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Treuffais était dans un état semi-comateux. Un des officiers de police lui donnait sans conviction des coups de pied. L’autre fouillait l’appartement. Assis dans le fauteuil du père, Goémond considérait avec agacement son prisonnier couché par terre et qui ne réagissait plus aux coups. Il se leva et passa dans la cuisine, rejoignant celui de ses subordonnés qui achevait une perquisition sommaire.

— Il ne dit toujours rien ? demanda l’homme.

Goémond secoua la tête.

— Vous avez essayé de lui tordre les couilles ?

— Ce serait torturer, dit Goémond. Chez nous, on ne torture pas. Enfin, on verra, s’il s’obstine. Vous avez découvert quelque chose ?

L’OP hocha la tête et étala divers objets sur la table de la cuisine. Une matraque plombée. Une dizaine de carnets de chèques à des noms différents, neufs. Un agenda.

— Des chéquiers volés, dit-il.

— C’est maigre.

— Je suis prêt à parier qu’ils viennent de cette BNP qui s’est fait piller par la Gauche Prolétarienne, le 27 mai 70.

— Je ne tiens pas le pari, dit Goémond, mais vous avez peut-être raison. Ça ne nous avance pas tellement. Voyons l’agenda.

Il le feuilleta. Il était vierge. Mais à la fin du petit livret se trouvait un répertoire d’adresses. Le commissaire l’examina avec intérêt et y trouva les adresses d’André Épaulard et de Buenaventura Diaz.

— Tu vas appeler la maison, dit Goémond. Je veux qu’on envoie du monde jeter un coup d’œil à toutes les adresses de ce répertoire, voir s’il y a du louche, si les gens sont là. Ne pas leur mettre la puce à l’oreille, par exemple. Trouver des prétextes vraisemblables.

— Des prétextes vraisemblables au milieu de la nuit ! s’exclama l’OP.

— Ils les trouveront.

— On essaie aussi les adresses de province ?

— On essaie tout. Mais pour la province, on attend demain matin. J’arrangerai ça directement avec le ministère.

— Bon.

L’OP alla téléphoner dans l’entrée. Goémond regagna le salon miteux. Il n’avait pas dîné, il commençait à se sentir fatigué. Treuffais était toujours allongé par terre. L’autre policier avait enlevé son veston et fumait une cigarette, un Colt.38, arme non réglementaire, sous le bras dans un étui de toile.

— Toujours pas décidé ? demanda Goémond à Treuffais.

— Je t’encule, salope, murmura Treuffais.

L’OP en manches de chemise lui donna un coup de pied paresseux.

— Tu ne comprends donc pas qu’on les aura de toute façon, tes copains, puisqu’on tient déjà Diaz et Épaulard ? Si tu nous aidais, tu nous ferais juste gagner un peu de temps. C’est pas déshonorant, quand même, de s’avouer vaincu quand on l’est bel et bien. Moi, j’appelle ça du réalisme. Et si tu nous aides, je pourrai faire quelque chose pour toi.

— Vous n’avez déjà que trop fait pour moi, salope.

C’est bien, songea Goémond, il se décide à l’ouvrir un peu. Même si c’est pour me traiter de salope, c’est un progrès. Le commissaire mordilla sa moustache.

— Vous serez emmerdés, je peux vous le promettre, dit faiblement Treuffais. Vous n’en avez pas fini avec moi, si vous êtes vraiment flics. Parce que je n’ai rien fait, je ne suis au courant de rien, et vous, vous vous amenez sans mandat, et vous me torturez. Je vous garantis que je vais porter plainte.

— Pauvre agneau, dit Goémond. Ça parle de torture, ça sait même pas de quoi ça parle.

— Vous ne pourrez jamais m’inculper de quoi que ce soit puisque je n’ai rien fait, affirma Treuffais d’une voix épuisée.

— Recel de chèques volés, ricana Goémond. Ça suffira pour le moment. Ensuite, on envisagera l’atteinte à la sûreté de l’État et la complicité de meurtre. Je peux te garder aussi longtemps que je veux. Je te garderai jusqu’à ce que tu parles.

— Arrêtez-moi, alors, dit Treuffais. Mettez-moi en prison. Vous n’avez pas le droit de rester dans mon appartement et de m’y retenir.

— Le droit, dit Goémond, j’en prends et j’en laisse.

— Bon, puisque c’est comme ça, dit Treuffais et il se mit à hurler de toutes ses forces.

Goémond bondit en avant et appliqua sa semelle sur la bouche de Treuffais. Il y eut une brève lutte. L’autre policier se précipita. Treuffais avait réussi à se redresser et criait à pleins poumons. Goémond sortit un nerf de bœuf de son veston et tapa sur la tête du jeune homme qui se tut et devint tout mou. Quelque part dans les étages inférieurs, des locataires mécontents du vacarme tapaient sur les canalisations avec un balai.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda l’OP. On l’embarque ?

— Je crois qu’il va falloir. Rien d’officiel, hein ? On va juste le garder un moment à la maison.

— Avec les politiques, dit l’OP, faut quand même se méfier. Il est foutu de porter plainte, après.

— Après, mon petit, fais-moi confiance, dit Goémond. Il aura plus tellement la tête à ça.

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