CHAPITRE X POIL AUX NEZ ! POUDRE AUX YEUX !

Y a Pavarotti qui chante O Sole mio à pleine vibure. Sa voix de « centaure » (Béni dixit) file une monstre branlée aux vitres d'alentour. Au milieu de ce mélodieux vacarme, M. Van Lamesche, le fondé de pouvoir de la Banque Industrielle pour le Développement de l'Economie Italo-Maltaise signe le courrier que lui présente son accorte secrétaire. De sa gauche, il devait lui trifougner le slip car, lorsque nous entrons, elle a l'arrière de sa jupe étroite remonté significativement.

Agénor Van Lamesche (d'origine flamande probablement) est un quinqua blondassu, au regard strabismé. Calvitié du dessus, il compose avec la vingtaine de tifs qui lui végètent sur la coupole, les alignant et collant avec application.

Il nous frime d'un regard en chanfrein par-dessus le book aux pages buvardées percées d'un trou central. La secrétaire, pas joyce qu'il lui abandonne le caramel pour recevoir des perdreaux, nous visionne sans joie et mon sourire ensorceleur ne lui fait pas davantage d'effet que le dernier numéro de l'Événement du Jeudi à un gardien de lamas de la cordillère des Andes.

Van Lamesche coupe la radio, achève de distribuer ses paraphes, referme le livre et le tend à la môme.

— Merci, Nicole.

La fille se casse avec toujours sa jupe retroussée, mais elle ne le sait pas encore et son boss n'ose pas l'en prévenir devant nous, sachant bien qu'on a pigé le topo.

Gêné, il nous désigne deux fauteuils de cuir pivotants, en forme de tulipes.

— Prenez place, messieurs. Que puis-je pour vous ?

Je fais un signe à Plâtroche, et mon collègue présente les pièces nous constituant en commission rogatoire.

Van Lamesche les consulte et approuve.

— A votre disposition, messieurs.

Le mec Plâtroche, je te signale en passant, a perdu sa superbe et son triomphalisme. Faut dire qu'il y a eu grande réunion à la Rousse, ce morninge, et que Mister Achille y a développé la crise la plus spectaculaire de cette décennie. Sa balade nocturne au quart ne l'a pas rendu joyce, le big boss ! Comme humiliation, ça se pose-là. D'autant qu'ils l'ont pris pour un jobastre, les archers, quand il leur a expliqué sa nudité par le fait que le président de la République lui avait embarqué son pardingue par inadvertance !

Tu frimes la bouille des bourdilles quand il leur a raconté l'historiette ?

En arrivant à la Grande Taule, ça été le monstre rassemblement dans la salle des conférences. Il est sorti de ses gonds, le dirluche. Les a traités d'empaffés, mes doux confrères ! De débiles mentaux ! Il voulait les expédier en France profonde, mais y avait rien d'assez loin pour assouvir ses rancœurs. Nouméa, la Guadeloupe, Tahiti ! Il ne voulait même pas envisager, because le soleil transforme ces postes en vacances payées. Le Périgord ? Trop pittoresque. Trop de foie gras ! Son cul ! Il allait chercher des coins pas racontables, dans des banlieues de banlieues pleines de suie et de merde, là qu'il flotte toujours et que chaque habitant est alcoolo à en pisser de la bibine ou de la vinasse. Il allait se mettre en quête des postes maudits, potasser la liste noire, qu'ils en chient pendant des années ! Plâtroche et le principal Delachiace en avaient des nausées de l'écouter. Ils étaient si pâles que leurs frimes, t'aurais dit du papier-cul pour bébé !

Pour finir, le Vénérable m'a désigné, dans ma gloire d'ostensoir au soleil.

— Voilà celui qui va prendre les opérations en main.

San-Antonio, bande d'idiots ! Le seul véritable flic que compte cette Maison où s'illustrèrent jadis tant de gloires policières ! Il a carte blanche ! Je me fais bien comprendre ? On me reçoit cinq sur cinq ? Carte blanche ! A compter de tout de suite, vous êtes sous ses ordres. Faites-lui un rapport sur les maigres éléments que vous avez pu rassembler et attendez ses directives ! J'ai dit !

Comme ça il leur a causé, l'homme au talon. Et je te reproduis pas l'intonation ! Je te gomme les malsonnances, les termes flétrisseurs. Quand il s'est tu, le boss, il avait vieilli de dix piges. Il a porté la main à sa poitrine, comme les infarctus de cinoche ; tout le monde a plus ou moins espéré qu'il allait nous défunter devant, tout de go. Mais il s'est repris. Plus ou moins bien. Il gardait une tronche d'oryctérope. T'avais le sentiment qu'il devrait se nourrir exclusivement d'insectes, doré de l'avant (comme dit Béru).

Il a chuchoté :

— C'est terrible d'être un chef ! Foch n'était qu'un branleur de merde en comparaison de moi !

C'étaient des pets de lapin. Tu y trouvais des renseignements sur l'identité des quatre morts, l'endroit où ils vivaient, leurs occupes, tout ça, mais rien de très croustillant. L'associé de la multifiduciaire était marié, père d'une grande fille qui faisait pharmacie, et il collectionnait les vieilles M.G. ; la dame Crépelut Mathilde, la secrétaire, était divorcée sans enfant, elle créchait à Fontenay-aux-Roses dans un pavillon de meulière, en compagnie de sa vieille tante délabrée ; quant à Maryse Brissardon-Bonblanc, la seconde épouse de Jean Bonblanc, elle vivait dans une résidence de Cannes, mais se trouvait à Paris depuis deux jours quand elle avait été assassinée. Elle était « montée » pour consulter un avocat, relativement au rajustement de sa pension. Elle appartenait à un cercle de bridge cannois auquel elle consacrait le plus clair de son temps (je devrais écrire le plus « clerc », compte tenu de son tempérament chicaneur — ou chicanier). C'était une femme aigre qui ne paraissait pas avoir de liaison.

Le seul intérêt du rapport concernait la manière dont ces quatre personnes étaient mortes. Selon les expertises médicales, un homme (probablement masqué) s'était introduit dans le salon pendant la réunion des quatre, armé d'un pulvérisateur d'acide cyanhydrique et les avait supprimés en leur vaporisant la bouche. Il avait dû agir avec promptitude car aucune trace de lutte n'apparaissait. Le fait qu'il fût masqué avait probablement paralysé d'effroi les assistants, peut-être même s'était-il servi d'un pistolet pour les braquer ?

On ne retrouverait aucune trace de l'assassin. Il paraissait avoir surgi du néant et s'y être englouti, son forfait commis. Il faut dire aussi que l'immeuble compassé des Bonblanc, avec un locataire par étage, était désert, surtout le soir. La gardienne avait sa loge dans un renfoncement du rez-de-chaussée et il fallait pratiquement la chercher quand on avait besoin de renseignements.


Mais bon, je t'informe et laisse en carafe le sieur Van Lamesche, alors que nous sommes là, posés devant lui, à exciter sa curiosité.

J'attaque (au tac) :

— Monsieur le directeur, vous aviez pour client le dénommé Jean Bonblanc, récemment décédé.

— Ne m'en parlez pas ! Vous avez vu ces assassinats à son domicile, le soir de sa mort ?

— J'ai vu, de mes yeux vu !

— II était client si l'on veut. Il n'avait pas de compte bancaire chez nous, se contentant seulement de nous louer un coffre.

— Mais tout de même à ce titre-là, metté-je-les-points-sur-les-hisse.

— En somme, oui, cède Van Lamesche.

— Avait-il donné procuration à quelqu'un, concernant l'accès à son C.F. ?

— Je vais me renseigner.

Il téléphone à Georges Lacosse, le chef de la section coffiots, le prie de se munir de tout ce qu'il possède relatif à Jean Bonblanc et de ramener sa couenne dans les meilleurs délais.

Très peu après cet ordre, un petit chauvâtre maigri-chu, avec une moustache qui renâcle (mais il tient à la laisser pousser quand même, histoire de corriger sa surface de con) entre furtivement, tel un rat dans une église pendant l'élévation. Il salue du chef et du buste à la ronde et contourne le bureau directorial afin de remettre au fondu de pouvoir un dossier et fichier de bois.

— Merci, Lacosse.

— De rien, monsieur le directeur.

Van Lamesche compulse le dossier qui fait répertoire alphabétique. Il bourdonne du pif. Mouille son index. Tourne les pages. Son ongle dévale une colonne.

— Sans procuration, messieurs, finit-il par déclarer.

Il propose :

— Vous intéresserait-il de connaître les dates auxquelles M. Bonblanc Jean a visité son coffre ? Vous savez que chaque fois qu'un client descend, il remplit et signe une fiche où est mentionnée la date, son heure d'arrivée et son heure de départ.

— J'allais précisément vous entretenir de la chose, monsieur le directeur, m'empressé-je. J'aimerais que vous nous confiiez les fiches qui concernent ce brave homme ; bien entendu, le commissaire Plâtroche, ici absent, vous établira une décharge.

Ainsi est fait.

Je joue le premier rôle de « Cassos », avec une demi-douzaine de fiches bristolées en fouille. J'ai comme une allégresse sournoise. Nous sommes tous des enfants de butin et le mien me comble d'aise.


Tu t'en souviens, je suis resté longtemps en froid avec Mathias, le rouquin ? Il s'est biché la grosse tronche lorsque, sur mes instances, on l'a nommé directeur du labo et je l'ai expédié aux bains turcs. En outre, sa bonne mégère, soucieuse de le rendre jaloux, je suppose, lui a fait croire, y a pas lurette, que j'étais son amant, allant jusqu'à s'écrire à elle-même des babilles signées de mon nom ! Tout cela, comme la petite vérole au début du siècle, laisse des traces indélébiles (et débiles). Alors, depuis, on a l'amitié toute grêlée, comprends-tu ? On se parle pour les besoins du service, mais à voix morte et sans se regarder. Pourtant, autrefois, on a vécu des moments choisis, les deux ! Des expéditions pas communes ! Des péripéties qu'à côté d'elles, les feuilletonneries ricaines sont chiantes comme des prospectus pharmaceutiques.

Je toque à son bureau-labo.

— Entrez.

Il est en costar, avec nœud pap, mais il passe une blouse blanche amidonnée par-dessus ; style grand patron ! Joliot-Curie au labeur.

— Ah ! commissaire, quel bon vent ? jette-t-il avec le ton qu'on prend pour informer un représentant en pinards que sa cave est pleine.

— Besoin de vos lumières, môssieur le directeur du laboratoire de police technique.

Il se radoucit :

— Elles vous sont acquises, mon cher.

J'aimerais pouvoir balancer un gros pet à la Béru, mais ce sport dangereux n'est pas à la portée de tous les anus.

— Délicate opération en trois parties, monsieur le directeur du laboratoire de police technique. Primo, voici quelques fiches de banque. Elles portent toutes la même signature, mais est-ce la même main qui a tracé ces sept paraphes ? Secundo, je vous remets cet agenda dont je sais déjà qu'il comporte deux écritures différentes. Dans l'hypothèse où les signatures portées sur les fiches ne seraient pas de la même personne, peut-on vérifier si les « intruses » correspondent à l'écriture numéro 2 de l'agenda ? Troisio, voici une banale note, écrite à l'usage d'un livreur. A-t-elle été rédigée par la deuxième personne qui s'est manifestée dans l'agenda ? Tout cela est-il clair, monsieur le directeur du laboratoire de police technique, ou bien dois-je répéter ?

Mathias, c'est une tête de haineux, mais il pige rapido. Connard mais intelligent, si tu me comprends. Minable, mais hautement qualifié. Certaines gens ne vivent pas seulement de leur métier, mais par lui !

— Je suppose que vous êtes pressé, commissaire ?

— Terriblement pressé, mais si vous ne me donnez les réponses à mes problèmes que dans une heure, je saurai attendre, monsieur le directeur du laboratoire de police technique.

Il sourit jaune. Dame, rouquin à ce point !

— Madame votre épouse va bien, monsieur le directeur du laboratoire de police technique ? hasardé-je.

Là où le bât le bâtonne !

— J'ai de gros problèmes avec elle, murmure-t-il. Elle nous fait un délire érotique, figurez-vous, et se jette sur tous les hommes qui passent à sa portée, depuis le garçon boucher jusqu'au syndic de l'immeuble. Un psy que nous avons consulté pense que ce sont ses dix-huit maternités qui l'ont perturbée. Un rejet ovarien ! Son subconscient lui demande de compenser les cent soixante-deux mois durant lesquels elle a été « porteuse », par une frénésie sexuelle. Pauvre chère âme ! La plus sérieuse des épouses. Grande chrétienne, femme d'abnégation et de courage…

Deux larmes donnent du brillant à ses taches de son.

— Je suis très malheureux, monsieur le commissaire. J'aimerais que vous me pardonniez ma conduite passée, consécutive à la griserie d'une promotion accélérée.

— On n'en parle plus, monsieur le…

— Oh ! non, plus de titre. Tutoyez-moi comme « avant ».

— O.K., Rouquemoute !

— Merci ! Vous ne savez pas ? Je m'attaque immédiatement à ces documents. Si vous voulez bien vous installer dans ce fauteuil, je vous donnerai une pré-expertise dans la foulée.

— Banco !

II se précipite, lesté de mes fafs, sur un microscope gros comme une pompe à incendie.

Tandis qu'il usine, le grabouilleur flippe.

— Tu veux que je décroche, Rouillé ?

— Ce serait gentil, monsieur le commissaire, répond-il d'un ton vaporeux, car il est embarqué dans ses examens et chez lui, c'est toujours du sérieux.

Alors je chope le manche du turlu. L'organe du standardiste :

— Je vous demande pardon, monsieur le directeur, on me dit que le commissaire San-Antonio se trouve chez vous.

— La preuve ! réponds-je en claironnant du timbre.

— Je ne vous avais pas reconnu, s'excuse le standardiste.

— Probablement parce que je n'avais encore rien dit ! suggéré-je.

Et qui vient s'installer dans mes cornets acoustiques ? Béni ! Une voix mélécassistique, indice d'une nuit orgiaque. Il se ramone la descente, glaviote dans la cabine du bureau de poste de Saint-Locdu-le-Vieux (ou celle de Saint-Locdu-le-Petit) et attaque :

— C'est ta pomme personnellement, mec ?

— Au grand complet.

— Faut qu'j' te vas signaler un nélément nouveau dont je sais duquel il va t'intéresser.

— A quel sujet ?

— La sauteuse de l'air ! Pour tout t' apprend', côté amour, c't'une forcenée ; une tout-terrain. C'morninge, pendant qu'j'allais en loucedé tailler un morceau de cul à mon cochon pourbouffer au déjeuner, elle a t'été r'joind' Louisiana dans flot' plumzingue et ces d'moselles s'est payé une monstre partie d'jambons, plus sustancielle que la mienne, vu qu' mon goret, j'ose pas lu prélever des biftecks trop conséquents tant qu'il est vivant.

— Des « biftecks de porc », ricané-je, c'est rarissime, Gros.

— C'est p't'êt' rarissime, mais c'est fameux ! assure le Maousse. Brèfle, t'j' disais donc que mes péteuses s'offrent une partie de tarte aux poils en double. La grande, j't' prille d'agréer qu'elle aime ça autant qu' ma biroute format travalieur d'force ! Moi, moustillé, j'veux interviendre av'c mon goume, mais ces garces me rebuffent comme deux salopes ! A coups de pompes dans les couilles, si tu voudras savoir ! Ell' voulaient rester entr' elles pour la dégustation d' gigot ! Une lubie ! En un instant, la rapière à Béru, c'tait dev'nu moins qu'une carte de meilleurs vœux, style « dites-z'y av'c des fleurs.

« Ça m'a vexé et, pour leur faire chier les ébats, j'ai branché la radio à fond. ElI' se groumaient l'trésor av'c tant d'importation qu' ça les a pas arrêtées. Et pis, v'là qu'ils donnent les infos, Y causent d'la Chine, de ceci, c'la, puis du quadrature crime de Neuilly, et enfin y signalent la mort suce-pet à Beauvais d'un vieux r'traité, l'père Torcheton, qu'aurait p't'être été zingué par une hôtesse de l'air qui lui aurerait rendu visite, tout ça.

« A c't'instant, la môme Edmée cesse de déguster l'Chemin des Dames à Louisiana. ElI' me pousse un grand cri et s'fout à chialer à torrents. Si fort qu'elle étouffait, même qu' j'ai cru qu'elle avait un poil d' chatte dans la gorge. Ils sont tellement frisottés, ces cons-là, quand on en avale un, merci bien ! Pour s'en décamoter le laryngologue, bernique ! »

— C'est l'annonce du décès d'Alexis Torcheton qui lui causait ce gros chagrin ?

— Exaguete, mec ! Et sais-tu-t-il pourquoi ?

— Pas encore, mais c'est imminent.

— C'était son grand-père, Tonio.

Là, il m'en bouche quatre coins, le mutilateur de porc. Torcheton, le grand-père d'Edmée Lowitz ? Mais il prétendait à Amélie Lesbain qu'il n'avait pas d'héritiers !

Je gamberge comme tu laisses se dévider le moulinet quand un gros poiscaille a mordu l'appât. Torcheton n'avait qu'une fille, que je sache. Celle qu'a épousé Jean Bonblanc et qui est morte dans l'incendie de sa maison, jadis… Alors, ils auraient eu un enfant, la morte et lui ? Ça se serait su ! Là, le mystère coagule de plus en plus. Devient béton en train de sécher. On s'y engloutit dans ce pastaga. Mes cellules vont s'écraser comme du caviar pressé ! Tu vas bientôt me retrouver dans une petite charrette, gâteux, la morve au nez, la bave aux commissures, suintant de partout !

— T'es là, l'artiss ? s'inquiète Queue d'âne.

— Oui, oui… La fille t'a expliqué comment elle se trouve être la petite-fille du pendu de Beauvais ?

— Non. Elle m'a just' dit que Torcheton était son grand-dabe. J'ai couru t'préviendre. On n'a pas encore l'biniou à l'institu, malgré la d'mande dont j'ai fait aux pétés. J'sus au Café Martinet, su' la place ; maint'nant y s'appelle Café Longins d'puis qu' la fille Martinet, Aglaé, a marié c'con de Babylas et qu' Ies parents Martinet sont morts. Aglaé, sa manie, c't'ait que j'm' l'astique entr' les seins d' sa poitrine. Elle pressait ses loloches autour d'mon panais, j'croive qu'ell' craignait d'êt' enceintée. J'lu déburnais su' I'pla stro, tant et si fort qu'à la longue, il y est poussé des poils, comme à un homme, à force d'y larguer des zormones mâles ! Marrant, hein ! Ben eIl' est laguche, Aglaé. Toujours appétissante ! Tiens, ell' d'vine qu'j'cause d'elle et m'fait d'l'œil, la salope ! Tu veux parier qu'j'la rambine ? Mais c'te fois, j'la plombe dans la moniche. Y a plus à s'gêner du moment qu'elle est manda.

— Béru, soupiré-je.

— Moui, mec ?

— Faut que tu m'entreprennes sérieusement l'hôtesse de l'air. Tu la fais au zob, à la colle forte, ou au sérum de vérité, mais tu dois tout apprendre de ses origines dans les meilleurs délais, c'est compris ?

— Avant la fin de d'la journée tu pourras grimper comme un sapajou dans son arb' géologique !

On se quitte.

Provisoirement.

— Ça se décante, monsieur le commissaire, murmure l'Embrasé, l'œil rivé à son microscope.

— Déjà ! me réjouis-je en m'approchant (deux actions qui ne sont pas antinomiques, contrairement à ce que prétendait M. Raymond Barre, à l'époque où il faisait de la politique).

Le Flamboyant saisit l'une des fiches.

— Si on les classe par dates, on peut considérer que celle-ci est l'avant-dernière. Sa signature ne correspond pas à celles des autres. Certes, elle est parfaitement imitée, par quelqu'un qui connaissait bien l'original et qui s'est beaucoup exercé car le trait est sûr, mais il s'agit d'un faux !

— C'est ce que j'espérais entendre, Mathias. Bravo ! Et pour le reste ?

— Prenons l'agenda. Il est effectivement visible que deux personnes ont écrit dedans, mais là, la seconde écriture n'est pas déguisée. A noter au passage, commissaire, que cette dernière est réservée à des rendez-vous d'ordre domestique concernant principalement le village de Glanrose. Vous m'avez demandé enfin s'il se pouvait que l'auteur du faux paraphe de la fiche fût le même que celui de l'écriture № 2 de l'agenda. Je vais potasser la chose, mais a priori, si je me réfère au test de Bougnazet et à celui de Tulapile, je penche pour l'affirmative.

— Merci, Blondinet. Tu restes unique dans ton drôle de genre !

Je lui presse sa main entre les deux belles miennes. Il exécute un remerciement puis, tout de go, me dit :

— Commissaire, j'ai une immense faveur à vous demander.

— Accordé ! magnanimé-je.

— C'est délicat.

— Alors, mon acceptation n'en aura que plus de valeur pour toi !

— Cela concerne mon épouse…

— Eh bien ? commencé-je d'être inquiet.

— Quand nous parlons, elle et moi, de ses crises de débordements physiques, elle me répond sempiternellement qu'elle est amoureuse de vous et que c'est vous qu'elle recherche dans des étreintes de passage.

— Allons donc ! balbutié-je, embarrassé.

— Vous êtes son fantasme, commissaire. Il me semble qu'il n'y a qu'un seul moyen de l'en guérir : ce serait que vous couchassiez avec elle, une bonne fois et que vous la déceviez.

Un lent frisson me démarre de l'extrémité des orteils, remonte le long de mon tibia en crispant mon mollet, se glisse entre mes cuisses musclées jusqu'à mes testicules qu'il cerne d'un trait de feu, va s'attarder dans mon rectum avant de partir à l'assaut de ma moelle épinière.

Je la vois, sa mégère, Mathias. Une petite aigrelette à peau jaune, au regard pas gentil, au nez pointu et qui pue de la gueule comme un anus de truie. Je m'imagine en train de la tirer, la donzelle, remontant sa voie royale pour lui minoucher la case délices. Son triangle de panne, j'ose pas l'imaginer ! Clairsemé, rêche, d'une vilaine, couleur vénéneuse.

— Ecoute, Rouquemoute, ta propose me va droit au cœur, mais…

Il enfle sa voix, l'engage dans le pathétique :

— Vous me l'avez promis, commissaire !

Ah ! l'étrange requête ! C'est exact : je lui ai signé un chèque en blanc. Tant pis pour moi. Je ferai honneur à la parole donnée.

— D'accord, lancé-je, sitôt que j'aurai terminé cette difficile enquête, je traiterai ton épouse.

Il m'est reconnaissant de ce verbe traiter qui réduit l'acte adultérin à une thérapie nécessaire.

Il prend ma main, la porte à ses lèvres, la baise.

— Merci ! dit-il. Oh ! merci, merci et encore merci ! Commissaire, je vous revaudrai cela !


J'aime bien traîner Plâtroche dans mon sillage. Le vilain-pas-beau, devenu soumis comme un caniche, marche un demi-pas en arrière. Tout juste s'il ne s'arrête pas pour flairer les merdes de chien dont le beau Paname est tapissé.

En arquant vers l'immeuble des Bonblanc, je lui glisse ma façon de penser :

— Vous êtes deux branques, Delachiace et toi. Tu me dis qu'il est inutile de me rendre sur les lieux des meurtres, parce que vous avez relevé toutes les empreintes et tout passé au peigne fin ! Mais je suis convaincu que je vais y débusquer des trucs.

— C'est la vérité ! insiste Plâtroche. On y a accompli un boulot monstre ! Le grand jeu. Les meilleurs gars de l'Identité judiciaire, nous…

Il s'aperçoit que je ne l'écoute pas et la boucle. On engouffre. On grimpe. Y a les scellés sur la porte, mais je te les craque comme des noix véreuses.

— T'as pris les clés ?

Il les tire de sa fouille et déponne.

Nous pénétrons. Il referme. Et voilà qu'on s'immobilise dans le hall d'entrée. T'as déjà vu jouer Typhon sur la Jamaïque ? Moi non plus, mais ça devait ressembler à ça. Un second carnage dont, cette fois, seuls les objets sont victimes. Un appartementicide ! Tout est saccagé méthodiquement. Les meubles ont été vidés, puis brisés, les tableaux décrochés et lacérés, les fauteuils et les canapés éventrés, les tapis arrachés. Ça relève de l'entreprise organisée.

C'est pas un simple pégreleux qui peut se permettre des travaux de cette envergure. Et j'emploie le mot de travaux à raison, car un bordel aussi démesuré, ça rejoint l'action préparée et accomplie scientifiquement, par toute une équipe.

On mate. On écoute le silence de catastrophe ! Y a des ondes pompéiennes, hiroshimiesques. Ça te fout les boules ! Ta salive devient noyau de pêche.

Mon temps de stupeur accompli, j'entreprends la visite de l'apparte. Décombres ! Bris ! Eclats ! Charpies ! Le commando implacable ! Ceux qui sont venus savaient que la chose qu'ils voulaient s'approprier était ici, et ont tout entrepris pour la découvrir.

C'est ce que me dit Plâtroche, fin limier de ses fesses !

— Et ils ne l'ont pas trouvée ! conclus-je.

— Qu'en sais-tu ?

— Écoute-moi, Tête-de-zob. S'ils l'avaient dénichée, ils se seraient arrêtés de tout démanteler. Or il ne reste pas vingt centimètres cubes ou carrés qui n'aient été saccagés. Ou alors il faudrait conclure qu'ils ont mis la main dessus tout en bout de fouilles, ce qui serait un peu fort de caoua !

— Les scellés étaient intacts, détourne mon collègue.

— J'étudierai de près ce qui en reste ; je les ai arrachés sans les examiner. Tu n'ignores pas que des scellés, c'est théorique. Ça n'impressionne que les honnêtes gens, le plus tocard des malfrats sait leur passer outre ! Quand les avez-vous posés, au fait ?

— Hier après-midi.

— Donc, le sac de l'appartement a eu lieu cette nuit !

— Sans aucun doute !

— Fais venir du trèpe de la Maison Poulaga, on interroge tous les habitants de l'immeuble, tous le voisinage sur le boulevard et la bignole, naturellement ! Une équipe comme celle qui a sévi ici n'est pas passée « complètement » inaperçue, merde !

Il va au bigophone du salon. Pour ma part, je cherche la chambre de la frangine assassinée. C'est elle que je suis venu explorer. Note que les vandaux[7] m'ont facilité l'exploration car tout ce que pouvait contenir la pièce gît sur le plancher, pêle-mêle.

Alors voilà ton sublime Sana à croupetons, comme s'il se laissait pratiquer feuille de rose, déplaçant les objets un à un, en quête de ce qu'il espère sans que cela ait, dans son esprit, de forme précise. Je suis à la recherche d'accessoires, comprends-tu ? Non ? Tu piges pas ? Tant pis pour toi, c'est trop vague dans ma tronche pour que je puisse te développer l'idée. D'autant que je peux me gourer. Seulement, j'arrive à une période de mon enquête où il y a à la fois surchauffe et clarification dans mon bulbe, où les pressentiments prennent le relais, me guident ! Je cherche et je trouve. Deux éléments qui parlent d'évidence à ton Sana joli.

Frétillant comme le setter irlandais quand il vient de découvrir la grouse flinguée par son maîmaître, je radine au salon.

Plâtroche a raccroché. Les mains au dos, à la duc d'Edimbourg filochant sa rombiasse, il examine le tragique décor. Il remue ses lèvres sèches : il a soif, il est en manque de rosé d'Anjou.

Je dépose ma provende sur une table encore munie de ses quatre pieds par miracle.

— Qu'est-ce que c'est que ce ceinturon qui fait au moins vingt centimètres de large ? Et cette espèce de harnais avec des sangles de cuir ? s'inquiète mon chose-frère (dont le féminin est consœur).

— Le ceinturon écrase la poitrine et le harnais compose une bedaine, salanternéclairé-je.

— Comprends pas, révèle Plâtroche.

— Parce que plus con que toi, tu meurs !

— Merci de l'explication, renfrognit mon hélas collègue.

Alors cette pitié, mâtinée de charité chrétienne, qui m'anime et reste à l'état plus ou moins endémique dans mon cœur trop lourd, me pousse à le décurioser :

— Une bonne femme, sœur jumelle d'un mec bedonnant, veut se faire passer pour lui. Côté gueule, il n'y a que la chevelure à corriger ; mais côté tronc, elle doit gommer ses vieilles mamelles tombantes et s'affubler d'un faux ventre puisqu'elle est à peu près plate. On est à l'unisson, maintenant, fleur de crêpe ?

— Tu veux dire que la frangine se faisait passer pour Jean Bonblanc ?

— Elle l'a fait une fois au moins, afin d'avoir accès à son coffre de la banque. Sa voix de rogomme a dû la servir. Et sans doute a-t-elle conservé son chapeau car le père Bonblanc faisait un peu maquignon endimanché, si j'en crois son cadavre.

« Donc, ayant appris à imiter sa signature (et des jumeaux ont des dons naturels pour cultiver leur mimétisme), ça ne lui a pas été difficile de se faire ouvrir le coffiot. Elle s'est contentée d'y placer la bafouille dont je t'ai parlé. »

— Pour quelle raison ?

— J'ai des perspectives. Des hypothèses d'école, comme disent tous ces cons depuis un certain temps. Ma matière grise est délimitée de qualité supérieure, Plâtroche, force m'est de le dire, ma modestie dût-elle en souffrir.

— Alors, expose, génie de la Bastille !

— Point encore, laisse-moi fureter dans cet appartement dévasté. J'ai l'impression, non pas de procéder à une perquise, mais de faire les poubelles.

— Tu veux que je t'aide à chercher ?

— Trop difficile.

— Pour quelle raison ?

— Parce que j'ignore ce que je cherche.

Et alors, je vais glaner. Quand j'étais môme, on arpentait les champs de blé fraîchement moissonnés, ma grand-mère et moi. On se piquait les chevilles avec le bas des tiges. On ramassait les épis ayant échappé à la botteleuse. C'était émouvant de prendre à la terre cette écume de récolte. On arrivait à confectionner au bout du compte une énorme gerbe qu'on allait ensuite secouer dans le poulailler. Les cocottes s'en faisaient péter le gésier de tout ce grain noble et pur qui les changeait du mélange acheté chez M. Monfagnon l'épicier.

Et alors, dans l'appartement des Bonblanc, me voilà redevenu glaneur. Courbé bas, comme sur une toile de Millet, je cherche ce que les pillards ont bien voulu me laisser, soit que cela leur ait échappé, soit que ça ne les ait pas intéressés, eux ! Et je découvre des choses, effectivement. Des choses insignifiantes en apparence, mais qui revêtent un intérêt pour moi, parce qu'elles confortent mes doutes, structurent mon postulat, comme on dit dans la belle presse. C'est menu, imperceptible, apparemment insignifiant comme une pièce de puzzle d'une seule couleur et sans motif qui appartient à un aplat figurant la mer ou une prairie, voire le ciel. Seulement, elles s'emboîtent. Et le commissaire Cent-ans-de-tonneau chemine. Sa pensée va l'amble, levant simultanément les deux pattes du même côté ! Bientôt il va caracoler.

Taciturne, Plâtroche me défrime, à distance, mi-écœuré, mi-sceptique. En tout cas assoiffé de fond en comble. Il me tient pour un zozo, mais pour un zozo inspiré. Un poulet qui tourne le dos aux méthodes enseignées à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or[8], qui tire à hue, qui baise à dia, mais qui parvient au poteau d'arrivée avant les autres, malgré tout, ça se respecte.

Soixante minutes plus tard, ayant réuni mes « épis » dans un sac de plastique déniché dans les décombres de la cuisine, je me dirige vers la sortie. J'ai oublié Plâtroche, lequel me trottine au lion en bêlant :

— Je dois remettre les scellés ?

Ça me fait hausser les épaules.

— Est-ce qu'on pose les scellés sur une boîte à ordures ?

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