10

Treuffais se réveilla en sursaut car le téléphone sonnait. Il se leva, il alla décrocher.

— Marcel Treuffais à l’appareil.

— Buenaventura Diaz.

— Où es-tu ?

— Nous sommes rentrés, nous sommes chez mon copain, il trouve que tout est au poil, il va essayer de régler la question véhicules et si ça se résout au galop on peut envisager la chose pour ce vendredi.

— Ce vendredi !

— Ben qu’est-ce que tu crois ? Et pourquoi pas ?

— On n’a pas… Enfin, oui, oui, bon, dit Treuffais en repoussant les cheveux qui lui tombaient dans les yeux.

— On se voit demain soir chez toi. Préviens les autres.

— Oui.

— Allez, salut. André et moi, nous avons encore beaucoup de choses à mettre au point.

— Bon.

Le Catalan raccrocha et se retourna vers Épaulard. Celui-ci était assis à son bureau de conseil juridique bidon. Il en avait complètement dégagé le plateau, y avait étalé une des blouses en guise de bâche et démontait les automatiques pour s’assurer de leur bon état.

— Il est bizarre, le père Treuffais, on dirait, fit Buenaventura.

Épaulard leva les yeux.

— Il a peur ?

— Je ne sais pas. Ce n’est pas le problème. Tu vas te marrer, mais je ne suis pas sûr qu’il soit tellement d’accord, politiquement.

— Pourquoi est-ce que je me marrerais ?

— Toi, tu n’es pas tellement d’accord non plus, politiquement, dit Buenaventura. Et tu es tout de même en train de monter sur le coup. Je t’ai dit, le désespoir.

— Fais pas chier, petit. On peut compter sur Treuffais, oui ou non ?

— C’est mon ami, dit Buenaventura.

— Ce n’est pas ce que je te demande.

— C’est ce que je te réponds.

— Dans ce cas, dit Épaulard, on fera le coup à quatre.

— Tu plaisantes.

— Absolument pas.

— Mais Treuffais est avec nous ! dit Buenaventura. Il a rédigé l’essentiel du manifeste. Il… Non, non, enfin quoi merde, tu plaisantes.

Le Catalan s’était mis à marcher à grands pas dans le bureau, ses mèches noires lui battant les yeux, ses dents découvertes par un rictus nerveux. Il se laissa tomber dans un fauteuil de cuir. Le téléphone sonna à ce moment. Épaulard décrocha.

— Cabinet Épaulard, conseil juridique, annonça-t-il et il écouta, fit la moue, tendit le combiné à Buenaventura. C’est pour toi, dit-il, c’est Treuffais.

— Allô ?

— Buen, il faudrait que je te voie.

— Pourquoi ?

— Il faut que je te parle. En tête à tête, s’il te plaît.

— Ce soir, alors. Tu passes chez moi ?

— À l’hôtel ? Si tu veux. Quelle heure ?

— 8 heures ?

— Bon. On ira bouffer ensemble. Enfin, peut-être.

— Ah bon, « peut-être » ? dit Buenaventura. C’est à ce point-là ? Enfin, d’accord. 8 heures.

— Salut.

Le Catalan ne répondit pas. Treuffais demeurait au bout du fil. Buenaventura l’entendait respirer.

— Allô ? Tu es là ? demanda-t-il.

Buenaventura raccrocha. Épaulard le contemplait d’un air sagace.

— Il laisse tomber ?

— J’en sais rien. Ça se peut. Je le verrai tout à l’heure.

— Bien, dit Épaulard. On en reparlera demain. Je vais me tirer. Faut que j’aille à Ivry, pour les munitions et les véhicules. Si ton copain décroche, tu penseras à joindre Meyer et D’Arcy, leur dire que c’est ici qu’on se verra demain soir.

Rapidement, le quinquagénaire acheva de remonter les automatiques, les enveloppa derechef dans les blouses, fit de l’ensemble une sorte de ballot qu’il rangea dans l’armoire métallique kaki. Les deux hommes s’envoyèrent une vodka, puis quittèrent le bureau, chacun s’en alla de son côté.

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