Tout s’est bien passé. Les petits copains ont fait vinaigre pour une fois. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, j’aimerais mieux garder un troupeau de tigres affamés plutôt qu’un zèbre comme Angelino.
Lorsque la meute de flicards s’annonce, je leur dis d’emballer le Rital et sa vieille.
Ce qu’il peut tenir à sa morue, Angelino, c’est rien de le dire… Je suis certain que c’est à cause d’elle qu’il n’a rien tenté. Il me le dit du regard, positivement. Si je n’avais pas tenu le canon de mon feu contre la nuque de la vieille, je pouvais m’attendre à un coup de la part du gangster ; ça n’est pas l’homme à se laisser arquincher comme un demi-sel de troisième zone. Il a hésité. Seulement il a préféré se laisser cloquer les poucettes plutôt que de voir la cervelle de son Alda faire un valdingue sur le napperon brodé de la table. Donc, ça s’est bien passé et me voici peinard.
Lorsque mes sbires ont voulu sucrer la môme Mireille qui avait assisté à tout ce badaboum, dans un coin de la pièce, je leur ai fait un petit signe de dénégation.
Et ils l’ont laissée.
Nous voilà seuls, elle et moi ; face à face comme deux serre-livres.
Elle est plus belle que jamais dans ses attitudes de fille terrorisée. Ses cheveux sont défaits, son visage est en feu, ses yeux brillent comme une cassure d’anthracite et ses roberts s’agitent comme si elle avait fourré une nichée de chats dans son giron pour les réchauffer.
Elle me regarde, les lèvres serrées, d’un air plein d’épouvante, de soumission et d’espoir.
Elle attend.
Elle se dit que ça n’est pas normal que je l’aie conservée ici et que ça cache quelque chose.
Et elle se demande quoi, si c’est bon ou si c’est mauvais…
Eh bien, au risque de vous paraître le plus locdu de tous les flics de la terre, je vais vous avouer encore une chose : moi aussi je me demande pourquoi la Mireille n’est pas en train de s’agiter le postère sur le banc de bois d’un panier à salade.
Comme toujours, j’ai agi avant de calculer, suivant cette méthode qui m’est chère.
Au moment où on l’embarquait, une petite voix, la voix fluette de mon subconscient a chuchoté « Non ! » Et, docilement, j’ai répété : « Non ! »
Ce qui fait que, maintenant, je suis en face d’elle exactement dans l’attitude d’un Esquimau qui vient de trouver un cadran solaire.
Pourquoi l’ai-je gardée ? Je me creuse le but. Je tapote mon appareil afin de rétablir la communication avec mon subconscient. C’est bien beau de donner des consignes, encore faut-il qu’il les justifie.
Et alors, je pige brusquement que dans toute cette ténébreuse affaire, il y a un point qui est resté aussi obscur que le soubassement d’un nègre, et ce point, c’est la collection Vool.
On a stoppé l’activité d’Angelino, j’ai mis en l’air tous ses zouaves pontificaux et dévoilé ses combines, mais on n’a pas les bijoux. Il les a carrés dans un coin sûr et je ne crois pas qu’il y ait en ce monde un seul type capable de lui faire dire où. Cun type, Angelino, sur lequel les as de la Gestapo se seraient cassé les chailles. Un vrai dur de dur… Ça n’est pas en lui chatouillant la nuque avec une matraque de caoutchouc ou même en lui faisant le coup du presse-papiers qu’on le rendra bavard. Sle veut, il sait être aussi hermétique que le porte-monnaie d’un Ecossais. Bon, ceci étant établi, il faut donc que je remonte aux cailloux simplement au pifomètre. Et sur ce terrain-là, la belle Mireille peut m’être d’un grand secours. Non que je soupçonne Angelino de l’avoir mise dans la confidence, ce genre de secret, il ne le lâcherait pas à son ombre. Seulement, la souris connaît mieux que moi les habitudes du gangster, puisqu’elle a vécu un certain temps dans son entourage. Elle peut donc m’éclairer sur sa psychologie…
Je m’avance sur elle. Comme elle m’a vu démolir ses petits potes, tout à l’heure, elle croit que je l’ai réservée pour la bonne bouche et se blottit dans une encoignure de mur en criant : Non ! Non !
Je souris.
— Ne te frappe donc pas, beauté brune… Qui te dit que je te veux du mal ?
Je la cramponne par les épaules et je mets mes châsses dans les siens. C’est plein d’étincelles d’or dans ses prunelles ; de minuscules étincelles qui tournent autour de la pupille comme ces reflets produits par des boules de verre à facettes, dans les cirques, au moment des acrobates aériens.
Cet instant est vachement voluptueux. Je le prolonge jusqu’au moment où la môme approche sa bouche de la mienne.
Drôle de sensation, je vous prie de le croire. Une bouche pareille, ça vous change du cinéma ! Je me laisse aller à la dérive et je pose mes lèvres sur les siennes.
Le gars qui s’assied sur un paratonnerre ne peut pas éprouver de sensations plus raffinées que moi en ce moment.
Cette gamine, c’est un vrai serpent. Elle s’enroule autour de moi comme une liane et je deviens aussi flagada qu’un épouvantail. Elle promène une main experte sur ma poitrine, cherchant l’échancrure de ma chemise. Lorsqu’elle l’a trouvée, elle glisse sa menotte à même ma peau et me caresse le poitrail si légèrement que j’en claque des dents.
Comment qu’elle recharge ma batterie, la donzelle…
C’est le grand frisson, le terminus de la volupté. Moi, que voulez-vous, j’ai jamais pu résister à des arguments pareils.
Je chope la souris par les hanches et je la porte jusque sur la table. D’un revers de manche je balaie ce qui l’embarrasse et je renverse ma petite copine.
Elle n’est pas fiérote, Mireille ; elle ne se souvient plus que je suis la cause de la mort de son bonhomme…
Faut dire que toutes les mousmés sont idem. Vous leur coupez leur maman en rondelles, mais elles vous font cadeau de leur vertu si vous êtes un gars à peu près bien bousculé.
Pour la chose d’être bien bousculé, on trouverait difficilement mieux que le petit San-Antonio. J’ai, dans l’ensemble, tout ce qu’il faut pour plaire aux gerces et leur faire oublier la date de naissance de Victor Hugo. Au rayon biscotos, je suis servi ; et pour le travail de force, j’écœurerais Rigoulot…
Lorsque je lui ai dégrafé sa jupe et ouvert son corsage, elle se met à bramer de tout son cœur. Elle m’abandonne tous ses trésors en me gueulant de les emporter.
Je ne suis pas exclusif à ce point… Je préfère consommer sur place.
Bon, je tire le rideau… Pas la peine de vous raconter ce que je fais à Mireille, ni ce qu’elle me fait, et encore moins ce que nous faisons car, si je le faisais, la ligue des pères de famille, des cousines germaines et des abonnés à l’Electricité de France me feraient un procès pour outrage aux mœurs…
Mais les mœurs, elles en ont vu d’autres, je vous le dis.
Quand je plaque la gosseline, elle est plus pantelante qu’un étendard mouillé. Elle a des yeux bordés de reconnaissance et les traits tellement tirés que le premier toubib venu l’expédierait dare-dare dans un aérium.
— Comme tu es fort, murmure-t-elle, je suis brisée…
— M’en parle pas, fais-je en rectifiant le nœud de ma cravate, je vais te faire une confidence : le type qui joue au football avec la lune, c’est peut-être moi…
— Je te plais ? demande-t-elle.
Après ce qui vient de se passer, je trouve la question aussi sotte que grenue…
— Dans l’ensemble, oui, je lui fais.
Et, in petto, je me dis qu’il faudrait être en plâtre pour ne pas trouver plaisante une fille aussi volcanique.
— Tu es mon petit Stromboli, j’ajoute, mon Etna, mon canard bleu, seulement, je n’ai pas le temps de te le chanter sur plusieurs airs. Maintenant on va boulonner ferme. Tu vas répondre avec le maximum de précision à mes questions, veux-tu ?
Elle fait « oui ».
— Je vais te proposer quelque chose. Si j’obtiens un résultat grâce à toi, il ne sera pas question de ta petite personne dans l’affaire Angelino, sinon comme témoin. Si, au contraire, tu ne parviens pas à m’éclairer, malgré le gentil moment que nous venons de passer ensemble, je t’envoie au mitard.
Je lui mets une petite claque affectueuse sur les fesses.
— Vois-tu, mignonne, je donnerais gros pour savoir ce que sont devenues les pierres précieuses de la collection Vool. Je sais qu’Angelino les a… Mais tu connais le bonhomme ? Jamais il ne l’ouvrira… Tu as entendu parler de ces cailloux ?
— Vaguement, dit-elle. Angelino ne parlait pas de ses affaires, sauf pour donner des directives à ses hommes.
— Avait-il d’autres planques ?
— Non… Je ne le pense pas.
— Ça n’est pas le genre de type qui se confie à quelqu’un, même qu’il estime de confiance, non ?
Elle ricane.
— Angelino n’a confiance en personne… Sauf en sa vieille…
— Si bien que les diams, il ne les a ni remis à un complice ni à une banque ?
— Lui ! T’es malade !
Je me cramponne les méninges à pleine pogne.
Que peut faire un homme sur le qui-vive, qui ne se fie à personne, d’une poignée de pierres précieuses ?
C’est ce petit problème que je dois résoudre si je ne suis pas la moitié d’une portion de gruyère.
— Où est la chambre d’Angelino ? je demande.
— Viens.
Mireille m’entraîne jusqu’à une petite pièce située à l’autre bout de l’appartement.
Il y a un lit, une table de nuit, une coiffeuse et une armoire. On le voit, c’est très classique, très pompier comme ameublement. Ça correspond admirablement à l’idéal petit-bourgeois de cet étrange gangster.
Je pense :
« Parions que ce ballot-là a tout simplement planqué le magot dans son matelas comme le premier péquenot venu. »
Je sors un canif de ma poche et je me mets à ravager le pucier. Les brins de laine voltigent alentour, on se croirait dans une bergerie au moment de la tonte.
Tout ce que j’arrive à faire, c’est à nous déclencher une quinte de toux monumentale… Le matelas ne recèle absolument rien !
J’explore tour à tour le sommier, puis l’armoire, puis la table de chevet, puis la coiffeuse… Je palpe le papier de la tapisserie, rien !
Il est futé, Angelino…
— Y a le téléphone ? je demande…
— Oui, dans la pièce voisine.
J’y vais, je demande le Dépôt et on me passe l’officier de garde.
— Vous avez réceptionné Angelino ?
— Oui…
— Il a passé à la fouille ?
— Oui…
— Négatif ?
— Nous avons trouvé à même sa peau une ceinture de toile…
Je me renfrogne… Parbleu, le lascar trimbalait la cagnotte sur lui. J’aurais dû y penser, au lieu de jouer les Sherlock Holmes de noces et banquets.
— Qu’y avait-il dans la ceinture ?
— Du fric ! Un gros tas… Dix mille dollars, deux mille livres… Et près d’un million de francs en billets de dix mille balles !
— C’est tout ?
— C’est tout…
— Rien d’autres, pas de clé, pas de papiers, pas de reçu ?
— Non…
— Et la vieille ?
— Elle n’avait rien.
— Sans blague…
— Parole, commissaire. Et le boulot a été bien fait. On les a explorés de fond en comble. Ils sont vides comme des noix dont on a mangé le bon…
— Ça va, merci…
Je raccroche et me tourne vers Mireille.
— Non de foutre, il ne les a pourtant pas bectés !
Je frappe du pied avec rage.
— On ne me sortira jamais de l’idée qu’ils les ont à portée de la main ! Un type qui trimbale sur sa bedaine une fortune en billets de banque est un type qui s’attend à devoir calter d’un moment à l’autre…
« A moins que… A moins qu’il ait expédié les gobilles quelque part à un nom d’emprunt en poste restante… Mais j’en doute, il est tellement méfiant… »
Mireille est retournée s’asseoir sur le lit des époux Angelino, du moins sur ce qu’il en reste. Elle a une jambe repliée sous elle qui fait remonter sa jupe et découvre le haut de son bas, sa jarretelle blanche à petites fleurs bleues… (Où va se nicher la poésie, je vous le demande ?) Le bas est couleur chair, la jarretelle blanche tranche sur la peau ambrée… Je sens que des idées bizarres me cavalent sous le dôme à toute allure…
Mais elle ne pense pas à la rigolade, Mireille. Elle a un petit air sérieux qui ne lui va pas du tout.
— A quoi penses-tu ? je questionne.
Elle me désigne un flacon de lotion capillaire sur la coiffeuse.
— A ça, dit-elle.
Je regarde le flacon.
— Angelino se collait ce truc-là sur les tifs ?
Elle ricane :
— Tu les a vus, les tifs d’Angelino ? S’il y mettait quelque chose dessus, ce serait plutôt de la gomina pour essayer de les aplatir. Non, c’est sa souris qui se balance ça sur le crâne, parce qu’à elle, ses tifs sont chétifs ; je m’en suis aperçue souvent. Elle a une moumoute comme chignon…
Je murmure :
— Ah ?…
— Oui, fait Mireille. Et je me rappelle qu’un jour où elle l’épinglait, son chignon, ça faisait un drôle de bruit, à l’intérieur… On aurait dit qu’il y avait des noyaux dedans…
Je la regarde.
— Mireille, je lui fais, non seulement tu as un soubassement qui vaut le déplacement, mais encore tu possèdes un chapiteau que beaucoup de bonshommes t’envieraient…
Je passe une dernière fois ma main sur sa belle cuisse dénudée.
— Ta jarretelle, je lui fais, je crois bien que je vais en rêver pendant un siècle ou deux ! Allons, viens…
Nous descendons dans la rue.
— Si tu as un cousin à la campagne, tu ferais bien d’aller passer quelques jours chez lui. Salut, fillette !
Et je m’éloigne à grandes enjambées, sans me retourner, en me disant que le chignon de la mère Alda est en effet un coffre-fort très ingénieux.