CHAPITRE XXIII A MOI, ANGELINO : DEUX MOTS

Dans la bagnole mise par le boss à ma disposition, je tâche de coordonner les éléments que je possède. C’est un petit exercice assez délicat.

Je me rends compte que, dès le départ, nous avons pris une fausse piste. Cela vient de ce que j’ai cru comprendre le mot Orsay alors qu’il s’agissait de Lord Said… Comme il y avait une conférence internationale, on s’est illico orienté — le boss et moi — vers un attentat… Ce qui a couronné le tout, c’est l’histoire du buste de Montesquieu qui figurait aussi au ministère…

Angelino devait faire surveiller Wolf, puisque celui-ci avait pris à l’opération une part aussi capitale. Il a dû comprendre que la mort de mon collègue n’était pas normale. Alors il m’a fait suivre… Lorsqu’il s’est rendu compte que j’allais à Versailles, il a dû dire à un Mallox quelconque que si jamais je me rendais chez la petite Rynx, il faudrait à tout prix empêcher celle-ci de parler.

J’y vais et on dérouille la pauvrette.

On continue à m’avoir à l’œil… Angelino est curieux de savoir où j’en suis. La rapidité de mes recherches ne lui dit rien qui vaille. Suis-je au courant de l’histoire des bijoux ou non ?

Il est résolu à stopper mon activité, du moins à la contrôler.

Lorsque Ruti lui annonce que je suis au Louvre, il décide que le moment est venu d’avoir une conversation avec moi.

A ce moment-là il est sans doute décidé à me liquider, seulement il se produit un fait nouveau… Oh ! il n’est pas dupe de ma petite proposition de collaborer, seulement il feint de l’accepter parce que, en voulant l’épater, je lui ai parlé des Affaires étrangères… Il a dû se marrer en comprenant que je courais après un nuage… Il valait mieux me laisser en vie car, précisément, cette fausse piste lui donnait plus de liberté pour agir.

Entre-temps, il avait fait « récupérer » la petite sculptrice pour essayer de savoir ce qu’elle avait révélé. Avait-elle dit qu’elle avait fait une copie du buste de Monstesquieu en employant du plastic ?

Non, elle ne m’a rien dit. Elle ignorait sans doute ce qu’était au fond cette matière… Elle avait été surprise de ce qu’on lui commandât un travail exécuté avec cette pâte, simplement… Elle m’en aurait certainement parlé si nous avions poursuivi l’entretien…

Bon… Sans perdre de temps, je découvre l’une des retraites d’Angelino. Alors il prend le mors aux dents. Je deviens un adversaire vraiment dangereux : à liquider !

Mais la chance me sourit dans le bistrot… Elle me sourit encore chez Verdurier, le complice qui s’occupait de la petite… Elle se gondole encore à Saint-Lazare, tandis que je perpétue à ma manière le numéro des Clérans.

Et maintenant ?

Il me reste trois choses à régler : le but exact de la statue de plastic, l’arrestation d’Angelino, la récupération des bijoux… Car je me fais un point d’honneur de régler ces questions qui ne sont cependant pas exactement de mon ressort… Voilà vingt-quatre heures que je me fais tailler le lard, que je bigorne des foies-blancs, mais cela n’a pas empêché Angelino de respecter son programme, qui est la liquidation du vieux Lord…

Tout en réfléchissant on a roulé, et tout en roulant on arrive en haut de la rue des Martyrs.

Je dis au chauffeur :

— Si dans un quart d’heure tu ne m’as pas revu, fais donner la garde : je vais au 112 du boulevard, premier étage…

Je quitte la guinde et escalade la volée de marches.

Je sonne sur l’air convenu : « Ta tagadagada tsoin tsoin » et j’attends.

Je me demande si ce n’est pas crétin de venir au rendez-vous d’Angelino. Après tout ce qui s’est passé, il est fort peu probable qu’il y soit fidèle…

Personne n’a l’air de répondre… M’est avis que la belle Mireille a fait fi de mes conseils et qu’elle s’est taillée dans les azimuts comme se taillent les hirondelles à l’approche des froidures.

Je tourne en vain le loquet. Puis je resonne, mais sans espoir. Au moment où je fouille mes poches pour m’emparer de mon petit sésame, je sens un corps dur dans mon dos.

Je me retourne et je vois deux mecs. L’un est Mallox, l’autre, si ma mémoire visuelle est fidèle, est le type qui conduisait la voiture lorsqu’il a essayé de me rétamer.

Ils ont tous deux un pétard à silencieux.

Mallox, d’un geste rapide, passe sa main par l’ouverture de ma veste et cueille mon soufflant.

— Allez, go ! fait-il.

Je m’apprête à descendre l’escalier.

— Non, fait son copain, par ici la bonne soupe !

Et il m’oblige à monter les étages.


Angelino est bien le gars organisé que je croyais.

Il s’est choisi un immeuble aux pommes. On grimpe tous les étages, on pousse une petite porte conduisant au grenier, puis, là-haut, on suit un étroit couloir.

Tout au fond, nous pénétrons dans une chambre de bonne. Une fois que la porte en est refermée, Mallox déplace un meuble, dévoilant ainsi une étroite ouverture qui fait communiquer la petite pièce avec une autre chambre de bonne située dans l’immeuble voisin…

A nouveau, nous arpentons des couloirs. Puis on redescend deux étages. Une porte s’ouvre sans que nous ayons à en actionner la sonnette. C’est la jolie Mireille qui vient ouvrir…

Elle a un sourire fielleux en m’apercevant.

— Saleté de flicaille ! me crache-t-elle au visage.

— Enchanté, je fais, moi c’est San-Antonio…

Mallox me flanque un coup de genou dans le pétrousquin, ce qui a toujours obligé la victime de cette facétie à presser l’allure.

Mireille nous guide au fond de l’appartement.

Je débarque dans un de ces salons bourgeois dont Angelino raffole. Et il est là, paisible, débraillé, avec la mère Alda dans un fauteuil, qui tricote comme si elle était aux pièces, avec une bouteille de chianti à portée de la main ; avec sur toute sa bouille grasse cet air de vieille canaille cordiale et sans ambition.

— Ah ! soupire-t-il, voilà mon grand ennemi intime… Comment allez-vous, commissaire ?

— Bien, mais vous n’y êtes pour rien, assuré-je.

Il a un gros rire d’homme heureux.

— Toujours plein d’allégresse…

Et à Alda :

— Je te jure qu’il me plaît, ce type… Il en a dans le ventre et dans le crâne…

Alda arrête une demi-seconde ses aiguilles…

— Oui, c’est dommage, murmure-t-elle.

Je ne sais pas à quoi s’applique cette exclamation de regret. Qu’est-ce qui est dommage : que je sois de l’autre bout ou bien que je disparaisse, car, cette fois, je pense que mes chances sont faiblardes…

— Quoi de neuf ? demande Angelino.

— Des morts, lui dis-je. Des morts… Des morts… Je suis une espèce de nécropole ambulante…

— Vous n’avez rien à me dire, avant de… avant que nous prenions congé…

— Peu de choses, fais-je, mais vous, vous pouvez éclairer ma lanterne avant que… Avant que nous prenions congé…

— Vraiment ?

— Pour quoi faire, ce buste de plastic, au Louvre ?

— Vous agissez vite, fait-il. Bigre…

Il est sympa, ce bonhomme, au fond… Un besoin de jacter me prend, je lui dis en détail tout ce que je sais de l’affaire, je lui raconte comment tout s’est passé, toutes mes fausses et mes bonnes manœuvres…

— Commissaire, dit-il, cette enquête aura été, pour vous, l’enquête des coïncidences…

— Expliquez-vous…

— Eh bien, voilà : c’est une coïncidence une fois de plus si le buste se trouve sous la salle des pierres précieuses. Il n’a rien à voir avec l’affaire de la collection Vool… Il ne devait… agir… que la semaine prochaine. Vous savez qu’un homme d’Etat étranger vient en France en visite officielle. Il désire visiter le Louvre, tout particulièrement les sculptures… Je dois toucher la forte somme si… Dommage que mon histoire de buste soit grillée, il va falloir trouver autre chose… Ça va être coton à mettre au point maintenant, d’autant plus que je n’ai plus beaucoup de personnel sous la main, depuis que vous vous êtes mis en travers de ma route…

— Merci, murmuré-je. Franchement j’ai été heureux de me bagarrer contre vous, Angelino… Et je voudrais vous demander une faveur… Si je dois disparaître ici, je voudrais que ce soit de votre main…

Il y a une sorte de tendresse cruelle dans ses petits yeux de cochon frileux. Son tempérament latin, amoureux du panache, reprend le dessus…

— Entendu, dit-il.

« Mallox ! Passe ton feu… »

Mallox s’avance et tend son arme, poliment, en la tenant par le canon. Comme l’autre, le chauffeur a remisé la sienne, je décide que je dois y aller encore de mon numéro. Jamais passé vingt-quatre heures aussi chargées ! Le spectacle est permanent…

Je plonge… Mes détentes ! Ce sera leur fin aux gangsters dont je m’occupe du destin.

J’arrache l’arme comme un joueur de rugby arrache le ballon des bras de son adversaire.

Il ne s’agit pas de jouer au mec chevaleresque.

Je ne l’ai pas plutôt dans les mains que je tire sur Mallox, puis sur l’autre, le chauffeur…

La culbute continue. Ils s’effondrent, emplissant toute la pièce…

Je saute derrière la chaise de la vieille Ritale pour esquiver le poing de son homme.

— Calmez-vous, Angelino, fais-je sèchement. Si vous avez le malheur de remuer le petit doigt, j’envoie votre vieille haridelle rejoindre les cigognes débiles et les chèvres faméliques dont elle est forcément issue.

J’attrape sa bouteille de chianti et je la balance par la croisée…

— Voilà, il n’y a plus qu’à attendre…

Angelino essuie son visage d’un revers de main…

— C’est bon, fait-il. Je suis possédé. La France ne me vaut rien, je changerai d’air après mon évasion…

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