ET PIS LOGUE !

— En somme, monsieur le directeur, c’est notre démission à tous les trois que vous désirez ?

— Oui.

Il regarde ailleurs, passe la main sur son crâne poli comme une topaze.

— Je préfère du moins les avoir à disposition dans mon tiroir, de façon à être couvert si ça fait les vagues que j’appréhende. Partez en vacances avec vos deux lascars. Un mois ! Voilà ; un bon mois. Si à votre retour l’affaire est enterrée, on les déchirera et la vie reprendra. Après tout nos… heu… concurrents ont intérêt à passer l’éponge. Peut-être qu’ils admettront la légitime défense. D’autant plus que rien ne s’oublie plus vite que des chefs quand ils sont morts. Mais enfin, hum, oui, rédigez-moi vos démissions, pour la bonne règle.

— D’accord, patron, le temps de contacter Bérurier et Pinaud et je vous adresse le total en express recommandé.

— Merci.

Pour dire quelque chose, il soupire.

— La plus laide affaire de notre carrière, non ?

— Il me semble.

Le v’là qui se racle la gorge à la Pinaud. Qui titille ses manchettes immaculées, dont les boutons d’or représentent… des boutons en or.

— Dites, petit, je vous ai passablement déçu, n’est-ce pas ?

— Passablement, oui, monsieur le directeur.

— Vous vous demandez si je ne suis pas qu’un fonctionnaire lâche et aux ordres, capables de toutes les soumissions pour se maintenir en poste, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur le directeur.

Il a un hennissement étrange, son visage se creuse de deux parenthèses grises.

— Bon Dieu, je suis tenu au secret absolu, mais il ne sera pas dit que…

Il ouvre un tiroir de son bureau.

Pas un tiroir normal, un du tout dessous, en acier massif, et qui ferme à l’aide d’une combinaison chiffrée.

Il y prend une enveloppe brune et la jette devant moi.

— Voilà qui vous expliquera pourquoi le Gouvernement ne tient pas à l’élection de « monsieur X », et pourquoi j’ai, quant à moi, déclaré forfait en cours d’enquête.

— Je peux ? demandé-je bêtement, avant d’ouvrir.

— Puisque je vous le demande.

Je rabats la languette triangulaire. À l’intérieur, il y a une photographie en longueur, sur laquelle figure deux fois le même visage : face et profil.

Celui de « Mme X ».

À l’encre blanche, je lis ces lignes tracées au bas du cliché, d’une écriture bien moulée :

« X…X… », — membre influent des services secrets soviétiques.

C’est tout.

T’as besoin de davantage, toi ?

Et ce fumier de Vieux qui ajoute, après m’avoir mis la main sur l’épaule pour me raccompagner jusqu’à la porte :

— Le dénommé Ernest Meissonier était son amant…

Sur le palier, je me demande si j’emprunte l’escalier ou le vieil ascenseur hydraulique, si lent, si patache.

Je prends l’ascenseur.

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