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C’est en discutant avec le flic, qui était un homme prudent, pas désagréable, mais pas très distrayant, que Louis trouva le papier dans sa poche gauche. Guerrec était en train de lui expliquer que Diego, Diego Lacasta Rivas, était un Espagnol, et qu’avant l’âge de cinquante ans, où il avait commencé à travailler pour Sevran, on ne savait rien de lui. Il allait falloir mettre l’Espagne en branle et ça ne l’enchantait pas. Mais pour disparaître sans laisser de traces, il fallait que Diego ait eu des raisons sérieuses, sans doute connues de Marie qui l’attendait toujours. Qui sait s’il n’était pas revenu ? Qui sait s’il n’avait pas tué Marie ? Tout en écoutant, Louis avait enfoncé la main dans sa poche et trouvé le papier. Une boulette froissée qui n’aurait pas dû y être puisqu’il avait refilé la boule de journal avec l’os à Guerrec. Il la déplia sans interrompre l’inspecteur.

— Kehlweiler, dit Guerrec, vous écoutez ou quoi ?

— Lisez cela, lieutenant, mais n’y posez pas vos doigts, j’ai déjà mis mes empreintes partout.

Kehlweiler tendit à Guerrec une petite bandelette de papier blanc chiffonné, déchiré sur ses bords. Les courtes lignes étaient tapées à la machine.

Il y avait un couple

à la cabane Vauban,

mais tout le monde la boucle.

Qu’est-ce que vous attendez

au lieu de perdre votre temps

à rater la 7 ?

— D’où vient-il, ce poème ? demanda Guerrec.

— De ma poche.

— Encore ?

— Ce coup-ci, je n’y peux rien. On a dû glisser ce papier dans ma veste tout à l’heure, au café. Il n’y était pas quand je suis entré au bar à trois heures.

— Elle était où, votre veste ?

— Près du billard, à sécher sur une chaise. Le papier était en boule.

— Oui. C’est quoi cette histoire de 7 ?

— Une boule de billard, la n° 7. Je l’ai jouée trois fois en fin de partie sans la rentrer.

— C’est mal rédigé.

— Mais c’est clair.

— Un couple… murmura Guerrec. S’il y avait un couple illégitime dans la cabane ce soir-là, Marie a pu les surprendre et l’un des deux a pu la tuer. Ça tient debout, cela s’est déjà vu, et pas plus tard qu’il y a quatre ans à Lorient. Seulement… pourquoi un mot anonyme ? Et pourquoi l’auteur ne nomme-t-il pas le couple ? Pourquoi s’adresse-t-il à vous ? Pourquoi dans le café ? Pourquoi cette boule 7, qu’est-ce qu’elle vient faire là ?

— Un chien dans le jeu de quilles, dit Louis doucement.

— Des pourquoi inutiles… continua Guerrec comme pour lui-même, en haussant les épaules. On touche là aux replis tortueux des faiseurs de lettres anonymes, à leurs motivations tordues, à leurs moyens sinueux, illogiques… L’avidité, la lâcheté, la violence, la faiblesse… Même chose, pas plus tard qu’il y a six ans à Pont-l’Abbé. Mais l’accusation peut être vraie.

— La cabane Vauban est un endroit judicieux pour un couple. Ça fait un toit et c’est loin de tout. Le risque d’être vu est minime.

— Même en sachant que Marie Lacasta venait pêcher sur cette grève ?

— Elle ne devait sûrement pas entrer dans la cabane, question de réputation. Dans ces vieilles cabanes en pierre, on n’y va que pour pisser ou pour se rencontrer, tout le monde sait ça, et pas plus tard qu’il y a quatre mille ans dans le monde entier. Mais ce jeudi-là, exceptionnellement, Marie a pu y jeter un œil. Et c’est l’engrenage.

— Et l’auteur du papier ? Il y était aussi ?

— Ça ferait beaucoup de monde sur place pour un soir de meurtre, je ne crois pas à ce genre de coïncidence. Mais il pouvait savoir qu’un couple se retrouvait à la cabane. Il apprend le meurtre, il fait le rapprochement, il nous le suggère. Il ne parle pas parce qu’il a peur. Vous avez lu : « tout le monde la boucle ». Soit l’auteur dramatise, soit il y a dans ce couple un personnage menaçant, ou simplement influent, à ne pas déranger, et tout le monde la boucle.

— Pourquoi s’adresser à vous ?

— Ma veste était accessible et c’est un bon relais vers vous.

— Un couple… murmura à nouveau Guerrec. Un couple… tu parles d’un renseignement… C’est ce qu’il y a de plus répandu sur terre. Surveiller la cabane ne donnerait rien, ils n’y reviendront pas. Questionner les gens ne donnerait rien, qu’à semer une pagaille sans nom et ne rien apprendre. Ce qu’il nous faudrait, c’est l’auteur du billet. Les empreintes, il faut voir les empreintes…

— Il n’a pas couru le risque d’en laisser. C’est pour cela qu’il, ou elle, a mis le papier en boule.

— Oui ?

— Il ne pouvait pas garder des gants dans le café sans se faire remarquer. Pour glisser le truc dans ma veste, le plus simple était de froisser le message en boule en le tenant dans un mouchoir, poing fermé, et de le laisser tomber dans ma poche. Le papier est petit, c’est facile de le tenir dans sa main repliée, le bras ballant près du corps.

— Il vous a vu perdre la 7, il est sorti après… C’était quand, la 7 ?

— Tout à la fin de ma partie avec Sevran, avant cinq heures.

— Puis il revient, le billet prêt, le bras ballant. Qui avez-vous vu entrer et sortir dans cet espace de temps ?

— Impossible de vous faire un compte rendu des allées et venues. Je regardais mon jeu avec Lefloch et je ne connais pas encore assez les gens d’ici. Il y avait pas mal de monde au bar, et autour de la table de jeu. On vous attendait. Çà sortait, ça traînait, ça rentrait.

— Restent les caractères de la machine.

— Pour cela, vous avez un spécialiste sur place, autant s’en servir.

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