiante assurance. Eux aussi pivotèrent et accélérèrent sur des vecteurs menant à une interception de la Première Flotte.

« Plus coriaces sans doute, mais pas hors de notre portée, estima Desjani. On n’a pas pu cacher grand-chose d’autre dans ces hangars.

— Pourquoi ne les a-t-on pas sortis tous ensemble ? se demanda Geary. Pourquoi nous dépêcher deux forces réduites au lieu d’une grosse ?

— Vous n’auriez jamais fait ça, reconnut-elle. La trajectoire de leurs croiseurs de combat vise le centre de notre formation. Black Jack ne s’y résoudrait jamais dans ces conditions.

— Qu’aurais-je fait ? marmonna Geary, cherchant à se mettre à la place du commandant d’un vaisseau obscur. Si je ne disposais que de ces unités pour défendre mes installations, je m’efforcerais de détourner l’attention de l’agresseur par une diversion, mais, même si le subterfuge prenait, je n’aurais fait que gagner du temps. » Il pointa la main vers son écran. « Nous avons deux atouts à protéger. Le Mistral et les Danseurs.

— Les Danseurs sont assez grands pour se défendre tout seuls, m’est avis, objecta Desjani. Leurs bâtiments sont capables de déjouer les manœuvres des vaisseaux obscurs, même celles de leurs quatre croiseurs de combat. Et, si ces croiseurs tentent d’atteindre le Mistral, nous les mettrons en pièces avant qu’ils n’arrivent à sa portée. »

Geary hocha la tête, plongé dans ses réflexions. « En ce cas, pourquoi créerais-je une telle situation si je commandais les vaisseaux obscurs ? Une pièce du puzzle doit nous manquer.

— Ces hangars ne doivent plus abriter grand-chose, répéta-t-elle. Peut-être une autre force se dissimule-t-elle derrière une des deux étoiles. Du moins si l’ennemi s’attendait à notre venue et qu’il a eu le temps de prendre position.

— La sénatrice Unruh m’avait prévenu que les vaisseaux obscurs pouvaient encore avoir accès à des informations sur nos faits et gestes, dit Geary. Et nous ne pouvions pas cacher nos préparatifs du départ de Varandal.

— Mais comment auraient-ils pu savoir que nous venions à Unité Suppléante ?

— Une fuite dans le camp de la sénatrice ? Ou peut-être rien qu’en pressentant ce que j’allais faire. Je me suis rendu compte que je devais frapper leur base. Étant programmés sur mon modèle, eux aussi ont dû le comprendre. »

Desjani eut l’air troublée. « C’est assez logique pour que ça m’inquiète, amiral. Ils savent depuis Bhavan qu’il leur est difficile de nous contraindre à engager le combat. Il leur fallait choisir un terrain où ils pourraient plus facilement nous piéger. »

Comme un champ de bataille dépourvu de tout point de saut, par exemple. Où la seule issue serait le portail de l’hypernet… « Oh, non !

— Quoi ?

— L’Alliance cherchait à comprendre comment s’y prenaient les Syndics pour nous interdire l’accès à leur hypernet. Afin de pouvoir les en empêcher. Mais, si certains de ses chercheurs ont réussi à percer ce mystère…

— Et que les gens qui soutiennent les vaisseaux obscurs en ont eu vent… ? » Desjani reporta le regard sur l’icône du portail. « Ceux-là mêmes qui sont convaincus que Black Jack est le seul obstacle qui les sépare de la prise du pouvoir ? Hélas, votre raisonnement ne tient que par trop debout, amiral. »

Nouvelles alertes. « Des vaisseaux de guerre émergent de derrière l’étoile Alpha, rapporta le lieutenant Yuon. Une force très importante. Dix croiseurs de combat et une kyrielle d’escorteurs. Nos systèmes cherchent encore à en évaluer le nombre… » Il s’interrompit, d’autres alertes retentissant. « On détecte aussi des vaisseaux de guerre près de Bêta. Deux formations, composées chacune de six cuirassés et d’innombrables escorteurs.

— La totalité des vaisseaux obscurs, conclut Desjani, plus sereine et assurée maintenant que le piège s’était refermé. Tous les cuirassés et les croiseurs de combat qui leur restent. Cette fois, c’est eux ou nous. Pas d’autre issue.

— Alors il faut faire en sorte que ce soit nous. » Paroles vaillantes ! Geary regarda les deux formations ennemies converger sur la trajectoire de la Première Flotte, fit l’addition de leur puissance de feu cumulée et de leur maniabilité supérieures à celles de ses propres vaisseaux puis fixa l’icône du portail de l’hypernet qui, fort vraisemblablement, ne leur offrirait aucune échappatoire. Il ne put s’empêcher de se demander si, finalement, il n’avait pas commis l’erreur cruciale qu’il redoutait depuis qu’on l’avait bombardé à Prime commandant en chef de la flotte de l’Alliance.

Загрузка...