CHAPITRE VII LES ATTRACTIONS SONT COMPRISES DANS LE PRIX DES CONSOMMATIONS

Quatre doigts frémissants sont dardés sur ma glorieuse (et élégante) personne. Quatre voix vocifèrent (à repasser) en espagnol, en chinois et en ifotisien. Les intonations sont différentes, les accents syllabiques ne sont pas les mêmes, mais ces trois langues cependant se marient pour composer une clameur vengeresse. « Parfait, me dis-je avec ce calme qui fait la force des hommes de ma trempe[13]. Le sort est contre moi, subissons-le vaillamment, dignement. »

Je croise les bras, tout comme l’a fait mon défunt camarade Vercingétorix après avoir virgulé ses armes à César.

Et j’attends, l’œil sûr, le sourire amusé.

Le Chinois chef le branle. Il ne paraît pas autrement surpris. D’ailleurs il a la frite parée pour les catastrophes : avec ses yeux en boutonnière de gilet, ses pommettes surplombantes et ses lèvres aussi minces que deux tickets de métro superposés.

Quand les quatre survenants se sont vidés de leur bile, le cher homme se tourna vers moi.

— Je me doutais que vous étiez un espion, dit-il.

— Voilà un bien grand mot, petit camarade constipé, réponds-je. Nous sommes tout au plus des saboteurs. Le gouvernement français n’a pas aimé qu’on l’évince après que ses spécialistes eussent découvert le sulfocradingue. Tirer les marrons du feu n’est pas une vocation. Nous avions pour mission d’anéantir votre stock et nous l’avons fait. Il vous reste évidemment la légère compensation de vous venger sur nos petites personnes ! Il n’empêche que nous avons réduit à néant vos efforts de plusieurs mois.

L’autre hausse les épaules.

— Le gisement demeure, fait-il. Mais vous avez deviné juste : vous paierez votre trahison le prix fort !

Une mignonne idée me germe dans le cigarillo.

— Je pense que ça ne sera pas bon marché pour vous non plus, cher Sin Jer Min En Laï. Que diront vos supérieurs quand ils apprendront ce qui s’est passé ? Avoir la responsabilité d’une denrée aussi follement précieuse et la laisser anéantir par le premier peigne-cul venu, avouez que ça n’est pas fort ?

— Merci pour le peigne-cul, grogne le Gravos. Tu pourrais aménager tes espressions, gars !

Je surveille le camarade-chef, essayant de lire ses secrètes pensées sur sa bouille indéchiffrable. Il reste aussi impavide qu’une statue de bronze. Pourtant, votre futé San-A. comprend que, malgré son vif désir de nous découper en menues rondelles, Cécolle va devoir s’abstenir jusqu’à la venue des autorités dont il dépend. Nous mettre à mort ne ferait qu’aggraver sa propre situation car, ce faisant, il supprimerait nos témoignages et pourrait passer pour suspect aux regards de ses patrons (si j’ose user d’un terme pareil avec des ressortissants de la Chine populaire). En résumé nous constituons provisoirement pour lui les plus précieux atouts de sa défense.

Effectivement, il donne des ordres et l’on me menotte tout comme l’ami Bérurier. Je cherche Marie-Marie, mais ne la vois pas. Sin Jer Min En Laï a eu la même réaction. Il se met à grincer comme une girouette par gros temps. Les assistants se bousculent, s’effervescent, s’agenouillent, galopent, gardameutent.

J’ai idée que l’espiègle a profité du remue-ménage causé par le retour des quatre naufragés pour se couler discrètement hors du bâtiment. M’étonnerait que la pauvrette puisse aller bien loin. J’entends aboyer les chiens. Y a des martèlements, des cris dans la nuit.

Au bout d’un instant de confusion, on nous embarque au local disciplinaire et l’on nous suspend au plaftard par des chaînes montées sur poulies. Six gardes armés demeurent dans la pièce avec nous. Ils s’assoient à terre et s’adossent aux murs, leur mitraillette entre les jambes. Petit détail pittoresque, un magnétophone de marque japonaise — ô ironie ! — un Tû Dé Kôn à trois pistes, clapoteur à valve et compresseur d’invectives a été branché, afin d’enregistrer toutes les paroles que nous serions susceptibles d’échanger, Béru et moi.

C’est pas la première fois qu’on me suspend par les paluches, mes lapins. Aussi connais-je à fond les affres de cette torture. Au début, c’est pas déplaisant, car ça vous permet de faire un peu d’élongation. Mais très vite l’ankylose vous prend, avec son nuage de vilaines fourmis. On a peu à peu l’impression que vos mancherons vous sont arrachés du corps avec de formidables tenailles. Et puis votre respiration s’embarrasse, vos éponges se paralysent. Les crucifiés, à l’époque de Jésus, on les clouait pas : on se contentait de les attacher par les poignets et ils périssaient asphyxiés. Ça prend du temps, des heures et des heures…

— Tu vois, marmonne Béru, depuis que j’ai maigri, je supporte mieux ce genre de plaisanterie. Avant, j’avais soixante kilbus de mieux qui tiraient sur les biscotos…

Un temps.

— Où qu’tu crois qu’elle est t’été, Marie-Marie ? ajoute-t-il.

— J’en sais rien !

— C’que t’as l’air de mauvaise bourre, mec ! mécontente le Paisible, comme si nous devisions devant deux entrecôtes Bercy dans le troquet de mon cousin Troquiet.

Je ne dirai jamais assez la quiétude sublime de cet homme de bien. Dans les pires moments, il s’obstine à vivre l’instant, Alexandre-Benoît. Il ne tient aucun compte des noirs nuages merdoyant sur sa tête. Pour qui sont ces serpents ? Il décide qu’ils sont pour l’institut Pasteur ! De l’inconscience ? Pas vraiment, disons plutôt une totale acceptation de sa qualité d’homme. Il vit sa vie au jour le jour, à la seconde la seconde ! Heureux de chaque bouffée d’oxygène qui lui régénère le gros rouge. Le voyez-ci, accroché en cinq-sept, quand de la chair que trop il a nourrie… Prisonnier, certain de sa mort imminente, loin de sa femme dont il est sans nouvelles et du sort de sa nièce. Et quelle est sa réaction, bonnes gens ? Pour la première fois il se réjouit de son amaigrissement. Ça lui fait moins lourd à sustenter ! Ah ! l’aimable bipède que voilà ! Ah ! la noble âme ! S’il proteste, c’est pour me contester ma mauvaise humeur ! Car c’est cela, Bérurier-le-Fameux : il parle de la mauvaise humeur d’un ami qu’on a pendu par les poignets à son côté ! Pour lui les blessures les plus profondes ne sont que des égratignures, et les écrasements des chiquenaudes ! Je te respecte, Béru. Tu nous honores par ton dépouillement.

— J’ai déjà dû grandir d’au moins dix centimètres, reprend sa Béatitude.

Imaginez la scène, mes petites folles : votre San-A. et son compère en train de jambonner. Six gus silencieux les fixent. Un magnétophone tourne. Le tout dans la clarté fuligineuse d’une ampoule poussiéreuse que sa grille protectrice découpe en rectangles inégaux.

Je me demande si on a retrouvé la gosseline. Sûrement qu’oui. Malgré l’obscurité elle n’aurait pu échapper au flair des chiens policiers. Qu’en feront-ils ? Auront-ils le triste courage de la tuer ?

Ça continue de remueménager dans le camp.

Et don Enhespez ? Qu’en ont-ils fait ? Ah ! les points d’interrogation ne me manquent pas. Mais le plus gros de tous, celui qui prend les dimensions d’une crosse épiscopale, s’applique à Berthe. Son aventure est proprement effarante.

— J’ai une de ces faims, je la vois courir, dit Béru. Si messieurs les citrons nous effacent, j’espère que précédemment on aura droit au sandwich du condamné !

La porte se déverrouille (car nos gardes sont bouclés avec nous) et une masse ensanglantée est projetée dans notre geôle. Je reconnais Enhespez !

Il n’a plus, d’apparence humaine, que ses souliers. C’est de la boue ! Un monstrueux hamburger ! On l’a tailladé menu, comme on émince du persil pour la sauce vinaigrette. Ses oreilles sont en fins lambeaux, son nez idem, et ses joues ; de même que son cou, ses mains, ses jambes, son ventre… Bouillie rouge ! Décoction de chairs. Résidu d’homme ! Il forme une masse répugnante sur le sol. Il ne bouge plus. Il ne parle plus. Il ne respire plus ! Il ne pense plus. Bref, tirez-en la conclusion que vous voudrez, mais selon moi il est mort.

— Merde, t’as vu Pépère, dans quel état ils l’ont mis ? bredouille Béru.

Je cherche à piger. Quelque chose me déroute dans ce meurtre langoureusement perpétré. Pourquoi n’a-t-on pas conservé don Enhespez au même titre qu’on nous garde, nous ? Je devine que Sin Jer Min En Laï a agi en connaissance de cause, mais dans quel but ?

— Ils nous esposent sa sarcasse pour nous donner à réfléchir, j’suppose ? dit le Mastar. Y espèrent que devant sa dépouille on va dégoiser des trucs intéressants !

Il tourne son mufle vers le micro du magnéto.

— V’là ce que j’ai à déclarer ! hurle le Gros.

Et il entonne, d’une voix qui rapidement s’essouffle :

Moi j’l’appell’ ma p’tite Chinoise

Ma Tonkiki, ma Tonkiki, ma Tonkinoise…

— Économise tes éponges, gars, l’interromps-je. Tu es enfantin.

Ça commence à me tirer dans les muscles dorsaux. Ma nuque devient un pieu enfoncé entre mes épaules. Je tire sur mes chaînes comme si je préparais un rétablissement. C’est violent comme effort, mais ça vous déverrouille.

Soudain, un grand brouhaha éclate dans le camp. On court, on galope, on s’interpelle. Des véhicules affairés passent en trombe devant le bâtiment où nous sommes incarcérés. On se croirait dans un fortin assiégé. Malgré leur impassibilité, nos gardes sourcillent et se dévisagent. L’un d’eux finit par murmurer, à l’adresse de ses compagnons :

— Ké cé s’ramdam, bon Dieu !

Ce qu’on pourrait très approximativement traduire par : « Diable, diable, mais que se passe-t-il donc ! »

— Tu entends ce circus ? s’intéresse Béru. Ma parole, on dirait qu’ils sont en train de tourner « les derniers jours de mon pays ».

Effectivement, il y a de l’effervescence. Moi qui suis un petit curieux de nature, je donnerais la fortune des Rockefeller pour savoir l’objet de cette bastringuée.

— C’est p’t’être un coup de grisou dans leur mine de sulfocradingue, non ? suppose mon compagnon de bonne, de mauvaise et d’infortune.

Au lieu de jouer avec lui au carré de l’hypothèse, je suis, de ce regard sagace qui me vaudrait le nom d’Œil de Faucon si j’étais Indien, un mince filet de poussière blanche tombant du plaftard. C’est menu, presque imperceptible, mais j’ai retapissé la chose à cause de ma position qui m’oblige à tenir la tête levée. La poussière coule de façon régulière. Ça ressemble à la poudre de bois coulant d’une vieille poutre becquetée par un ver. Je vous ai dit que toutes les constructions du camp sont faites de plaque en fibrociment. Quelle bestiole peut bien s’attaquer à ce matériau mort, je vous le demande avec accusé de réception.

Je tends l’oreille, à la recherche d’un petit grignotement, mais le vacarme environnant est trop intense pour que je puisse le percevoir. La poussière continue de sourdre. Elle est si légère que, parvenue à deux mètres du sol, elle se disperse. Il n’empêche qu’à terre, cela forme des petits monticules comme dans la partie inférieure d’un sablier qu’on vient de renverser. Je mate le plafond fixement. Je vois surgir de la plaque blême un morceau de poinçon qui tournique pour agrandir l’orifice.

L’un des gardes lève la tête. Lui aussi a aperçu la poudre blanche. Il signale la chose aux autres, lesquels regardent à leur tour le plafond percé. Comme ils se lèvent, une petite chose ronde tombe du trou et éclate au sol. J’ai à peine le temps de me demander ce qu’est cet objet. Presque immédiatement tout se brouille et je m’oublie.


Il est bath, mon rêve.

Comme tous les rêves, il s’appuie sur un souvenir plus ou moins confus.

Je me rappelle un spectacle auquel j’ai assisté aux États-Unis, il y a quelques années. C’était au Texas, pas loin de San Antonio justement. La boîte s’appelait Aqua Reina. Elle offrait la particularité d’être immergée au fond d’un plan d’eau. Ses parois étaient en verre et l’on buvait des scotch-coca en regardant se baguenauder des poissons dans un univers à la Cousteau. De temps à autre, de belles girls déguisées en sirènes venaient danser un ravissant ballet aquatique. Un tuyau de caoutchouc leur permettait de respirer. C’était clinquant, comme tout ce qui est amerlock, et cependant féerique.

Dans mon rêve, v’là que je retourne à Aqua Reina, les potes. Seulement l’eau est à l’intérieur de la salle. Y a une sirène minuscule qui évolue autour de moi. Elle a un long tuyau dans le bec et deux tresses lui pendouillent sur les épaules. Elle ressemble à Marie-Marie comme une sœur jumelle, la sirène que je cause. Je fais un effort pour chasser l’eau de mes poumons.

— Marie-Marie, articulé-je.

Mais je ne produis que des bulles. La sirène ne m’a pas entendu. Elle continue avec application son ballet. L’argument d’icelui est le suivant : la naïade ligote avec du fil de fer six Chinois endormis. Elle ramasse six mitraillettes noires et les dépose à l’autre extrémité du local. Ensuite elle traîne un gros magnétophone auprès de moi. Elle l’appuie au mur. Elle pique les canons de deux mitraillettes dans les manettes de cuir situées à chaque extrémité du magnétophone et se juche sur les crosses des mitraillettes. Grandie d’un bon mètre, la petite sirène peut atteindre le crochet où sont passées nos chaînes et au moyen d’une scie à métal (ou à métaux) se met à sectionner la base du gros crochet. Elle fonctionne à tout berzingue, la môme. Au bout d’un moment, le crochet coupé en deux restitue ses chaînes et deux gentlemen ayant pour blazes Bérurier et San-Antonio s’abattent le pif sur le plancher.

J’achève de m’arracher aux vapes. Suffisamment toujours est-il pour comprendre que je ne rêve pas.

— Marie-Marie…

— Pas le moment, ronchonne la petite teigne. Maintenant va falloir regrimper par le plafond, si tu pourras m’hisser, ensuite, je vous aiderai à sortir de là avec mon onc’ !

L’un des gardes chinetoques qui a repris conscience, lance un cri. Je lui stoppe le S.O.S. d’un coup de latte dans le gosier.

— Faudrait les museler, dit la môme, sans quoi ils vont gueuler.

Je défère à son désir en bâillonnant les gardes avec leurs ceintures de toile.

— Que se passe-t-il, dehors ? demandé-je à la gosse.

— C’est l’incendie que j’ai allumé, qui leur occupe le temps, répond-elle. Un grand entrepôt plein d’huile ; tu vas voir comme c’est beau, promet la jeune pyromane (ou pyro-woman).

Effectivement, de grandes lueurs pourpres dansent par la brèche du plafond.

Le camarade Bérurier trouve opportun de se réveiller.

— Où sont-ce nous ? bredouille-t-il.

— Dans un magnifique western, gars. Tu peux te tenir debout ?

— Tiens, se réjouit le Mastar, la môme Grignette est retrouvée, où que t’étais passée, dis, Musaraigne ?

— Ne t’occupe, tonton, je vous raconterai tout plus tard, je m’ai bien amusée. Alors tu m’hisses, Antoine ?

Je l’hisse, heureux qui comme qui l’hisse… Quand elle s’élève au-dessus de mes épaules, elle murmure.

— Je t’prierai de pas regarder sous mes jupes, Antoine.

Marie-Marie cramponne le bord de la plaque de fibrociment cassée et opère un rétablissement. Couchée sur le toit elle prodigue d’astucieux conseils.

— Je serais de toi, Antoine, je grimperais sur les épaules à m’n’onc’, et une fois ici, tu lui tiendrais le tuyau de caoutchouc pour qu’il grimpe après.

Ainsi est fait. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les trois sur le toit. Je devrais dire tous les quatre car, en homme prévoyant, je me suis muni d’une mitraillette.

À deux cents mètres d’ici l’incendie fait rage. Tous les occupants de la base sont mobilisés pour essayer de neutraliser le sinistre. Mais va te faire voir ! Rien ne crame mieux que l’huile et leurs extincteurs sont dérisoires devant l’ampleur du feu.

— Beau travail, petite ! approuvé-je.

— Une vraie Jeanne d’Arc, renchérit Sa Majesté, sauf que c’est elle qui fout le feu !

Vous parlez d’une amazone, cette momaque ! Elle craint personne ! Je savais pas que ça pouvait exister, une gamine pareillement douée pour l’aventure !

— Comment t’es-tu débrouillée, mon chou ? questionné-je, avide de savoir.

Elle renifle. Les lueurs du brasier allument sur son petit visage malicieux des lueurs démoniaques.

— Ben, j’sais pas si vous l’aurez remarqué, mais dans le bureau du Chinetoque, je m’ai débinée à quat’ pattes, profitant de c’qu’on f’sait pas gaffe à moi.

— Où qu’t’as été ? bougonne le Gravos.

— Dans la pièce à côté, c’était la chambre du vilain type. Je m’ai glissée dans son plumard et j’ai plus bougé. Je savais bien que si j’aurais sortie, en trois secondes les clebs me repéreraient.

— Ensuite ?

— Quand j’ai entendu que la meute s’éloignait vers l’aut’ bout du camp, j’ai pris des godasses qui se trouvaient là en me disant comme quoi les cadors renifleraient pas mes arômes à moi si je me les mettrais aux pieds, vous suivez ?

— Où qu’elle va chercher ça dans sa petite tronche ! bée Béru. J’te jure que ça pourrait être une Bérurier pur fruit !

Marie-Marie lui décoche un regard d’incendiaire :

— Ho, hé ! Parle pas de malheur, m’n’onc’ !

Puis, elle poursuit ses explications.

— Une fois que j’ai chaussé les pompes du Chinois, j’ai été fout’ le feu à l’entrepôt d’huile, puis foncé en direction de vot’ bâtiment. J’ai remarqué pour lors qu’il était adossé à un autre ; çui-là ! ajoute l’enfant en nous désignant un toit accolé à celui sur lequel nous cachalons.

Le second toit est percé d’un large vasistas, ouvert pour l’instant.

— C’t’autre baraquement, c’est un atelier, fait-elle. J’y ai trouvé tout ce qui me fallait : n’échelle, un pointon, un long tuyau de caoutchouc… un gros marteau que le voilà jusque à côté de la bouille à tonton justement !

— Et puis ?

— Faut vous dire qu’y me restait un berlingot endormeur dans la poche, vu que j’en avais cassé qu’un dans la salle du cof’. J’ai percé un petit trou dans vot’ toit et j’ai balancé le berlingot. J’ai vu qu’y f’sait son effet. Alors avec mon marteau j’ai cassé la plaque de ciment…

— Personne t’a repérée ? s’étonne le Majestueux.

La gamine me prend à témoin :

— Il entend pas le bouzin qu’y font autour de l’incendie…

Elle hausse ses frêles et méprisantes épaules.

— C’te fois, je m’ai méfié du gaz, c’est ce dont pourquoi j’ai embarqué long de tuyau pour respirer et je m’ai bouché le nez avec du papier mâché. Bon, on fiche le camp ou on se fait cuire un œuf ?

Nous reptons pour gagner le vasistas de l’autre toit. L’échelle est toujours dressée contre l’orifice. Une fois dans l’atelier, je vais à la porte pour couler un z’œil à l’extérieur. M’est avis que ça ne se présente pas trop mal, mes fils, car, à deux mètres de là, j’avise une jeep en stationnement.

— O.K., nous allons jouer le numéro plein, dis-je. Sitôt la lourde ouverte on fonce à la jeep. Toi, Gros, tu prends le volant et tu fonces vers la sortie sans t’occuper du reste. De deux choses l’une : la barrière est ouverte ou elle est fermée. Si elle est ouverte tu passes, si elle est fermaga, je vais demander poliment à ces messieurs de nous l’ouvrir. Toi, môme, tu te coucheras à l’arrière sur le plancher, compris ?

— T’es louf, Antoine, si je me coucherais je pourrais rien voir ! proteste Fleur de Souci !

— Je te raconterai après, môme ! Mais fais ce que je te dis car il pourrait bien vaser des pruneaux ! Vous y êtes ? Alors à l’abordage !

Nous cavalons à toute vibure jusqu’à l’auto. En dix secondes nous voilà démarrés. Le Béru qui connaît le camp mieux que moi drive sans hésiter en direction de l’entrée. De loin, je constate que la barrière est assurée.

— Fais un appel de phares ! lui dis-je.

Il obéit. Des silhouettes s’agitent dans la lumière du poste de garde. Un mec sort, s’approche de la manivelle qui pont-levise, mais s’abstient de la manœuvrer avant de nous avoir retapissés.

— Stoppe pile à sa hauteur, Alexandre-Benoît !

C’est un beurre, ce Béru. Au doigt et à l’œil, il obtempère. La jeep freine à mort devant le gus, lequel morfle la crosse de ma taratata en pleine poire avant même d’avoir pu constater que je ne suis pas chinois. Je saute de la guinde et remonte moi-même la barrière, d’une seule main, car je conserve la sulfateuse braquée en direction du poste.

Marie-Marie, en jeune fille désobéissante, émerge de la chignole et se met à lancer des trucs derrière l’auto. J’ignore ce dont il s’agit, mais cela produit un petit bruit d’averse qui attire l’attention des autres gougnafiers de l’intérieur. Les v’là t’il pas qui ramènent leurs fraises, ou, plus justement, leurs citrons ? Moi, vous me connaissez ? J’ai rien du tueur à Garches ! Liquider froidement des gens qui ne m’ont provisoirement rien fait, voilà qui n’est pas dans mes manières. Je ne tire que sur des malfrats, ou quand je suis en état de légitime défense, comme disait un éléphant. Abandonnant la manivelle, je bondis au milieu du groupe en virevoltant de la moulinette. Ma promptitude et ma force font mieux que patience et longueur de temps, mes fieux ! Bzzaoûm ! Vrrang ! Plofff ! Je ne jette pas le manche après la cognée, mais je cogne avec le manche ! Ça se décime et la victoire se dessine.

Pendant ce temps, miss Tresses achève de remonter la barrière. Y me reste plus qu’un vilain à jetonner. Manque de bol, ce foie-jaune a eu le temps d’extirper sa rapière de son étui, et il me praline. Des valdas me susurrent des bouts de Te Deum aux oreilles. Heureusement que je suis d’une mobilité qui foutrait des complexes à un pou sélectionné pour les jeux olympuces. Un saut à gauche, un autre à droite, un troisième au milieu, un quatrième en avant, et il a ses coups de crosse art chit et pisse copaux à gauche de sa hure. J’ai assené tellement fort que son étiquette se décolle et lui pend sur la joue.

Va falloir qu’elle se fasse ravaler la façade, cette bonne jonquille sans jonque. L’expression « rentrer chez soi l’oreille basse » va prendre toute sa signification.

— Et ben, tu t’annonces (apostolique), oui ! beugle le Faramineux.

Je saute dans la jeep.

— Cocher, au bois ! Et ne ménagez pas l’attelage ! lancé-je d’une voix aussi gaillarde que la prose de mon éminent confrère Robert Gaillard.

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