Il y a une vieille chanson française, couenne à bouffer de la bitte d'amarrage, qui dit comme ça que lorsqu'on morfle une cheminée sur la bouille y avait qu'à passer sur le trottoir d'en face.
Moi, je chope une cheminée d'usine sur la cafetière, mes amis. Et tout en dégustant, je me dis que j'aurais vachement mieux fait de passer sur l'autre trottoir en effet.
Et tout ce bignz dans le dos du Vieux ! Je décime les agentes ricaines, les hauts officiers ! Je démantèle les bases d'entraînement, je…
— Curt, déclaré-je, je vais te dire une chose.
— Non, interrompt Bérurier, c'est moi que je vais lui la lui dire !
Il est violacé, le Dodu. Fureur totale ! Courroux noblement exhalé. O rage ! O géant-se-peut-il-que-tu-dormes !
— Curt Curtis, aboie le Grondant, par-dessus le zonzon fracassant du moteur, Curt Curtis, t'es qu'un sagouin, un fils de p… ! ? Une ordure dont la nausée abonde ! Une saloperie vivante ! Une infection généralisée ! Une lope pas fraîche ! Un… Une…
Il s'étouffe, il suffoque, il s'apoplexique, il meurt d'indignation. Mais, vaillamment, il reprend une goulée d'oxygène pour continuer à destituer Curtis de sa qualité d'homme et surtout de soldat.
— T'es un traître, Curt Curtis ! T'es moins que pas grand-chose ! Un pet de lapin crevé a plus d'honneur que toi, Curt Curtis ! Tu mérites pas de vivre ! Quand un mec fait à son pays ce que tu as fait au tien, faudrait pouvoir le buter et enterrer sa charogne aut'part que dans la terre. Même on t'enverrait la carcasse dans le cosmos, je refuserais de te sentir tournicoter autour de ma planète, Curt Curtis.
Et Béru continue, inexorable, grand, blanc, bleu, rouge, arc-en-ciel, séraphique, tonnerre, poil au nez, vorace en sa fureur, affamé de sa rage.
— Dès que t'auras posé le zinc, je te ferai la peau, salaud !
Lors, le pilote se tourne vers Béru et lui adresse un clin d'yeux.
— Je serais entièrement d'accord avec toi si je m'appelais Curt Curtis, Gros Lard, lui dit-il. Seulement, il se trouve que ma véritable identité est Dimitri Skoliansky et que je suis un agent soviétique incorporé depuis bientôt quinze ans dans l'armée américaine.
Il lâche son farfouilleur spermostatique pour me claquer le dos.
— Ça ne t’ennuie pas trop, Tony, que ça soit un Popoff qui t'ait jadis sauvé la vie ?
On reste bouche bée. Bouche bête.
Le Mastar se regarde le bout du pif pour voir s'il lui pousserait pas un palmier ou un truc de ce genre. Et puis voilà qu'on part à rigoler, à rigoler, mais à rigoler à en faire hoqueter l'appareil.
Une heure plus tard, Curt (je continuerai toujours à l'appeler ainsi) se pose dans un camp nordiste où de vrais Sovietcongs, cette fois, nous accueillent. Il se fait connaître, détaille son matricule, le mot de passe-passe, le numéro de son permis de conduire et le nom de sa logeuse. Bref, on est reconnus d'utilité républicaine et reçus avec tous les chefs d'égards dus à notre rangs.
La région vient d'être sévèrement bombardée et c'est l'effervescence (de lavande). Les Vietcongs pompiers circoncisent (avec l'aide des Vietcongs rabbins, des bois) les incendies, cependant que les valides assistent les invalides. Le Gros et moi, on essaie de se rendre utiles en attendant qu'un zinc spécialement frété à notre attention vienne au petit jour pour nous conduire à… à… ailleurs (je me rappelle plus le noms).
On ramasse des blessés, on les panse, les réconforte, les transporte… Geneviève de Galard, je vous dis ! On a besoin de bien faire. Qu’il est assoiffés de B.A., A.B. et moi !
Si vous le verriez ; Béru ! Oh, la noble figure ! Comme il est généreux ! Plein du sang d'autrui.
Il en verse parfois mais il en garrotte ! Il est surtout remué par un petit garçonnet d'une dizaine d'années qu'on a trouvé blessé sur le bord d'une route, avec un pansement à la tête et l'air si désemparé qu'on le garde avec nous.
Sa Majesté en est folle de ce mouflet. Il est tout malingre, avec un pauvre visage de ouistiti mal nourri, faut dire. Il ferait chialer une brique réfractaire, je vous assure.
Au petit matin, un Scoubidou de la compagnie Yhahour à valvos réacteurs est là, qui nous attend. Curt prend alors congé de nous.
— Tony, me dit-il, je regrette d'avoir entaché ta conscience, ça n'est pas ma faute, car je ne suis pas allé te chercher, mais je te remercie pourtant d'être venu.
— Nous sommes quittes, lui dis-je.
On se sourit. On a peut-être les yeux qui brillent, ou alors c'est la rosée du matin (à laquelle Béru préfère le rosé de Provence). On voudrait ajouter des trucs, pas se larguer commak ; se parler de l'avenir, se promettre encore des amitiés futures, mais maintenant, hein, après ce pastaga sidérant, et ces révélations abasourdissantes, on serait pas à notre aise. Cherchons pas à péter une pendule : la vie continue chacun pour soi. Nos routes se sont croisées une première fois, puis une seconde et dernière fois, l'un a fait à l'autre le plus chouette des cadeaux : sa vie.
Dans le fond, ma mission était sacrée et je l'ai remplie. Je rentre au port meurtri mais apaisé.
— Dites voir, m'sieur Machin-en-ski, fait Béru à Curt en s'approchant, je voudrais vous demander une faveur.
Elle lui est accordée.
Vous saurez ce dont à propos de quoi il s'agit dans les pages suivantes.
En attendant, je prends l'avion.