CHAPITRE III QU'ALLAIT-IL FAIRE DANS CETTE GALÈRE ?

Pour moi, le mystère, c'est comme la soupe ; pour que je l'aime, faut qu'il soit épais. Te dire, dès lors, si je suis à mon affaire !

Une historiette de ce calibre, j'en avais pas encore dégusté.

Tu juges ? Je te récapitule. Un « brave » sexagénaire trouve dans le coffre de sa banque une lettre absolument folle par laquelle un gonzier lui propose d'allumer les gens qui le gênent. Le sexophoniste en meurt de saisissement peu après, en dégustant la chattounette de Miss Gladys. Il a sur lui un interrogateur permettant d'écouter à distance les messages laissés sur un répondeur téléphonique dissimulé dans une masure croulante, dont le propriétaire est mort depuis sept ou huit ans. II trouve deux appels dans l'appareil, l'un d'une certaine Edmée annonçant que « le type de Bruxelles » a annulé son voyage. L'autre est du fameux D.C.D. qui, pour « amorcer » son hypothétique client, l'informe qu'il va lui liquider l'une des personnes gênantes de sa vie. Moi, je sais pas ce que tu en penses, mais si tu ne trouves pas que ce bigntz constitue de l'extrait d'énigme, arôme arabica, c'est que t'es tout juste bon à lire ce qu'il y a d'écrit sur tes vingt centimètres de papier hygiénique quand tu les as utilisés.

On perçoit un glissement menu, et voilà qu'un gaspard gros comme un chat castré traverse la bicoque pour enquiller une fente du plancher. Ça nous réagit, cette vilaine bestiole.

— C'est chié ! finit par déclarer M. Blanc, lequel, nonobstant son vocabulaire abondant, use exagérément de ce terme pour traduire ses émotions fortes.

Il ajoute :

— C'est vachement chié !

— Effectivement, renchéris-je, la vie de feu Jean Bonblanc ne devait pas ressembler à celle de saint François de Sales. Cet appareil téléphonique clandestin en est la preuve ; de même que ces « gens nuisibles » auxquels fait allusion D.C.D. dans ses messages écrits et téléphonés. Il va falloir déterminer par quel tour de force le vieux cantonnier Jean-Baptiste La Goyet continue d'être titulaire d'une ligne téléphonique plusieurs années après qu'il ait quitté ce monde.

Je remets le tableau pieux en place. L'humidité en a gondolé le papier, mais le cœur radieux de Notre Seigneur continue d'irradier. Cette tache rouge éclaire la masure.

Jérémie regarde sa montre.

— On ne peut rien entreprendre ce soir, annonce mon pote ; il est plus de dix-huit heures et tout est fermé.

Pourtant il fait grand jour et le mahomed nous remet sa tournée. Juin, c'est le mois émouvant où les jours deviennent longs après les giboulées de mars, les crachotis d'avril et les premiers sourires de mai. Je regarde la route d'un blanc bleuté, l'horizon que les champs soulignent de vert et d'or. Tu dirais une mer végétale : les blés qui poussent, le colza, les haies dont certaines sont encore en fleurs…

— C'est juste, reprends-je, on ne peut plus faire grand-chose. Si nous allions rendre visite à Béru, en Normandie, puisque nous sommes sur la route ?

— Il te manque, ton gus plein de merde, note Jérémie en souriant triste.

— Il ne me manque pas, il m'inquiète. Ça me tracasse qu'il ait quitté sa mégère, son moutard, ses bistrots, le boulot, et nous par-dessus le marché, pour filer le parfait amour dans son bled natal.

— C'est le big love, lui et la petite Canadienne, ricane l'homme des Afriques.

— Il a eu d'autres coups de cœur, mais jamais encore il n'avait largué son univers pour retourner aux sources dans la ferme de ses vieux. C'est une grande première. Tu es d'ac' pour qu'on lui rende visite ?

— Puisque tu en meurs d'envie !


Une plombe et dix broquilles plus tard, on passe le panneau indiquant Saint-Locdu-le-Vieux. S'offre alors à nous un gros bourg normand, massif et paisible, dans l'or du soir qui pointe. Maisons à colombages, vastes granges débordant de matériel agricole, vaches dodues, nonchalamment couchées sous des pommiers, barrières de bois paraissant avoir été peintes par Boudin ou Corot ou tout autre gazier lécheur en mouillance de belle nature.

Ça sent bon la terre grasse, le fumier fertilisant, le cidre frais. La localité s'étale sur une colline opulente. Pour l'atteindre, nous avons traversé Saint Locdu-le-Petit, une sorte de bourgeon tardif, de dévalade issue de l'autre, donc plus récente. On est passés devant une fruitière moderne, des lotissements désobligeants, bâclés et cons ; qu'en banlieue, passe encore, la banlieue c'est la zone sacrifiée des concentrations humaines, le fourre-tout où voisinent, pêlemêle, les rêves à bon marché et les nécessités sociales. Mais ces clapiers dans la belle campagne de France me font grincer des fesses. J'ai honte de les voir proliférer de plus en plus, chancres de briques et de brac ! Déshonorance des nobles régions. Bras d'honneur à la nature complice ! Quand tu penses, qu'autrefois, le moindre artisan faisait de son outil de travail une œuvre d'art ! Rabots sculptés, houes ciselées, barattes élevées à la dignité de meuble ouvragé ! Et à présent la merde ! Formica, comblanchien (de garde), béton, aggloméré… Le bois n'est plus du bois, ni l'acier du fer traité. Aucune différence entre les habitations, les autos, les ustensiles divers. Tout plastique imputrescible, qui brave les millénaires. L'homme n'a vraiment su créer qu'une chose qui soit éternelle : ses ordures !

Et donc nous déboulons à la vitesse de 50 km prescrite par panneaux dans cette célèbre localité qui vit naître Bérurier Alexandre-Benoît (dit Béni, dit le Gros, dit le Gravos, dit l'Hénorme, dit l'Enflure, dit Sa Majesté, dit le Mammouth, dit le Mastar, dit Gradube, dit l'Infâme, dit Queue-d'âne, etc.).

Etant déjà venu en ces lieux réputés, je trouve sans peine la petite route blanche, à droite après la fontaine. Je passe devant l'épicerie Lamouille, puis devant l'antre du maréchal-ferrant (lequel s'est reconverti dans la vente des tracteurs sans modifier sa forge).

Deux ou trois maisonnettes semi-rurales, et on attaque la vraie parpagne aux tas de fumier fumants, sur lesquels chantent des coqs plus gaulois que nature. Des chiens obèses aboient sans conviction en tirant sur leur chaîne coulissante.

Je longe encore des pâturages, quelques champs de céréales, un boqueteau de chênes. Et puis la ferme des Bérurier est là, simple et belle de sa noblesse paysanne. Un vaste quadrilatère où, depuis que les bâtiments ne sont plus affectés aux travaux de la terre, l'herbe reprend ses droits imprescriptibles. La maison d'habitation se trouve au fond, dodelinante, avec un toit qui vermoule et des volets pareils aux pages déchirées d'un livre. Des hangars déserts à gauche, des écuries vides à droite. Une forte mélancolie se dégage de ces lieux en perdition.

Anachronique, ô combien, un calicot taillé dans un vieux drap s'étale à l'entrée du domaine, portant ces deux mots peints en vert :

« Institu BÉRURIER »

J'ai la seconde surprise d'apercevoir, rangées dans la vaste cour, quelques voitures et motocycles. De la musique s'échappe de la demeure : du jazz, riche en solos de saxo qui vous griffent l'âme.

Nous nous approchons, encuriosés à juste titre (comme on dit en Bourse).


L'entrée donne sur une vaste cuisine à l'ancienne, avec immense âtre, longue table de bois luisante de crasse et d'usure, fourneau de fonte, évier de faïence, accumulation de bidons, de seaux et de tout un incroyable fourbi indiscernable. Des bahuts plus ou moins démantelés, des crédences, des tabourets, des bancs, des batteries de casseroles en cuivre achèvent de créer l'ambiance ferme du dix-neuvième siècle. C'est sombre comme un tableau de Rembrandt et ça fait songer aussi à du Victor Hugo lorsque, d'aventure, l'illustre barbu faisait dans la cambrousse.

La musique provient de la pièce attenante dont la porte est restée entrebâillée. Nous nous en approchons, et alors, nous est jeté à l'entendement le spectacle ci-joint. Magine-toi une vaste chambre qui devait être pourvue d'un lit haut qu'on a démonté pour n'en garder que le sommier et le matelas. Ceux-ci se trouvent au milieu du local. Tout autour, l'on a disposé des bancs et des chaises. Le sommier est donc devenu une sorte de ring qu'éclairent de fortes ampoules. Une dizaine de personnes, jeunes pour la plupart, occupent les sièges. Sur le pucier, tu trouves Alexandre-Benoît et Louisiana, sa ravissante conquête canadienne, exquise personne d'une vingtaine damnée, avec des cheveux châtains, des taches de son, un beau regard pur et des formes sur lesquelles le sculpteur le plus vétilleux trouverait rien à redire mais beaucoup à faire ! Un électrophone diffuse la musique annoncée à l'extérieur.

Juste qu'on commence à guigner, Bérurier prend la parole.

— Mes chers élèves, attaque le Dodu, pisque y' v'là tous réunis, j' vas commencer. Bien qu'étant né natif de Saint-Locdu, j'ai vivu la majorité d' mon temps à Paris et j' peux vous dire qu'en plus j'ai voyagegé à travers de toute la planète. A l'heure qu' j' vous cause, je croive pouvoir vous assurerer qu' je connais l'amour de fond en comble jusqu'à Z, ayant t'eu l'occasion d' tirer une quantité incroyab' d' gonzesses sous toutes les altitudes : des Noires, des Jaunes, des belles, des vioques et j'en passe. R'v'nant m'installer parmi vous, j' m'ai dit qu' je pouvais m' rend' utile aux jeunes d' mon pays en leur esposant les rudimentaires d' labrosse, pas qu'y passent pour des pommes à cidre quand t'est-ce y s'espatrillent à Pantruche, Rouen ou tout aut' capitale, sans causer d' l'étranger et des colonies d'out' mer. En amour, plus qu' dans les aut' disciplines, c' qu'un porte, c'est la manière. Av'c I'aimab' participante d' Mam'zelle Louisiana, qu'ici j' présente et qu'est une surdouée dont d' laquelle j'ai complété l'éducance par des cours assez lérés, j'vas entr' pende vot' formation, tant et si bien qu'un jour, quand vous f'rez r'luir à mort des gerces ou des julots, y vous demandreront si vous seriez pas de Saint-Locdu-le-Vieux, tellement qu' ça va d'viendre un centre d' baise réputé. Alors ouvrez vos étiquettes et vos calbombes, j'débute.

L'incroyable s'humecte les francforts et lisse ses rares cheveux du plat de la menotte.

— Mes chers z'élèves, reprend-il, j' vous prends la situation la plus simp'. V's' êtes v'nu au cinoche, seul, pour dire d' passer l' temps, vu qu' s'êtes à vous faire chier comme un rat mort dans un' ville dont vous connaissez pas.

« A l'entrée, en même temps qu' vous r'mettez vot' bifton à l'ouvrereuse, vous y cloquez un pourliche en lu chuchotant comme quoi y' v'lez êt' placé à côté d'une p'tite frangine (si y' seriez un mâle), ou d'un beau ténébral (d'au cas v' seriez un' fumelle). Les ouvrereuses, général'ment, sont au parfum. Alors voilà, je chique au gazier qu'on propose le fauteuil près d'une pétasse, en l'eau cul rance Mam'selle Louisiana ci-jointe. Je m'assoye. C'est l' noir ; à l'écran, des gus font leurs conneries coutumaces. Pour attaquer, j' me penche su la mômasse et j'y d'mande : « Le film est commencé d' puis longtemps, jolie d'moiselle ? » Un détail : même que y' v' s'adresseriez à une tarderie bourrée d'heures de vol, vu qu'on n'a pas tous les jours du caviar, app'lez la mad'm'selle. Alors, la grognasse est obligée d' répond. A vous, mam'zelle Louisiana. »

Louisiana murmure :

— Il n'y a eu que le générique, monsieur.

— J'vous remercille, mad' m'selle, c'est très aimab' à vous d' vot' part.

« Vous feintez d' bigler l' film un moment. N'ensute vous dites à vot' voisine un truc du genre : « C't' un crack, c' Belmondo », ou bien « Y vous fait pas chier, vous, l' cinéma japonais ? », c't' à vous d' juger. Si ell' répond, y a plus à hésiter : passez aussi sec à l'attaque. L' genouxe, naturliche ! V' partez à la r'cherche du sien. Quand t'est-ce vous l'avez trouvé, vous plaquez l' vot cont'. Tout l' monde suit ? R'gardez mon genouxe et çu d' Mam'z'elle Louisiana, on direrait des genouxes siamois. C't' première étape franchie, vous travaillez de l'accoudedoir. Même qu'elle aurait son bras à elle posé d'sus, hésitez pas à l' repousser pour y mett' I' vôt', comme j' fais sur c' liv' qui constitue un accoudedoir. Après quoi, v' laissez pend' vot' main au-dessus de ses jambes, just' pour déflorer sa robe du bout des doigts. Évid'ment, la chiasse c'est quand é portent des pantalons, ces enfoirées, mais ça modifie pas la technique. Là, faut qu'on prend' son temps pour la caresse. J'en sais qui bâclent. La gerce, on l'a à la langoureuse. On y fait naît' l' désir, comprenez-vous-t-il ? Matez mes salsifs, chers z'élèves. Le long d' la cuisse, sans presser l' mouv'ment. Les quat' doigts, lent'ment… Frotti, frotta… Comme si ça s'rait un jeu. J' vous parille qu'é rebuffera pas.

« On va voir si v' s'avez compris. Toi, là, à gauche, à la ressemblance, t'es l' fils à Martin, j' suppose ? Martin Honoré d' la Grand-Gouille ? Oui ! Tu voyes s' j'sus physionomiss. Et la grande bringue, à côté d' toi, c'est qui est-ce ? Quoi ! Une Marchandise ? Seigneur, on les a toutes tringlées, les Marchandise dans flot' famille. Pépé s'emplâtrait la Grande Marcelle, p'pa se payait Sandrine et moi j' fourrais la p'tite Agnès qui louchait un brin, c' qu'ajoutait. C'est qui pour toi, Agnès, ma poule ? Ta mère ? Oh ! ça alors ! La voyouse qu'a eu là ! J'espère qu' t'y ressemb' pour l'enfilade ! Comme é craindait de s' faire mett' en sainte, j' lu fourrais l'œil d' bronze. Lu fallait du courage parce que même jeunot j' m' trimbalais déjà une chopine féroce ! Alors, t'es la fille Marchandise ! Tu sais qu' j'en ai l'alarme à l'œil, môme ? Pour la beauté du geste, faudra qu' je te cake ! D' nos jours qu'a la pilule, j' te pratiqu'rai façon normale, ma gosse, j'espère que Mam'zelle Louisiana y verra pas malice. Qu'é comprendra qu' c'est just' pour l'émouvance du souv'nir. Et ta chère moman va bien ? É fume toujours du prose, la belle âme ? J'aime mieux pas t' d'mander à quoi é ressemb' pour m'éviter les désilluses. Ces dames d'ici, quand é zont franchi la quarantaine, é d'viendent larges comme des bahuts.

« Où en étais-je-t-il ? Oh ! oui, l' cinoche, le fils Martin qui drague la fille Marchandise ! Une Marchandise, merde ! C'est ben pour dire que la vie c'est la vie ! Allez, p'tit homme, mont'-nous ce qu' t'as r'tenu. La main pendante ! C'est ça. Tu lui déflores la robe du bout des pinces. Vas-y mou, mon drôlet, c'est pas un cul d' vache ! Volutueusement, j'ai dit. Faut qu'é mouille douc'ment ! Dou-ou-oucement ! Parfait. Mate comme é trémousse des nich'mards, c'te chérie ! Ça l'excite. R'garde-moi sans t'arrêter, fiston. J'pratique d' même av'c Mam'zelle Louisiana. Mais je la brège, sinon, ça d'vient un documentaire. Tu r'montes un chouïa d' manière et lu caresser le minou n'a travers sa robe. Finito la cuisse, maint'nant tout pour la motte, mec. Tu lui mignardes la frisure. Voilà, t'as tout pigé. C'est gagné. Continue d' titiller son mignon frifri. Tu sauras qu'elle épanouit de la chatte quand é desserera ses cannes. C't'instinctif. Dès qu' leur vient la pâmade, é z'écartent le compas ! La nature !

« Matez Mam'zelle Louisiana qu'est une ultra-sensib' et c'est c'qui fait son charme. Voiliez comme é décrit un grand ang'. Alors que fais-je-t-il en pareil cas ? Ceci, mes chers z'élèves. D'ma main libre, j' lu remonte sa robe, biscotte faut pas laisser quimper sa chatte, on risquerait d' perd' l' bénéfice d' la p'tite séance. Ces salopes, faut s'attend' à tout ! Quand l'idée les prend brusqu'ment de chiquer les chastes gonzesses, on l'a dans le fion ! Des têtes d'émules, sans vouloir m'vanter. Ça y est, la jupe ou la robe sont relevées. Hop ! j'saute par-dessous pour continuer la manoeuv'. T' sens, Martin, comme sa p'tit culotte est déjà trempée ? Une serpillière ! Comment ? Eh' a pas d' slip ? Ben naturell'ment : une fille Marchandise ! Où avait-je-t-il la tête ! Chez les Marchandise, l' slip est inconnu au batalion. Là, cli' t'épargne l'utilme ostacle ; tu peux bagu'nauder des doigts dans sa cramouihle à ta guise, c'est entrée lib'.

« Mais prenons I' cas d' Mam'zelle Louisiana qu'est moins salope, étant canadienne. Faut qu' j' vais composer av'c sa culotte, mes chers z'élèves. Bon, pour commencer, je faufile d' l'indesque pour y interpréter la danse du sclap autour du dito. Penchez-vous, rien perd' de l'O.P.A. du professeur Bérurier. Jugez comme é participe élégantement, Mam'zelle Louisiana. Qu'elle avance bien l' puvis loin du siège, afin que j'aye pas trop à m' casser I' chou. Dès lors, ça d'vient une plaisantrerie de l'ôter son mignon slip. Voiliez ? Hop ! Un p'tit glissage à droite, un aut' à gauche, j' tire du milieu et on n'en cause plus !

« Mais dans tout ça, m'objecterez-vous-t-il, que devient vot' panais ? C' qui d'vient ? Y d'vient qu' l'instant est v'nu de lu faire faire sa p'tite prom'nade d' santé à l'air lib'. Allons, m'sieur Dupaf, paressez pas, sortez d' vot' tanière ! Suffit qu' y' s'amenassiez la main de la gosse su vot' cage à bumes pour qu'illico elle vous estrapole le chauve à col roulé. C'est l' cas pour Mam'zelle Louisiana qu'a c'pendant affaire à fortes parties.

« La fille Marchandise ! Tu veux bien m' dégager l' braque au fils Martin ? D'mon temps, fallait batailler av'c les bouton des braguettes. D'puis la ferm'ture Eclair, on joue su' l' velours. Putain d'elle ! Mais qu'est-ce tu me déballes de ce futiau, Marchandise ? Ah ! c'est pas un Martin pour rien, lui ! Y z'ont toujours eu des queues de cerise dans c'te famille. Crâneurs, avec ça ! Un zob plus mignard qu'un p'tit doigt d'officier et y trouvent l' moilien d' rouler les mécaniques ! Ben mon pauv' gars, tu joues Ouatèrel' eau-morne-plaine, tézig, avec ce gnocchi. Mais qu'est-ce tu vas en fiche d'une mouillette pareille ! Une qui te fait une pipe, é' a l'sentiment d' fumer une Camel ! J'sais pas comment t'est-ce vous assurez vot' descendance, vous aut'. Vous avez des amis, probab'. Ou alors v's'êtes abonnés au Chasseur Français pour qu' I' facteur passasse chaque mois à la maison ! Pourtant si vous f'ziez tricoter vos chiares par d'aut', ils auraient des asperges conv'nab', fatalement.

« C'est comment t'est-ce, ton prénom, fille Marchandise ? Josette ? Jockey ! Ben ma Josette, pour la démontrance, faut qu' tu va t' chosir un aut' part'naire. Tiens, le gros qui fouette la rouquinene, à ta droite ! La manière qu'il protubère du Kangourou, j' d'vine qu'il a les amygdales enflées. Sors-moi-lui sa rapière, Josette ! Oh ! la la ! cette destérité ! T'es pas une Marchandise pour rerien !

« Là, j'voudrais ouvrir une parenthèse, mes chers élèves, su' la manière, pour une jeune fille d'déballer l' guiseau d'un jules. Pas l' prendre à la chochotte, comme si s'agirerait d'un p'tit four chez la comtesse. Bien plonger la paluche dans l' panier d' môssieur comme si vous saisireriez une grosse pomme d' terre de comique agricole. V' n'avez vu la façon qu' Josette a été à la ramasse ? Décidée ! Ell' a biché l'objet par en dessous, rien meurtrir, pas érafler l' module à la ferm'ture, surtout. C'est tiné, chez les filles Marchandise, un tel geste pareil ! Ferme et délicat. Elle emprisonne tout I' paf dans sa main et protège la têt' d' nœud av'c son poignet. Tu veux-t-il bien r'commencer, Josette, sans rien changer, qu' les autres pigent ?

« Les d'moiselles, approchez-vous, ça vous concerne. Éguesécute Ient'ment, ma mignonne. Voilà ! La paluche ratisse profond. Chope la belle truite frétillante, amorce un pivotement du poignet, et ramène misteur Popaul à la surface n'après un brèfle palier d' décompressage. Beau chibre ! Compliment, l'Rouquin ! Dis voir, toi, t' s'rais pas un fils à Romain Cugnais, de Bonnegagne ? Si ? M'étonne pas, ils avaient des idées pou' d'venir roux dans la lignée. Y tournaient autour du pot. S' payaient des blondins à r'flets cuivrés. Fallait qu'un jour ça déboule, le gazier testuellement queue-d' vache, comme te voilà. Ton dabe l'avait épousé la Fernande Maupas, du Guilloud ? Elle aussi é chicanait sur la rousseur. Sa chatte plus qu' ses ch'veux, j'm'rappelle. Son tablier d' sapeur, l'avait vraiment des couleurs d'automne. J'voudrais pas t' vexer, mais é baisait comme une génisse, ta daronne. Just' pour faire plaisir aux passants. Mais c'est pas l' tout, on s'éloigne du ciné. »

A cet instant, je pousse un peu trop fort la lourde, dont les gonds, ingraissés depuis des lustres lâchent une plainte acide. L'attention générale se porte aussitôt sur nous. En nous reconnaissant, Béru pousse une clameur de loup-garou qui vient de dérouiller une volée de chevrotines. Il se dresse, la biroute au vent, dodelinante comme une tête de tortue de mer à laquelle on lit un texte de M. Robbe-Grillet.

— Mes potes ! Mes potes ! il s'écrie. C'que c'est chouette d' vous être apportés jusqu'à ici ! Mais c' que c'est gentille ! Vous m'en faites chialer les yeux ! Bon, mes chers élèves, on va t'êt' obligés d'interrompir ce cours pou' I' r'porter à d'main même heure. Vous s'rez bien aimab' d' changer d' slip biscotte on va passer à la l'çon suvante qu' j'untutile : « Après I' cinoche, l'hôtel ». Mam'zelle Louisiana prêtera un' d' ses culottes à Josette Marchandise pisqu'eile en n'a pas. Dans l'ensemb', j' vous trouve attentifs, pleins d' bonne volonté, c' qu'est I' nerf d' bœuf d' la guerre ! N'au sujet de la zézette à Martin, faut pas dramatiser, mon gars. J'sus sûr et con vaincu qu'avec quéqu' séances de branlothérapie et des vitamines X.Y.Z. on t' la f'ra grossir notabl'ment, cette mignardise. Allez, tchao, la belle équipe ! Disez-vous bien qu' la devise d' l'Institu Bérurier c'est : « Tant qu'a du cul, y a d' la vie. »

— Tu sembles heureux, Gros, remarqué-je.

— J' y suis, confirme le Casanova de Saint-Locdu-le-Vieux.

Il enserre l'épaule de Louisiana.

— J'peux t' dire qu'avec cette délicieuse enfant, mes nuits sont aussi raides qu' mes jours ! C'est la monstre goinfrette, Sana. On passe not' temps à limer.

— Compliment, je vois que la lune de miel se prolonge.

— S' prolongera à vie, soye z'en certain. La seul' chose qui m' tarabate un brin, c'est qu' Louisiana s'est mis dans l' cigare d' me faire maigrir.

Il recule de deux pas, tourne sur soi-même comme la première planète venue.

— Vous r'marquez pas ma perte d' poids, les mecs ?

On s'efforce. On hoche la tête. On fait des mimiques. Par charité on dit que « oui, peut-être, c'est pas impossible après tout ».

— J'ai pourtant déjà largué quat' cents grammes ! annonce fièrement l'Enflure. En huit, jours, faut l' faire. C't'une idée qui lu a pris, Louisiana. É trouve qu' y m' faut dégonfler du baquet, paraît-il qu' j' I' écrase d' trop dans l'étreinte.

Il rit.

— Bon, comme à la cabane c'est le ramadan, on va aller claper à l'Auberge des Chasseurs à Saint-Locdu-le-Petit. Spécialité d' lapin à la moutarde. Fais-moi pas ces yeux méchants, Louisiana, j' te promets d' pas prend' d' rillettes en entrée et d' pas écluser plus d'une boutanche d'bourgueil. Fais-toi belle, ma gosse, pour inciter mes potes. J'aime voir briller le désir dans les prunelles des hommes lorsque tu parais, comme c'est écrit dans un feuilleton de Rustica qu'on doit pouvoir encore trouver dans une caisse du grenier où qu' j' les conservais.

La gentille Canadienne obtempère aux ordres de son seigneur et maître.

— Ainsi, murmure Jérémie, te voilà lancé dans l'éducation sexuelle, Gros ?

— Appelle-moi plus « Gros », j' te prille, Moricaud : j'ai maigri ! Moui, j' viens de fonder c't' institu pour m'occuper et m' rend' utile au pays. Plus tard, je développererai l'affaire. J'embauch'rai du personnel con pétant. Tous ces bâtiments qui sert plus, j'y ferai des chambres, des salles d'entraîn'ment, biscotte je veux créer un centre pour la vigorisation du paf. Les gens viendreront de toute part, et même d'alieurs, pour s' refaire un braque, s' met' en condition d' baise.

« On vit une époque qu' la pointe est négligée. Le monde sont pressés, mes amis. Y s'élognent d' la mour. J'veux les ram'ner dans l' droit ch'min de l'embroque, ces enfoirés ! L'rêve de toute ma vie ! Quand j' vivais av'c Berthe, c'était pas possib'. É m' freinait l'entreprenance. Voulait qu' j' restasse fonctionnaire. La pagouze en fin d' mois, é voiliait pas plus loin, c'te grosse vachasse ! Tandis qu' ma chère Louisiana, elle, elle a pas plus froid aux châsses qu'aux miches ! É vient d'un pays qu'on voye grand, les mecs. È m' pousse d'entreprende. »

— Va te falloir un énorme financement pour créer ton centre, Alexandre-Benoît, j'objecte.

II hausse les épaules.

— T'sais combien t'est-ce y a d'hectars autour d' c't' ferme, Antoine ? Deux cent quarante ! D'puis qu' mes vieux est morts, j'les donne à cultiver à mon cousin Auguste Bérurier. Mais y me cloque des fèvettes, ce grigou. Lui, la famille c'est sacré ; faut la plumer à mort ! Du coup, j' reprends mon domaine, je m'assocille av'c un prometteur immobilier et on lotit, mes drôles. On lotit à mort ! L'artiche rentre à flots. J'aménage mon centre de zobothérapie. Ça affluxe par pleins charters. Tous les amoindris d' la membrane, les pendouilleurs du p'tit Pollux veuillent qu'on leur r'mette la bistoune en état. Qu' je les rerende performateurs. J'vous prédille qu' la répute au professeur Bérurier dépasserera les frontières !

L'optimiste nous saisit chacun par un bras, au plus fort de son enthousiasme, et nous fait visiter son domaine. En passant devant l'ancienne porcherie, nous percevons des grognements.

— Tu as des bestiaux, Béru ? m'étonné-je.

Il paraît gêné.

— Juste un cochon, pour dire qu' ça fasse moins tristounet, ces bâtiments déserts.

— Montre voir !

J'ouvre la partie supérieure d'une porte à double ventaux superposés. Un fort goret, qui pourrait s'appeler Bérurier, vient me saluer. Drôle d'animal ! Il n'a pas d'oreilles, pas de queue et porte de profondes plaies aux antérieurs.

— Il a été attaqué par un fauve, ou quoi ! s'exclame M. Blanc. Il existe encore des loups dans ce pays ?

— Non, non, rassure le Mastar. C'est pas grave, il cicatrise très vite et très bien.

— Mais encore ?

Sa Majesté détourne la tête.

— C'est moi, avoue-t-il. A cause du régime dont Louisiana m' fait subir. Y a des moments, j' craque. Alors je viens m' taper un p'tit morceau d' Gaston, comme casse-faim. L' cochon, si vous aurez r'marqué, c'est aussi bon cru que cuit, et c' s'rait même davantage meilleur, à mon sens…

Nous lui jetons un regard étrange, venu d'ailleurs.


C'est au cours du succulent repas, à l'Auberge des Chasseurs, que tout naturellement nous relatons à notre « ex-collègue » les surprenants événements que j'ai eu le vif plaisir de porter à ta connaissance.

Il a beau s'être détaché de la Rousse, le Mastodonte, une énigme de cette magnitude ne le laisse pas indifférent. Il pose des questions, revient sur les points épineux et finit par demander à voir le message placé dans le coffre-fort ainsi que l'agenda du regretté Jean Bonblanc.

— Conçois-tu, Gros (il ne relève pas cette impropriété de sobriquet), la façon dont un certain D.C.D. est parvenu à introduire sa lettre dans le coffre ?

— Non, avoue Alexandrovitch-Benito, je voye franch'ment pas.

— Et pourtant, elle y était !

Alors il nous gratifie d'un rot fortement aillé.

— Qu'elle y fusse t'été, c'est ton Bonblanc qui l'a prétendu !

— Évidemment, mais pourquoi aurait-il prétendu une chose aussi invraisemblable ? Une chose dont il est pratiquement mort de saisissement ?

Alors, le célèbre philosophe Alexandre-Benoît Bérurier de sentencer :

— Il est plus fastoche de comprend' pourquoi vot' père Bonblanc aurait prétendu cette chose-là que d' mett' une lettre dans le coffiot d' quéqu'un quand on n'en a pas la clé ! Un mec, pour agir d' la sorte, l'aurait fallu, soite qu'y craque le coffe à la nitro-vaseline, soite avoir la complicité d' la banque !

Il plonge son couteau dans son camembert épanoui et ajoute en nous circulant de son œil maquignonesque :

— Ou si j'me goure ?

Un silence propice à la réflexion suit.

On le sent bel et bien qu'il n'a pas tort, le Gros (pardon : l'ex-Gros). Néanmoins, j'ai à cœur d'obstiner :

— Jean Bonblanc passe à sa banque (j'ai vérifié) et descend à son coffre. Tout de suite après, il va se faire triturer la tige dans un mignon clandé et, comme la taulière le trouve soucieux, il lui narre son aventure. En pleine prestation, il décède d'un arrêt cardiaque.

— V's' ét' sûrs ?

— J'attends l'autopsie, mais tout nous induit à le penser. Si cette lettre lui était parvenue par une voie normale, pourquoi aurait-il prétendu l'avoir découverte dans son coffre ?

— L'avait p't'êt' ses raisons, émet l'Enflure (en cours de dégonflage). Vot' guignolo, les mecs, m'nait pas une vie de bois-scout ; c' téléphone clandessin, dans une masure toujours au nom d'un vieux mort, I' prouve ! A quoi qui lu servait-il, sinon à enregistrerer des messages pas catholiques ? Des trucs que Bonblanc n' pouvait pas s' permett' de recevoir dans ses burlingues ou chez lui. Si vous aureriez pas trouvé l'interrogateur dans ses vagues, jamais personne aurait su I'éguesistance de c'te ligne bigophonique s'crète.

— Et pourtant le « marchand de meurtres » en avait connaissance et en possédait le numéro ! clamé-je.

— C' qui portererait à faire croire qu'il touche vot' Jean Boncru d' très près. Ah ! v's'êt' pas encore sortis de l'auberge, mes loustics !

Tout en grommelant, Sa Majesté rurale et amaigrie feuillette l'agenda.

— Si y' voudriez mon aviss, I' blaze du tueur s' trouve là-d'dans.

— Merci, l'oracle, fais-je en avançant la main pour récupérer le carnet gainé de croco.

Mais au lieu de me l'abandonner, Béru s'y cramponne comme Werther à une lettre de Charlotte dans laquelle elle l'informe qu'elle n'a pas revu ses règles depuis la Saint-Trouduc.

— Momente, por faveur ! grogne-t-il en étranger.

Et le Frugal s'abîme dans l'étude des feuillets journalisés.

— V's'avez-t-il r'marqué l'écriture à Jean Boncuit ? nous interpelle-t-il, au bout d'un peu.

— Qu'a-t-elle de particulier, ô grand maître de la déduction et du bourgueil rouge réunis ?

— Y n'écrit qu'en majuscules d'imprimererie.

— Ce qui est plus lisible, souligné-je.

— Et gros ! ajoute le Maigre.

— Coquetterie, je suppose. Sa vue partait probablement en sucette, mais il s'obstinait à ne pas porter de bésicles.

Notre éminent ci-devant confrère me propose l'agenda à une page donnée. Je lis, machinalement :

— « Entrepreneur pour réparer pilier du portail. « Oui ? interrogé-je avec le minimum de vocabulaire.

— Regarde le mot « pilier », Antoine.

— Je. Alors ?

Il m'abandonne l'agenda pour se saisir de la mystérieuse lettre.

— Mate la fin du poulet, mec ; là où le gonzier termine par « Veuillez croire, je vous prie… « Compare le « prie » de la bafouille av'c le « pilier » de l'agingrat. J'sus d'accord d' me faire bouffer les couilles par des fourmis rouges si c' s'rait pas la même pogne qu'a écrit ces deux mots !

Le tonnerre tomberait à nos pieds par une journée d'été ensoleillée que nous ne serions pas davantage interloqués, M. Blanc et moi.

— Là, tu envoies le bouchon chez le voisin ! murmure Jérémie. Tu te laisses emporter, Béni ! Tu es en manque de police, ça te cause des retours au carburo !

Le Mastar ne se donne pas la peine de le regarder. Il se penche sur Louisiana, la belle silencieuse, glisse une main paillarde sous sa robe et murmure :

— Y a une chos' dont j' voudrais qu' tu susses, ma p'tite puce : c'est qu'un nègre d'viendra plus facil'ment blanc qu'intelligent.

Moi, hypnotisé, je m'énucle sur les deux mots proposés par le Sagace. Tu sais qu'il a raison, mon pote ! La même écriture à peu de chose près.

— Tu peux toujours d'mander une analyse aphrologique, lance Alexandre-Benoît ; qu'est-ce tu risques, Francisque ?

— Mais, doux Jésus ! je m'écrie (il vaut mieux s'écrire qu'écrire aux autres, comme ça t'as pas besoin d'attendre la réponse). Doux Jésus (reprends-je), à quoi rimerait ce micmac de merde, merde ![1]

Alors, Jean Bonblanc s'écrit cette bafouille. Il prétend l'avoir trouvée dans son coffre ; il a posé des questions au préposé de la banque quant à la sécurité de la chambre forte, et l'employé se rappelle qu'il semblait « nerveux », et c'était bidon ! Simulacre ? Il raconte cette mésaventure à la performante (je devine) Miss Gladys, et meurt en lui briffant la chagatte. Dans quel but aurait-il fait part d'une émotion feinte à cette personne qui s'en foutait ? Parce qu'il savait qu'il allait mourir entre ses cuisses et qu'il voulait qu'elle répétât la chose ? Voyons, le Mince, ça ne tient pas debout ! C'est con, incroyable et vain ! Et puis, dis, le message dans le répondeur mystérieux, c'est encore Bonblanc qui aurait déguisé sa voix ? Non, mon pote. Viens avec moi, je vais te le faire entendre ! Allons, moule ton calandos, sinon tu vas reprendre tes quatre cents grammes ! Je veux que tu écoutes ça avec tes oreilles d'éléphant. C'est bien joli de chiquer les Sherlock pour épater la galerie. Remue ton énorme cul et suis-moi, fleur d'embrouilles !

La rogne, tu comprends ?

Il est pas possible, ce gros nœud pas humain, de nous casser notre énigme avec sa suffisance de marchand de vaches.

Il me suit en conservant son léger sourire de borgne sûr de soi et dominateur qui déambule parmi des aveugles en leur tirant des bras d'honneur. On va jusqu'au couloir des chiottes qui, à l'Auberge des Chasseurs, tient lieu également de cabine téléphonique. Y flottent des odeurs de merde et de citronnelle, la seconde n'ayant pu vaincre la première. Je compose le numéro de la bicoque perdue. Puis actionne l'interrogateur. Tends ensuite le combiné au Magistral.

— Tiens, rince-toi le tympan !

Béru le Magnifique se prête docilement à l'opération. Juste avant que le répondeur se mette à dérouler, il me demande :

— Tu la connaissais, tézigue, la voix à Jean Bondyork ? J'pense pas, puisqu'il était viande froide la pr'mière fois qu' tu l'as vu ! Alors sur quoive tu te bases-t-il pour comparerer ?

Il a toujours le dernier mot, ce sale con ! Mais, bordel, elle lui vient d'où et de qui cette jugeote infaillible ? Ils sont tous commak, à Saint-Locdu-le-Vieux ?

Néanmoins, il prête une oreille professionnelle au répondeur. Moi, j'en profite pour aller lancequiner. Dans les chiches fermées, y a un gonzier qui s'extrapole la boyasse avec force et fracas. Tu te croirais revenu au temps de la guerre des Malouines quand les Rosbifs teigneux allaient étriper les Argentins pour défendre leurs moutons d'outre-mer. Il y va d'un beau courage, le dépaqueteur.

Je profite de la glace du lavabo pour me recoiffer et me voter un petit sourire encourageant. « Allons, Sana, mon biquet, tu ne vas pas te laisser impressionner par les événements, non plus que par les conclusions qu'en tire le professeur Béru de l'Institu Bérurier ! »

Mon voisin sonore sort des chiches en rajustant sa ceinture. Le Mammouth lui adresse une œillade complice.

— C'est pas que ça rapporte gros, mais ça soulage, hé ? lui lance-t-il.

Le bonhomme, du genre notaire de sortie, rosit de gêne et presse le pas sans répondre.

Furax, la voix vengeresse du Terrible le rattrape :

— Ça joue les « Canons de La Varenne » en bédolant et ça roule sitôt le bénouze remonté ! Ah ! la race humaine, tu parles d'une engeance !

— Tu as écouté les appels ? coupé-je.

Yes, sœur. Mais pourquoi qu'tu m' avais pas causé du troisième ?

— Quel troisième ?

Je décroche et réitère l'opération : je suis interrogateur dans l'âme ! Premier appel : la gonzesse à propos du type de Bruxelles. Second appel : l'avis de Mister Mystère. Au passage, je réalise pourquoi, sans avoir — et pour cause — jamais entendu la voix de Jean Bonblanc, j'ai su que celle que j'écoute là n'est pas la sienne : il s'agit d'une voix de maigre !

Fin du second message. Le clap d'enchaînement retentit. La même personne déclare :

— « Nous sommes le 18 juin, il est vingt heures quinze. Ici D. C. D., monsieur Bonblanc. Je vous informe que le travail dont je vous ai parlé hier est fait. Je me permettrai de vous appeler demain, à votre domicile de Glanrose, disons à midi précis. Je ne pense pas que la chose vous pose problème puisque vous avez réunion du conseil municipal le matin. Bonsoir ! »

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