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Louis occupa le voyage du retour à aller mouiller Bufo dans les toilettes du train — le wagon était sec, surchauffé et défavorable aux amphibiens —, à changer de place et à observer, en levant les yeux, ce qui se reflétait dans le porte-bagages vitré qui courait au plafond du wagon ; et à reprendre des pensées que son passage à la bibliothèque de Rennes avait tordues dans un autre sens. Sans l’ombre d’une preuve, il ne pouvait viser directement au but. Il allait falloir faire ça par la bande, une partie de billard à trois boules réellement délicate. Comment avait dit ce type au Café de la Halle ? « Le billard français, c’est plus franc, tu sais tout de suite que t’es con », quelque chose comme ça. Évidemment. Le tout est de ne pas rater la manœuvre. Il s’endormit profondément une heure avant Quimper.

Il ne vit Marc qu’à la dernière minute, tout en noir dans l’obscurité de la place de la gare. Ce type avait le don d’apparaître devant vous à n’importe quel instant et de vous refiler son agitation si on n’y prenait pas garde.

— Qu’est-ce que tu fous ici ? demanda Louis. Tu ne surveilles pas ?

— Mathias est à l’affût devant chez les Sevran et les Darnas dînent chez le maire. Je suis venu te chercher, c’est aimable, non ?

— Bien, dis-moi ce qui se passe mais je t’en prie, résume-toi.

— Lina Sevran s’apprête à se faire la malle en douce.

— Tu es sûr ?

— J’ai escaladé le toit de la maison d’en face et j’ai regardé. Une petite valise, un sac à dos, elle ne prend que le strict nécessaire. Quand Sevran est sorti, elle a filé se commander un taxi pour demain six heures. Je peux dilater ou je continue à résumer ?

— Cherche un taxi, dit Louis. Faut qu’on se grouille. Où est Guerrec ?

— Il a emmené Jean en garde à vue et le curé fait la gueule. Cet après-midi, Guerrec était auprès de Gaël, toujours pareil. Mathias a bien travaillé sur son site archéologique…

— Vite, cherche un taxi.

— Je te parlais du site de Mathias, merde.

— Mais bon sang ! dit Louis en s’agitant à son tour, tu ne peux donc pas trier les urgences ? Qu’est-ce que tu veux que j’en foute, du site archéologique de Mathias ? Qu’est-ce que tu veux que j’en foute si vous êtes cinglés tous les deux ?

— T’as de la chance que je sois le bon type qui te prête sa jambe et sa patience, mais il n’en reste pas moins que le site de Mathias, c’est une tombe. Et si tu veux que je résume, que je compacte, c’est la tombe de Diego creusée à faible profondeur, le corps couvert par un lit de cailloux et le tout scellé par deux des pieds de la colossale Machine à rien. C’est comme ça.

Louis tira Marc à l’écart de la sortie de la gare.

— Explique-toi, Marc. Vous avez ouvert ?

— Mathias n’a pas besoin d’ouvrir la terre pour savoir ce qu’il y a dessous. Un rectangle d’orties qui ne poussent pas comme les autres et ça lui suffit. Le rectangle tombal est coincé sous la Machine à rien, je te dis. Machine à rien, mon œil. Ça m’étonnait aussi qu’un gars comme Sevran se soit crevé pour zéro, ce n’est pas son profil. Avec l’ingénieur, il faut que tout serve. Je sens les gars qui ont le goût de l’inutile, on repère toujours ses pareils. Lui, il a le sens exaspéré de l’utile. Alors, sa machine, elle sert diablement bien à quelque chose. À coincer la tombe de Diego, deux pieds de fer par-dessus et on n’y touche plus. Je me suis renseigné à la pause bouffe auprès du maire. C’est à cet endroit qu’on devait installer la grande surface. Tu imagines les dégâts en creusant les fondations ? Mais Sevran a proposé une grande machine, c’est lui qui a convaincu le maire, c’est lui qui a déterminé l’emplacement exact dans le sous-bois. Pour l’amour de l’art, on a déplacé l’installation de la grande surface de cent vingt mètres en arrière. Et Sevran a monté sa machine sur la tombe.

Satisfait, Marc traversa la place en flèche pour arrêter un taxi. Louis le regarda courir en se mordant la lèvre. Bon sang, pour la machine, il n’avait pas été clairvoyant. Marc avait entièrement raison, Sevran n’était en aucun cas un homme de l’inutile. Un piston doit pistonner, un levier lever, et une machine servir.

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