V


GATCHINA LA PRUSSIENNE

Après le second séjour de Paul et de Marie Fedorovna à Vienne, Joseph II, ayant fait ses adieux au couple, écrit à Catherine pour l'assurer qu'en retrouvant ses « enfants » elle verra à quel point ils se sont assagis, assouplis et policés au contact de leurs amis de France et surtout d'Autriche. Mais, dans une lettre à son frère Léopold de Toscane, le même Joseph II exprime la crainte qu'à son retour en Russie « le grand-duc ne trouve plus de désagréments qu'il n'en avait eus autrefois, avant son voyage ». Et, certes, la fréquentation des cercles aristocratiques et intellectuels d'Europe n'a guère préparé le tsarévitch à réendosser l'uniforme de parfait héritier de la couronne, rompu à toutes les compromissions en attendant son heure. S'il a gagné de l'assurance en dix-huit mois de vagabondage d'une capitale occidentale à l'autre, Catherine, elle, n'a pas changé. Tenue au courant par ses ambassadeurs et ses espions des moindres gestes et des moindres propos du ménage grand-ducal, elle sait, avant même d'avoir reçu les voyageurs, que son premier devoir sera de les reprendre en main. Aussi ne prévoit-elle aucune illumination, aucun feu d'artifice, aucune fête populaire pour saluer leur arrivée au bercail. Les retrouvailles sont dignes, modestes et familiales. Après avoir embrassé Paul et Marie Fedorovna, et leur avoir présenté leurs enfants qui, grâce à Dieu, semblent avoir parfaitement supporté la séparation, l'impératrice passe brusquement à l'attaque. Pour commencer, elle reproche à sa bru de s'être ruinée en vaines dépenses vestimentaires. La jeune femme a rapporté plus de cent caisses de colifichets, de gazes, de rubans, de dentelles. De quoi renouveler la garde-robe de trente-six princesses. Les factures de Mlle Bertin, fournisseuse préférée de Marie Fedorovna, sur recommandation de la reine Marie-Antoinette, atteignent un chiffre fabuleux. Même une grande-duchesse de Russie n'a pas le droit de jeter l'argent par les fenêtres, décrète Sa Majesté. Sur son ordre, les caisses pleines de robes et de parures sont renvoyées en France sans avoir été ni ouvertes ni payées. En outre, les marchandes de modes de Saint-Pétersbourg sont invitées, sous peine de sanction, à éviter un luxe ostentatoire et coûteux dans la confection des toilettes de leurs clientes.



Après s'être ainsi fait taper sur les doigts pour son inconséquence, le couple princier connaît encore des heures sombres par suite des mesures disciplinaires prises à l'encontre d'un de ses compagnons de voyage, l'excellent Kourakine. Accusé d'avoir approuvé les insolences de la fameuse lettre de Bibikov, le malheureux est exilé à son tour, dans ses terres, avec interdiction d'en sortir. Si encore Paul pouvait s'épancher dans le cœur d'un ami fidèle et expérimenté comme l'était son ancien instructeur Nikita Panine ! Mais celui-ci n'est plus qu'un fantôme qui hante les antichambres du palais. Usé par le grand âge et l'excès de travaux, il est sur le point de mourir. Le 31 mars 1783, le vieil homme, qui a su autrefois comprendre et diriger son pupille à travers colères et caprices, expire entre ses bras. Le lendemain de cette disparition, Paul a l'impression qu'un bouclier vivant, qui le protégeait contre ses ennemis et peut-être contre lui-même, vient de lui être retiré. Ce vide soudain l'incite à se rapprocher de sa femme pour chercher auprès d'elle un remède contre l'adversité et la solitude. Elle est toute prête à le secourir, car, sans avoir son tempérament ombrageux, elle se méfie, elle aussi, des manigances et des clabauderies de l'entourage de l'impératrice. Pour échapper aux obligations protocolaires de la « grande Cour » de Sa Majesté, ils se réfugient, avec leur « petite Cour » personnelle, dans leur cher château de Pavlovsk. De loin en loin, Catherine les autorise à y recevoir leurs enfants. Le reste du temps, Marie Fedorovna s'occupe de jardinage, flâne dans les allées du parc, herborise et fait de la peinture, tandis que Paul, désœuvré, ne décolère pas, se plaint de tout et critique, devant témoins, l'ascension de l'ancien amant de sa mère.



Depuis qu'il a quitté la chambre à coucher impériale, la renommée de Potemkine a pris un nouvel essor. Ses succès diplomatiques et militaires viennent de permettre le rattachement de la Crimée à la Russie. Pour l'en remercier, Catherine lui a décerné le titre d'Altesse Sérénissime et l'a fait prince de Tauride. Tout en pestant contre les honneurs dont on comble ce roturier, Paul reconnaît que, grâce aux dernières victoires du favori, l'accès à la mer Noire est enfin assuré et Constantinople à portée de la main. Déjà la diplomatie turque proteste contre cette annexion forcée. On est au bord d'un conflit généralisé et le grand-duc se réjouit de pouvoir, à cette occasion, en découdre avec les infidèles. Mais l'impératrice lui refuse la chance de s'illustrer sur un champ de bataille et de devenir ainsi un second Potemkine. Pour l'instant, elle pleure la mort d'un de ses anciens amants, Grégoire Orlov, celui-là même qui l'a aidée, vingt ans auparavant, à supprimer son mari et à usurper le trône. Le « coupable » a succombé, le 12 avril, à une crise de folie noire. Il était hanté, dit-on, par le souvenir de son crime. « Quoique très préparée à ce douloureux événement, je vous avoue que j'en ressens l'affliction la plus vive, écrit Catherine à Grimm. On a beau me dire et je me dis à moi-même tout ce qu'on peut dire en pareilles occasions : des bouffées de sanglots sont ma réponse et je souffre terriblement. » Son nouvel amant, le jeune Alexandre Lanskoï, l'aide à oublier son chagrin. Autre motif de réconfort : le 29 juillet 1783, Marie Fedorovna, inépuisable génitrice, met au monde une fille, la grande-duchesse Alexandra. Pour la remercier de cette contribution à l'accroissement de la famille impériale, Catherine consent à laisser l'enfant à la garde de sa mère et offre à « son fils bien-aimé, le grand-duc Paul, afin qu'il en fasse son apanage », le domaine de Gatchina, récemment racheté par elle aux héritiers de feu Grégoire Orlov.


Ce vaste domaine, situé aux environs de la capitale, compte cinq mille habitants. Si le palais de Pavlovsk est charmant d'élégance et de simplicité, celui de Gatchina, avec son architecture massive, inspire un sentiment de malaise, et même d'inquiétude. Une longue façade sombre et uniforme lui donne l'apparence d'une caserne. A l'intérieur, les colonnades en marbre de Carrare, les sculptures imitées de l'antique, les fresques des murs dans le style de Raphaël et les peintures allégoriques des plafonds ne font qu'accentuer cette impression glaciale de splendeur, d'ennui et de discipline. Un musée enfermé dans une forteresse. Marie Fedorovna s'accommode tant bien que mal de cette demeure princière où même les meubles ont l'air de se tenir sur la défensive. Elle continue à cultiver des fleurs et des plantes rares et s'adonne consciencieusement à la peinture. C'est ainsi qu'elle brosse les portraits de quelques personnages historiques, dont son mari voudrait imiter la sagesse lors de son règne futur : Pierre le Grand, Frédéric II, Henri IV... Paul apprécie les modestes talents et les grandes vertus de Marie Fedorovna. D'ailleurs, contrairement à sa femme qui n'est guère sensible aux avantages de leur nouvelle résidence, il en est, lui, tellement satisfait qu'il voit en Gatchina le lieu idéal pour le développement de ses conceptions politiques. Maître d'une petite communauté et d'un petit territoire, il fait ici son apprentissage de monarque absolu, s'exerçant au pouvoir sur un monde à échelle réduite. Soucieux avant tout de marquer cette humble patrie du sceau de ses convictions philosophiques, sociales et militaires, il y installe, à côté de l'église orthodoxe, une chapelle catholique et un temple protestant. Ainsi, les deux religions chrétiennes feront bon ménage avec la religion officielle de la Russie. Pour se distraire et animer la vie de la « seconde Cour », Marie Fedorovna organise des bals, chaque semaine, le lundi et le samedi. Parfois, on joue la comédie, entre amateurs de beau langage, sur le théâtre privé de Gatchina, à moins qu'on ne consacre la soirée à des discussions littéraires avec des écrivains de passage. La bibliothèque du château compte quarante mille volumes. Le conservateur en est M. Lafermière, français d'origine, auteur de poèmes et d'opéras fort agréables. Entre deux représentations ou deux séances de lecture à haute voix, on joue au volant ou à colin-maillard. Il arrive que des personnalités du monde politique ou littéraire de France et d'ailleurs rendent visite à Leurs Altesses. Le critique d'origine suisse La Harpe, ou le fin diplomate Louis-Philippe comte de Ségur, familier de l'impératrice, viennent enquêter, avec une curiosité amusée, sur les mœurs de ce monde clos qui, situé à quelques heures à peine de Saint-Pétersbourg, paraît entièrement étranger au reste de la Russie.



Obéissant aux consignes de Paul, Gatchina est vite devenu une sorte d'empiècement prussien dans l'épaisseur du tissu national. On y parle plus souvent le français et l'allemand que le russe ; on y respire l'air de Potsdam. Ce dépaysement artificiel permet au grand-duc de supporter l'exil que l'impératrice lui impose en faisant de lui un potentat au petit pied. Conscient de cette punition déguisée en promotion, Paul écrit, le 8 juin 1783, au baron Osten Sacken : « Je ne fais point de politique, je la laisse aux gazetiers, la mienne est de me taire. » L'année suivante, il précisera ainsi sa pensée, dans une lettre à Roumiantsev : « Me voilà, à trente ans, sans avoir rien à faire. Je ne m'en plains pourtant pas. Je me soumets à la volonté de Dieu et je me console [...]. Ma tranquillité [...] n'est pas fondée sur le plus ou moins de calme qui m'environne, mais sur la conscience et la conviction qu'il existe des biens inaltérables par aucune puissance temporelle auxquels on peut aspirer. Cela me met au-dessus, et c'est ce qui me remplit de patience, que bien des gens prennent pour quelque chose de morne dans mon caractère. »



Toujours empressé auprès de sa femme, Paul n'est cependant pas insensible au charme d'une demoiselle d'honneur de la grande-duchesse, une certaine Catherine Nelidov, qui a la trentaine comme lui et dont l'adolescence s'est écoulée dans le célèbre Institut Smolny, pépinière de jeunes filles bien nées et bien élevées. Alors que Marie Fedorovna est grande, plantureuse et blonde, Catherine Nelidov se présente comme une petite femme brune, menue, au regard ardent et à la conversation pétillante. La comtesse Barbara Golovine, dame d'honneur également, la décrit ainsi dans ses Mémoires : « De petits yeux imperceptibles, une bouche fendue jusqu'aux oreilles et une longue taille sur de petites jambes de basset ne forment pas une figure fort attrayante. Mais elle a beaucoup d'esprit et de talent. » Marie Fedorovna apprécie la compagnie de cette jeune personne, dont les mines et les reparties la reposent de l'ennui pesant de l'étiquette. Et Paul est aussi engoué qu'elle de la nouvelle venue. La présence de Catherine Nelidov, loin de compromettre l'harmonie qui règne entre les époux, leur apporte le piment dont ils ont besoin pour agrémenter le train-train conjugal. Sans être un ménage à trois, le groupe de Leurs Altesses et de la demoiselle d'honneur forme une coalition d'inséparables, à l'abri de toute jalousie et de toute tentation perverse. Mais des témoins malveillants dénoncent cette trop bonne entente à la tsarine. Avertie des bruits qui courent à son sujet, Catherine Nelidov écrira, quelques années plus tard, au grand-duc : « Est-ce que vous êtes un homme pour moi ? Je vous jure que je ne m'en suis jamais aperçue depuis que je vous suis attachée, il me semble que vous êtes ma sœur1. » En vérité, cette atmosphère équivoque, dont aucun des trois acteurs n'analyse franchement la nature, agit sur les sens de Paul et de sa femme. Il existe ainsi des infidélités virtuelles, qui aident à conserver la fidélité réelle mieux que ne le ferait un serment prononcé à l'église. La preuve en est que, le 13 décembre 1784, moins d'un an et demi après la naissance d'Alexandra, Marie Fedorovna accouche d'une petite Hélène, c'est le quatrième enfant du couple : tandis qu'Alexandra vagit dans son berceau, Constantin et Alexandre continuent de pousser comme des chênes sous les yeux émerveillés de leur grand-mère. L'impératrice espère que sa bru, qui a les flancs si généreux, ne s'arrêtera pas là. Et, en effet, dès le 4 février 1786, les habituelles salves d'artillerie et sonneries de cloches annoncent la naissance de la troisième fille de Leurs Altesses : la grande-duchesse Marie.


Comblé dans ses vœux de paternité, Paul voudrait l'être aussi dans ses ambitions guerrières. Puisqu'il possède en toute propriété une principauté autonome au cœur de la Russie, pourquoi n'y entretiendrait-il pas un embryon d'armée qui préfigurera celle, immense, dont il assumera le commandement après son accession au trône ? En étudiant le comportement de la garde impériale, il a relevé tant de négligence, de maladresse, de favoritisme et de gabegie qu'il en est outré. Les officiers de ces unités d'élite sont plus assidus aux bals et aux spectacles qu'aux revues ; ils comptent plus sur leurs relations à la cour que sur leur valeur au combat pour obtenir un avancement. Afin de réagir, dans son domaine réservé de Gatchina, contre un laisser-aller qui menace de corrompre les plus fiers régiments de Russie, Paul fait appel à des instructeurs prussiens et les charge de rétablir l'ordre et la ponctualité parmi les soldats et les gradés cantonnés sur ses terres. Ce renouveau de l'esprit de discipline et de dévouement servira d'exemple, pense-t-il, à toutes les autres formations militaires de l'empire. En 1788, il dispose déjà de cinq bataillons. Bientôt, il aura deux mille cinq cents hommes à faire manœuvrer pour son plaisir. Ils seront dotés d'un équipement et d'une instruction radicalement différents de ceux des troupes régulières. Mois après mois, des escadrons de cavalerie et des éléments d'artillerie compléteront l'armée nouvelle.


Dans cette entreprise de retour aux « vraies valeurs », Paul est résolu à contrecarrer les dernières initiatives de son ennemi juré, le tout-puissant Potemkine. Celui-ci s'étant mis en tête de « moderniser » l'habillement des soldats, lequel datait de la guerre de Sept Ans, avait coupé les nattes, interdit la poudre dans les cheveux et imposé un uniforme commode (simple tunique et pantalon bouffant, comme on en voit chez les gens du peuple). Révolté par cet outrage à la tradition, Paul exige que ses hommes à lui aient la tête pommadée, nattée et poudrée, qu'ils portent un énorme chapeau et une courte canne, que des bottes leur enserrent les jambes jusqu'aux genoux et que des gants leur montent jusqu'aux coudes. A son avis, une certaine gêne dans la tenue des soldats ne peut que les inciter à se raidir devant le danger et à mettre plus d'ardeur dans la riposte. D'ailleurs, plus leur comportement à la parade sera sévèrement sanctionné et plus ils gagneront en efficacité sur le champ de bataille. Les officiers ont ordre de se montrer impitoyables dans le dressage de leurs subordonnés. C'est la Prusse transplantée aux abords de Saint-Pétersbourg. En passant ses troupes en revue, Paul peut se croire à Berlin, dans la peau de Frédéric II. Peu importe que les volontaires recrutés pour servir aux amusements martiaux du maître de Gatchina soient, pour la plupart, des rebuts des régiments de l'impératrice. Avec ces rustres, dont certains sont des déserteurs, des illettrés, des épaves, Paul est persuadé qu'à force de persévérance et de dureté il formera une armée invulnérable. Mordu par la tarentule du caporalisme, il veut que ces centaines de gaillards, habillés par lui de la même manière et accomplissant, en même temps, les mêmes mouvements, oublient toute identité, toute humanité, et se fondent dans un mécanisme collectif dont il serait l'âme. Pour le seconder dans son effort de mise au pas des individus au profit de la masse, il s'entoure d'officiers au gosier sonore et au cerveau étroit, qui s'appliquent à exécuter sans murmurer ses fantasmes de dompteur. Le plus exigeant, le plus obtus de ces gradés est un certain capitaine Alexis Araktcheïev, surnommé « le caporal de Gatchina ». Avec sa face desséchée, son menton osseux et ses minuscules yeux gris acier profondément enfoncés dans les orbites, il semble toujours méditer un méchant tour ou fignoler une punition machiavélique. A la fois grotesque et inquiétant, il a, selon certains, « l'air d'un singe en uniforme ». Paul apprécie sa servilité et son zèle. Il songe à en faire l'ordonnateur de toutes les activités, aussi bien civiles que militaires, après sa prise de pouvoir. Sans le dire publiquement, il est persuadé que la Russie serait à jamais sauvée si tous les citoyens étaient des soldats et toutes les maisons des casernes.



En attendant l'avènement de ce paradis de l'uniformité, il fait aménager, à Gatchina, des baraquements, des corps de garde, des écuries, des terrains de manœuvre. Sur la place réservée aux parades, les régiments répètent, durant des heures, des exercices d'alignement, de défilé par colonne, de changement de pas, de présentation d'armes et de regroupement accéléré, le tout avec la précision d'un mouvement d'horlogerie. Pendant ces exhibitions interminables, Paul, la nuque raide et la canne de commandement à la main, goûte l'ivresse de peser à lui seul plus lourd que ces milliers d'homoncules interchangeables qui passent devant lui, frappant le sol de leurs talons en cadence. Cette manifestation d'un despotisme tatillon étonne, certes, la grande-duchesse, mais ne l'inquiète pas outre mesure. Elle a souvent constaté qu'après avoir procédé à l'inspection des troupes, Paul, en retrouvant sa famille, paraît plus détendu et plus tendre qu'auparavant. Comme si cette occupation de contrôle l'avait purgé de son humiliation et de sa rancœur. Même l'impératrice, qui pourrait se formaliser du développement de quelques régiments par trop originaux en marge de son armée, ne s'en alarme nullement. Elle voit là un enfantillage, une manie de plus, que Paul aurait héritée de son père. Elle estime que cette inoffensive passion détourne le grand-duc d'idées autrement dangereuses. Il suffit parfois d'un simulacre d'autorité pour rompre, chez l'ambitieux, la soif de l'autorité véritable. Grâce à cet « amuse-gueule », Sa Majesté est sûre qu'elle n'aura pas de soucis à se faire jusqu'à la fin de ses jours.


Cependant, autour de l'impératrice, certains n'apprécient pas la lubie du tsarévitch qui, pensent-ils, constitue une trahison de la tradition nationale et un acte d'allégeance envers la Prusse. Lors d'une visite à Gatchina, la princesse de Saxe, qu'on ne peut soupçonner d'antigermanisme, est consternée par le spectacle des régiments de Paul défilant devant leur maître. « Le pire, écrira-t-elle, ce sont ces beaux soldats russes défigurés par des uniformes prussiens de coupe antédiluvienne, datant de l'époque de Frédéric-Guillaume Ier. Le Russe doit être russe, il le sent ; chacun d'eux considère que, en tunique courte et les cheveux coupés au bol, il est infiniment plus beau qu'avec une natte et dans cet uniforme étriqué qui le rend malheureux, à Gatchina. Les officiers ont l'air de sortir d'un vieil album. Si ce n'était la langue qu'ils parlent, on ne les prendrait pas pour des Russes. On ne saurait dire que cette métamorphose est le produit de l'intelligence. J'étais peinée de voir ce changement parce que j'aime ce peuple au plus haut point. » Cette appréciation d'une princesse saxonne ne trouble guère l'impératrice. Plus son fils s'adonne à la soldatomanie, plus elle est rassurée sur les conséquences de cette mascarade militaire.



Un autre dévoiement du grand-duc trouble les observateurs tant russes qu'étrangers : son intérêt croissant pour les religions rivales de l'orthodoxie, et même pour les doctrines des sectes ou les enseignements ésotériques des charlatans. Par opposition à sa mère, dont la froide lucidité refuse les superstitions et les subversions intellectuelles à la mode, il lit avec avidité des livres d'une spiritualité douteuse. Au lieu de critiquer cette quête de l'absolu, Marie Fedorovna, qui, elle aussi, ne conçoit Dieu que dans l'extase, encourage Paul à se lancer dans les méditations les plus aventureuses. Il tâte du mysticisme de Saint-Martin et, après s'être intéressé à d'autres médecins de l'âme, revient secrètement à la révélation qu'il a connue, au cours de son voyage, dans les milieux de la franc-maçonnerie. Fasciné par les rites étranges de cette confrérie, il renonce pourtant à s'y engager. Ce qui le retient, c'est la crainte d'être espionné et dénoncé. L'impératrice, bien que voltairienne convaincue, ne lui pardonnerait pas une démarche aussi insolite de la part d'un héritier du trône, destiné, par sa fonction, à la défense de la religion officielle.


Au vrai, alors qu'il s'amuse à faire parader ses soldats et ses idées sans le moindre résultat pratique, Catherine est aux prises, chaque jour, avec une réalité contraignante. Entre deux conseils des ministres, elle doit gérer ses affaires sentimentales qui, à nouveau, lui causent du souci. Le délicieux Alexandre Lanskoï, dont elle raffole au point de le traiter en « fils spirituel », a une santé fragile. Pour faire face aux exigences de son impériale maîtresse, il a recours à des aphrodisiaques à base de poudre de cantharide. Mais ce régime achève de l'épuiser. Une maladie étrange le cloue au lit, grelottant de fièvre. Il étouffe. Les médecins parlent de diphtérie. Le 25 juin 1784, il meurt, âgé de vingt-six ans, au grand désespoir de Catherine, qui en a cinquante-cinq. Elle sombre dans l'hypocondrie et s'imagine qu'elle n'aimera plus jamais. Une fois de plus, c'est Potemkine qui la remet en selle et lui procure un favori tout à fait acceptable, Alexandre Ermolov, trente-trois ans. Mais cette doublure ne vaut pas le défunt. L'impératrice lui préfère un certain Alexandre Mamonov, vingt-six ans, superbe dans son uniforme d'officier de la garde. Elle « l'essaie », l'adopte, le surnomme « Monsieur l'habit rouge », à cause de la couleur de sa tunique d'apparat et repart dans l'illusion d'un bonheur durable.


Paul est consterné par cet appétit de chair fraîche chez sa mère, alors qu'à son âge elle devrait, par décence, se contenter de souvenirs. Certains osent chuchoter qu'il s'agit là, de la part de l'impératrice, de véritables « fureurs utérines ». Catherine se doute-t-elle de la réprobation que sa conduite provoque dans la « petite cour » grand-ducale ? Peut-être, mais elle juge que son rang la met au-dessus de toute critique sur sa vie privée. Elle n'a de comptes à rendre à personne, et surtout pas à son fils. La seule chose qui importe, c'est la gloire de l'Etat. Or, dans le domaine politique, elle n'a rien à se reprocher. Son principal souci, maintenant, est de convaincre les historiens présents et futurs de la grandeur de l'œuvre qu'elle a entreprise. Il faut que la Russie entière serve de vitrine à la réussite de Sa Majesté et que même les émissaires étrangers puissent contempler l'envol de l'aigle à deux têtes. Une idée mirifique germe dans le cerveau de Catherine : organiser, grâce à l'aide de Potemkine, un somptueux voyage de « réclame » à travers l'empire jusqu'à la Crimée, qui vient d'être conquise. Toutes les chancelleries sont prévenues de cette expédition extraordinaire, qui sera l'illustration du bonheur de la Russie sous le règne de Catherine la Grande. Son fils et sa bru seraient tentés de l'accompagner dans sa tournée triomphale. Mais elle ne tient guère à partager avec eux l'hommage du pays. Sans tenir compte de la vexation qu'elle leur inflige, elle les raye froidement de sa nombreuse suite. En revanche, afin de conférer une signification tout ensemble dynastique et familiale à l'opération, elle décide d'emmener dans sa randonnée Alexandre, dix ans, et Constantin, huit ans. Etonnés de cette prétention extravagante, Paul et Marie Fedorovna interviennent auprès de l'impératrice pour qu'elle renonce à son projet. Mais Sa Majesté est intraitable. Elle affirme qu'il ne s'agit nullement du simple désir d'une grand-mère accapareuse, mais d'une véritable affaire diplomatique, dans laquelle les intérêts de l'Etat sont en jeu. Pour se justifier, sur un plan moins officiel, elle écrit à son fils et à sa bru : « Vos enfants sont à vous, ils sont à moi, ils sont à l'Etat. Dès leur plus tendre enfance, je me suis fait un devoir d'en prendre le soin le plus tendre [...]. Voici comment j'ai raisonné : ce sera une consolation, éloignée de vous, de les avoir auprès de moi. Des cinq, trois resteront avec vous. N'y aura-t-il que moi seule qui serai privée sur mes vieux jours, pour six mois, du plaisir d'avoir quelqu'un de ma famille avec moi2 ? » A bout d'arguments, Paul sollicite l'appui de l'homme qu'il déteste le plus, Potemkine, pour fléchir l'obstination de Catherine. Celui-ci, magnanime, promet d'essayer, mais se heurte à un mur. Par chance, ou par malchance, quelques jours avant la date fixée pour le départ, le fils cadet, Constantin, est atteint de la varicelle. Il la passe à son frère Alexandre. Les deux enfants sont cloués au lit. Malgré sa toute-puissance, Catherine ne peut rien contre la maladie. Et il ne saurait être question de retarder le voyage dont la nouvelle a déjà été claironnée au-delà des frontières.


Le 7 janvier 1787, par un froid polaire, un interminable cortège de traîneaux, attelés de chevaux aux harnachements de fête, quitte Tsarskoïe Selo. Derrière l'équipage de l'impératrice s'allonge la théorie des dignitaires, des courtisans, des diplomates, qui constituent le « faire-valoir » de cette apothéose. Ayant assisté aux derniers préparatifs de l'expédition, le nouveau favori de Catherine, Pierre Zavadovski, écrira à S. R. Vorontzov, à Londres : « Tout s'est passé si bien et si discrètement que nul ne saurait dire s'il restait, oui ou non, des autorités dans la capitale. La bassesse, l'ignominie, l'hypocrisie, la flatterie, le mensonge et la ruse, ces éternels personnages de la cour, ont quitté les bords de la Néva pour ceux du Dniepr3. » Demeurés à Gatchina avec leur progéniture, Paul et Marie Fedorovna doivent se contenter des lettres et des rapports, plus ou moins officiels, pour suivre les péripéties de la conquête par le cœur d'une région qui n'a été conquise encore que par les armes. Les échos de cette démonstration spectaculaire agacent le grand-duc, qui craint de voir sa popularité baisser dans la mesure où augmente celle de sa mère.



Le 11 juillet, après six mois de fastes, de discours et d'acclamations, Sa Majesté regagne la capitale. Elle rapporte, dans son sillage, les rumeurs d'une probable campagne contre la Turquie, laquelle exige, à présent, le retrait russe des troupes de Géorgie, ainsi que le droit d'inspecter les navires russes à leur sortie de la mer Noire. En réponse, l'impératrice signe, le 7 septembre, un manifeste de guerre avec la Sublime Porte. Aussitôt, Paul est repris par ses rêves belliqueux et demande l'autorisation de s'engager dans l'armée. Catherine refuse. Mais Paul insiste. Il est tellement sûr qu'elle finira par lui céder que, le 4 janvier 1788, il rédige une lettre testamentaire à l'intention de Marie Fedorovna : « Ma chère épouse, Dieu m'a créé pour occuper la place que je n'ai jamais occupée, mais dont, toute ma vie durant, j'ai tâché d'être digne [...]. Oh ! combien grands sont nos devoirs ! [...]. Tu vois toi-même combien je t'ai aimée [...] Tu as été ma joie et ma meilleure conseillère [...] Tâche de faire le bien de tout le monde [...] Elève nos enfants dans la crainte de Dieu [...] Qu'ils soient instruits dans les sciences comme il convient à leur rang [...] Pardonne-moi, mon amie, ne m'oublie pas, mais ne me pleure pas. Ton époux et ton ami toujours fidèle. — Paul » Une autre lettre testamentaire, datée du même jour, est destinée à ses enfants : « L'heure est venue. Le Tout-Puissant a décidé de mettre fin à mes jours. Je m'en vais répondre de tous mes actes devant un Juge sévère, mais juste et miséricordieux. Dorénavant, vous devez, devant le trône du Seigneur, consacrer votre vie au service de la patrie, pour moi et pour vous-mêmes [...]. N'oubliez pas que vous êtes les envoyés de Dieu auprès du peuple [...], que vous devez veiller sur lui [...]. Réjouissez-vous du bonheur de votre pays et de la paix de votre âme [...]. Toujours affectueusement. — Paul » Il rédige également un projet de réforme, précédé de la formule : « Au cas où... » Dans ce document confidentiel, il recommande, pour le bien de la Russie, la concentration de tous les pouvoirs entre les mains du tsar, l'adaptation de certaines lois aux circonstances nouvelles, la répartition de la population en trois classes : noblesse, clergé et tiers état, l'assistance aux plus démunis et le développement de l'armée et de la marine, garantes de la grandeur et de la solidité de l'empire. Rien de nouveau là-dedans, si ce n'est le souhait, exprimé avec force par le grand-duc, de faire connaître sa pensée politique aux générations futures. C'est parce qu'il persiste dans son idée d'aller affronter les Turcs, au risque de laisser sa peau dans les combats, qu'il estime nécessaire de préciser, noir sur blanc, ses dernières volontés. Or, pour le dissuader de cette folie, Catherine dispose, depuis peu, d'un nouvel argument : la grande-duchesse est, une fois de plus, enceinte. Il serait pour le moins indélicat que le père s'absentait avant qu'elle ait accouché. Irrité par cette observation, Paul réplique qu'on trouvera toujours « quelque prétexte pour le retenir ». Sur quoi, l'impératrice, se fâchant pour de bon, déclare que la discussion est close et que ses conseils sont « des ordres ne souffrant aucune dérogation ». Mouché d'importance, Paul rentre la tête dans les épaules.


Le 10 mai 1788, Marie Fedorovna donne naissance à une quatrième fille, qu'on nommera Catherine en hommage à son illustre grand-mère. Si la parturiente est enfin délivrée, son mari l'est aussi : rien ne s'oppose plus à ce qu'il rejoigne l'armée. Cependant, voilà que le roi de Suède renforce ses dispositifs militaires. De ce côté également monte une odeur de poudre. Du coup, le grand-duc change son fusil d'épaule. Plutôt que de se battre contre les Turcs, il préfère se battre contre les Suédois. Le 30 juin, Catherine déclare la guerre au pays de Gustave III, dont les régiments viennent de franchir la frontière. Par faveur spéciale, Paul est autorisé à rejoindre le comte Valentin Moussine-Pouchkine, qui a pris le commandement des troupes dans ce secteur. A peine arrivé, il l'accompagne dans une mission de reconnaissance à proximité des lignes ennemies. Les avant-postes ouvrent le feu. Deux chevaux sont tués sous les cosaques de l'escorte. L'action s'achève sans autre effusion de sang et Paul, tout fier d'avoir frôlé la mort, s'écrie : « Me voici baptisé ! » Du reste, les Suédois ne paraissent guère disposés à poursuivre leur incursion en Russie. Estimant que l'offensive de l'adversaire a été définitivement repoussée, Paul regagne Gatchina, où l'attend sa nombreuse famille. Commentant ce bref intermède militaire, l'impératrice écrit à Potemkine : « Les Suédois ont évacué Hekfors ; il n'en reste plus un seul dans notre partie de la Finlande. Leur flotte est bloquée par la nôtre à Sveaborg. Le grand-duc est rentré aujourd'hui. » Certains esprits malintentionnés se gaussent, dans leur coin, en prédisant que, pour récompenser le prince héritier de sa bravoure, la tsarine le fera décorer de la croix de Saint-Georges. Mais ils en sont pour leurs frais de méchanceté. Catherine n'accorde aucune distinction honorifique à son fils. Elle en est même si loin que, dit-on, c'est pour se moquer des prétentions guerrières du grand-duc qu'elle a composé une pièce intitulée Ratetout ou le Preux malheureux. Le héros de cet imbroglio comique, écrit en français par Catherine, est un benêt qui voudrait jouer au pourfendeur de géants et qui se couvre de ridicule, malgré les efforts de deux autres imbéciles attachés à son service, « le Taré » et « le Demeuré ». L'œuvrette est représentée le 31 janvier 1789, à l'Ermitage, en présence d'un nombreux public entourant le grand-duc et la grande-duchesse. On aurait pu craindre un incident familial au cours du spectacle, mais Paul ne s'aperçoit pas de la similitude entre sa propre aventure et celle de Ratetout. La farce le divertit sans qu'il y voie malice et le secrétaire de Catherine, Alexandre Khrapovitski, peut écrire dans ses Souvenirs4 : « Vers sept heures, on donna, en présence du tsarévitch, Le Preux malheureux, récit des préparatifs de la guerre contre le roi de Suède [...] Tout le monde s'amusait, riait et battait des mains [...] Le succès fut grand. Le grand-duc aurait beaucoup ri et demandé à revoir la pièce. La nouvelle représentation est fixée au 5 de ce mois (février). » Chacun sait que cette farce est due au talent de l'impératrice. Mais le programme ne porte pas de nom d'auteur.


Dans le public qui assiste, le soir du 31 janvier 1789, au spectacle du Preux malheureux, figure le nouveau favori de l'impératrice : Platon Zoubov, qui succède à Mamonov dans les grâces de Sa Majesté. Il est âgé de vingt-deux ans, il a le teint frais, l'esprit souple, et s'est tiré avec succès de l'épreuve d'aptitude sexuelle. Catherine ne se contente pas de le trouver beau. Séduite jusqu'à la moelle des os, elle est prête à lui trouver autant de culture que de capacités viriles. Cette dernière toquade de sa mère vieillissante provoque chez Paul un sursaut de pitié et de mépris. Il la plaint d'en être réduite à chercher son plaisir auprès de quelques étalons juvéniles grassement rétribués. Pourtant, il ravale son indignation afin de ménager l'avenir. Il ne proteste pas davantage lorsque Catherine fait arrêter Alexandre Radichtchev, coupable d'avoir évoqué dans son livre, Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou, la misère du peuple et les méfaits du servage. Cet ouvrage, selon Khrapovitski, « propage le mal français, la haine des autorités ». Jugé le 13 juillet, Radichtchev est condamné à mort, mais l'impératrice le gracie et se contente de le faire déporter à perpétuité en Sibérie.


Au fait, songe Paul, comment donner raison à ceux qui prêchent le libéralisme, l'indulgence et l'amour des humbles, alors qu'en France le peuple révolté, non content d'avoir pris la Bastille, a contraint le roi et sa famille à quitter Versailles et à se laisser emmener à Paris ? Pour une fois, Catherine et son fils sont d'accord en politique : il faut un Etat fort et un peuple soumis si la Russie veut éviter l'anarchie à la française. L'année suivante, le roi Louis XVI et Marie-Antoinette, excédés d'être retenus prisonniers de la plèbe, s'enfuient, déguisés, et tentent de passer la frontière sous une fausse identité. Ils sont arrêtés, capturés à Varennes ; on découvre sur la reine un faux passeport au nom d'une certaine Mme Korff, fille d'un négociant de Saint-Pétersbourg ; l'ambassadeur de Russie est soupçonné d'avoir prêté la main à cette triste désertion de la famille royale. Catherine déplore non pas que le représentant officiel de la Russie soit mêlé à la manœuvre, mais que l'évasion, mal préparée, ait raté. Effrayés par les désordres de leur pays, les émigrés français affluent à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Alors que Catherine, prudente, évite de s'engager à fond dans le camp de ceux qui voudraient prendre les armes pour rétablir la monarchie en France, le grand-duc souhaite ouvertement la destruction de l'hydre révolutionnaire. Son hostilité contre la « canaille rouge » est si violente que, lors d'une réception du corps diplomatique par sa mère, il n'hésite pas à provoquer avec insolence le nouveau représentant de Paris, M. Genêt. Au milieu d'un cercle de courtisans éberlués, il proclame, sans la moindre précaution oratoire : « Ce moment est décisif pour les souverains. S'ils ne s'entendent pas sérieusement entre eux pour expulser de leurs Etats tous les Français qui seraient soumis aux nouvelles lois dictées par l'Assemblée nationale, je ne répondrai pas qu'avant deux ans l'Europe entière ne soit bouleversée. » Bien qu'elle soit d'habitude irritée par les interventions de son fils dans les affaires de la Couronne, Catherine doit convenir qu'il vient de dire tout haut ce qu'elle pense tout bas. En attendant le renvoi de Genêt dans sa patrie, on se contente, à Saint-Pétersbourg, de lui battre froid et de commenter, avec une colère croissante, les agissements d'une poignée d'hurluberlus qui, à Paris, ont osé priver Louis XVI d'une partie de ses droits régaliens.


C'est au milieu de ces perspectives angoissantes pour l'avenir de la monarchie en Europe que Catherine apprend la mort, le 5 octobre 1791, au bord d'une route, en Moldavie, de celui qui, toujours et partout, lui a apporté conseil, dévouement, amour et victoire. Potemkine, qu'elle avait chargé de mener les pourparlers de paix avec la Turquie, à Jassy, n'est plus. Le choc est d'une violence telle qu'elle s'évanouit et qu'on doit la saigner pour qu'elle reprenne conscience. Privée de cet homme providentiel, elle croit vaciller au bord d'un gouffre et confie à son secrétaire Khrapovitski : « Je n'ai plus personne sur qui m'appuyer ! Rien ne sera plus comme avant [...] ! Tous vont vouloir sortir de leur coquille comme des escargots [...]. C'était un vrai gentilhomme, un homme d'esprit, fidèle et incorruptible. » Puis, saisissant sa plume, elle écrit à son « souffre-douleur », le cher Grimm, qui comprend tout à demi-mot : « Un terrible coup de massue a frappé de nouveau ma tête [...] Je suis dans une affliction dont vous n'avez pas idée [...] C'était un homme d'Etat pour le conseil et l'exécution. Il m'était attaché avec passion et zèle, grondant et se fâchant quand il croyait qu'on pouvait mieux faire. »

Autour d'elle, on feint de partager son immense chagrin, mais son favori, Platon Zoubov, jubile sous des airs de deuil. Et Paul en fait autant. Le « grand gêneur » a disparu du devant de la scène. L'empire continue sur sa lancée. La paix avec la Turquie est signée, les troupes russes mettent à la raison les insolents rebelles polonais et l'impératrice, fatiguée, n'ayant plus comme soutien moral que le sournois, l'intrigant Platon Zoubov, fléchit les épaules sous le poids des soucis et des années. Elle songe de plus en plus sérieusement à préparer sa succession. Or, les variations d'humeur de son fils s'aggravent depuis peu, par suite de perturbations dans le ménage. Les informateurs habituels de Sa Majesté lui signalent que la grande-duchesse, d'abord très bien disposée à l'égard de Catherine Nelidov, supporte mal maintenant la présence de cette jeune personne dans l'intimité du couple. Des rumeurs de mésentente conjugale traversent les frontières et, à Paris, Le Moniteur universel publie, dans son numéro du 24 avril 1792, un article venimeux au sujet de ce petit drame, au palais. Parlant du grand-duc Paul, tenu en lisière par une mère despotique, le journaliste se permet d'écrire : « Ce prince suit en tous points les traces de son malheureux père ; et, à moins que la cour de la grande-duchesse ne soit le temple de toutes les vertus, il éprouvera un jour le même sort que Pierre III [...]. J'ai déjà remarqué plusieurs levains de révolution [en Russie], ils existent dans le cœur du grand-duc. Ce prince ne cache pas son mécontentement ; il s'indigne de sa nullité ; souvent, il se brouille avec l'impératrice, sa mère ; il ose même se porter à des menaces contre elle [...]. Vous savez qu'il a pour maîtresse une Mlle Nelidov... » D'un jour à l'autre, en Russie comme à l'étranger, on évoque la personnalité de cette mystérieuse créature, qui, disent les témoins, n'est certes pas une beauté, mais plaît par la promptitude de son esprit et la hardiesse de son regard. Fâchée de ces ragots qui déconsidèrent le trône de Russie, Catherine interroge son fils sur ses sentiments véritables envers Catherine Nelidov. Il lui répond par lettre : « En ce qui concerne ma liaison avec Mlle Nelidov, je vous jure, par le tribunal suprême devant lequel nous devons paraître tous, que nous nous présenterons devant lui, tous les deux, avec une conscience libre de reproches. Ce qui nous unit, c'est une amitié sacrée et tendre, mais innocente et pure. » Aussi outrée que Paul par ces racontars qui la présentent comme une intrigante de bas étage et dressent contre elle la grande-duchesse qu'elle aime sincèrement, Catherine Nelidov supplie Sa Majesté de la croire sur parole et de lui permettre de quitter la cour pour se retirer dans un couvent. Paul est désespéré à la perspective de cette séparation qui consacrerait la victoire de quelques mauvaises langues sur une personne qui n'est en rien coupable. Mais les clabauderies redoublent et les allusions aux malheurs du couple grand-ducal deviennent si précises que, le 8 juillet 1792, Fedor Rostoptchine, proche du grand-duc, peut écrire à S.R. Vorontzov, à Londres : « On croit qu'elle [Mlle Catherine Nelidov] veut aigrir la passion du grand-duc et l'enflammer davantage. » Quoi qu'il en soit, alors que Mlle Nelidov sollicite l'autorisation de s'éloigner de la cour, « aussi pauvre et aussi pure qu'elle y est entrée », l'impératrice lui refuse son congé. Selon Sa Majesté, qui est experte dans les affaires de cœur et de lit, il faut que la jeune femme demeure auprès du grand-duc, puisque tous deux affirment leur innocence foncière, et que, à l'évidence, il a besoin d'elle pour être heureux. La meilleure réponse à ces vils cancans, c'est Marie Fedorovna qui la donne en accouchant, le dimanche 11 juillet 1792, d'une cinquième fille, la grande-duchesse Olga. Pour une épouse trompée, elle administre ainsi la preuve que son mari n'a pas tout à fait déserté la couche conjugale. Bien entendu, contrairement aux garçons qui ont l'honneur d'être élevés par l'impératrice, Olga, comme les autres filles, reste à la garde de sa mère.


Du reste, les derniers échos de cette histoire d'alcôve sont déjà balayés par les terribles nouvelles qui arrivent de France. Coup sur coup, on apprend, à Saint-Pétersbourg, que Louis XVI et Marie-Antoinette ont été arrêtés, que le sang coule dans les rues de Paris, que les prisons regorgent de ci-devant aristocrates, qu'on renverse les statues des anciens rois et que le peuple ne se contentera sans doute pas de démolir des monarques en effigie. On chuchote aussi que les deux fils de Paul, tout en réprouvant la violence des révolutionnaires français, ne sont pas hostiles aux idées nouvelles. Devant la menace de ce libéralisme sauvage, l'impératrice regrette presque d'avoir confié l'éducation de son petit-fils préféré, Alexandre, au consciencieux La Harpe, lequel n'a pas su mettre son élève en garde contre les dangers d'un excès de générosité dans l'application des grands principes. Or, Alexandre va avoir quinze ans dans quelques mois. Le moment est venu, estime Catherine, de le marier à une jeune fille — d'origine germanique, bien sûr ! — et de le préparer en douceur à un destin impérial. Mais comment le persuader qu'un jour ou l'autre il devra dérober la couronne à son père ? Dans ces sortes de complots, où l'intérêt prime le droit, la tendresse et la rouerie d'une femme peuvent aider à fléchir l'entêtement d'un homme qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Prenant le taureau par les cornes, l'impératrice invite à Saint-Pétersbourg la princesse de Bade, Louise-Augusta, âgée de treize ans, mais dont on lui a certifié qu'elle est déjà formée. Pour ne pas braquer son petit-fils, Catherine lui laisse ignorer le véritable motif de cette visite. Ravie d'avoir monté ce piège sentimental, elle écrit à Grimm : « C'est un tour diabolique que je lui joue, car je l'induis en tentation. » Elle a vu juste. Mis en présence de la jeune personne qu'on lui destine, Alexandre est séduit par sa candeur radieuse et ses bonnes manières. Penchée sur les premiers symptômes de cet amour de convenance, l'impératrice déclare à Grimm, dès le 14 août 1792, que, pour elle, l'affaire est dans le sac : « Mon Alexandre sera marié et, avec le temps, couronné avec toutes les cérémonies, toutes les solennités et toutes les fêtes publiques possibles : il en passera par là avec splendeur, magnificence et grandeur. »


Bien que n'ayant guère été consultés, ni Paul ni Marie Fedorovna ne trouvent quoi que ce soit à redire aux préparatifs de ce mariage précoce. Cependant, Paul, toujours méfiant, se rend compte à cent détails, à cent propos indiscrets, qu'une manœuvre se trame derrière son dos pour l'écarter du trône au profit de son fils aîné ! Pris dans un dilemme tragique, il ne sait s'il doit, en tant qu'héritier légitime, s'opposer à ce scandaleux passe-droit, ou, en tant que père, souhaiter la réussite d'un projet de spoliation concocté par sa propre mère. Faut-il qu'il « se préfère » ou qu'il « se sacrifie » ? Et quel est l'intérêt de la Russie dans cette rivalité familiale ? N'est-ce pas Dieu qui a prévu la dévolution naturelle de la couronne d'une génération à l'autre ? Ne serait-ce pas aller contre l'autorité du Très-Haut que de modifier l'ordre de succession établi par une tradition séculaire ? Pour s'aider à voir clair en lui-même, Paul se plonge dans la lecture de la Bible, des exégètes pieux et des philosophes. Mais, plus il s'efforce de résoudre ce cas de conscience, plus il aggrave son indécision. Il a beau affirmer à son correspondant habituel, le baron Osten Sacken, qu'il se désintéresse de la politique et qu'il ne pense qu'au malheur de son pays et à celui de sa famille, accentués par l'égoïsme de sa mère, tout ce qu'elle décide, tout ce qu'elle entreprend le révolte. A présent, il lui reproche de tarder encore à jeter le poids de son armée dans le conflit, pour écraser la Révolution française et rendre à Louis XVI le trône dont des forbans l'ont chassé. Ses protestations, ses gesticulations sont pour la galerie. Catherine écrit à Grimm : « Je soutiens qu'il ne faut s'emparer que de deux ou trois bicoques en France et que le reste tombera de soi-même ; vingt mille cosaques seraient de trop pour faire un tapis vert depuis Strasbourg jusqu'à Paris. » Mais elle se garde bien d'envoyer lesdits cosaques combattre les hordes de sans-culottes. Le 4 décembre 1792, un décret proclame la République sur tout l'espace français. Le 15 décembre, Montbéliard, berceau de la famille de Marie Fedorovna, est annexé par le nouveau régime. Tous les proches de la grande-duchesse émigrent pour échapper à la marée rouge. Devant cette malédiction qui gagne chaque jour du terrain, Paul en vient à croire que sa propriété de Gatchina demeure le plus sûr refuge contre la désagrégation européenne et que, si sa mère le laissait agir, il saurait mener à bien la croisade contre les ennemis de la monarchie, de l'ordre et de la religion. Mais elle lui a lié les mains, une fois pour toutes. Avec des cordons de soie, il est vrai. Il n'en est pas moins un otage, alors qu'il se sent l'âme d'un chef.

Soudain, au début de janvier 1793, les deux cours, « la grande », de Saint-Pétersbourg, et « la petite », de Gatchina, sont ébranlées par une affreuse nouvelle venue de France : Louis XVI a été guillotiné à Paris, après un simulacre de procès. En apprenant cette fin abominable, Paul ne peut s'empêcher d'en imputer la responsabilité à sa mère. Si elle était intervenue militairement comme il le préconisait, Louis XVI serait encore en vie et aurait retrouvé sa couronne. Elle a manqué à son devoir de solidarité monarchique. Bien sûr, elle se dit très éprouvée par cette catastrophe de portée internationale ; elle tombe malade, s'isole dans sa chambre pour ruminer son chagrin et ordonne au palais un deuil de six semaines. Mais le mal est fait. Pour se racheter, elle offre son aide morale et pécuniaire au comte d'Artois, petit-fils de Louis XV, venu se réfugier en Russie, le traite en « lieutenant général du royaume » et recommande à son ambassadeur à Londres d'ouvrir à cet émigré prestigieux un crédit destiné à financer la contre-révolution. Néanmoins, elle paraît soulagée lorsque, le 26 avril 1793, le comte d'Artois s'embarque pour l'Angleterre.


Désormais, Catherine ne veut plus penser qu'au mariage de son cher Alexandre et à la meilleure façon d'assurer l'accession au trône du petit-fils à la place du fils. La princesse Louise-Augusta de Bade, vient de se convertir à l'orthodoxie sous le nom d'Elisabeth Alexeïevna et doit épouser le grand-duc Alexandre le 28 septembre 1793, dans l'église du palais d'Hiver. Ces fiancés, à peine sortis de l'adolescence, sont si charmants qu'on les surnomme Amour et Psyché. Catherine voit dans cette union, dont elle a été l'instigatrice, une revanche sur la déception qu'elle a ressentie en apprenant la chute de la monarchie en France. Mais un incident inattendu risque de gâcher la cérémonie nuptiale. Au dernier moment, Paul, dont la susceptibilité devient maladive, s'est disputé avec son fils et refuse d'assister à la bénédiction. Il faut toute la diplomatie de Marie Fedorovna pour qu'il revienne in extremis sur sa décision. Encore garde-t-il un visage renfrogné durant l'interminable office religieux. Persuadé que sa mère a dressé contre lui tous les membres de sa famille, il décèle des ennemis jusque parmi ses enfants et ses proches. Ses révoltes sont celles d'un animal traqué.


La nuit, des cauchemars et des prémonitions le visitent. Au réveil, parfois, son air de tristesse et d'égarement est tel que sa femme se dit impuissante à le calmer et même à le comprendre. De tout son entourage, seul La Harpe lui paraît honnêtement disposé à son égard. Mais ce Suisse à la tête savante prend décidément trop à cœur l'éducation d'Alexandre. Idéaliste impénitent, il risque d'inculquer à son pupille les calembredaines qui ont conduit la France au désastre. L'impératrice, elle aussi, s'intéresse à l'influence pédagogique de La Harpe. Elle redoute certes, comme son fils, que, emporté par son zèle, le mentor du jeune grand-duc ne l'incite à cultiver un sentimentalisme philosophique incompatible avec l'exercice du pouvoir. Mais, elle souhaiterait par-dessus tout que cet homme, qui jouit de la confiance de la famille, usât de son influence pour convaincre son ancien élève d'accepter, le cas échéant, la couronne impériale à la place de son père. Ayant convoqué La Harpe, elle lui expose son plan, à mots couverts. Hélas ! la conscience du penseur helvétique est d'une rigidité à laquelle Catherine n'est pas habituée. Après l'avoir écoutée avec déférence, il lui répond que la mission dont elle voudrait le charger lui paraît déloyale et qu'il ne se sent pas le droit de l'assumer. Aussitôt, le visage de l'impératrice se ferme, son regard se fige, et La Harpe est contraint de se retirer à reculons, avec la certitude de n'être plus persona grata à la cour. Les jours suivants, il aggrave son cas en essayant de rapprocher Alexandre de son père. Ces conseils de déférence et d'affection filiales, il les prodigue au cours des entretiens studieux qu'il continue d'avoir avec le jeune prince, bien que celui-ci soit déjà marié. A son instigation, Alexandre redouble de gentillesse envers Paul et s'arrange même pour l'appeler, de temps à autre, par anticipation, « Votre Majesté impériale ». Cette marque d'estime chatouille l'orgueil du « prétendant officiel au trône » et il se remet à espérer qu'il n'a pas que des adversaires parmi ses intimes.

Catherine est, comme de juste, très vite avertie des efforts qu'on déploie au sein de la « petite Cour » pour détourner Alexandre du projet successoral imaginé par sa grand-mère. La riposte est immédiate. Ayant mandé La Harpe dans son bureau, l'impératrice lui signifie, tout à trac, son renvoi. Congédié comme un domestique, La Harpe ne peut que rapporter cette sentence à son pupille. Alexandre s'effondre en larmes. Quant à Paul, il considère que cette disgrâce d'un homme irréprochable est une mesure vexatoire de Sa Majesté envers lui-même. D'ailleurs, il estime qu'il n'y a plus personne de sensé à la surface de la planète. Même en France, refuge habituel de la raison, l'épouvante règne dans les villes, on se dénonce entre voisins, la guillotine n'arrête pas de trancher des têtes, tandis que les armées de la République s'efforcent de contenir, à l'extérieur, les puissances ennemies liguées pour délivrer le pays de ses « démons ».



Depuis la rupture des relations diplomatiques avec la patrie exécrable des Marat et des Robespierre, les Français résidant en Russie ont reçu l'ordre, sous peine d'expulsion, de condamner solennellement la Révolution française et de jurer une stricte obéissance aux lois de leur terre d'accueil. Les frontières sont fermées aux marchandises françaises, qu'il s'agisse de colifichets ou de livres. Dans la haute société, on continue de parler français pour montrer qu'on a de la culture, mais on maudit la France pour montrer qu'on a du cœur. Catherine déclare que la France est « un repaire de brigands », que les révolutionnaires sont des « canailles », qu'il faut « exterminer jusqu'au nom des Français » et que la capitale de la France n'est plus Paris, la sanglante, mais Coblence, lieu de ralliement des émigrés et berceau de l'armée du prince de Condé.



Comme pour justifier cette fureur antirépublicaine et antifrançaise, on apprend, en octobre 1793, que Marie-Antoinette vient, à son tour, d'être traînée sur l'échafaud et décapitée. Pour comble de scandale, voici que Notre-Dame de Paris, haut lieu de la foi catholique, devient, par décret, le Temple de la Raison. Est-ce par une moquerie iconoclaste ou par un stupide athéisme qu'on l'a rebaptisée ainsi ? Cette nouvelle appellation de la vieille cathédrale a-t-elle été voulue par un apprenti philosophe ou par une crapule avinée ? Il est vrai, pense Paul, qu'à l'heure qu'il est, en France, philosophe et crapule ne font qu'un. Tous les échos qui lui arrivent de Paris le renforcent dans l'idée que, pour préserver de la contagion son domaine personnel de Gatchina, il doit redoubler de sévérité envers ceux qui ont la chance d'y habiter sous son égide.


Dans ce climat de veillée d'armes, l'autoritarisme tatillon du grand-duc prend les dimensions d'une folie de l'ordre et de la discipline. Obsédé par le souci du détail, il ne sait qu'imaginer pour améliorer la tenue de ses troupes. La vue d'un bouton mal cousu sur un uniforme l'irrite plus que ne le ferait une erreur dans l'exposé d'une théorie métaphysique. Accablés de réprimandes et de punitions, ses hommes vivent dans la crainte permanente de lui déplaire. « On dirait qu'il invente les moyens pour se faire haïr, note Fedor Rostoptchine. Le moindre retard, la moindre contradiction le mettent hors de ses gonds. Ce qui est singulier, c'est qu'il ne répare jamais ses fautes et continue à se fâcher contre celui auquel il a manqué. A Gatchina, on entend parler chaque jour d'actes de violence et de petitesse qui feraient rougir un particulier5. » Une fois, en présence de ses fils, Alexandre et Constantin, qui s'étonnent de son comportement atrabilaire devant un officier coupable d'une peccadille, Paul cite, pour justifier son intransigeance, une décision particulièrement cruelle du Comité de salut public, en France, et s'écrie en riant : « Vous voyez, mes enfants, vous voyez qu'il faut traiter les hommes comme des chiens ! » » Ni Alexandre ni Constantin n'osent le contredire, mais tous deux pensent que leur grand-mère n'a pas tort en redoutant, pour l'avenir du pays, les débordements imprévisibles de leur père.

1 Lettre de Catherine Nelidov à Paul, vers 1800, citée par Alexeï Peskov : Paul Ier, empereur de Russie.

2 Cf. Henri Troyat : Catherine la Grande. Lettre en français.

3 Lettre du 8 mars 1787, citée par Alexeï Peskov : Paul Ier, empereur de Russie.

4 A. Khrapovitski : Notes et Souvenirs, cité par Alexeï Peskov : Paul Ier, empereur de Russie.

5 Rapporté par N.K. Schilder : Portrait historico-biographique de Paul Ier.

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