G.-J. ARNAUD Subversive Club

CHAPITRE PREMIER

La Peugeot 604 s’engouffra dans la rampe du parking souterrain après que Maxime Carel eût provoqué l’ouverture de la porte basculante grâce à un appel de phares codé. Une fois dans son box, il prit sa serviette en cuir, sortit de la voiture, vérifia en hâte la fermeture des portières, marcha rapidement vers l’ascenseur. Il réfrénait une envie folle de courir pour se retrouver au plus vite dans son appartement.

A son étage, ne sachant ce qu’il avait fait de ses clés il sonna, récidiva en trouvant que Benedicta mettait une trop grande nonchalance ibérique à accourir.

— Madame est là ?

— Oui, Monsieur.

Leurs amis et relations n’en revenaient pas. Une bonne espagnole qui s’exprimait dans un français parfait. Ils ne savaient s’ils devaient les envier, question service, ou les plaindre question standing.

Pas de Patricia dans le living. Elle lisait dans le bureau, une cigarette aux lèvres. En jean et polo de coton. Cent douze francs sur le dos. Plus dix francs peut-être pour le slip. Pas de soutien-gorge. Parfois elle l’irritait. En tant que directeur des Laboratoires de la Française de Recherches Ferroviaires il dépassait les quinze mille mensuels. Et sa femme refusait de porter plus de cinq cents francs de fringues sur le corps. Pour Benedicta, il avait fallu qu’elle reprenne ses études de sociologie pour l’accepter.

— Salut, dit-elle.

Elle cligna d’un œil, rendit l’autre, mauve et allongé, soupçonneux.

— Tu as picolé ?

— Rien du tout… Mais j’ai enfin la date. Mardi prochain. Huit jours à New York tous les deux.

Patricia secoua ses nattes brunes. Ce jour-là elle y avait attaché deux billets de dix francs en guise de papillons. « A vingt-six ans » pensa-t-il attendri. De quoi scandaliser toutes leurs relations.

— Huit jours à New York tout seul, dit-elle tranquillement.

— Hein, quoi ? Tu ne viens pas ?

— Moi je veux bien, mais eux ne veulent pas.

Posant les pieds sur le bureau Empire, une petite folie, elle ouvrit un tiroir, sortit leurs passeports, pointa un doigt sur son mari :

— Toi tu as le visa, pas moi.

— Non !

— Si, mon vieux. Ils ont un fichier sans bavures à l’Immigration… Ils se sont souvenus que j’ai été inscrite à Lutte Ouvrière dans le temps. Et voilà.

Maxime envoya promener sa serviette, attrapa le téléphone à deux mains.

— J’appelle Montel, il doit être chez lui.

Le président du Dynamic Club était effectivement rentré. Il n’eut pas la réaction qu’espérait Maxime.

— C’est vraiment très désagréable que votre épouse ne puisse vous accompagner…

— Mais vous savez bien qu’elle n’appartient plus à Lutte Ouvrière depuis trois ans ? Vous croyez qu’il n’y a rien à faire ?

— Je ne le pense pas… Je peux toujours essayer… Je connais quelqu’un à l’ambassade… Un Dynamicien, lui aussi… Bien sûr, il y a l’ambassadeur lui-même, mais c’est un Rotarien… Je vous rappelle, cher ami.

Le petit air indifférent de Patricia alertait son mari. De ce voyage à New York elle n’avait vu que le côté loisirs, oubliant que chaque matin il devrait assister aux séances du Dynamic Club International. Elle n’aimait guère son appartenance à ce genre de clubs, trouvait ça ridicule et enfantin, surtout le parrainage obligatoire pour l’admission, la composition même, tous les membres ayant fait obligatoirement preuve d’un dynamique fairplay pour réussir dans la vie. « Quelle réussite, disait-elle, sinon celle des affaires et de l’exploitation humaine. » Et frustrée de son voyage, elle allait le taquiner encore plus, ne pas ménager ses sarcasmes. Parfois elle exagérait.

— N’insiste pas, dit-elle, ça m’ennuierait de devoir mon visa à un honorable Dynamicien.

— Mais ils me doivent bien ça !

— J’oubliais que l’entraide, la solidarité sont inscrites au programme… Tu ne trouves pas que ça fait franc-maçon ?

— Rien de comparable.

Il alluma un Wilde Havana. Dans son bureau il n’osait pas. Depuis que le grand patron lui avait fait remarquer que ces cigares non terminés avaient un air trop décontracté. Pourtant il les aimait. Comme les Gauloises filtres mais elles aussi déplaisaient au patron. Question d’odeur. Il n’admettait que les blondes made in U.S.A.

— Donc tu pars mardi ?

— Tu sais, une semaine c’est vite passé…

— Quel hôtel ?

— Le Sheraton-Russel.

— Tiens…

Pourquoi disait-elle « tiens » ? Il mourait de curiosité mais ne voulait pas risquer une discussion désagréable.

— Tu sais à qui appartiennent les Sheraton ?

— Bien sûr que je le sais, fit-il bougon. Tout le monde sait ça surtout dans le monde des affaires.

— I.T.T., dit-elle en martelant chaque lettre. I.T.T., I.T.T.

— Oui et alors ?

La main de sa femme tendue vers lui basculait régulièrement à gauche et à droite.

— Il n’y a rien entre I.T.T. et la K.U.P. ?

— Que vas-tu chercher là ?

— Lorsque deux multinationales se rencontrent… ça donne une super-multinationale, non ?

— C’est toi qui inventes tout ça.

— Non. Je lis tout simplement. C’est quand même ahurissant. Dans cette maison, on doit dépenser trente à quarante francs par jour pour les journaux, hebdos et revues… Aussi bien politiques que littéraires et artistiques… Et tu les survoles… Tu vis dans ta Française de Recherches Ferroviaires, filiale de la K.U.P., sans même te soucier de ton avenir… Et si I.T.T. met le grappin sur la K.U.P. C’est quand même curieux que le Dynamic Club vous reçoive dans un Sheraton.

— Ecoute…

Patricia sourit, lénifiante. Il soupira, sachant que si elle faisait un effort pour changer de conversation elle ne désarmait pas pour autant.

— Tu seras le seul homme sans femme, n’est-ce pas ?

— Je ne sais pas.

— Oh ! moi je sais. Montel aura la sienne ainsi que Perney de Viel. En revanche la délicieuse Clara Mussan, veuve de trente ans et P.-D.G. d’une entreprise de travail temporaire… viendra sans homme et pour cause…

— Jalouse ?

— Non, mais j’ai quelque peu réfléchi… Montel possède bien une entreprise de transports, n’est-ce pas ? Non seulement des camions mais des wagons de toute nature ? Et sa maison travaille régulièrement pour ta société ? C’est-à-dire pour la K.U.P. ? Et Clara Mussan fournit surtout du personnel à la K.U.P., non ?

— Et alors ?

— Eh bien, dit-elle, je me demande s’il s’agit d’une réunion du Dynamic Club ou d’un voyage organisé pour cadres supérieurs ou assimilés de la K.U.P.

Elle retira une jambe de sur le bureau, le temps de fouiller dans la poche de son jean étroit, en retira son paquet de tabac gris et son papier à cigarettes, commença d’en rouler une. Elle ne fumait pas autre chose depuis l’âge de dix-huit ans et avait toujours son grand succès dans les réceptions. Il n’avait jamais pu s’y habituer et lorsqu’elle sortait son tabac, instinctivement il tournait la tête.

— Il y aura d’autres délégués français qui n’auront rien à voir avec la K.U.P.

— En es-tu vraiment certain ?

— On va boire un verre ?

— Si tu veux.

Il revint dans le living, passa derrière le bar constitué avec une vieille caisse de bistrot 1900, posa deux verres le long des petites balustres en bois tourné.

— Vraiment un pastis ?

— Vraiment.

— Pour moi, un scotch.

— Crois-tu qu’ils en auraient eu au Sheraton-Russel ?

— Très certainement… On trouve tout ce que l’on désire…

— Je vais regretter vraiment mon voyage. Boire un pastis 51 au Sheraton-Russel de New York !… Ça c’est vivre, tu ne trouves pas ?

Maxime la lorgnait avec inquiétude. Il avait l’impression qu’elle pastichait quelqu’un. Une publicité peut-être. Encore une des bêtes noires ! Le gauchisme l’avait vraiment déformée pour la vie.

— Vous partez toujours en Concorde ?

— Bien sûr.

— Vous risquez de vous retrouver à Halifax si l’un des moteurs tombe en panne. Dommage qu’il ne puisse encore atterrir à Kennedy Airport. Il vous faudra plus de temps entre Washington D.C. et La Guardia que pour traverser l’Atlantique. C’est beau le progrès… Mais le prestige passe avant tout. Vol spécial, je présume ?

Ce soir-là tout y passerait. Le Concorde était aussi sa bête noire. Que restait-il ? Tant de choses qu’il craignait de ne pouvoir la supporter jusqu’au bout.

— Ecoute…, dit-il.

— Quoi donc ?

Elle était trop jolie, trop attirante avec sa bouche large et charnue, ses dents magnifiques… Il secoua la tête :

— A ta santé !

Sans souffler, elle siffla son pastis, en redemanda un autre, tandis qu’elle rallumait sa cousue main.

Après quoi elle se montra sans rancune, n’attaqua plus personne ni quoi que ce fût. La soirée se termina agréablement dans leur chambre à coucher.

Pourtant le mardi, comme il l’embrassait au moment de prendre un taxi pour Roissy, elle lui démontra qu’elle n’avait pas renoncé :

— Une fois dans le S.S.C., regarde bien autour de toi. Je suis certaine que tous les membres du Dynamic Club toucheront de près ou de loin la K.U.P. On parie ?

Il ne regretta pas d’avoir évité de le faire lorsqu’il fut dans son fauteuil du Concorde auprès du président Pierre Montel. Ce dernier était une sorte de géant, d’apparence caucasienne avec sa terrible moustache et son crâne chauve à la Kojak.

Maxime Carel sourit, secoua la tête. Montel se pencha vers lui :

— Vous riez tout seul, mon vieux, c’est louche.

— Je pense à ma femme.

Montel prit une tête de circonstance.

— Comme nous regrettons tous… Mais je suppose que vous ne souriez pas d’être un célibataire forcé ? J’aurais dû vous installer auprès de la séduisante Clara Mussan mais je me dois de veiller aux intérêts de votre charmante épouse.

Maxime était sur le point de lui dire que Patricia avait raison, que tous les gens de ce voyage spécial appartenaient de près ou de loin à la K.U.P. soit qu’ils travaillent dans des filiales, soit qu’ils louent des services comme Montel et Clara Mussan, soit enfin qu’ils dirigent des boîtes de sous-traitance comme deux ou trois bonshommes qu’il connaissait vaguement.

Pourtant il préféra se taire. ? Il eut l’impression que cette réflexion aurait déplu à son compagnon et président de club, sans pouvoir exactement définir pourquoi.

En plein vol, il se rendit aux w.-c. et découvrit une tête qu’il n’avait pas encore aperçue de sa place. L’homme se penchait vers son voisin et il n’eut le cœur net de son identité que lorsqu’il ressortit des toilettes.

— Mais dites-moi, c’est Marcel Pochet tout au fond…

— Exactement.

— Un syndicaliste ?

— Patron de La Confédération Nationale des Travailleurs, la C.N.T. Il appartient au Dynamic Club, secteur Est de Paris.

Maxime se renfrogna. Patricia aurait exulté. Le C.N.T. était très bien en cour dans la K.U.P… Dans certaines filiales, grâce à la protection patronale, il avait éliminé les autres centrales ouvrières.

— Marcel Pochet est un battant extraordinaire, un type qui est vraiment arrivé à la force du poignet… Un véritable dynamicien, quoi !

A la force des poignets et des poings tout court, pensait Maxime Carel. Pochet avait créé des milices patronales, utilisait des méthodes violentes. Il était directement issu de ces barbouzes anti-O.A.S. qu’il avait fallu recycler après la fin de l’affaire d’Algérie. Il croyait entendre le ricanement férocement joyeux de sa femme.

A Washington, il leur fallut attendre trois heures l’appareil spécial pour New York. Le délégué américain du Dynamic Club n’en paraissait pas autrement embarrassé pour autant. Il mâchonnait à la fois son cigare et un chewing-gum, buvait un mélange de Coca-Cola et de vodka au bar de l’aéroport. Maxime se sentait fatigué, presque angoissé, ce qui lui arrivait très rarement.

— Ça ne vaut pas un petit pastis, dit une voix paisible à ses côtés.

Il faillit sursauter en reconnaissant Pochet le syndicaliste. L’homme montra son verre de bière.

— Je n’aime pas le whisky.

Il ne savait que dire à cet homme, imaginait quelles auraient pu être les réactions de sa femme, ne regrettait plus son absence. Pourtant cette angoisse ne venait-elle pas précisément du fait qu’elle soit restée à Paris ? Elle lui était nécessaire avec ses phobies, ses dégoûts, sa façon de juger la vie moderne sans la moindre complaisance… Et puis ce délégué américain lui rappelait quelqu’un. Il l’avait déjà vu quelque part, il ne savait où.

Comme il ne cessait de regarder dans sa direction, Marcel Pochet suivit son regard.

— Un sacré type, hein ?

Maxime tressaillit, ne comprenant pas. Le menton épais du syndicaliste donna un coup sec.

— Je vois que vous regardez Hugues Harlington, H.H. …. Vous avez bien entendu parler de lui ?

Oui, certainement. Ce nom, cette double initiale lui disaient quelque chose.

— Il dirige le service de sécurité de la…

Ce fut le déclic… H.H., bien sûr… La remise en route des filiales au Chili, les interventions au Portugal pour que le parti socialiste de Soares devienne le seul interlocuteur valable.

— Il appartient aussi au Dynamic Club ? demanda-t-il avec l’impression d’être stupide.

— Bien sûr, dit Pochet avec un gros rire, comme nous tous… Je pense que ce congrès va être bougrement intéressant, pas vous ?

— Si, dit timidement Maxime ; si bien sûr.

Il ne se reconnaissait pas. La présence de Pochet ? Celle de H.H. ou bien le fait de constater que sa femme avait flairé quelque chose de suspect dans cette réunion internationale des délégués du Dynamic Club.

— Si on allait s’asseoir… Prenons nos verres…

De loin, Pierre Montel le président les aperçut et agita joyeusement la main comme s’il estimait sympathique le fait qu’ils soient assis ensemble.

— Je pense que la vraie raison de cette réunion ne viendra pas avant le troisième jour, dit soudain le syndicaliste français.

— Vous croyez ? demanda Maxime qui pensait à Patricia.

Puis soudain il se rendit compte de l’importance de la phrase de Pochet.

— Pas avant trois jours ? fit-il l’air ennuyé.

— On va déconner sur les histoires de club ; sur un ordre du jour bidon… Mais faut ce qu’il faut… En ce moment Carter et sa clique ont l’œil sur nos amis américains.

— Nos amis américains ?

— Vous ne savez pas que le Dynamic Club se trouve sur la sellette ? A cause de ses accointances avec les multinationales… C’est complètement idiot… Il fallait choisir une autre ville… Il ne manque pas de Sheraton dans le monde… Buenos Aires, Rio de Janeiro… Je suppose qu’il y a des Sheraton là-bas ?

L’esprit troublé, Maxime Carel ne se souvenait plus s’il y en avait vraiment. Pourtant il devait le savoir. Il s’était déjà rendu dans ces pays-là.

— Vous voyagez beaucoup ? lui demanda Pochet.

— Moyennement.

— Je suis déjà venu aux U.S.A. Pour préparer ce congrès précisément… Avec M. Montel, justement.

— Ah oui ?

Il préférait paraître stupide, ayant brusquement conscience qu’il se trouvait embarqué dans une fausse direction. En vain recherchait-il à quel moment il avait manqué de lucidité, quel jour il n’avait pas compris que le congrès du Club avait en fait une autre raison qu’une simple rencontre internationale et amicale. Il devait être distrait ce jour-là… Peut-être ce fameux jour où son patron lui avait parlé des problèmes qui se poseraient à la Française des Recherches Ferroviaires si la gauche arrivait au pouvoir et appliquait le programme commun.

« — La K.U.P. sera nationalisée, du moins la société française… Les filiales je l’ignore… Mais tout ce qui touche aux transports est visé et malheureusement nous travaillons surtout pour la S.N.C.F. Je crois qu’il nous faudra étudier sérieusement le problème. »

Oui peut-être que ce jour-là il avait fait, comme d’habitude, semblant de comprendre alors qu’il pensait à autre chose. Comme tout à l’heure lorsque Pochet lui avait laissé entendre que le véritable intérêt de ce congrès ne commencerait que dans trois jours.

— M. Montel a des idées assez intéressantes mais, bien sûr, ce sont les Américains qui ont l’expérience… Ils ne se sont pas tellement mal débrouillés en Amérique du Sud.

— Oui, bien sûr.

Il ne pensait pas que Patricia aurait seulement souri avec commisération. Certainement pas. Elle l’aurait fixé de ses yeux mauves avec gravité, semblant lui demander : « Et maintenant que vas-tu faire ? Quelle sera ton attitude lorsque le troisième jour s’ouvrira vraiment cette terrible séance où l’on discutera de questions brûlantes ? »

— Pas mal la petite Mussan, hein ? Moi qui suis venu sans ma femme je pensais bien avoir mes chances mais vous voilà aussi sur les rangs, pas vrai ? Votre épouse n’a pu vous accompagner ?

— Non, elle n’a pu venir.

Il regarda Pochet et surprit un éclair d’ironie dans son regard bleu. L’homme n’avait presque pas de paupières et celles-ci n’avaient pratiquement pas de cils.

— Fatiguée, peut-être ?

Avec horreur et indignation, il comprit que l’autre testait sa franchise. Il haussa les épaules :

— Non. Visa refusé.

— Ça arrive à des gens très bien, dit Pochet.

Maxime fut certain que l’homme savait tout sur lui comme sur les autres membres de la délégation. Il regarda en direction de Clara Mussan. Elle était belle, blonde, élancée, élégante. Parfois il aurait aimé que Patricia soit habillée de cette façon-là mais savait qu’il n’avait rien à espérer.

La jeune femme discutait avec H.H. mais regardait dans leur direction. Elle sourit et comme le syndicaliste regardait ailleurs il pensa que ce sourire lui était destiné. Cette femme savait-elle que le congrès du Dynamic Club dissimulait en fait autre chose ? Elle avait un visage ouvert sans nulle trace d’hypocrisie. D’ailleurs la conversation de H.H., qui mâchouillait toujours grossièrement son chewing-gum et son havane, ne paraissait pas l’emballer.

— Je vais me dégourdir les jambes, dit-il à Pochet.

Il se dirigea lentement vers le bar, tendit son verre pour avoir un autre Cinzano.

— Vous avez du feu ?

Jamais il n’aurait cru qu’une femme de cette classe userait d’une telle entrée en matière éculée. Il sortit son briquet jetable. Patricia se moquait tellement de lui quand il prenait son Dupont en or qu’il n’osait plus s’en servir.

Clara Mussan se mit à rire. Elle avait aussi de très beaux yeux bruns.

— Je crois que vous êtes le seul avec un briquet de ce genre, dit-elle. Moi je me sers d’allumettes mais j’ai dû les oublier.

Elle fumait des Gauloises filtres ! Du coup il la trouva terriblement sympathique.

— Je me demande ce que je fais là, dit-elle soudain comme si elle se jetait à l’eau. Huit jours à New York passe encore, mais ce congrès… Vous aimez ça, vous ?

— Je ne sais pas encore, dit-il ; je n’y ai jamais assisté.

— Ce ne sera pas très folichon…

D’un regard circulaire elle parut englober toute l’assistance dans son appréciation.

— Heureusement que nous aurons les après-midi de libres… Vous connaissez New York ?

— Assez bien…

— Je veux dire pas les trucs habituels… Je veux parler des petits coins charmants, amusants, pittoresques.

Il connaissait.

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