— Je suis le nouveau, dis-je au garçon de cabine auquel m’a confié quelqu’un du pont Information.
Il me salue aimablement. On dirait Titin. Il porte un maillot rayé par-dessus son accent marseillais et il a une dent en or dont il se sert pour sourire. C’est un petit mec sympa, avec de l’albuplast sur l’avant-bras histoire de dissimuler certaine partie de son tatouage représentant deux matafs dont l’un sodomise l’autre en camarade.
Mes bagages sont là, qui m’attendent.
Le gars attend, quant à lui, son pourliche. Je lui donne de quoi finir d’élever sa vieille mère et payer la dernière traite de sa voiture ; ce qu’il me sait un gré bruyant avant de se retirer.
Le temps de passer mon costar le moins froissé, ma limouille la plus blanche, ma cravate la plus neuve, et je quitte déjà ma cabine pour aller à l’assaut des lieux de plaisir du bord.
Au même pont que ma crèche, se trouve le grand salon, qui se différencie de la gare Saint-Lazare en cela qu’aucun train ne s’y arrête. Des messieurs contents d’eux, de la vie, de leur position sociale, de leurs bajoues, de leurs beaux costars, de leurs jolies dames convoitées, de la croisière et de la France, boivent des alcools détaxés en écoutant niaiser un vieil animateur pour noces et banquets de grande banlieue qui est à Guy Lux ce qu’un comprimé d’aspirine est à l’hôpital Beaujon.
L’euphorie est à l’ordre de la nuit. On comprend tout de suite, en mettant le pied ici, que le navire est bourré de gens heureux qui se prennent pour Surcouf et dont les deux préoccupations sont de manger un maximum de choses pour le même prix et de baiser un maximum de personnes de sexe opposé ou semblable dans un minimum de temps. Les dames travaillent de la guêpière, les messieurs du madrigal. Y’a ping-pong-lotos : « Regarde comme je te regarde ! — Et moi, gros connard ! Je la devine grosse comme un bâton d’agent, ta bitounette ! — Tu dois limer superbe, ma gosse ! — Mieux que ça encore, baluche, la mer me porte aux sens ! — Quand t’est-ce on s’ voit ? — Largue ta mémé, je te rejoins devant les lavatories, on arrangera notre petit planinge marin. — Tu crois qu’on trouvera où se mettre ? — N’ t’occupe, j’ai un cocu bridgeur… »
Textuel.
Dans leurs falots, je repère ce dialogue des carmélites. Ils ont le regard navigateur, les bonnes gens. C’est la bath nébuleuse. La grande ourse soulignée néon. Ils traînent des feux de position au calbute : bâbord-tribord. Ça qui les envape surtout : le terme marin. Ces avatars ambulants filent trente nœuds (compliment, chère Maâme), trouvent que leur barlut prend de la gîte (d’ailleurs, ils disent DU gîte. Y’ a des mots qui, comme des hommes, ne respectent pas leur genre) et se complaisent à gravir l’échelle de Beaufort (dont tu as le barême sur le dépliant du bateau). Ils regrettent de plus pouvoir se gaver de mâts de misaine, de grand cacatois, de hune et hautres… Et quand ils se rendent au pont Sabord, ils se pognent en loucedé, tellement que ça les fait goder, de pouvoir arpenter un tel mot, aussi bien marin, aussi autant célèbre et rude et chargé de sel et tout ruisselant d’embruns que de le prononcer, d’instinct, on cherche la grande ourse, mille sabords de merde ! Ah ! l’aventure maritime, de nos jours, c’est quelque chose. Y’ a du serpentin autour de la barre mais ça reste impressionnant. Tiens, le pont Batterie ! C’est le pur orgasme. Coquette défouraille toute seule dans leurs guenilles. Le pont Batterie ! Ils s’imaginent Jean Bart. « Pare à virer ! Première bordée ! Feu ! ! ! » Ça leur fait sentir la poudre. C’est sexuel comme sensation.
Je traverse le grand salon jusqu’au bar du fond, derrière lequel des serveurs en veste rouge contemplent d’un œil blasé leur chargement de connards.
— Un punch planteur ! commandé-je.
L’animateur a fini de déconner et une petite formation déforme de la musique en produisant un maximum de bruit. Tout en éclusant mon breuvage, mon regard se promène de table en table. Voilà, mon petit San-A. le problème est posé, les cartes étalées. Tu as les données suivantes : une petite allemande super-limeuse que des vilains pas beaux veulent assassiner se trouve à bord, en compagnie de son époux. Un monsieur qui s’est permis de détruire un immeuble entier et ses occupants pour être sûr d’avoir ta peau (il semble la vouloir depuis mon voyage en calèche avec Yuchi) également. T’ ajoutes Bérurier, embarqué à Marseille, lui et qui a dû commencer à planter des jalons. Le tout sur tourbe d’oisifs épris de navigation ! Tu donnes trois coups de sirène et l’affaire la plus mystérieuse de ces dix dernières années appareille.
M’est avis qu’il va falloir jouer serré, pas s’endormir sur le cachalot.
Ayant procédé à un examen minutieux du salon et constaté que ni le Gros, ni Yuchi ne s’y trouvent, je commande un punch antillais pour me remettre des sirupeusités du punch planteur (mélange de jus de fruits).
Le navire vibre de la cave au grenier. Le gros ronron sourd des machines est une musique lancinante qui finit par vous bercer les nerfs.
Sur la piste de danse, des messieurs bidonnants entraînent des dames bedonnantes dans une valse lente jouée exprès pour eux. Parmi les valseurs, le commandant tourbillonne brillamment avec une passagère constellée de joncaille dont les cailloux brillent pis que des phares à iode. C’est le gros grand pied pour la dame, cette danse dans les bras du seulmaîtraboraprèdieu. Les autres gonzesses la renouchent avec des yeux éclaboussés de jalousie. Voudraient lui lacérer sa robe Dior, y filer un pot de minium dans la permanente, histoire de lui foncer un peu les mèches. Le prestige du commandant, sur un barlu, tu peux pas savoir l’à quel point il est somptueux. Les dadames en sont dingues. Elles le traquent. Il possèderait douze pafs, le Pacha, y’ en aurait pas un seul en relâche, en prévision de sa bonne femme qui l’attend au pays breton. Le Johnny Hallyday, question idolâtrerie, c’est zéro, zéro virgule un à comparer. Le commandant, s’il loufe, elles se mettent toutes à quatre pattes pour mieux renifler à la bonne hauteur que rien ne se perde des humances.
Il pourrait exiger n’importe quoi, et encore plus, il l’obtiendrait. Il les déciderait toutes à poil, sur le pont Soleil, avec un manche à balai dans l’oigne, aussitôt, ces chéries organiseraient la parade. De nos jours blêcheurs, où tout un chacun revendique, exige, fait valoir, c’est stupéfiant une soumission pareille à un mythe. Et tu crois que ce sont seulement les bougresses ? Mon z’œil, mon n’ob (c’est une mini-contrepitrerie, je te le dis avant que tu cherches). Les julots idem mouillent devant le bel uniforme blanc du commandant. Tu les verrais se lever à son passage, bredouiller, la bouche en cul de poule hémorroïdique des Com’dant, s’ vous v’liez b’ n’accepter de boire n’ coup’ d’ ch’pagne a’v’c nous… Ah, s’il veut bien, le commandant, ça va être du bonheur soluble. Quelque chose de franchement apothéotique. Un nectar ineffable. Lui, à ta table ! Buvant ton champagne. Répondant à tes conneries. Subissant les œillades effrénées de ta rombière ! Et les gnards foireux des autres tables qui matent, enrognent, se désespèrent, t’envient à en dégobiller sur leurs beaux plastrons. Voudraient t’enfoncer une barre rougie dans le rectum pour t’apprendre à user de LEUR commandant, à te l’accaparer, vilain goinfre abject, à en abuser, que peut-être, pendant ce temps-là, on pique droit sur un iceberg égaré en mer Tyrrhénienne et alors t’auras belle mine quand on imitera le Titanic, ordure, commandantophage ! Tu mériterais qu’il se fasse pomper par ta bonne femme devant tout le monde, le Pacha, hé, Visqueux ! Et encore tu serais content. T’applaudirais, crierais merci. Requerrais l’attention générale, que tout le monde constate bien la grâce qui t’échoit, ce signe en forme de croissant sur ta tête de nœud volant, de nœud volé ! Pommade !
Sentant la chaleur d’un regard insistant sur ma nuque, je me retourne brusquement. J’aperçois un petit homme aux yeux de faïence, les tifs grisonnants, habillé en bleu sombre. Il a cette allure un peu maniérée, propre aux mondains naturels ou aux homosexuels artificiels.
Comme je le défrime d’un air de rebiffe instinctif, il sourit pour m’amadouer.
— Une croisière qui s’annonce bien, n’est-ce pas ? il me déballe, sur un ton suçoteur.
Pas mouillant comme phrase, remarque. Ça n’engage pas son auteur. Quand tu as virgulé ça à un rade, tu demeures disponible pour d’autres tâches. T’as encore un avenir devant toi.
Pourquoi alors, ai-je le sentiment que ce type voudrait me parler ? En private. Qu’il a une petite zinzinchose derrière la tête ?
Son sourire reste en place, comme une mouche sur de la confiture.
— Magnifique, je débite.
Le barman s’éloigne pour aller préparer un whisky sourd à un gros vieillard muni d’un sonotone.
Alors, le petit homme précieux se rapproche.
— J’occupe la cabine 513, me confie-t-il.
— Qu’est-ce que ça peut fiche, si vous n’êtes pas superstitieux ? réponds-je, en lui faisant comprendre par ma physionomie que si c’est une aventure galante qu’il me cherche, il risque de saigner du nez avant qu’on ait franchi le détroit de Messine.
— Ne pourriez-vous m’y rejoindre dans une heure, monsieur le commissaire ? souffle mon voisin de barre de bar.
Oh, là ! Oh là là ! Il vient de m’appeler commissaire ! Voilà qui se corse, si j’ose dire, bien que le Thermos ait doublé la veille le cap Bonifacio.
Je ne balance pas.
Regarde ma montre qui raconte onze heures moins dix comme une grande.
— Arrondissons à minuit, si vous le voulez bien.
Il soupire :
— L’heure du crime.
Et opine.
Je lui prends le congé d’un hochement de chef et m’esbigne pour aller voir ailleurs si Béru y est.
Et il y est.
Le pont Grill. Plus exactement le bar extérieur du pont Grill.
Dans la nuit touffeuse, il est enchanterin le bar. Près de la piscine que l’eau miroite au clair de lune ou l’autre. D’acajou. Toujours, sur les barlus, tu noteras. C’est maritime, l’acajou. Le Thermos s’arrache lentement au môle, halé par des remorqueurs mignards en comparaison. Ses hélices batifouillent dans les polluances portuaires. Près du bar, un orgue de salon emplit la nuit de ses riches échos, magistralement piloté par un sympathique barbu. Cet instrument, tu croirais une centrale nucléaire mitigée poste de pilotage de Boeinge. Y’ a plein de cadrans, de baffles, de claviers, de pédales, de câbles électriques, de zinzins inconnus, que même l’interprète sait pas ce qu’il s’agit. Qu’il joue par cartes perforées, presque. Et qu’il peut aller pisser sans que s’arrête son bousin. Il commence de terpréter « Brasil ». On l’appelle au téléphone, et ça continue d’exécuter. C’est formide, en guise d’invention, ce trucmuche. Irremplaçable. Les syndicats rouscailleurs peuvent rien contre les dépassements. Tu te démerdes juste avec l’E.D.F., autrement sinon, t’es paré. T’ as un orchestre, dis, mille orchestres à disposance. Tu passes des Beattles à la Philharmonique de Berlingot sans communiquer ton plan de vol. Seize boutons à appuyer, une manivelle à tournaga, paré pour la manœuvre. À côté des gus qui escriment, plus bas, dans le grand salon, devant tous les melons endimanchés, il détient la panacée musicale, le gentil souriant barbu. Il fait la nique à toutes les formations, vu qu’il les a mises en bouteille dans son collimateur à soubresauts. Et qu’il leur joue par-dessus, qui mieux est, comme Marcel Duchamp peignait par-dessus la Joconde, histoire de la surréaliser. Lui, il contribue à la félicité du moment. L’ambiance, y’ a que ça de réel, parce qu’illusoire. Ils cherchent quoi, les mecs, pour s’extraire de la vilaine mistouille quotidienne ? De l’ambiance. N’importe où : dans les bars, les fêtes foraines, les salons de palace, au bord des piscines, au bordel… Ambiance it’s good for us. Musique, clair de lune, champagne. La pipe ? Ambiance ! La vraie à nicotine, comme l’autre, à coulisse. Ambiance, ambiance. Beau Danube Bleu, Partouzes, Hawaï, Chœurs de l’Armée Rouge… Ambiance, tout. Le néon caca des bistrots, les juke-boxes, la tenue folklorique des serveurs bavarois : ambiance… Allez, zou. La java vache ! Chercher fortune au retour du chat noir ; tout bien, partout, riches, pauvres, indigents, curés, radasses, tellectuels de gauche-droite, adjudants à tête de nœud ambiance, ambiance… L’exil du rêve. La capture de la mouillance pensée. Les quatre pas dans la chantilly. Barbe à papa, poils de cul à papa. Zéphir. Ambiance, ambiance…
Un qui s’en torchonne les orifices, de l’ambiance musicale, c’est le Vigoureux. Tu le verrais, épanoui, au rade, flambant dans un blazer que l’écusson représente un jambon de gueule et d’or, broché sur barbecue d’hermine. Il pérore au sein d’un petit groupe attentif, se remouillant la meule à chaque syllabe, positivement, invitant, du geste, ses compagnons à en faire autant. Il raconte une cassoulet’ party qu’il avait organisée chez son beau-frère, à Nanterre. Préalablement, il avait, mine de rien, administré à haute dose des pilules purgatives à l’assistance, le traître. L’après-midi fut épique. Les flatulences consécutives à ce mets délectable, ne pouvant plus être contrôlées, vu les laxatifs, on avait assisté à une formidable chiotterie. Le premier ayant atteint les cagoinsses n’en pouvait plus sortir. Les autres s’échelonnaient devant la porte, bénouzes tombés, cramponnés l’un l’autre, à geindre et ahaner en se libérant dans de terribles bruyances. Pendant que Bérurier continuait de casse-grainer parmi eux, finissant à la louche la mousse au chocolat que ses copains n’avaient pas eu le temps de savourer. Son rire est communicatif. Il pétille d’une joie simple et allègre, le Gros. Ça me fait plaisir de le retrouver si pareil à lui-même. Je m’approche du bar. Commande un autre punch. Il tique léger en m’apercevant. Puis, habilement, mine de rien, m’inclus à son auditoire ! Si bien que lorsqu’il a narré : sa Cassoulet’s party, sa nuit de noces avec Berthe, la perte de son pucelage avec la bouchère de Saint-Locdu, l’histoire de Pinaud qui avait perdu son pantalon dans le train en voulant le mettre à sécher par la portière des lavatories, plus quelques histoires tout venantes, mais régénérées par sa faconde particulière, je me trouve assimilé aux quatre personnes présentes.
— Comment cela se fait-il que je ne vous eussais pas encore remarqué ? me demande ce vieil hypocrite.
J’explique que j’ai embarqué à Palerme où j’étais venu pour régler une affaire commerciale.
— Je vois, déclare le Mastar, vous joignassez le futil à l’agréable. Vous permettasse que je vous offrirais une tournée de bienvenue.
Je permets, à condition que la mienne suive.
Il accepte cette clause et me présente ses amis.
— Je m’ai déjà fait quèques relations, dont si vous le voudrez bien je vous présenterai. Les atomes cornus, ça se discute pas. Des tronches vous bottent et d’autres vous donnent envie de pisser contre. Le grand balèze complètement rasibus du dôme, que vous entravez, là, c’est le mage Dieu-merci que vous avez certainement dû entendre causer. L’autre, qu’a une gapette de mataf, c’ t’ un intellectuel, mais néanmoins pas con ; il est professeur de langues mortes, ce qui n’ le fait pas puer de la gueule pour autant. Il s’appelle M’sieur Gahna. Quant aux deux personnes dont voici : la dame, son prénom, c’est Yuchi, elle est boche, je crois, n’est-ce pas, p’tit chou ? Mais j’y en veux pas, le passé c’est le passé ; et son julot, tout frileux biscotte il a pris froid de l’air conditionnel de sa cabine qu’était déréglé, c’est l’ami Chlag, Ernst Chlag. Un blaze à coucher dehors avec un billet de logement, mais s’y fallait chipoter sur le nom de ses potes, hein ? Moi, l’un de mes meilleurs que j’eusse, s’appelait Lamerde, eh ben pas une fois je lui ai fait le grief, sauf naturellement quand on s’engueulait et que j’y disais familièrement : « l’étron », ou bien « va te coucher, on a fait ta cuvette ». Vous, monsieur, votre petit nom, on peut connaître ?
— Antoine.
Béru me tend une main large comme la première feuille d’un chou primé.
— Ravi d’être enchanté, me dit-il.
Là-dessus, on devient tous très copains, l’heure tardive et l’abondance des alcools facilitant à l’extrême les relations. Yuchi me sourit en coin. Elle paraît soulagée de me savoir à bord. Son mari est un mec aussi sympa qu’une plaie variqueuse et beaucoup moins appétissant. Imagine une grande chose voûtée, couleur de navet, avec des cheveux hirsutes, roux très pâle, un nez trop minuscule qui ressemble à un petit escargot, des yeux plâtreux de pierrot réveillé en sursaut, une bouche aux commissures tombantes et des oreilles tellement décollées qu’elles vont aller valdinguer au premier coup de vent. Franchement hideux, ce gus. Je comprends que la mère Yuchi y aille à l’extra quand elle en a l’occase. Un sujet pareil, c’est pas à conserver dans le formol pour montrer l’homo sapiens du XXe siècle plus tard, quand les fufutes de notre planète se seront croisés et entrecoisés avec les martiens ou autres vénusiens. Madoué, ce remède ! Quand il la lonche sa Yuchi, elle doit mater le plaftard, fixement, ou alors se faire fourrer en levrette pour pouvoir potasser le motif de la tapisserie pendant que monsieur usine. Mais il est pas que moche, l’Ernst Chlag. Antipathique en sus ! À décourager Saint-Vincent de Paul. Il a dû s’employer à fond, le Gravos, pour parvenir à l’apprivoiser, ce vilain échassier. Y’ a de la grinche plein son regard, sur lit de fiel (ou sur fiel de lie, si tu préfères). Enfin, il a accompli sa mission, Gradub, chapeau. Le mage est un solide chourineur au regard de faïence qui se déplace toujours comme s’il s’apprêtait à enfoncer une porte d’un coup d’épaule. Il marche légèrement de profil, l’air buté, enveloppé de fausse hargne pour se défendre des importuns, mais si tu le mates aux yeux dix secondes, tu te convaincs de sa gentillesse bourrue. Quant au professeur de grec et latin, c’est un tendre qui essaie de noyer des nostalgies et s’étonne de les voir surnager, telles des chiots qui parviendraient à sortir du sac où on les a enfermés pour les flanquer à la flotte.
Il se dope au bloody-mary, Gahna. Une marotte consécutive aux brimades de sa dame qui prétend l’empêcher de boire. Quand il sort sa bobonne, il l’emmène dans un bar où le loufiat est affranchi. Il crie : « Un jus de tomate ! ». Le barman lui file moitié vodka, moitié pommo d’or, avec un chalumeau. Sans touiller la mixture. Gahna, pas dingue, s’ hâte d’aspirer la vodka au fond de son glass. Vfffoup ! Ensuite il se farcit la tomate-paravent. Il en écluse des dix douze, commak, le copain. Sa vioque n’y voit que du feu et ne pige pas pourquoi son jules s’anime et savonne en parlant, pourquoi il lui cause d’amour, soudain, lui qu’est pas porté sur le radaduche et qui a le calbute à peine moins mort que les langues qu’il enseigne.
On est là, à lichtrogner comme des moines, quand v’là le Dieumerci qui pose son verre (vide) et écrie :
— J’ai un cliché !
C’est ainsi qu’il qualifie ses « visions », le grand. Ça lui arrive dans le cigare, en déboulé improviste. Un cliché ! Pouf ! Il voit un truc. Photo ! L’instantané. Il le raconte. Quarante tickets la consulte. Ça se bouscule sur son paillasson. Les plus grands de ce monde, naturellement puisqu’ils ont plus de choses à préserver c’est normal qu’ils aient l’inquiétude bien tourmentante du futur. Dieumerci leur sort son Kodak à cellules grises incorporées. Cliché ! Clic, clac ! Il prédit sec l’accident de bagnole, l’associé véreux, la femme infidèle (qu’est-ce qu’il risque)…
Alors bon, en fin de journée, voilà que là, sur le pont Grill, il lui vient un cliché. Il se masse la principauté qu’il tond triple zéro chaque matin. Ça lui met comme un vertige dans le regard, son cliché, à moins que ça ne vienne des punchs ?
— On va à la merde, les gars, prophétise-t-il sinistrement.
On le presse de questions. Mais il s’enferme dans un mutisme hermétique, le mage. P’t’être qu’il veut pas se mouiller ? Ou bien son cliché est sous-exposé, voilé ? Va-t-en savoir…
À la fin, il s’arrache des torpeurs pour dire au barman :
— Va falloir en remettre une, mon pote, au lieu de me regarder comme un con !
La nuit est tiède, plus étoilée qu’un maréchal de France. Des lampions, il semble en surgir à tout instant des nouveaux, au firmament.
— C’est marrant, il pleut, note Gahna.
On lui demande s’il est louf ou beurré, vu que, je te répète, une nuit pareillement enchanteresse, faut se lever de bonne heure pour en retoucher une. C’est à se féliciter de ne pas naviguer sur un voilier car on ferait du sur-place.
— Je vous dis que j’ai reçu des gouttes sur la main, tenez !
Il avance sa paluche, légèrement parkinsonaise à cette heure, dans les lumières du bar.
— Ce n’est pas de l’eau, murmure Yuchi.
— Non, certifie Béru. C’est du sang.
Quatre gouttes de sang frais, en étoile.
On entend raisiner menu. Ça pisse depuis le pont Soleil dont la rambarde se situe juste au-dessus du bar. Clip, clip, clip… Comme d’un robinet dont le joint part en sucette. On regarde. Une silhouette est penchée au-dessus du bastingage. Immobile. Le raisin sourd d’elle.
On s’élance par l’escalier de tribord. À cette heure, le pont Soleil pourrait s’appeler le pont Lune. Il est désert, blafard, mélancolique avec ses fauteuils pliants pliés et empilés, le filet de volley bien tendu, l’énorme cheminée en éruption du Thermos.
J’atteins le premier l’homme qui sanguinole.
Pas bath à contempler, même dans la clarté poreuse de la lune sicilienne. Il devait se tenir accoudé à la rambarde, au-dessus de nous, écoutant probablement ce que nous disions, quand un copain facétieux s’est pointé par-derrière et lui a virgulé un terrific coup de hachoir sur la nuque. Sa boule est à demi détachée de son tronc, au petit indiscret. Le plus spectaculaire, c’est qu’il est resté dans sa position accoudée par un phénomène d’équilibre (il a les jambes écartées, les coudes aussi, ce qu’esplique).
Le copain Gahna court à l’autre bastingage pour confier ses bloody-mary à la Méditerranée. Il fait pénitence, la latiniste distingué : dix pater et dix bloody-mary qu’il récite depuis l’estomac à gargouillées pathétiques. Cherchant un la qui n’arrive pas.
Yuchi tourne de l’œil et sa grande carotte véreuse la soutient. Faut dire que la pauvrette a eu une journée chargée. Quant à Dieumerci, il a une réaction digne de son personnage : il se fout en pétard. Il gueule bien haut, bien eau, dans les échos marins, qu’elle ne lui disait rien, cette croisière à la mordzob. Il la « sentait » pas. Savait qu’elle cacaterait vilain. Il l’a faite à cause de son pote Gahna (ils sont voisins de bistrot) qui a tout manigancé avec la Compagnie dont il assure les programmes techniques. Il aurait su, il restait devant son Dubonnet, chez Céleste. D’ailleurs, il a été mataf dans les jadis, Dieumerci, et la grande bleue, il en a ras le cigare. Lui, rien que d’entendre causer bâbord-tribord, il déjante. Il s’est converti au macadam. Y’a plus plus que le paveton parisien qui l’intéresse, la Beauce à la rigueur, mais juste la pointe. Les voyages, il s’en tartine le fion. Un dépliant le fait monter en dégueulade, pis que Gahna en ce moment. S’il nous disait qu’au moment d’embarquer, quand il a vu le grand barlu blanc à quai, mastodonte immaculé, il a eu un recul. Un cliché, positivement. Son sub a renâclé. Y’a fallu qu’il le cravache sévère pour lui faire escalader la passerelle. Bon, et voilà un meurtre à bord. On va être fadé pour les embrouilles. Et témoins, de surcroît. L’autre pomme de Gahna, sa veine de crier à la pluie nocturne, ce nœud ! Tout lui, ça. Le roi de la béchamelle. On aurait rien vu, on pouvait espérer rester en marge de l’affaire. Cinq cents passagers, on avait des chances. Mais à présent, il est marron, notre petit groupe. La cuistance policière. Et policière qui, quoi donc ? On relève de quelle rousse à bord ? Ritale ? Française ? Il imagine son blaze renommé dans la presse, autour de ce fait divers débectant. Le préjudice ! Ses clients qui viennent au rabe de bonheur, chez lui, se faire conter la belle aventure o gué, merde, comment ils vont dégoder vite fait ! D’accord, il fera des déclarations à la presse, comme quoi il avait tout prévu. Qu’avant le meurtre il l’avait annoncé intégralement. Un cliché de toute beauté. Qualité rarissime. Une diapo superluxe. On est témoin de ça aussi, son « cliché » inouï. On peut certifier. Oui, dans le fond, bon, ça va p’ t’être bien au contraire lui épicer le brouet, ce drame. Question d’opportunité. Rien laisser perdre. Dans son job c’est primordial, la pube. Le mage sans pube, il est juste bon pour présager en roulotte, à la Foire du Trône.
Pendant qu’il déclame, arpentant le pont de ses spartiates pointure 48, sa chemise blanche ouverte jusqu’au nombril, on examine le défunt, Béru et moi.
Ce qui me permet de reconnaître le zig maniéré qui m’a filé la ranque dans sa cabine 513 pour minuit.
« L’heure du crime », assurait-il.
À bord d’un bateau, la confiance règne.
C’est réconfortant de pouvoir laisser sa porte ouverte sans crainte de se faire secouer ses boutons de manchettes ou son paquet de devises.
Moi, tandis que les copains alertent le commandant, je trace jusqu’à la cabine du gars, afin de l’explorer un brin avant qu’on appose les scellés.
Je ne peux faire état de ma condition de poulet, vu que je me trouve ici pour une mission particulière. Donc, je dois agir vite et en douce.
Je longe la coursive déserte.
523, 522, 521…
Un gros Américain violacé, à cheveux blancs, blindé comme Fort Knox, s’annonce en titubant d’une cloison à l’autre, libère un rot qui ferait mouiller une lionne, et pénètre dans la 519 après avoir longuement visé l’encadrement de la porte.
Voilà le 513.
Coup de périscope avant, puis arrière. Nobody.
J’entre.
Ça renifle le parfum de luxe à tant de millions la bonbonne. Décidément, il devait être de la flottante, l’égorgé. Je tâtonne pour éclairer, mais avant que j’eusse trouvé le commutateur, la lumière se fait et alors j’aperçois tu sais pas quoi ? Tu veux vraiment que je t’y dise ? Une souris, mon z’ami. En bonne et due forme, sinon en bon uniforme puisqu’elle est extrêmement nue sous son drap. Une souris blonde que tu croirais Marylin du temps qu’elle était et qu’elle était belle. Voilà ce qu’on avait pas prévu au programme, dis donc, l’artiste ?
Elle cligne des stores, moi de même. Elle à cause de la brusque lumière, moi à cause de son brusque emménagement dans ma rétine.
— Je vous prie… heu… de m’excuser, je bredouille piteusement. Et tu remarqueras qu’un puriste de mon genre va pas, même en catastrophe, lancer un « excusez-moi » qui n’est pas français.
On se défrime, interdits (mais pas de séjour, puisque nous ne bougeons ni l’une ni moi).
Puis elle prend le parti de sourire, ma bonne mine l’impressionnant favorablement, ce qui n’est pas surprenant avec la gueule que j’ai, tu penses.
— Vous vous êtes trompé de cabine ? elle chuchote d’une voix délicatement embrumée, because le reliquat de sommeil qui lui conjecture encore le cérébral.
— C’est-à-dire… Vous êtes bien la cabine 513 ?
— Oui.
— Un monsieur… heu… m’y a donné rendez-vous. Sans doute s’est-il trompé de… heu… cabine. Car vous voyagez seule, je suppose ?
— En effet.
Un temps. Elle me fixe avec un peu moins de gentillesse et soupire.
— Je n’aurais pas cru.
— Que n’auriez-vous pas cru, madame ?
— Eh bien, que vous… Enfin que vous acceptiez les rendez-vous nocturnes des messieurs dans leur cabine…
Le rouge de la chose me monte au truc, plus un paquet de coton dans le gosier, et sans te causer de mon guignolet qui se détraque.
— Oh non, ce n’est pas ce que vous croyez, madame…
— Mademoiselle.
— Pardon : mademoiselle. L’orthodoxie de mes mœurs…
Elle accomplit une jolie petite moue avec ses lèvres, comme elle doit en exécuter avec son sexe quand elle fait de la bicyclette.
— Tsstt, tsst. On dit ça… C’est curieux comme l’homosexualité gagne, à notre époque. Les hommes surtout deviennent pédés de père en fils. À quoi ça tient ? Les femmes vous dégoûtent ?
— Mais enfin ! m’emporté-je, je vous interdis de suspecter mes mœurs, mademoiselle.
Elle bondit sur son séant, ce qui lui dégage une loloche qui finirait de rendre aveugle Moché Dayan.
— Comment ! elle égosille, vous pénétrez dans ma cabine à minuit sans même frapper et vous avez le toupet de m’interdire quelque chose ! Mais, mon cher, je m’en moque que vous soyez de la pédale, moi. Qu’est-ce que ça peut me foutre, si j’ose dire ? Hein ? D’abord il s’appelle comment, votre « Môssieur » ?
— Eh bien, je… À vrai dire…
— Mouais, vous ne le savez même pas, pauvre saligaud. Un dégueulasse de votre espèce vous a fait du rentre-dedans (toujours si j’ose dire), et vous foncez le cul en fête, au rendez-vous amoureux, sale lope !
Elle glapit, à présent. Sûr certain qu’elle va rameuter les voisins. Je vais avoir l’air flambard, mézigue, en partant, quand les portes environnantes vont s’entrebâiller.
— Eh bien, il y a erreur, mon vieux. Ici, c’est pas la maison trou-de-balle mais une cabine d’honnête femme, ma pauvre guêpe ! Courez au 413, ou au 313, ou au diable pour retrouver votre fiote !
Mortibus de honte, ton San-An., camarade. Flétri, lavé, froissé comme du papier cul utilisé.
Être pris pour une tante par une mignonnette pareille, y’a de quoi défoncer une locomotive à coups de poings pour se calmer la nervouze. Alors, quoi, le moyen de la dissuader de son idée fixe, hein ?
De lui prouver qu’elle dérape dans l’imaginaire, qu’elle fait du skatinge dans le fallacieux ?
T’en vois plusieurs, toi ?
T’as de la chance.
Moi, je n’en sais qu’un : faut lui pratiquer les grandes manœuvres de nuit, à marche forcée. Seulement, dis, si tu veux avoir l’amabilité de récapituler : deux coups avec Yuchi, et quels ! Plus un, monumental, dans le lit de la marquise où, si nous n’étions pas quatre-vingts chasseurs, j’ai comporté en conséquence. Joins à ces aimables prouesses plumardières les émotions : tir de barrage, catacombes, immeuble qu’écroule, gus à gorge tranchée, et dis-moi franchement, en me visionnant droit dans les chasses, si t’aurais encore envie de carabater une effrontée, tézigue ? Si t’aurais pas la durite en surchauffe, bonhomme ? Le bec verseur qui s’époumone ? De l’effilochement dans la glandaille ? Hein, sérieusement ? Imagine qu’un bon mouvement rébellateur me porte sur la barricade et que là, je reste en rideau, panne sèche, le chignolard façon mollusque, invertébré de l’épiglotte, hé ?
Tu juges, ce désastre ? La confirmation de ses doutes, à la Marylin. Le mec Sana en pleine flasqueté, mort de rage et honte, déshonoré de la grosse veine bleue. De profundis de sa célèbre zigziquette. Priez pour elle, morte au champ donneur ! Qu’après, ça te fout des séquelles, ces mésaventures, des complexes abominables. Le cigare en torche, tu peux plus pendant des semaines, des mois. Tu consultes, fonces au clandé de la mère Tatezi, brûles des cierges en enviant leur fermeté. Vas à Lourdes ! Tu t’y tortilles un fil de fer, comme aux tiges d’œillets, manière de lui redonner des apparences, à Popaul. Le réduquer progressivement, qu’il retrouve le chemin de la gloire et du bonheur.
Non, vrai, j’hésite à relever le gant.
Et elle, garce de cérémonie, elle goguenarde en me flétrissant de la prunelle. Elle en rajoute. Mal embouchée, quand elle est coléreuse, Ninette. Oh, là là. Ce langage poissonnier !
— Mais qu’est-ce qui m’a pris de pas fermer ma porte à clé ! Être réveillée en plein sommeil par un enc… qui cherche son bonhomme ; non, vrai, y’a qu’à moi. Quand je raconterai ça aux amis, ils pisseront de rire. En attendant je vais téléphoner au commandant, moi. Lui demander si son barlu est un bordel ou un boxon.
La v’là qui tend la main vers le bigophone. Tu sais qu’elle le ferait, dans sa rogne ? Pourtant, d’ordinaire, les gonzesses sont bienveillantes avec les pédoques. Elles font amie-amie avec. S’en amusent. S’en rassurent. Mais cette tigresse a le culte du classicisme. La terre jaune lui fait voir rouge. L’opération anti-hémorroïde, elle regimbe.
Ton San-Tonio, belle Andalouse, tu verrais ce qui lui prend. Vaucanson ! Je suis un homme aux tomates, comme dit Béru. Je marche à elle, pareil aux vaillants, aux forts, qui vont au supplice la tête haute et le poitrail en carte routière déployée. Pour commencer, j’y cloque une mandale. Rien qu’une, mais appuyée, avec les pleins et les déliés. Elle s’arrête pile de ricaner, son regard s’emplit de larmes. Je chope le drap. Vrran ! Déballez-moi le sujet.
Pas volé sur la marchandise : il est de tout premier choix. Cachet or ! Une vraie blonde, presque. Ce ventre duveteux… Hmmmm ! Et ces seins. J’avais déjà croisé le regard du gauche, mais les deux réunis, tu peux pas savoir l’impression qu’ils donnent. Comme ils sont dodus, fougueux, bien venus. Alors mes angoisses dispersent. Me revoilà tel que l’exige ma réputation : un porte-manteau long comme. Tu peux y suspendre ton manteau de fourrure, polissonne. Poum ! Je la tire par les pieds, qu’elle abandonne sa position assise. Du temps que je les tiens, les écarte. Nuit de Valpurgis ! Servez chaud ! Faut goûter si c’est à point. Tu me verrais, tu croirais Giscard dans les prisons, quand il vérifie la grande gamelle, si c’est salé à point.
Une broutillette.
Miamiam’.
Dégustation… Tu me suis ? Bon. Me précède pas, surtout ! Mon Nostradamus s’impatiente, il cogne de gauche à droite comme un grand con ivre. Tu dirais quand un môme veut soulever un aviron trop lourd et que la rame l’embarque (si je puis dire). Qu’elle cigogne de côté et d’autre. Poum ! Ploc !
Il veut la tenir dressée, mais elle le déséquilibre. Moi, d’aller au fade pour la quatrième fois de la journée, j’en ai le tringlard en perdition d’abondance. Il m’emporte, le diable m’emporte. Et le désir, tout. Bon, je remonte la fillette. Elle cherche pas à nier l’évidence. Ma petite minouchette l’avait pas convaincue, ça pouvait passer pour un geste désespéré de tantouze. Mais quand elle avise mon braque, au détour du sentier. Oh, pardon, docteur, passez donc ! Donnez-vous la peine d’entrer ! Non, non, inutile de prendre les patins de feutre, je ferai le ménage plus tard.
Je l’engouffre en trombe.
En trompe !
En trompes. Jumbo, Eustache. Coin-coin.
Et ça, môme, c’est du belgium ? Du moldovalaque ? Du trombone à coulisse ? Du marteau-piqueur ? T’en as déjà rencontré, des minets avec un goumi de cette taille, aussi effervescent, animé de meilleures intentions ? Elle rouscaille plus, non, elle râle. Elle fait des « ahou ou, ahou ou ou » qu’on se croirait dans du Jack London, quand la horde de loups course le traîneau. Juste pareil : « ahou ou, ahou ou ou ». Et tu me verrais le traîneau, s’il fend la bise. Comment il lui arpente le Labrador, à Poupette ! Tout en limouillant, il me vient une idée. Vengeresse. Bathouze. Somptueuse. Elle est déjà sur sa rampe de lancement, parée pour la fusée interstellaire. Alors j’interromps net mes activités en zone bleue, elle pousse une clameur de détresse. Ne lui laisse pas le temps de déplorer. Ah, elle me réputait pédoque, cette morue ! Eh ben, tiens, chochote, chope ! 37,2, c’est pas de la fièvre, ça ! Comment elle glapit, renâcle, proteste, regimbe, m’abomine. Mais je lui tiens bon la soute à bagages. Elle a beau se tortiller, elle échappe pas au guisot féroce, d’autant qu’il démarrait pas à cru, l’athlète. Son hurlement quand elle déguste l’intrépide envahisseur, se le rectifie fondementalement. Oulala ! Le vilain strapontin ! Ce butoir ! Ce boutoir ! Ce butor ! Poussez plus, la cour est pleine. Rejouez-moi « Baiser de feu », siouplaît ! Comment elle se guérira la fournaise après mon départ, ça la regarde. Doit y avoir des extincteurs à bord, tu penses. De la mousse O bao, baobab ! Elle sera bonne pour la contrebande, la gamine. Pourra passer l’obélisque en fraude. Elle crie comme une écorchée vive, parce que C’EST une écorchée vive ! Allons, bon, la v’là qui pleure. Calme-toi, jolie blonde, il s’agit pas d’un accouchement mais juste du contraire. Ah ! v’là que tu t’apaises ! Ça redevient soutenable ? Bon ? Ah, bon ! Tant mieux. Comme quoi faut jamais désespérer, pas jeter la cognée au moment que tu prends le manche. Qu’est-ce t’as dit ? Encore ? Non, mais t’y prends goût. Soit ! Eh ben, en revoilà, m’y voici donc. Et pour couronner la mémorable séance, un petit doigt de cour par-devant. Ça fait gentil, champêtre. Le petit côté copain-clopant. Que tout le monde ait sa part. Sa joie de vivre. Deux doigts ? Va pour deux doigts. Siffle pas, surtout, ça me distrairait. Je me croirais au Parc des Princes. Eh bé dis donc, tu regazouilles, ma colombe. Qu’est-ce que tu recries ? Oui ? Oui, quoi ? Oui, oui… Bravo ! Eh ben si c’est oui, c’est que tu me reçois cinq sur cinq. Faut pas lésiner. Prends ton fade des grands jours, chérie. Profite, c’est à l’œil. De bronze ! Hein, mais bon Dieu tu t’évanouis, greluse ! La sensation trop vive, trop intense ? Digue-digue pas, ma gosse. Mince, la v’là aux quetsches. Poum, son plus suprême panard. Quelque deux douzaines d’années qu’elle attendait un feu d’artifice de cet ampleur, la Coquine. Désespérait d’assister jamais à une telle farandole. Rêvait du Carmel, parfois, se disant que tant qu’à faire de ne pas s’expédier à dame franco de port, mieux valait se consacrer au ciel, baliser déjà le parcours pour plus tard…
Bon, je m’arrache, vais me repomponner la membrane et m’occupe de son évanouissement. Justement, il arrive à échéance. Elle rouvre les zœils, soupire à s’en déchirer les soufflets, tu sais ? Et puis, vannée, comblée, s’endort là, devant moi, d’un beau somptueux sommeil.
Demain, elle sera réveillée par des picotements mal placés, mais quoi, c’en valait la peine, non ? Le temps de cicatriser du valsif et l’avenir lui appartient. « Souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise », affirme le proverbe. Dorénavant, la voilà parée, l’effrontée.
Tu veux que je te dise ?
Mine de rien, elle me doit une fière chandelle.
Bon. Et de quatre !
Le moment est venu de retrouver Béru et ses potes. Ils doivent se demander ce que j’adviens.
L’expérience imprévue m’a mis les jambes en flanelle.
Mais avec tout ça, j’ignore et ignorerai probablement toujours ce que me voulait l’élégant.