CHAPITRE V DANS LEQUEL JE M’ENVOIE UNE FRANGINE

Un qu’est embêté à juste titre, c’est mister commandant.

Oh, là là, cette bouille en parcmètre sous-alimenté !

Il nous réunit dans sa cabine, avec du whisky, et il laisse aller son cœur, le digne homme. À la godille, il va, son palpitant. Avec des louvoiements d’esquif ballotté.

Sont réunis : la môme Yuchi et son jules, le mage Dieumerci, le professeur Gahna, Béru, mézigue, les deux barmen, le commissaire du bord, plus un personnage falot qui a enfilé un imper sur son pyjama acheté en solde chez Mammouth et qui nous considère, les uns les autres avec une rare mélancolie jointe à une puissante envie d’être ailleurs. Le commandant nous l’a présenté en ces termes : l’officier de police Pastaga, de la Sûreté de Marseille, Section des Stupéfiants…

Le poulardin voyage sur le Thermos pour s’assurer qu’aucun passager ne met à profit cette croisière pour rapatrier de la came du Moyen-Orient où nous nous rendrons dans les jours à venir.

Il est pas joyce qu’on le mobilise pour un meurtre, tu parles. C’est pas dans ses emplois. Aussi fait-il la gueule en écoutant le brillant officier nous déballer le speech ci-dessous :

— Madame, messieurs, mes chers amis (ça, c’est pour les loufiats corsicos qui s’entre-chuchotent des choses dans les conduits à conneries).

Il reprend une respiration nullement compromise et poursuit :

— La chose effroyable qui vient de se produire risque de compromettre notre croisière, c’est pourquoi il faut, je répète : il faut, la garder secrète. Monsieur l’officier de police Léon Pastaga va conduire une enquête discrète pour essayer de démasquer le coupable de cette atrocité. Vous lui devez une collaboration franche et massive et vos témoignages lui seront précieux. Mais je vous demande, au nom de ma compagnie, au nom des grands principes d’honneur en vigueur dans la marine tant à vapeur qu’à voile, en mon nom propre, au nom du père, du fils et du saint-esprit, oui, je vous demande, madame, messieurs, mes chers amis, de ne souffler mot à quiconque sur ce qui vient de se passer. Il y va de la sécurité même du Thermos. Je compte sur votre sens du devoir, merci. Monsieur l’officier de police, en tant que seul maître à bord après Dieu, je vous délègue tous pouvoirs pour conduire cette enquête à votre guise.

L’interpellé soupire et opine.

— Vous avez de quoi écrire ? demande-t-il.

Le commandant lui désigne un petit bureau d’acajou-bien-sûr :

— Installez-vous, mon cher.

Pastaga ôte son imper, coule une main par l’ouverture de son pantalon de pyjama et se met à se faire les foins. Après quoi, il frotte ses ongles garnis sur son revers comme l’abeille se déleste du pollen qu’elle vient de butiner.

— Identité de la victime ? demande-t-il d’une voix mourante.

Le commissaire du bord répond :

— Eloi Prince, ancien diplomate du quai d’Orsay, domicilié aux Essarts-le-Roi dans les Yvelines.

— Qu’allez-vous faire du corps ?

— Le mettre à la morgue du navire, naturellement.

— Ce monsieur Prince voyageait seul ?

— Oui.

— Il occupe quelle cabine ?

— La 444, fait le commissaire.

* * *

T’as pas le temps de compter jusqu’à seize cent milliards que j’y suis déjà à la cabine 444, après avoir bredouillé un mot d’excuse comme quoi les exigences de la nature…

J’espère qu’aucune sirène ne m’y violera. Parce que cette fois, j’affiche relâche pour répétitions à ma braguette.

Elle est vide (pas ma braguette ; la cabine !). Tout y est bien en ordre. Une odeur d’eau de toilette élégante, pour man pas poor, m’accueille. Sur le lit, un pyjama de soie mauve, habilement disposé par la femme de chambre, attend son maître, mais le pauvre, hein ?…

Je mate la penderie : costars sur mesures, d’été, smoks (un noir, un blanc), chemises également sur mesures, en soie. J’abaisse la porte rabattante du secrétaire incorporé. Sur un rayon : la photo d’un beau jeune homme au regard de biche et sourire d’après-pipe. La vraie frappe à michetons. Un passeport posé à côté du portrait me confirme l’identité de l’assassiné et me précise qu’il était célibataire et qu’il est mort à l’âge de 58 ans et 3 mois, ce qui laisse absolument intact le record de Mathusalem. Ledit passeport est constellé de visas de pays très variés, attestant que Prince se déplaçait beaucoup.

Dans un tiroir, un petit porte-documents de cuir. J’y déniche trois mille dollars, vingt mille francs français, une carte de crédit de l’American-Express, une autre de Hertz. Et puis une lettre.

La lettre est sur un papier en paille de riz de très mauvais goût. Une écriture plus inculte que le cœur de l’Amazonie y déclare très exactement ceci :

« Mon vieux folingue,


T’es vraiment con, comme con on ne fait pas plus con que toi. Naturellement que je t’aime à en mourir. Si je sus pas été en croisière avec toi, vieille gueule, c’est à cause que je supporte pas le bateau, même qu’il a des stabiliseurs comme ton Thermos. J’espère que t’auras trouvé mes fleurs en arrivant dans ta cabine ? C’est gentil, comme intention, non ? Et alors, toi, tu viens me dire que je t’aime pas. Ce qui faut entendre ! De rage j’ai déchiré ta lettre, saloperie ! À ton retour, faudra qu’on voye pour changer ma moto. Je voudrais essayer une B.M.W. histoire de varier un peu. Une 750, comme celle de Michou. Elle est terrible. Amuse-toi bien et tâche de ne pas trop me tromper sur ton rafiot, sinon, je te les coupe quand est-ce tu rentreras.

Je t’embrasse bien partout, et surtout là que t’aimes.

Ton pauvre Georgy qui a le cœur bien gros que tu soyes pas là.


P.S. : Quelle idée de vouloir absolument partir à cette croisière ! Tu serais été mieux de te remettre de ton opération à la camberousse, du côté de Montfort-Lamaury, par exemple. Quel con !

Je suppose que l’auteur de cet aimable poulet est le personnage de la photo. Au moment où j’enfouille la babille, comme-ça-juste-pour-dire-car-enfin-si-on-ne-faisait-pas-son-métier-merde-y-aurait-qu’à-rester-chez-soi-vrai-ou-faux ? la porte se rerouvre et l’officier de police Léon Pastaga fait une entrée théâtrale, sous son imper limoneux, jeté à la diable sur ses épaules, si tellement à la diable que le col est en bas et que ses manches traînent au sol comme les bras d’un cadavre qu’on s’amuse à charrier en le tenant par les jambes, ce qui est toujours d’un effet cocasse. Il a dû maigrir depuis qu’il a acquis son pyjama car le futiau dudit lui descend sur le bas-ventre, opérant un entrebâillement propice à la contemplation de son sexe, qu’il porte sans ostentation sur une paire de burnes fripées.

— J’en étais quasiment certain ! jubile l’émérite policier. (Il prononce « couasiment » car il a fait quinze jours de latin en sixième.)

Et de glapir :

— D’ailleurs ta sale gueule de bellâtre me disait quelque chose, je suis certain de l’avoir vue aux sommiers. Tu es un dangereux repris de justice, hein, salopard ?

(Il prononce heingggg, car il est Marseillais de père en fils depuis les Phocéens.)

Je lui souris candidement.

— Dites, camarade, vous êtes trop physionomiste pour naviguer. Les semelles de plomb, c’est dangereux quand on fait la brasse papillon en eau trouble.

Et, baissant le thon (puisqu’on est en mer) :

— Commissaire San-Antonio, ça remue quelque chose dans le labyrinthe de votre cervelle ou bien ça ne représente pour vous qu’une marque de capotes anglaises ?

Il blêmit, bleuit, verdit, chmolit, trompit, braderit, hernit, chirit, katmandit, syphilit, bovit, crépit, et dit :

— Oh, nom d’ dieu d’ merde, mais c’est sûr ! Coquin de hareng saur ! Oh, bonne mère, bon pied, bon œil, bon an mal an, mais qu’oui ! Mais qu’oui ! Que bien oui ! Turellement ! Et moi qui, moi quiqui, moi qu’on, moi concon. Le coco… missaire ! Tansantantonio qu’à la fin à se casse ! Monsieur le commissionnaire, heu, j’excuse-moi et si je vous demande pardu pour le malin tendon, monsieur le communiste, pour cette connassefusion dont je le te vous… n’est-ce pas ? Et puis, hein ? Bon. Parce qu’alors… Une erreur pareille ! En pleine mer. Si jeune et déjà poney. Ponctuel. Dévoué. Marié, père de trois enfants dont deux du premier mari de ma femme. Bien ânonné de ses chefs. Jamais malade ! Croix de guerre en Algérie. Me tromper aussi paraboliquement. Et de nuit, je vous le fais remarquer à bouche que veux-tu. Qu’est-ce qui m’a pris ? Vouavège la tête ? Vous croyez que je saugrène ? C’est imprécable, non ? Désamorçant ! Alors, quoi, qu’est-c’ j’ peux faire ? Me rébiliter l’abbé vulve ? Vous demander pardon ? Pas suffisamment ! J’ai rien sur moi. Je suce mal. Vous accepteriez une traite à soixante jours ?

Et il se met à pleurer.

Magnanime, comme tous les grands chefs, qu’ils soient de guerre ou de gare, je relève son front courbé par le repentir. Lui applique une vigoureuse absolution dont il fait ses choux gras. Et, en quelques mots précis, donc précieux, lui déclare que je me trouve à bord du Thermos pour une affaire de la plus haute importance, et qui me nécessite l’anonymat. Je vais m’occuper de l’enquête bien sûr, mais de haut, de loin, par la bande d’un con, c’est-à-dire à travers lui. Qu’il câble pour demander un maxif de renseignements sur Eloi Prince, son curriculum, sa vie privée. Qu’il s’inquiète de savoir qui donc, en dehors de moi, a embarqué à Palerme. Et qu’il fasse vite. Rendez-vous dans ma cabine aux aurores, sitôt que le maître-coq du bord aura chanté trois fois.

Il baise la main que je lui tends.

M’ouvre la porte, époussette la coursive avec son impermaléable. M’envoie des baisers, me bénit.

Je rentre me toyer, complètement déboulonné. Ma fatigue confignede au dénuement. (D’ailleurs, on approche du dénuement.) Tout ça, plus le reste et ce qui s’en est suivi, hein ? Ça remplit foutralement une journée d’homme.

Dans tout ce blizzard, la question qui me turluqueute c’est la suivante : « Pourquoi Eloi Prince m’a-t-il fixé rendez-vous dans la cabine 513 alors qu’il occupait la 444 ? Ça correspond à quoi ? »

Après ma douche du soir, je téléphone à la cabine du commandant. Pastaga y est de retour. On me le passe.

— En même temps que les autres rapports, dis-je après m’être nommé, j’en veux un, circonstancié, sur la passagère qui occupe la cabine 513, compris ?

— Papa… paparfaitement, monsieur le co…

— Stop ! hurlje à ce nœud volant.

Il se reprend in extremis (de gauche).

— Monsieur le co… coléoptère.

Ce garçon ira loin.

Au moins jusqu’au Liban puisque le barlu y va aussi.

* * *

Un froissement.

J’éclaire.

C’est le journal du bord qu’on vient de glisser sous ma lourde, ainsi qu’à tous les autres passagers. Il renseigne les émigrants de vacances sur les réjouissances qui se préparent pour la journée.

Vraiment sensas : tir aux pigeons d’argile, jeux de pont, jeux de cons, concert par la célèbre violoniste Catharina Sprountz, qui donna ses premières leçons à Paganini ; conférence du docteur Lachetouille sur l’évolution du pancréas de ses origines à Charles de Gaulle ; bridge, dîner de gala, soirée dansante, choucroute de nuit au bar des routiers. Le pied !

De veau.

C’est vraiment batifolant, un barlu. Les perspectives que ça ouvre, non, je te jure. Les débouchés (avant de s’en servir). Ces gens qu’on y rencontre, dont on se lie d’une amitié très intense, à leur foutre des serpentins sur la gueule, à écluser des coquetèles avec eux, aux noms prodigieux. Si t’as une fille à marier, une firme à renflouer, une femme vorace à calmer, hésite pas, mon grand : paie-toi une croisière. La Grande bleue, nul n’y résiste… C’est l’aventure des temps nouveaux. L’ultime. Après, quand ils auront désarmé le dernier paquebot, ce sera mèche, finito pour toujours, c’est nous tous qu’on sera désarmés devant la vie mesquine. Plus moyen d’évasionner. Mouettes sans ailes, nous resterons rivés à nos quais et à nos grèves, avec juste notre nostalgie comme esquif. Mince, ce que je vais chercher là, dites, dans un bouquin de chemin de fer d’un prix tellement modique que je vais être contraint, je pressens, de revendre mon château de la Loire pour payer l’essence de ma Rolls. Ça me tombe de la plume pendant que je tricote. Plus fort que moi. Je lâche une perlouze en santoniant.

Comme j’achève l’édifiante lecture, on carillonne à la grille du parc. Je remonte l’allée cavalière de ma cabine et j’ouvre à Béru.

Un gros déjà pimpant dans un futal jean, éclaté aux noix, dont il a renoncé à fermer la braguette Éclair. Il porte un tee-shirt blanc, avec du café au lait par-devant et du cambouis par-derrière, tee-shirt sur lequel le nom du navire est écrit en vastes caractères bleus.

— J’ te réveille ? demande-t-il d’une voix prudente, comme si, dans l’affirmative, il était prêt à retirer sa visite.

— Non, entre.

Il répond à l’invite, dépose son énorme fessier sur l’unique chaise et soupire :

— Je viens au rapport. Figure-toi que mon pote, le mage, m’en a raconté une de première : c’est l’histoire d’un gus qui a chopé la myxomatose parce qu’il avait roulé une galoche à une gonzesse qu’avait un bec de lièvre.

Il rit.

Moi, non !

— Est-ce en relation directe avec ta mission, infâmure ? lui demandé-je.

Sa Majesté me décoche un haussement d’épaules qui me ferait sortir de mes gonds si j’étais porte.

— Tu t’es réveillé du pied gauche, Mec ? Ou t’es en manque d’affection ? Si le cas échéait, rassure-toi, c’est bourré de cheptel sur ce barlu. T’as qu’à puiser dans le lot. Et ici, y’ a pas de vilaines surprises au décarpillage vu que tu peux mater ces dadames en tenue légère autour de la piscine avant de porter ton choix.

— Où en es-tu ? endigué-je.

Il cligne de son bel œil carmin dans lequel naviguent des caillots de sang.

— Ben t’as vu, non ?

— Mais encore ?

— Mais encore quoi ! Ça fait qu’ deux jours que j’ai monté à bord et déjà je tutoie ton mec. T’espérais que j’ l’aurais épousé dans les intervaux ?

— T’as rien remarqué de particulier ?

— Il a une bouille à chier contre et pour lui arracher un sourire faut se la peindre en rouge et se filer une gerbe de roses dans le prose. Sa gonzesse serait p’t’être plus sympa, quoi qu’elle m’a semblé un peu sauvage. J’ai essayé d’y placer ma botte secrète au valseur, en copain, mais elle m’a gentiment rebuffé.

— Ils ont des contacts, à bord ?

— Moi.

— Et tes deux autres potes : le mage et le prof ?

— C’est mécolle soi-même personnellement qui leur a fait la connaissance et les ai branchés ensuite sur les Chlag. Que je te précise qu’hier, pendant l’escale, j’ai profité de ce que Dieumerci et Chlag allaient écouter par politesse la conférence de Gahna sur la Grèce d’oie antique, pour esplorer leur cabine, tout azimut. La petite Yuchi avait descendu à terre visiter la ville. J’étais bonnard. L’opération peigne fin, que même leurs tubes de pâte dentifrice m’a passé par les mains. Rien ! Et toi, la nana, tu l’as coursée, dans Palmerde ?

— Nous avons fait un tour de ville ensemble.

— Vous m’avez pourtant pas donné l’impression de vous connaître quand c’est que je vous ai présentés ?

— Preuve que nous savons jouer la comédie.

— Et qu’est-ce ça a résulté, cette virouze ?

— Trois ou quatre morts par balles, plus une chiée d’autres par bombe. À part ça, c’était idyllique.

— Quoi ?

Un nouveau heurt à ma lourde nous interrompt.

— Ce doit-être Pastaga, dis-je. Va dans la salle de bains, inutile qu’il sache que nous avons partie liée.

Il fait.

Ferme tandis que j’ouvre.

Ma surprise est drôlement machin quand je trouve une dame inconnue dans l’encadrement.

Fort belle au demeurant, bien que plus de la seconde jeunesse. Elle porte une tenue de bain dans les tons orangés, avec impression de fleurettes vertes. Elle est d’un roux arbitraire, cette personne. Mais savant, et son maquillage, dis, tu verrais, ce fondu enchaîné dans le fond de teint, le vert des paupières, les lèvres luisantes, toutes fraîches peintes, émaillées on dirait, tant et tant qu’elles brillent ! La pure splendeur dans l’artifice. Ma visiteuse doit trimbaler son demi-siècle facile, mais avec un tel brio, une élégance si sûre, quoique sophistiquée, que son âge n’a pas la moindre importance.

Je pressens que deux instituts de beauté vivent par elle dans le gay Paris, et que quand elle a la grippe, les P.D.G. des maisons de couture tombent en prières pour implorer sa guérison franche et massive.

Je cligne des yeux, comme devant une exposition d’hyper-réalistes.

— Madame ?

Elle a un infime sourire.

— Monsieur, elle chuchote, m’accorderiez-vous quelques instants ?

— Bien volontiers…

Je m’efface, elle entre. Je lui désigne la chaise. Elle choisit le lit, y prend une posture de cinéma allemand des années 30. Me regarde.

— Ma visite est très incongrue, commence-t-elle.

Elle tapote le bord du lit. Il me faut un petit bout d’instant pour réaliser qu’elle m’invite à m’y asseoir. Je.

— J’occupe la cabine 515, poursuit l’impressionnante personne. Là, j’ai un léger soubresaut dans le cartilage de conjugaison.

Je ne trouve à coasser qu’un pitable et mineux :

— Intéressant.

… qui ferait dégobiller un dandy britannique.

— Imaginez-vous, monsieur, que des passagers dont l’éducation laissait beaucoup à désirer, ont percé un trou entre le 513 et le 515.

Elle rit, son rouge à lèvres fait un bruit de sexe surexcité.

— À moins que ce ne fût entre le 515 et le 513, ajoute-t-elle.

Je ris aussi, non que je trouve son dialogue aussi percutant que celui de mon pote Audiard, mais enfin, quand t’es poli, t’es poli et tous les Bérurier de la création n’y changeront rien.

— Si bien, enchaîne ma visiteuse que, presque involontairement, j’ai eu, cette nuit, l’occasion d’admirer votre comportement chez mon aimable voisine. Certes, j’aurais pu m’abstenir de coller mon œil à ce trou, mais vous m’aviez réveillée, et j’étais pratiquement en état de légitime défense, n’est-ce pas ?

Son regard langoure. Et alors je crois piger la raison de sa venue. Madame est une gourmande, bien connaisseuse, qui a entrepris cette croisière manière de se draguer des julots possédant leur B.A.P.

Elle attend.

Moi aussi.

Je te veux pas parler de charme discret qui se tisse, nous entortillant dans les fils arachnéens du naninanère chose, tu penses ! On est au-dessus de ces mômeries conventionnelles. Toujours est-il que même s’il s’établissait entre nous, le charme mouilleur en question, il serait brutalement rompu par tu sais quoi ?

Béru.

J’ignore ce qui arrive à Cécoinsse-pâte, mais il nous distribue des bruits qu’ont rien de poétique, depuis la salle de bains. Une salve qui te rappellerait l’exécution du maréchal Ney, le pauvre. S’ensuit dès lors une espèce de méchante cataracte, indice éloquent d’un intestin généreux qui se gausse des laxatifs les mieux efficaces, ayant sa propre démarche.

La dame en rut sourcille.

— Vous avez des voisins bien bruyants, dit-elle.

Comme pour lui donner raison, le Gros nous interprète « Raid sur Tokyo », avec la participation de l’escadrille suicide. C’est un feu roulant, marqué d’explosions sourdes, de brèves accalmies et de recrudescences infernales.

— On s’y croirait, dit la visiteuse, gênée.

— Invivable ! renchéris-je du même ton.

Bon, et voilà que ça se tasse. Bientôt la tornade de la chasse marque la fin de cette reconstitution historique. On va pouvoir reprendre.

Moi, cette épisode de la dernière guerre m’a récupéré les esprits. Et je me dis, in petto : tu ne vas pas commencer ta journée en limant cette rombière grand luxe, quoi, merde, t’as autre chose à foutre sur ce barlu. Loncher, toujours loncher, c’est vacancier comme système. Ça porte au farniente. Coussins, narghilé, ronflette. À force de forcener du radaduche, tu vas devenir flanelle, gars. Liquéfier de l’épinière. Marcher en « X » majuscule. Tes facultés mentales vont s’en ressentir. Donner de la bande, comme diraient les passagers. Cette très véry délicatous enquête, tu vas finir par la conduire depuis ta cabine, en petit calbute Cardin, si trognon, si mignon.

— Madame, fais-je, je suis navré de vous avoir infligé un spectacle aussi osé, l’amour qui est si simple quand nous y participons, devient scabreux, lorsque nous ne sommes plus que spectateur.

Elle chuchote :

— Grand fou, c’était merveilleux. Inoubliable. Cette façon noble, ardente, triomphale dont vous avez pris cette petite est un acte de seigneur du sexe.

— Vos compliments me vont droit au… au cœur, madame.

— Ne m’appelez donc pas madame, mon prénom est Paméla.

— Américaine ? m’empressé-je de dévier.

— D’origine. Née à Philadelphie, venue en France dans les langes. Je ne parle même pas l’anglais, mon cher. Par coquetterie. En hommage à ce pays fabuleux où ma vie s’est merveilleusement épanouie. Mais laissons là mes souvenirs…

Je manque d’ajouter : « Oui, on en aurait pour trop longtemps. » Elle avance vers mon pyjama de soie bleu nuit (parbleu) une main de virtuose, légère, pianoteuse, fourmillante et qui, malgré les dispositifs d’alerte, commence à faner aux jointures. Je voudrais reculer. Mais si je recule, je tombe, étant assis à l’extrémité du lit. Me reste la solution de me lever. Je vais pour. Trop tard ! Tel le serpent longtemps immobile qui, dans une fulgurance, plonge sur sa proie, sa dextre vient de m’emparer l’Antonio. Hop ! Et alors, ben mon vieux, je vais te dire, cette personne possède une technique, dans son genre plus poussée que celle de la marquise sicilienne, dont j’espère que Dieu a l’âme, qu’autrement c’eût été dommage de la laisser perdre, non ? Parce qu’enfin, une âme de marquise, ça ne court pas les purgatoires.

La manière fougueuse, précise, péremptoire qu’elle m’extrapole, m’extrait Popaul, me farandole les muqueuses inférieures ! Et la force dont elle démontre, viens-y un peu ! Elle est karatéka, garatémiche ! La violatil pas qui me culbute sur le page-muche, me fait une cabriole sur le buffet pour me maintenir dans la position renversée. Me dagoberte le scoube. Poum ! Vive Mozart ! Elle me bloque les bras le long du corps avec ses genoux en étau. D’un geste, elle a relevé sa sortie de bain. Et tu veux que je t’esplique bien tout comme il faut, sans omission ni pudeur ? Eh ben son maillot de bain, enfin, la culotte du maillot de bain, est fendue par-dessous très complètement, sur trente centimètres. Et elle vient me dire bonjour du frifri, commak, à bout portant, que je n’y vois plus rien, mon pauvre. Que tout s’obscurcit, comme si je viens de tomber, tête première, dans une touffe de fougères. Oui. Et qu’elle trémousse scientifiquement, cette chère madame. Juste ce qui faut pour que je peux reprendre ma respiration, qu’il serait dommage de compromettre à cet instant car alors ça irait où, tout ça ? Tu vois ? Ah, c’est une existence à part, la mienne. J’ai rien du bléchu d’hachélèmes qui passe sa vie entre sa téloche, son turbin et le cul de sa voisine de palier que son mari fait équipe de nuit. Moi, c’est le grand sport. J’ sus la Ferrari du genre humain, je reconnais volontiers, sans chichis et fausses pudeurs. Il m’arrive des choses pas monnaie courante, quoi. Fadées, juteuses, électriques. J’aime bien, ça pimente. Le temps passe mieux, tu meurs plus confortable. Légèrement moins conventionnellement.

Tu sais qu’elle a la chattoune sympa, la dame ? Comestible tout plein. D’une rare délicatesse. C’est une triple zéro, même chose les belons de luxe. Franchement, quand tu lui passes à table, tu ne te fais pas prier. C’est la délectance de l’amateur éclairé. Le grand cul classé. Le grand cru casé. Du nectar. Goodissime. Suprême. L’aubaine d’une vie pour un minoucheur instructeur. C’est le numismate qui découvre l’écu de saint Louis dans un lot de vieilles mornifles, aux puces. L’écu de cette personne, crois-m’en-z’en, constitue le clou d’une collection. Elle a été bien inspirée de venir, cette belle mémé. Dire que sinon j’eusse navigué auprès d’un trésor pareil sans le déguster ! J’en frémis pendant ma tyrolienne à cadence variable, d’évoquer cette perspective. Ça me flanque du regain d’allant. De l’enthousiasme dans la menteuse. Je me fais claironnant de la glotte. J’ai la gloupe en bataille. Le grand hypoglosse qui s’innerve[2] ; la membrane à pébroque qui tuméfie. Et madame humecte à tout va. Passe-moi la Spontex, sed lex !

Le tout dans un parfait silence. T’entendrais voler une mouche. Juste le bruit léger de nos souffles bien accordés et celui, de source, de nos débordements. On tropleinte du geiser. Suave !

Moi, perdu dans mes touffeurs délicieuses, envapé complet, je file à la vitesse d’un nœud-seconde sur la mer des félicités. Alors j’entends pas toquer à ma lourde, avec sur les portugaises des écouteurs comme les cuisses à madame. Et pourtant on toque. Et comme personne répond, on ouvre. Une voix écrie, sur le mode pressant :

— Vite, vite, il y a quelqu’un ?

Cette fois, je perçois. Abandonne mon centre linguistique, repte quelque peu pour dégager ma bouille de l’étau. J’avise l’officier de police Pastaga, hagard.

Il s’avance.

— Ah, vous êtes là, monsieur le… Bonjour.

— Bonjour, que je lui réponds, d’entre les jambes et touffes de mon aimable violeuse.

Il s’avise à peine de ma position, tant il est bouleversé.

— Vous pouvez venir tout de suite ? il implore.

— C’est que, comme vous pouvez le constater, je suis assez occupé pour l’instant, objecté-je.

Il regarde notre scène d’un œil un tantisoit plus lucide.

La politesse étant, il dit à ma compagne, laquelle continue de s’activer autour de mon basidiomycète :

— Mes hommages, madame.

— … aour… e’sieur ! dépompe-t-elle tant mal que bien.

Puis, Pastaga ajoute :

— Cela urge terriblement, vous savez…

— Bon, j’y vais.

La dame, pincée, me libère.

— Je vous attends dans la coursive, balbutie Pastaga, pardonnez-moi, mais je… heu… n’avais pas remarqué que vous étiez en conservation avec madame. Le moment n’est pas au porteur, je m’en doute. Pourtant, il y a une telle résurgence…

— Ça va, ça va, je vous rejoins.

— C’est gai, en pleine volupté… Vous me la copierez ! grince ma partenaire, meurtrie dans ses sens et son orgueil.

C’est à cet instant que la porte de la salle de bains s’ouvre. Un paf monumental surgit, immédiatement suivi de Béru.

— Si c’te p’tite dame voudrait, je pourrais la finir ? propose mon dévoué collaborateur.

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