Interrogatoire de Tyrone Meehan par TIRA (16 décembre 2006)
C’est un film vidéo en couleurs. Sur l’image, Tyrone Meehan est seul, inquiet, debout derrière une table et adossé à un mur gris. Il porte une veste de tweed marron chiné et tient sa casquette à la main. Il ne regarde pas la caméra. Il y a d’autres personnes dans la pièce que nous ne voyons pas. C’est Tyrone Meehan qui parle.
— Je suis en état d’arrestation ?
— Assieds-toi et calme-toi.
— Je te pose une question, Mike O’Doyle. Est-ce que je suis en état d’arrestation ?
— Assieds-toi.
— Réponds, Mike.
— Nous ne sommes pas masqués. Tu nous regardes en face et tu n’es pas entravé, cela devrait te suffire comme réponse.
— Alors laissez-moi partir.
— Nous devons t’interroger.
— J’ai tout dit à la conférence de presse.
— Nous avons d’autres questions.
— J’ai le droit de me taire.
— Ici tu n’as aucun droit.
— Je ne vous connais pas, vous. Je parle à Mike O’Doyle.
— Donne-nous ton nom.
— Je ne joue pas à ça.
— Ton nom ?
— Toi tu connais mon nom, Mike.
— Parle plus fort.
— Mais putain je te connais depuis plus de quarante ans. Je t’ai vu naître. Arrête de déconner Mike !
— Donne ton nom. C’est la procédure.
— Quelle procédure ? L'IRA a déposé les armes. Il n’y a plus de procédure.
— Ici, c’est nous qui décidons. Alors tu te calmes, tu nous donnes ton nom et tout se passera bien.
— Je sais comment ça se passe quand on parle.
— Tu ne crains rien. Ton nom ?
— Tu connais mon nom comme je connais le tien, Mike O’Doyle.
— L'IRA te demande ton nom, pas le mien.
(Silence)
— Plus vite tu répondras, plus vite tu retrouveras ta femme et ton fils.
(Silence)
— Tu sais qu’il ne t’arrivera rien.
— Toi je te connais, Mike, mais pas les deux autres. Je ne veux parler qu’à toi.
— Je te dis qu’il ne t’arrivera rien.
— Alors pourquoi filmez-vous tout ça ?
— Pour qu’il y ait des traces.
— Des traces ?
— La preuve que ton interrogatoire s’est bien passé.
— Et après ? qu’est-ce que je deviens après si je réponds à vos questions ?
— Tu pourras partir.
— Je ne vous crois pas.
— Tu n'as pas le choix.
— Personne ne sort jamais vivant d’une merde comme ça.
— Nous avons déposé les armes, tu l’as dit toi-même.
(Silence)
— Je pourrai rester en Irlande ?
— Tu es libre.
— Et si je refuse de répondre ?
— Soulage-toi. Parle.
— Je serai libre ?
— Tu seras libre aussi.
(Long silence)
— Ton nom ?
— Meehan.
— Plus fort.
— Meehan.
— Prénom ?
— Tyrone.
— Tu es né où et quand, Tyrone Meehan ?
— Le 8 mars 1925 à Killybegs, Donegal.
— A quel âge as-tu rejoint l’IRA ?
— Je ne sais plus. Vers 17 ans. Quand nous nous sommes installés à Belfast.
— Tu ne sais plus ?
— Vers 17 ans, en 1942.
— Tu as été emprisonné presque immédiatement ?
— J’ai été interné en février 1943. En 1957. J’ai pris cinq ans en septembre 1971. J’ai été emprisonné quinze mois en octobre 1979 et j’ai été arrêté brièvement en novembre 81.
— Brièvement ?
— Quelques jours.
— Tu as dit que tu nous trahissais depuis près de 25 ans, tu peux être plus précis ?
— Depuis novembre 1981.
— Après les grèves de la faim ?
— A peu près, oui.
— Comment ça, à peu près ?
— Oui, après les grèves de la faim.
— Tu nous as dit : « J’ai été compromis aune période délicate de ma vie. » Ça veut dire quoi ?
— Je ne veux pas m’en expliquer.
— Il le faudra bien.
(Silence)
— Il faut que nous sachions.
(Silence)
— Tu veux un verre d’eau ?
(Silence)
— Tu veux te reposer, Meehan ?
— Je veux bien.
— On arrête pour ce soir. Éteignez ça.