Chose étrange, il avait fini par s’endormir sur son lit après s’être demandé s’il se déshabillerait ou non. Il s’était allongé, avait fermé les yeux. Il réalisa qu’on frappait à la porte de sa chambre, se souvint de tout.
— Puisque vous vous arrogez tous les droits, pourquoi pas celui de rentrer chez moi sans frapper ?
On insistait toujours et furieux il alla ouvrir, découvrit Benito Rosario.
— Je veux vous parler ?
Surpris, Maxime regarda dans le couloir, vit les deux hommes armés. Un Français et un Italien qu’il ne connaissait que de vue.
— Ils vous laissent aller et venir ?
Rosario fit signe d’être prudent, repoussa la porte. Tout de suite, il sortit de sa poche une page de carnet où Maxime put lire cette question incroyable : « Pensez-vous qu’il y ait des micros dans cette pièce » ? A quoi il répondit par un haussement d’épaules.
— J’ai accepté de vous défendre, dit l’Italien.
Maxime le regarda avec suspicion :
— Me défendre ? Vous voulez dire, comme le ferait un avocat ? Donc, vous entrez dans leur jeu… Je refuse de répondre !
— Du calme, mon vieux, du calme… Je n’ai trouvé que cette solution pour venir vous parler.
— Elle est exécrable. Vous justifiez leur folie imbécile… Mais bon sang, Rosario, dites-moi qu’il y a en bas des hommes et des femmes qui ont gardé un peu de bon sens !
Secouant la tête, Rosario alla jeter un coup d’œil par-dessus la balustrade du balcon, aperçut les deux hommes de garde et retourna dans la chambre.
— Vous n’êtes pas le seul suspect…
— Bon sang, Rosario, essayez de raisonner avec lucidité… Vous n’allez pas vous faire le complice de cette mascarade…
L’Italien s’assit devant une petite table, sortit son calepin de sa poche, écrivit quelque chose dessus.
— Nous devons chercher ensemble la meilleure façon de présenter vos arguments.
En même temps Maxime pouvait lire : « Micros possible. Attention. Bien sûr, je ne marche pas avec eux. Je savais qu’il se passerait quelque chose d’aussi extraordinaire. »
Maxime le regarda fixement.
— Vous saviez ? souffla-t-il.
Rosario sortait son briquet et faisait brûler la feuille.
— Mme Montel affirme qu’elle vous soupçonne depuis longtemps de jouer un double jeu et d’espionner le Dynamic Club au bénéfice de l’Internationale terroriste. Votre femme appartient-elle vraiment à un mouvement trotkyste ?
— Elle a appartenu autrefois, mais depuis elle ne milite plus.
— Toujours cette Mme Montel affirme que votre femme vous influence terriblement, que vous êtes en quelque sorte possédé par son comportement profondément érotique. Je m’excuse, mais ce sont exactement ses paroles.
En même temps il écrivait rapidement d’une petite écriture serrée sur son calepin, détachait la page et la glissait sous les yeux du Français.
— Cette femme est refoulée ou quoi ? répondit Maxime tout en prenant connaissance du billet :
« Il y a eu d’autres séminaires semblables à celui-ci. Ils se sont mal terminés pour un Italien, un Espagnol, un Portugais. Un agent du Trésor américain a également trouvé la mort dans l’affaire, car il avait fait des découvertes importantes. Sachez une chose et pensez-y toujours, quoi qu’il arrive : les gens sont conditionnés, amenés à un point d’hystérie générale. On va leur offrir une victime. Ce peut être vous comme les cinq autres. Le but est d’en faire les complices d’un crime pour plus tard avoir mainmise sur eux. Ne tombez pas dans le piège. Refusez d’être la victime. Ne vous prêtez pas à leurs manœuvres. Surtout (Rosario avait souligné le mot), surtout n’essayez pas de fuir. Vous ne feriez que leur offrir ce qu’ils attendent, une chasse à l’homme. »
Maxime fut obligé de relire le billet puis, saisit le stylobille pour écrire au dos : « Comment savez-vous cela ? »
— Si vous me parliez de votre femme, demandait l’Italien à voix haute.
— Je refuse de mêler ma vie privée à ces sottises.
— Comment voulez-vous que nous progressions si vous refusez tout en bloc ? Je dois vous défendre.
— Je n’ai pas besoin de l’être.
En réponse, il demandait à son compagnon qui il était et comment il savait tout ce qu’il écrivait. Rosario secoua la tête et brûla le papier comme il l’avait fait auparavant.
— Avez-vous des sympathies de gauche ?
— Ça ne regarde que moi.
Rosario soupira bruyamment :
— Faites un effort.
— Je refuse… Je vous prenais pour un ami et vous n’êtes pas plus équilibré que les autres.
— Je cherche à vous aider, dit Rosario qui dissimulait un sourire. Pourquoi avez-vous truqué vos réponses au formulaire du Club ?
— Quel formulaire ? Celui de mon admission ?
— Non, celui de l’hôtel Sheraton-Russel. Vous savez bien ce que je veux dire.
— Je n’ai rien truqué !
— Vos réponses ne correspondaient pas tellement à vos idées personnelles.
— Qu’en savez-vous ?
— Hugues Harlington s’est renseigné auprès de votre société parisienne. Vous avez triché sur au moins la moitié des questions… Par exemple, vous ne cachez pas votre hostilité à l’internationalisation de votre entreprise. Vous seriez plus nationaliste que vous ne semblez l’admettre. Il y a d’autres réponses fausses.
— Je n’avais pas le droit ?
— Pourquoi désiriez-vous venir ici ?
— Pour rester huit jours entiers aux U.S.A. Je n’avais pas envie de rentrer à Paris.
— Raison sentimentale ?
— Je ne crois pas.
— Vous feriez mieux de répondre affirmativement. Je pourrais baser toute ma défense là-dessus.
— Et mettre en cause une jeune femme ?
Il se leva, alla chercher sa boîte métallique de Wilde Havana. Rosario refusa et il en alluma un.
— Je boirais bien quelque chose, dit-il.
— Je vais voir ce que je peux trouver.
Après avoir parlé avec un des hommes du couloir, il revint s’asseoir. Maxime avait écrit quelques mots sur une feuille de papier :
« Pour qui travaillez-vous ? »
— Vous refusez de mettre en cause cette personne ?
— Absolument !
— Alors quelles raisons donnerez-vous de votre désir de venir ici ?
— Je ne savais même pas ce qui suivrait si je répondais correctement à ce formulaire. Pourquoi voulez-vous que mon geste ait été prémédité ?
Rosario fit brûler le papier sans répondre. Sans répondre par écrit.
— Vous désiriez que votre femme vous accompagne ?
— Oui, mais on lui a refusé son visa. A cause de cette histoire de passé gauchiste très certainement.
— Vous le regrettez ?
— Oui, car je ne serais pas ici certainement.
— Vous n’auriez pas tout fait pour être admis à poursuivre le voyage ?
— Je n’ai pas tout fait…
On frappa et un des hommes du couloir, l’Italien, entra avec un plateau qui supportait deux verres et des bouteilles de bière et de jus de fruit.
Lorsque Maxime saisit une bouteille de jus d’orange, Rosario lui prit le poignet, se leva et le conduisit à la salle de bains. Il lui montra le lavabo, insista pour qu’il vide la bouteille dedans. Ensuite, il ouvrit le robinet d’eau froide. Maxime fronça les sourcils, but un peu d’eau.
Profitant du bruit que faisait le robinet Rosario lui glissa rapidement à l’oreille :
— Possible qu’on nous drogue.
Ils retournèrent dans la chambre.
— Votre femme n’aurait-elle pas souhaité venir ici ?
— Pourquoi ? Puisqu’elle ignore jusqu’à l’existence de cet endroit.
— Vous en êtes persuadé ?
— Absolument.
— Donc, vous ne seriez pas venu ici… C’est une chose que je puis utiliser à votre avantage.
— Je ne vous y autorise pas. Je ne veux pas être défendu, je ne veux pas comparaître devant ces gens qui se prennent pour des policiers et des juges. Je désire que l’on me permette d’aller et venir à ma guise, sinon je suis décidé à porter plainte pour séquestration abusive. Il y a des lois dans ce pays et elles sont sévères.
En même temps, il écrivait une nouvelle fois : « Pour qui travaillez-vous ? » Il avait la certitude que Rosario menait une enquête personnelle. Pour un pays ? Le sien ? Pour un parti ? Une organisation internationale ? Il voulait savoir à tout prix.
— Même si vous ne comparaissez pas, vous serez jugé. Votre attitude sera interprété comme un aveu.
— Un aveu de quoi ?
— D’une certaine culpabilité.
— Nous tournons en rond, dit Maxime, parce qu’au départ tout est faussé, truqué. Ce pseudo-tribunal est illégal. Vous le savez bien.
Rosario, une fois de plus, brûla la question écrite sans prendre la peine de répondre. Maxime fut pris d’une telle rage qu’il se leva et se dirigea vers le balcon.
— Aviez-vous l’intention de faire des révélations à votre retour sur ce que vous aviez vu ici ?
Maxime regardait la nuit, essayait de se dire que ces parfums de fleurs existaient bien, que ce n’était pas un rêve.
— Vous refusez de répondre ?
— Vous n’obtiendrez plus rien de moi.
L’Italien se tut et Maxime pouvait le voir dans la vitre ouverte qui faisait miroir en train de rédiger quelque chose. Puis il se leva et s’approcha.
— Ce pays est merveilleux, n’est-ce pas ?
Baissant les yeux, Carel put lire : « Ne mélangez pas tout. Je ne puis vous répondre pour des raisons de sécurité. »
— Devons-nous prolonger cette conversation ?
Il souhaitait ardemment que Rosario reste auprès de lui. Il appréhendait le moment où il serait seul dans cette chambre, mais la logique voulait qu’il refuse en effet de discuter plus longuement.
— C’est inutile, dit-il. Je récuse tout en bloc.
— Bien, dit Rosario.
Une dernière fois il brûla le papier et Maxime remarqua alors qu’il recueillait les cendres dans la paume de sa main gauche et qu’il les vidait ensuite dans la poche de son veston. Il ne put s’empêcher de sourire. On était en plein mélodrame d’espionnage.
— Bien, je vous quitte.
— Va-t-on encore m’importuner ?
— Je l’ignore, mais essayez de dormir.
— Les autres suspects ont-ils accepté leur « avocat » ?
— Je l’ignore… Je me suis présenté spontanément, car nous avions sympathisé, mais il est possible que les autres n’aient pas suscité de gestes similaires. Bonsoir, mon vieux, et essayez de réfléchir. Il ne sert à rien de vous buter. Vous vous trouvez dans une situation extraordinaire, certes, mais vous ne pouvez rien contre elle.
— Vous me conseillez de jouer le jeu ?
Rosario cligna de l’œil en secouant la tête.
— Pas exactement. Mais je vous demande de vous intégrer pour ne pas accroître la suspicion qui vous entoure.
— Merci.
Lorsqu’il vit Rosario disparaître, il fut pris d’une véritable crise de désespoir et se jeta sur son lit.