Comme je remonte l’escalier, il me vient une idée… Et je crois qu’aucun ciboulot n’a jamais enfanté une idée de ce calibre-là, sauf bien entendu Angelino.
Je sors dans les jardins du Louvre. Ma guimbarde est remisée à droite de l’entrée du musée. Je me dirige vers elle et je n’en suis plus qu’à dix pas lorsque le hasard intervient… Je ne sais pas si vous connaissez ce mec : le hasard ? Au cas où vous n’auriez jamais entendu parler de lui, laissez-moi vous dire que c’est un drôle de petit futé ! Il a le sens de l’humour et surtout celui de l’à-propos.
Voilà qu’un ouvrier en cotte bleue passe à côté de ma bagnole. Cet ouvrier tient une glace de Venise sur l’épaule. La glace est inclinée. Je la regarde, elle scintille sous le soleil. Et j’ai, fugitivement, au moment où il double ma guimbarde, la vision de l’intérieur de celle-ci.
Quelle n’est pas ma stupeur d’y découvrir, accroupi sur le plancher arrière, un mec qui n’est autre que celui qui m’a regardé, tout à l’heure, tandis que je discutais le bout de gras avec Montesquieu.
Cette vision est si rapide qu’il faut un œil de lynx pour entraver le truc, mais les lynx sont des taupes à côté de San-Antonio. Je freine ma marche et je réfléchis à tout berzingue ; rappelez-vous qu’il se produit un drôle de toutime dans mes méninges. Je m’arrête, palpe mes poches comme fait un type qui vient de s’apercevoir qu’il a paumé quelque chose, et je rebrousse chemin. Me voici à nouveau dans le musée. Je repère la loge du gardien-chef et je tabasse les carreaux. Il arrive, la casquette un peu de travers.
— Ce qu’y a ? demande-t-il de ce ton rogue qui est celui de tous les cornichons auxquels on confère une autorité quelconque…
Je lui présente ma carte. Alors il devient tout ce qu’il y a de fleur bleue… Un vrai myosotis.
— Qu’y a-t-il pour votre service ?
Je lui dis que je voudrais téléphoner. Il me désigne un appareil archaïque, au fond du local.
J’attrape l’écouteur et je dis à la standardiste de me colloquer le ministre des Affaires étrangères. Elle me le passe. Je ne sais pas quelle fonction occupe le gars du ministère qui me répond, mais, à la voix mordante, on pourrait admettre que c’est le ministre lui-même.
— Ici, surveillance du territoire ! lancé-je. Je voudrais un renseignement. Existe-t-il dans le ministère un buste de Montesquieu ?
Mon interlocuteur distille du point d’interrogation à toute allure.
— Un quoi ? finit-il par éructer.
— Un buste de Montesquieu.
Ce gougnafier est au bord de l’apoplexie.
— Vous vous fichez de moi ? demande-t-il.
Alors, je me fiche en rogne. Je lui dis que, chez nous, nous ne tolérons pas qu’un ouvreur de portes vienne nous parler sur ce ton et que, s’il a rêvé d’être chômeur, ce rêve n’est pas loin d’être exaucé.
— Demandez illico ce tuyau à une personne compétente, dis-je, et magnez-vous un tantinet, j’attends.
Quelques minutes s’écoulent. Mon coup de sang a certainement produit son effet, car le zig revient me bredouiller dans un tympan qu’en effet il existe un tel buste dans le salon vert.
Je lui demande ce qu’est le salon vert ; il me répond que c’est la salle des conférences privées.
— C’est dans le salon vert que doit avoir lieu tantôt la conférence des quatre ?
— Oui.
Je lui raccroche aussi sec au nez.
Puis j’appelle le boss.
— J’étais inquiet de ne pas avoir de vos nouvelles, fait-il.
Je lui tire la langue. Le big boss est bien peinard dans son burlingue surchauffé. Il se croit au cinéma, dans son fauteuil rembourré, et il voudrait toujours qu’on lui raconte des histoires…
Je lui relate mon odyssée de la nuit.
— Ecoutez, patron, je crois avoir découvert l’astuce d’Angelino. Il a fait faire une copie du buste de Montesquieu. Il l’a pralinée aux explosifs et elle éclatera cet après-midi pendant que les ministres se tireront la bourre. Ça fera un chouette barnum !
— Magnifique, murmure-t-il. L’idée était ingénieuse, vous avez quelque chose dans la tête, mon petit…
— Montesquieu aussi, je lui dis. Seulement, y a une complication…
— Vraiment ?
— Un type m’attend caché à l’arrière de ma voiture. Lorsqu’un bonhomme se fout à plat ventre dans votre guinde, pendant que vous n’êtes pas là, c’est qu’il ne nourrit pas à votre endroit des sentiments très cordiaux, non ?
— Comment avez-vous découvert ça ?
Je lui explique.
— Eh bien, faites-le coffrer !
Décidément, aujourd’hui, le boss n’a pas plus de cervelle qu’une borne kilométrique…
— D’accord, je vais le faire coffrer. Angelino sera rencardé tout de suite. Il changera peut-être son plan d’attaque à la dernière minute…
— Que proposez-vous, alors ?
Je me racle un peu le gosier.
— Ecoutez, patron, ce tordu qui veut jouer à Fantômas est le seul chemin conduisant à Angelino… Je vais jouer son jeu, me laisser cueillir… Vous, vous allez immédiatement envoyer quelqu’un ici pour suivre ma voiture.
— Pas bête…
— Maintenant, en ce qui concerne Montesquieu, je voudrais me permettre de vous donner un conseil.
— Allez-y…
— Envoyez des artificiers au Quai d’Orsay. Que les types vident Montesquieu et qu’ils le farcissent à la poudre ordinaire. J’aimerais que la déflagration se produise à l’heure prévue, simplement il faut qu’elle soit inoffensive… Que les ministres étrangers soient discrètement prévenus…
— Hum, ça me paraît bien risqué…
— Il le faut pourtant si vous voulez que je possède Angelino. Qui allez-vous m’envoyer ?
— Je vous ai envoyé Ravier…
Je ne tique pas à cause de ce passé. Je connais le boss, tout en continuant à me parler, il a écrit ses instructions sur une feuille de bloc et a sonné le planton.
Je connais également Ravier… C’est un vieux dur à cuire de l’équipe. Il a autant de cicatrices qu’un pin à résine. Il est roublard et ne mettra pas les pieds dans le plat inutilement.
— Salut, boss, je vous donnerai des nouvelles quand je pourrai…
— Allez-y doucement, mon petit, et merci.
Je raccroche avant qu’il ne se mette à me parler de la reconnaissance du gouvernement qui… de la patrie que… Au boss, c’est son cheval de bataille !