A 3 heures, Maxime Carel fut réveillé par les deux hommes qui veillaient dans le couloir. Tandis que l’un le secouait rudement, l’autre, au pied du lit, paraissait le surveiller mais gardait son arme à la bretelle.
— On vous demande en bas, dit l’Italien en mauvais français.
Maxime se redressa, les idées encore floues.
— Qui me demande ?
— Le comité de vigilance. Vous devez comparaître devant pour répondre à certaines questions.
— Et si je refuse de quitter cette chambre ?
— Ne nous obligez pas à vous y contraindre.
— Allez-vous me frapper ?
— Non, mais nous appellerons des karatékas ou des ceintures noires de judo. Vous feriez mieux de vous montrer raisonnable.
Il se rendit compte qu’il avait furieusement envie de quitter cette chambre où il avait eu le tort de s’isoler dès le début de cette folie collective. Il rencontrerait d’autres personnes, aurait peut-être la joie de voir que toutes n’avaient pas basculé dans cette espèce de cauchemar. Il vérifia dans sa veste la présence de sa boîte de cigares, de son briquet et suivit les deux hommes.
Au rez-de-chaussée on le conduisit dans une petite pièce où se trouvaient rangées des chaises pliantes. L’Italien en prit une, la déplia et la lui désigna :
— Attendez là.
C’était encore pire que dans sa chambre si l’attente devait se prolonger. Au bout de dix minutes, alors qu’il allait allumer un cigare, on vint le chercher. Toujours l’Italien et le Français. Ce dernier ne parlait jamais. Maxime pensait qu’il avait honte mais une expression de l’homme modifia son jugement. Ce type paraissait le mépriser. Peut-être était-il navré qu’un de ses compatriotes se soit rendu coupable de sympathies marxistes ?
Dans une pièce, plusieurs personnes se trouvaient assises du même côté d’une longue table. Il reconnut les Montel, mari et femme, Benito Rosario et deux délégués étrangers dont il ignorait les noms.
— Asseyez-vous, dit Montel.
Il n’y avait qu’une seule chaise de l’autre côté de la table et il les avait tous les cinq en face de lui.
— J’ai obtenu, disait Montel, que la direction de cette commission me soit confiée. Vous pouvez compter sur mon impartialité.
Sa femme Josette serrait les lèvres avec une telle force que de minuscules rides éclataient en un seul point et se propageaient dans toutes les directions.
— Il y aussi votre défenseur Benito Rosario.
— Je vous récuse tous, dit Maxime. Est-ce que vous allez poursuivre longtemps cette comédie stupide ?
— Je vous le disais bien ! s’écria Josette Montel. Il n’en démordra pas. Il veut gagner du temps. Parce qu’il est coupable et…
— Tais-toi, dit son mari. Nous sommes ici pour en décider et je n’admets pas cette anticipation. Puis-je vous demander une chose, monsieur Carel ? Pourquoi avez-vous insisté pour effectuer ce voyage ?
— Mais c’est vous-même qui m’avez désigné ! répliqua Maxime indigné.
Montel secouait la tête :
— Absolument pas. Votre directeur m’a dit que vous désiriez faire partie de la délégation française et qu’il n’y voyait aucun empêchement. Donc vous lui en aviez parlé ?
— Parce que vous-même m’aviez pressenti.
— Mais vous n’étiez pas obligé de répondre comme vous l’avez fait au formulaire, dit sa femme, donc vous désiriez venir ici. A n’importe quel prix même en établissant un faux.
— Sachez, madame Montel, que je ne vous adresserai plus jamais la parole de ma vie, fit-il très calmement.
Il y eut des sourires et il comprit qu’il venait de se montrer enfantin.
— Demandez-lui, fit-elle alors avec ironie, s’il est prêt à remplir ses engagements, c’est-à-dire à défendre par les armes les libertés occidentales et l’économie libérale.
— Vous avez entendu ? demanda Montel.
— Dans certaines circonstances, pourquoi pas.
— Alors pourquoi a-t-il épousé une trotskyste ? demanda Mme Montel.
— Ça n’a rien à voir, dit-il. Ma femme ne fait plus de politique.
— Pourquoi écrit-elle de telles horreurs alors ? Vous demandant de… d’uriner à sa place sur le flambeau de la statue de la Liberté.
— Il y a aussi autre chose concernant Allende, répliqua-t-il. Ma femme a l’habitude de plaisanter.
Sur le point de leur parler de la photo de Trotsky qu’il avait trimbalée dans ses bagages à Moscou, n’osant même pas s’en débarrasser de crainte d’être surpris, il réalisa qu’il était en train de se défendre contre leurs accusations et haussa les épaules.
— Ce sont des plaisanteries peu ordinaires, fit remarquer un des étrangers avec l’accent espagnol… Ce n’est pas très obligeant pour nos amis américains.
— D’ailleurs ils ont refusé leur visa à Mme Carel, précisa la femme.
— Vraiment ? Pourtant depuis quelque temps ils sont très coulants avec les visas.
Montel parut agacé par cette histoire-là et préféra en revenir au formulaire.
— Si vous respectez votre engagement, celui de défendre notre société libérale, puis-je vous demander quelles sont vos intentions futures ?
— Je l’ignore.
— Vous avez peut-être remarqué au cours de notre congrès à New York et également dans celui que nous tenons ici, des personnes qui ne vous paraissent pas tout à fait conformes à cet idéal… Nous vous offrons la possibilité de vous ra… dédouaner en nous les désignant.
— Eh bien ! nous y voilà ! triompha Maxime. Nous en venons à la délation pure et simple.
— Il s’agit simplement de faire votre devoir civique, lança sévèrement Montel. Si vous refusez, c’est que vous-même avez mauvaise conscience ou que vous désirez protéger quelqu’un.
— J’ai toujours été contre le mouchardage tout simplement, répondit Maxime.
— Que pensez-vous de l’attitude de Charvin, lors du congrès de New York ?
Maxime essaya de réfléchir rapidement, puis balaya toute prudence :
— J’estime qu’il a bien fait.
— Dans ce cas pourquoi n’avez-vous pas suivi son exemple au lieu de vous immiscer parmi nous ?
— Par curiosité.
— Quel genre de curiosité ? Personnelle ? Ou bien votre attitude était-elle dictée par d’autres ?
— Personnelle.
— Quelle hypocrisie ! cria Josette Montel. A plusieurs reprises, chez nous, vous n’avez pas dissimulé vos sympathies pour les socialistes français… Lorsqu’ils ont remporté les municipales, vous vous êtes même réjoui… Vous ne pouvez le nier.
— Comme la majorité des gens, dit Maxime.
— Ecoutez, Carel, donnez-nous un nom, un seul et je vous assure que tout ira bien mieux ensuite.
Maxime croisa ses jambes et regarda vers le plafond d’un air détaché.
— Cette attitude est inadmissible ! explosa Mme Montel.
— Carel, dit son mari, j’ai ici une liste de cinq suspects… Si vous me dites le nom d’un des cinq tout sera fini. Vous les connaissez tous, mais il est possible que parmi eux vous ayez eu l’occasion d’entrer en sympathie avec une certaine personne en particulier.
Maxime n’écoutait que d’une oreille distraite et les paroles enrobées de précautions de Montel n’atteignirent pas immédiatement sa compréhension.
— Voyons, Carel, essayez de vous montrer coopératif.
Il regarda « son avocat » Rosario, mais ce dernier fuyait le contact.
— Depuis votre séjour new-yorkais, vous avez échangé des impressions, des confidences avec… Enfin, vous avez lié connaissance avec plusieurs personnes, mais l’une d’elles vous a paru plus intéressante, non ?
Soudain Maxime comprit et faillit se dresser. Montel depuis un moment essayait de lui faire admettre qu’il s’agissait de Clara Mussan. Elle faisait donc partie des cinq autres suspects ? Mais comment avaient-ils pu la mettre en accusation ?
— Répondez, voyons, supplia Montel.
— Vous attendez une délation. Vous usez du système typiquement américain qui veut qu’en dénonçant l’auteur d’un délit dont on est soi-même soupçonné on bénéficie de l’indulgence du tribunal ?
D’un geste de la main, Montel parut écarter cette interruption :
— Ne philosophez pas… Etes-vous disposé oui ou non à nous donner le nom de cette personne ?
— Ce serait ignoble et ridicule… Ridicule, parce que personne ici n’a commis le moindre délit et vous le savez bien, même si votre rôle actuel vous enfle de suffisance et de joie sadique.
— Je ne vous permets pas…
Maxime se leva, mais aussitôt les deux hommes armés s’avancèrent et le saisirent chacun par un bras. Il commençait de se débattre, lorsqu’il vit Rosario lui faire un signe discret de mise en garde.
— Lâchez-moi, dit-il, je vais me rasseoir.
Montel était pâle comme s’il avait redouté qu’il ne se jette sur lui pour le frapper. Ils étaient tous, sauf Benito Rosario, agités de sentiments émotionnels de bas étage. La peur, la haine, le plaisir de voir humilier.
— Carel, je suis au regret de vous dire que désormais je n’essayerai pas de vous aider, car vous y mettez trop de mauvaise volonté…
— Je ne cesse de le dire, ajouta sa femme pincée.
— Mais vous aviez une occasion de collaborer avec nous.
Il se pencha vers son voisin immédiat, l’Espagnol, comme pour recueillir son avis, puis se tourna vers sa femme et vers l’autre homme qui n’avait pas ouvert la bouche jusque-là. Il n’avait pas cherché à questionner Rosario.
— Nous allons faire venir le témoin, dit-il d’une voix sourde. Vous n’avez rien à déclarer ? Vous ne voulez pas revenir sur votre position ?
Maxime se demanda de quel témoin il pouvait s’agir et lorsqu’il eut secoué la tête il se sentit envahi par une très grande appréhension. Un des gardes ouvrit la porte dans son dos, quitta la pièce. Durant tout le temps se son absence il y eut un grand silence. Maxime n’entendit pas l’homme revenir mais il lut dans les regards de ses vis-à-vis qu’il était de retour avec le fameux témoin.
— Approchez, dit Montel.
Bien qu’il n’osât pas tourner la tête ni d’un côté ni de l’autre. Maxime vit des taches de couleur sur la gauche, sut qu’elle portait une robe fleurie.
— Voulez-vous apporter une chaise ?
Un des « gardes » dut aller en chercher une dans la petite pièce où Maxime avait été enfermé durant dix minutes. Lorsqu’elle fut assise, il tourna la tête vers elle, mais elle continua de fixer Pierre Montel. Elle ne manifestait aucune émotion apparente, était soigneusement maquillée et coiffée. Il avait imaginé Clara Mussan craquant, à bout de nerfs, physiquement anéantie.
— Clara Mussan, vous avez bien voulu vous montrer entièrement coopérative et je pense que le comité de vigilance devant lequel vous comparaîtrez vous en tiendra compte. Je puis même vous l’assurer, car aucune charge ne sera retenue contre vous.
Tandis que son mari parlait, Josette Montel pinçait sa vilaine bouche de harpie et ses yeux reflétaient son dépit et son impatience. Elle aurait certainement souhaité que la jeune femme soit également inquiétée.
— Durant plusieurs jours vous avez sympathisé avec Maxime Carel. Je ne vous demande pas quelles étaient vos relations exactes…
— Nous avons couché ensemble, dit tranquillement Clara Mussan, et je ne veux pas le dissimuler, bien au contraire. N’est-ce pas sur l’oreiller, comme on dit en France, que se font les confidences les plus inattendues ?
Montel hocha la tête d’un air satisfait. Maxime était sûr que sa femme traitait Clara de salope dans son for intérieur.
— Maxime Carel vous a fait des confidences ?
— A plusieurs reprises.
Maxime remarqua qu’elle portait toujours une bande au poignet à la suite d’une foulure au cours de la séance de judo. Il avait l’impression que cela remontait à des semaines, alors qu’il ne s’était écoulé que quelques heures.
— Carel était anxieux, mal à l’aise depuis le début. J’ai d’abord pensé qu’il avait des remords de tromper sa femme, mais ce n’était pas son véritable souci. J’ai vite compris qu’il était venu à New York dans le but de se renseigner sur les véritables motifs de ce congrès… Et lorsqu’il a fallu remplir ce formulaire, son anxiété n’a fait que croître. Ce soir-là nous avons dîné ensemble et il m’a confié qu’il avait pris de gros risques.
Non, il n’avait pas dit exactement cela, mais peu importait. Le plus pénible n’était pas ce qu’elle disait mais qu’elle accepte de le dire, de comparaître devant ces juges de carnaval, qu’elle joue le jeu. Mais en même temps il avait une compréhension d’ensemble de leur façon de procéder, une fois les gens mis en condition et amenés à la suspicion totale. On attendait des suspects retenus qu’ils s’accusent mutuellement et réciproquement jusqu’à créer une situation irréversible. Clara Mussan était une jeune femme intelligente, lucide, capable de bien gérer ses affaires et pourtant elle était tombée dans le piège parce que dans le fond d’elle-même, elle était vulnérable, sensible. Il se souvenait de ses propres confidences. Elle n’avait aucune prévention politique, vivait même dans une certaine inconscience. Mise brutalement en face d’une menace habilement suggérée, menacée elle-même, accusée, elle n’avait pu résister et s’était mise à parler. Ils n’avaient éprouvé l’un pour l’autre qu’une attirance physique confortée par une complicité amusée sur ce séminaire, puis avaient partagé une certaine angoisse. Il n’aurait jamais pensé qu’elle accepte aussi rapidement de le charger pour se tirer d’affaire.
— Qu’en avez-vous conclu ?
— Qu’il recherchait un but secret… Tenez, lorsque Charvin s’est dressé dans la salle du Sheraton pour protester contre les paroles de John Matton, Maxime Carel approuvait entièrement cette attitude. Il la trouvait courageuse. Je me suis demandé pourquoi lui aussi n’en faisait pas autant. Et j’en suis arrivée à la conclusion qu’il préférait se taire, masquer ses propres convictions que de risquer de ne pas aller au bout de ce séjour américain.
— Votre analyse est excellente, dit Montel. Avez-vous d’autre chose à nous raconter ?
— Oui… Je suis certaine qu’il approuve le Programme commun de la Gauche française. A New York il m’a dit assez cruellement qu’avec le plein emploi le genre d’entreprise que je dirige risquait de disparaître et j’ai eu la certitude qu’il s’en réjouissait.
Lorsqu’il avait dit cela il ne pensait pas lui faire de la peine, ni l’inquiéter sur l’avenir de son entreprise de main-d’œuvre temporaire. Mais, évidemment il avait pu l’ulcérer sans s’en rendre compte dans sa fierté et sa satisfaction de femme d’affaires.
— C’est aussi à notre arrivée ici qu’il a essayé de me convaincre de devenir en quelque sorte sa complice.
Maxime sursauta pensant qu’elle dépassait les bornes.
— Voulez-vous nous expliquer ?
— Il me disait que le cadre avait été judicieusement choisi avec son luxe, sa douceur de vivre, ses références aux charmes de la vie sudiste d’avant la guerre de Sécession. Pour lui les serviteurs noirs n’étaient là que pour nous donner le sentiment de supériorité de notre race, nous rendre plus palpables les pouvoirs dont nous disposons et que par notre lâcheté nous acceptons de laisser se détériorer. Il disait que nous étions mis en condition et que le reste n’était fait que pour nous effrayer, nous conditionner, pour nous donner l’envie irrésistible de lutter. Les films sur les atrocités communistes, les buffles rouges, autre symbole de la sauvagerie communiste. J’ai d’ailleurs remarqué au cours de la partie de chasse qu’il lui était quasiment impossible de tirer sur ces animaux, justement parce qu’ils étaient le symbole de ce qu’il admire en secret. D’ailleurs, lorsqu’il a tiré il n’en a même pas blessé un seul.
Le regard de Maxime croisa celui de Rosario et y lut la même stupeur. Il était impossible que la jeune femme ait trouvé seule de telles subtilités.
— Mais c’est hier au soir, lorsque Hugues Harlington a sauté sur la scène pour nous avertir que des éléments subversifs s’étaient glissés parmi nous, que je l’ai vu prendre peur. Il a cherché ma main pour la serrer convulsivement.
Non, c’était faux. Leurs mains s’étaient retrouvées d’instinct sans que l’un ou l’autre en ait pris la seule initiative. Elle mentait, mentait sous la montée d’une frousse incontrôlable.
— Lorsqu’il a quitté la salle des conférences, j’ai tout de suite pensé qu’il allait essayer de fuir. Il était fortement bouleversé et a perdu alors sa prudence habituelle.
Benito Rosario n’avait pas caché ses propres inquiétudes, ses révoltes indignées. Pourquoi ne l’accusait-elle pas lui aussi ? Pourquoi concentrait-elle toute sa rage de destruction sur lui seul ? Parce qu’il était l’un des suspects et qu’elle en était une autre ? Oui, c’était une explication plausible, mais qui le déprimait. Non, qu’il eût souhaité voir l’Italien mis en cause mais cette obstination avait quelque chose de fantastique.
— Vous a-t-il fait part de ses intentions une fois rentré en Europe ?
— Pas précisément, mais je suis certaine qu’il aurait cherché par tous les moyens à nuire au Dynamic Club.
— De quelles façons ?
— Par des racontars, peut-être par des articles de journaux. Il ne les aurait pas écrits lui-même, mais aurait fourni la matière à des journalistes de l’opposition.
— Pensez-vous qu’il appartienne à l’Internationale terroriste ?
Clara Mussan hésita. Mais au point où elle en était, pourquoi se serait-elle arrêtée en si bon chemin ?
— Pas directement, dit-elle.
— Que voulez-vous dire ?
— Je sais que sa femme appartient à une formation d’extrême gauche et j’ai rapidement eu la conviction qu’elle influençait grandement son comportement dans la vie.
Il ne se souvenait pas de lui avoir parlé de Patricia. Peut-être avait-il fait quelques allusions à son sujet, mais il admettait qu’une femme aussi intuitive que Clara Mussan ait pu en retirer beaucoup plus qu’il n’en avait dit.
— Donc, en fait il travaille pour cette formation d’extrême gauche ?
— Que ce soit conscient ou non, oui certainement.
Depuis le début, il attendait en vain un signe, un clin d’œil, une intonation qui le rassurât. Pouvait-il interpréter la réserve qu’elle formulait comme une tentative de cette sorte ? Il ne le pensait pas.
— Vous avez pleinement conscience vous-même de la gravité de vos propos ? demanda Benito Rosario qui jusqu’alors n’avait pas ouvert la bouche Votre témoignage est d’une très grande gravité, vous vous en rendez compte, j’espère.
— Me prenez-vous pour une menteuse ?
— Non, mais je trouve surprenant qu’ayant été la maîtresse du suspect vous mettiez tant de hargne à l’accabler.
Clara Mussan resta impassible, déterminée.
— Je suis chargé de la défense de Maxime Carel et vous n’avez rien fait pour me faciliter la tâche.
— Tout ce que j’ai dit est la stricte vérité, répliqua Clara Mussan.
Pour Maxime tout se détraquait et maintenant il se méfiait de Rosario. Ce dernier ne lui avait-il pas tendu un piège avec ses petits messages griffonnés qu’il brûlait tout de suite après ? Pourquoi le prévenir qu’il était là pour l’aider alors que dans le même temps il participait pleinement à cette mascarade terrifiante ?
— Eh bien, madame Mussan, je vous remercie, dit Pierre Montel. Vos déclarations ont été enregistrées et vous n’aurez pas besoin de comparaître devant le comité de vigilance. Vous voilà lavée de tout soupçon et je pense que dans quelques instants vous serez libre d’aller et venir à votre guise.
— Puis-je aller dans ma chambre ? Je n’ai pas pu prendre le moindre repos depuis hier au soir.
Etait-ce l’explication que Maxime attendait ? L’avait-on interrogée, harcelée durant des heures, l’empêchant de prendre une minute de sommeil ? Mais comment dans ce cas pouvait-elle être aussi fraîche, maquillée, porteuse d’une robe que la veille elle n’avait pas revêtue ? Clara Mussan mentait cette fois.
— Je pense que vous le pouvez.
Elle quitta la pièce et Maxime fut soulagé de la voir partir. Il était certain que si Montel l’avait poussée dans ses retranchements, elle aurait pu encore parler contre lui durant des heures. Il se sentait vidé, amer, dans l’impossibilité de réagir.
— Avez-vous quelque chose à ajouter, Carel ? demanda Montel.
Il secoua lentement la tête.
— Vous reconnaissez les faits ?
Mais il continua de secouer la tête.
— Je demande la permission de m’entretenir avec mon client, dit Benito Rosario d’une voix ferme.
Lui aussi prenait goût à son rôle d’avocat. Le salaud, dire qu’il avait failli marcher dans ses combines. Désormais, il ne pouvait plus se fier à personne. Il se retrouvait seul face à une machination incroyable qui se préparait à le broyer. Il n’avait même plus l’humour de traiter cette horreur de mascarade.
— Venez, lui dit Rosario, nous allons discuter ensemble dans un autre endroit.
Il se leva machinalement et le suivit.