CHAPITRE IV Les préparatifs de Dorman

— Allons boire un whisky, décréta Dudly. Ce bougre-là m’a donné soif. Moi qui comptais passer un week-end tranquille…

Il se voulait maussade, mais ne parvenait pas à jouer le jeu.

Cet incident l’avait émoustillé.

Il se jeta dans un fauteuil et attendit que Carlo eût empli son verre.

— Drôle d’histoire, fit-il enfin.

— Oui, convint Carlo. Qu’en penses-tu ? Pourquoi Dorman, qui est un minus, a-t-il essayé de te poivrer ? Quel intérêt a-t-il ?

— Je ne sais pas encore, fit Dudly, mais il faut croire que cet intérêt était grand pour qu’il n’hésite pas à allonger cinq sacs à un type.

Il médita un instant.

— À coup sûr, reprit-il, il n’agit pas pour son compte, mais pour celui de quelqu’un d’autre bien plus puissant que lui.

— On peut le savoir, affirma Carlo.

— Parbleu ! Nous allons le savoir, acquiesça le gangster. Tu as entendu ? Il attend Zaridès qui va lui rendre visite…

— Ce sera qui ? demanda Carlo.

— Toi… Banane t’accompagnera. Embarquez-moi cet enfant de garce en douceur et ramenez-le ici, compris ?

— D’accord.

Carlo se leva.

— On file tout de suite ?

— Oui.

— Il se pourrait que Dorman soit sur ses gardes.

— S'il y a du pastaga, que fait-on ?

— Vous en faites encore davantage !

— O.K.

Carlo se versa un dernier whisky tandis que Banane sortait la voiture du garage.

* * *

Dorman était un petit type maigre et anxieux au regard tourmenté. Il était blond fadasse et avait un long nez tortueux.

Il occupait, nous l’avons dit, une place de troisième zone dans la pègre de Detroit. Il vivait de chantage et d’autres expédients aussi peu reluisants. Jamais il n’avait fait parler de lui et il passait pour un gagne-petit sans ambition. Les gros bonnets ne s’intéressaient pas à lui, ce qui lui permettait de mener une existence végétative mais sans histoires.

Il habitait un petit appartement dans la Quatorzième Rue Ouest, au-dessus d’un établissement assez mal famé où les demi-portions de la ville venaient jouer au billard et à la passe anglaise.

Ce jour-là, Dorman était à l’optimisme depuis le coup de fil de Zaridès. Tout s’était bien passé ; il allait palper la grosse galette et pourrait réaliser son rêve : s’acheter une bagnole couverte de chromes et aller faire une virouze en Floride.

Mais, avant, il lui restait un sale turbin à accomplir : liquider le Grec.

Dorman n’aimait pas se mouiller.

Il avait mené cette délicate affaire à bien, mais il savait que ça ferait un drôle de boum dans le milieu lorsqu’on apprendrait que le grand boss s’était fait avoir !

Il y aurait certainement des gars de son équipe qui feraient le serment de le venger et qui se déguiseraient en chiens de chasse.

Par Zaridès, ils pourraient remonter jusqu’à lui, et Dorman ne tenait pas, mais alors pas du tout, à essuyer la vindicte d’un gang aussi puissant que celui de feu Dudly.

Il allait offrir un glass à Zaridès pour arroser ça. Et dans ce glass il y aurait une pincée de la poudre que le cuisinier avait mise dans le poulet à la crème.

Dorman sourit. C’était farce, au fond.

Zaridès tomberait foudroyé quelque part, dans la rue ou dans une maison de jeu, sans avoir la possibilité de prononcer un seul mot. Et Dorman pourrait ronfler sur ses deux oreilles !

Il commença à préparer le whisky. Cette poudre blanche qu’il tenait d’un vieux pote, mort depuis dans une prison d’État, était une merveille du genre. Sans saveur, à retardement et foudroyante ! Elle possédait en somme toutes les qualités qu’on est en droit d’exiger d’un poison.

Zaridès aimait boire, il le savait. Et c’est précisément parce qu’il aimait boire que Dorman avait décidé de l’anéantir.

Car un homme ivre parle beaucoup plus facilement qu’un autre.

Ce brave Zaridès sauterait sur ce flacon de whisky comme la misère sur le pauvre monde au premier geste d’invite que lui ferait Dorman. Il s’en mettrait une sacrée rasade dans le col et ce serait la dernière fois de sa garce de vie qu’il boirait du rye !

Oui, la dernière…

Dorman éclata de rire.

Un coup de sonnette lui fit reprendre son sérieux.

— Le voilà, murmura-t-il.

Il agita fermement le flacon afin qu’achevât de se dissoudre la fameuse poudre blanche.

Ce serait trop idiot si l’autre l’apercevait, flottant à la surface de l’alcool. Comme il venait juste de l’utiliser, il comprendrait.

— « Bien agiter le flacon avant de s’en servir », ricana le petit bandit.

Mais, soudain, il fit la grimace. Il n’avait pas pensé à quelque chose de primordial : Zaridès devait claquer dehors, il le fallait ! Que ferait-il d’un cadavre dans son appartement, juste Ciel ? Seulement, ce gars-là ne sortirait pas avant d’avoir palpé la galette. Et c’était rudement connard de perdre cinq grands formats comme ça !

Baste, il s’en tirerait en lui fixant rendez-vous un peu plus tard sous prétexte d’aller palper son fric avant de le payer… Il pourrait même lui en lâcher un peu pour le calmer.

Il fit claquer ses doigts et alla ouvrir.

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