— On peut y aller progressivement, d'accord ? Il y a une explication à tout. Ta sœur est morte comment ?

Alice le fixe dans les yeux. Elle y déchiffre un mélange de peine et de compassion.

— Elle s'est fracassé le crâne contre un rocher. Elle est morte sur le coup.

La jeune femme se frotte les paupières. Les tourbillons du passé sifflent dans sa tête.

— Souvent, elle courait, depuis le haut de la colline, et elle se lançait comme une folle dans la pente, avec

Don Diego. Mon père, il disait que c'était dangereux, il la punissait pour ça. Mais elle recommençait toujours parce que Dorothée, elle avait son caractère à elle et elle obéissait rarement. Elle est morte le jour de nos quinze ans. Le 29 septembre 1997.

— Tu étais là ? Tu as tout vu ?

— Non... Je... Je n'ai aucun souvenir de cette période. J'ai dû avoir un long trou noir de plusieurs jours. Quand je suis revenue à moi, Dorothée, elle était enterrée au fond du jardin. Mon père m'a dit qu'elle était décédée.

Fred se met à aller et venir, une main sur le menton. Ses yeux sont graves, pleins de tension.

— Donc, tu n'as vu ni l'accident, ni même son corps ?

Alice secoue la tête.

— Non. Mais mon père m'a montré un tas de papiers. Il y avait une autorisation d'inhumation dans le jardin, signée du préfet du Pas-de-Calais. Puis un acte de décès établi par notre médecin de famille. Au fond du jardin, il y avait... la tombe, avec le prénom de ma sœur dessus, et les dates. Comment j'aurais pu supposer un seul moment que...

Alice se blottit contre son épaule. Elle a besoin de pleurer, de se vider. Fred lui parle doucement à l'oreille.

— Tu ne pouvais rien supposer. Tu as su ce qui était arrivé, pendant ton trou noir ?

— Mon père m'a dit que j'avais eu la fièvre. Que j'avais déliré... Il a toujours dit ça, à chacun de mes trous noirs.

— C'est une véritable histoire de fous. Ecoute, Alice, on doit comprendre ce qu'il s'est réellement passé.

Elle s'écarte de lui.

— C'est ce que je vais faire. Je dois aller vérifier, de mes propres yeux. Je veux savoir si ma vie n'est qu'un gigantesque mensonge.

Fred enfile son blouson. Alice lui plaque une main sur le torse.

— J'y vais seule.

— Mais...

— Je t'en prie. C'est déjà suffisamment compliqué pour moi.

Fred serre les lèvres, l'embrasse sur le front et sort avec elle sur le palier.

— D'accord. Mais fais bien attention.


20.

— On parle boulot ou on ne parle pas boulot ?

Julie voit un gros bouquet de fleurs arriver juste sous

son nez. Des roses rouges, très odorantes. Elle se retourne avec un sourire. Luc se tient debout. Il porte un costume sobre de belle coupe, une cravate à fines rayures bleues et une chemise aux boutons dorés. Julie respire l'odeur des roses.

— Elles sont magnifiques. Merci beaucoup. Mais... Pourquoi huit ?

— C'est un chiffre particulier pour moi.

Il n'ajoute rien de plus. Julie pose les fleurs sur le côté de la table.

— Pour répondre à votre question, je crois que si je vous parlais boulot maintenant, ça gâcherait notre soirée.

Julie aime la façon dont il la regarde, lorsqu'il s'installe en face d'elle. Sans sa blouse, il paraît être un autre homme. L'un de ces inconnus que l'on pourrait croiser à un cocktail chic, qui vous emmènerait dans une pièce à part pour vous parler art ou littérature.

— Désolé pour mon léger retard. Mais Bray-Dunes, c'est encore plus loin que Béthune.

Ils échangent quelques banalités, celles de deux êtres qui n'ont pas encore trouvé leurs marques. Luc commande l'apéritif.

— Une eau pétillante, pour vous ? s'étonne Julie.

— Nul n'est parfait. J'ai arrêté l'alcool depuis plusieurs années.

— J'ai eu aussi ma période bibine. Moi, par contre, c'était il n'y a pas si longtemps...

Elle s'attend qu'il rebondisse, l'encourage à poursuivre, mais il lui demande son avis sur l'endroit, sur Lille, il lui parle d'autres restaurants où l'on mange aussi bien. Une conversation superficielle. De plus en plus, Julie se sent mal à l'aise. C'est comme si Luc avait revêtu une camisole mentale pour dissimuler ses sentiments. Elle prend une large inspiration.

— Je ne sais pas si c'était une bonne idée, ce rendezvous. Écoutez Luc, vous êtes marié et...

— Ma femme est décédée, il y a maintenant quatre ans.

La phrase est tombée, d'un bloc, comme un parpaing lâché sur le sol.

— Oh, je suis désolée.

— Vous n'avez pas à l'être.

Un silence gênant. Luc se racle la gorge avant que Julie ne s'absente aux toilettes. Ils sont ensemble sans l'être. Heureusement, on leur amène les verres. Luc prend son eau pétillante, ils trinquent.

— Je risque d'être maladroit mais il y a une chose que j'aimerais, Julie.

Elle le sonde, buvant son Martini, et acquiesce lentement.

— Que jamais vous ne me posiez de questions sur ma famille, d'accord ? Tout ce que vous voulez, mais pas ma famille. Tout cela, c'est passé, et enterré.

C'est comme une nouvelle chape de plomb qui coule sur eux deux. Julie sourit, mais ses lèvres sont pincées, et elle remue inutilement son olive dans son apéritif.

— Ce n'est pas si enterré que cela, puisque vous ne voulez pas en discuter. Peut-être qu'on ferait mieux de parler boulot.

Luc termine son eau pétillante, cul sec. Ce petit bout de femme, il a envie de la prendre contre lui, de la serrer, mais il n'y arrive pas. C'est trop difficile. Au fond, il se dit qu'elle a raison. Que hormis raconter ses journées à l'hôpital, lui exposer ses cas psychiatriques, il n'a rien à lui confier. Parce que depuis de longues années, sa vie se résume aux quelques mètres carrés de son bureau, tout simplement.

Alors, ils s'échangent de nouveau des banalités. L'hôpital, la misère reviennent au premier plan. On dirait deux collègues aigris, qui n'ont pas assez de leurs journées pour tout se raconter. Julie tente de faire bonne figure, mais elle ne cesse de s'interroger. Ce type a souffert, c'est un écorché vif brûlé à l'acide. Un de ceux qui, assurément, ont été brisés par un drame personnel.

Les plats arrivent, délicieux. Luc remplit les verres. Eau pour lui, vin pour elle. Julie se laisse porter par le chant de l'alcool, elle aurait aimé que Luc l'accompagne, que les barrières se brisent enfin.

— Votre regard est si lointain, Luc... Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Désolé. Je...

Il secoue la tête avant de reprendre :

— C'est une patiente, à laquelle je pense. D'ordinaire, à cette heure-ci, je suis avec elle, par bandes audio interposées.

Julie émet un léger soupir. Elle feint de s'intéresser à ce qu'il lui raconte, mais c'est bien la dernière chose au monde dont elle aurait souhaité entendre parler dans cet endroit.

— Une patiente ?

— Oui. Une jeune femme de vingt-cinq ans. Je la suis depuis un an, à mon cabinet de Bray-Dunes. Une thérapie extrêmement compliquée...

Voix plombée, débit lent. Julie le sent dériver. Il ignore comment sauver ce rendez-vous, qui tourne au fiasco.

— Parce que vous êtes aussi psychiatre de ville ?

— C'était l'enseigne de mon père. J'y exerce encore le lundi, et le samedi aussi, parfois. Mais je vais arrêter. J'en finis avec mes derniers patients, et je plaque tout pour l'hôpital.

— Pourquoi ? Quitter le privé pour le public, ça ne se voit jamais. L'hôpital, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux.

— Je me sens bien là-bas.

— Parce que vous êtes sans cesse réfugié derrière votre blouse, même pour aller prendre votre repas de midi ? Qu'est-il arrivé au vrai Luc Graham ? Celui qui se tient en ce moment en face de moi ?

Il lui sourit timidement. Son cœur n'est vraiment plus à la fête.

— C'est l'assistante sociale qui parle ?

— C'est le psy qui répond ? Parlez-moi de votre patiente... Cette jeune femme capable de se glisser entre vous et moi dans un si charmant endroit. Elle doit être extrêmement importante pour vous.

— Elle l'est...

Luc passe son index machinalement autour de son verre.

— Vingt ans que j'exerce ce métier, que je cherche à comprendre la psychiatrie. Cette patiente, elle vient et, dès sa première séance, me sort une phrase qui résume parfaitement ce que j'ai cherché toute ma vie.

— Vous m'intriguez, Luc.

— Vous vous souvenez, le Muppet Show ? Ce programme pour enfants des années quatre-vingt ?

— Évidemment... C'est toute mon adolescence.

— Il y avait une grenouille, Kermit, qui prononçait toujours une petite phrase : « Ce n'est pas simple d'être vert. » C'est la phrase que ma patiente m'a sortie, tout naturellement. Elle est malade comme la grenouille est verte, elle n'y peut rien.

Il serre son verre, s'y raccrochant comme à une bouée. Julie aimerait lui prendre la main, mais elle n'y arrive pas. Luc sombre, comme un nageur épuisé.

— Il y a deux ans, je me suis planté sur un cas délicat. Quand je vois ma patiente de Bray-Dunes, c'est ce cas que j'ai l'impression de revivre, même s'il est foncièrement différent. Toujours, toujours...

Il se retourne brusquement pour finalement dire :

— J'espère que les desserts seront aussi bons. J'ai encore une faim de loup. Et vous ?

Julie lui sourit par pure politesse. Luc Graham vient de nouveau de zapper un épisode qui le touche et de rajouter une brique à l'édifice qui protège sa vie personnelle.

Le temps passe alors, creux, sans substance. Juste des dialogues de sourds, autour d'un mets raffiné mais qui, dans ces circonstances, perd de sa saveur. Une heure plus tard, les voici dehors, devant le parking du théâtre Sébastopol, prêts à se quitter. L'air est frais. Le col de son imper relevé, le parapluie dans la main, Luc regarde le ciel. Puis ses yeux redescendent sur Julie, qui cherche nerveusement ses clés de voiture dans son sac. Le psychiatre lui attrape le poignet.

— Il y a peut-être une autre solution.

— Une autre solution à quoi ?

Délicatement, il approche ses lèvres de celles de Julie et l'embrasse. Puis il s'écarte un peu.

— J'ai appris à soigner les gens, Julie, à aller au bout des épisodes les plus sombres de leur vie, mais existe- t-il des thérapies pour se guérir soi-même ?

Elle n'a pas besoin de lui répondre, elle se serre contre lui. Elle aurait aimé lui parler de ses épisodes sombres à elle. Ceux d'un père qui sortait des moteurs de voiture de l'usine, pour les revendre au noir. D'une mère emportée bien trop tôt par un cancer des poumons. De son enfance chahutée, entre rébellion et crise profonde d'identité. Brûlée par ses souvenirs, elle embrasse Luc plus fougueusement encore. Il passe les mains sur sa nuque, ferme les yeux mais même les paupières baissées, Anne continue à danser devant lui, dans sa belle robe de soirée. Et, au rythme d'une valse, elle tourne, tourne, tourne, à l'en rendre dingue.

Alors que Julie s'abandonne, Luc s'écarte soudain.

— Julie, excusez-moi de vous avoir...

— Ça me plaisait.

Mal à l'aise, Luc porte sa main sur son front et se met à reculer.

— Ce restaurant, cette soirée, je n'aurais pas dû.

Julie aimerait le ramener à lui, mais elle ne se sent

pas la force de réagir. Luc recule encore, sa silhouette disparaît dans l'ombre.

— Je ne veux pas vous faire du mal.

— Je ne veux pas souffrir.

— Je... Je suis désolé.

Il se retourne et part en courant. Les murs, les nuages dansent autour de lui, dans une ronde folle. Il se réfugie dans sa voiture. Tout tremblant, il déboutonne la manche gauche de sa chemise. Il est en apnée, il a mal au cœur. Les mâchoires serrées, il s'attarde sur les trois cicatrices rosées qui barrent son poignet. Il finit par écraser ses deux poings sur le volant, au bord des larmes.

Brusquement, son téléphone portable retentit. Luc sursaute.

Julie, sans aucun doute. Il hésite, inspire profondément. Un mot, juste un mot de sa part, et il retourne plonger dans ses bras. Et tant pis si elle découvre ses cicatrices, tant pis si son passé lui explose à la gueule. Ces blessures, elles font partie de lui, de sa chair profonde. Elles sont ce qu'il a été.

Il décroche.

— Docteur Graham...

— Alice ? Que se passe-t-il ?

Elle pleure.

— Vous devez m'aider, docteur, je vous en prie.

Luc Graham perçoit dans sa voix une urgence dangereuse. Une pluie fine se met à tomber sur le pare- brise.

— J'arrive tout de suite ! Où êtes-vous ?

— Chez mon père.

21.

La voiture de Luc quitte l'autoroute et rejoint les abords d'Arras. Cassette numéro vingt-trois.

— Parlez-moi de ce voyage au Pérou, Alice.

— C'était pour l'anniversaire de mes douze ans. Papa voulait me faire un beau cadeau.

— Étrange, comme cadeau, pour quelqu 'un qui ne vous laissait jamais sortir.

— Mon père, il était comme ça, changeant. Il a toujours eu des réactions bizarres. Comme dormir dans le trou, creusé dans le sol de la grange. Ou se mettre à pleurer, sans raison. Il lui arrivait aussi de passer de la colère à l'euphorie en quelques secondes. Parfois, il s'allongeait devant une radio, et il n'arrêtait pas de tourner le bouton des ondes en remuant une mèche de cheveux coupée. Des heures et des heures.

— Donc, le Pérou ?

— On y est allés en vacances vingt jours. À Cuzco, rien que lui et moi. Maman, elle ne pouvait pas venir, évidemment, elle est restée à Berck. Ce sont les seules vacances que j'ai jamais passées avec papa.

— Et alors ? C'était comment, le Pérou ?

— Génial au début. On a visité beaucoup de monuments incas, on a mangé avec les gens de là-bas, vécu chez Vhabitant... On a passé des moments de partage extraordinaires tous les deux. Mon père, il en connaissait énormément sur ce pays, avec ses coutumes, son peuple, il connaissait même des villages qui n 'étaient pas sur les cartes. Ccatca notamment, situé dans la montagne à trois heures de voiture de Cuzco. Jamais de ma vie je n avais vu un endroit si coupé du monde. Un seul téléphone pour tous sur la place, trois ou quatre rues, une télévision, une radio locale, pas de facteur, un bus qui monte trois fois par semaine, et un dispensaire qui servait de centre de soins pour les villages jusqu 'à cent kilomètres à la ronde.

Suivant les indications de son GPS, Luc emprunte un chemin de terre. En contrebas, loin de la route départementale, la ferme est complètement isolée, cernée de collines, d'arbres et, plus loin sur l'horizon, de cimetières militaires anglais, canadiens, polonais. Devant lui, la nécropole allemande s'étale à l'infini, avec ses croix en bois sombre plantées dans l'herbe verte. Quel décor macabre. Sous la lueur de la pleine lune, se dévoile plus précisément la vieille ferme flamande avec ses tuiles en terre cuite, son abri à bois, sa cour carrée tapissée de gravillons blancs, son étable au premier plan, la grange tout au fond.

— Pourquoi s 'être rendu là-bas, dans un village si isolé ?

— Je ne sais pas. Je crois que mon père aimait s'aventurer dans des endroits peu fréquentés.

— Votre père était-il déjà allé là-bas ? Lors de ses reportages, par exemple ?

— Non... Il m'a toujours dit que c'était la première fois qu'il se rendait au Pérou. Qu'il avait toujours rêvé de visiter ce pays.

— Vous avez dit .* « Génial au début. » Et après ? Que s'est-il passé ?

— Des douleurs atroces sont apparues dans mon ventre, alors qu 'on passait la nuit chez des paysans, à Ccatca. J'ai dû me faire opérer d'urgence de l'appendicite dans le dispensaire du village.

— Ils avaient de quoi vous opérer dans ce coin perdu ?

— Oui, oui. Ils disposaient d'une salle d'opération et de trois médecins. Chaque jour, de nombreuses personnes étaient soignées dans le dispensaire. Là-bas, ce n 'était pas comme ici.

— Qu'y a-t-il, Alice ?

— C'est cette cicatrice, elle me répugne. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute parce qu 'elle a gâché ce qui doit rester, à ce jour, mes seules véritables vacances.

Luc sort de son véhicule et referme sa portière discrètement. Ses chaussures s'enfoncent dans la terre gorgée d'eau, la lune se dévoile par intermittence, suffisamment pour éclairer son visage. La campagne paraît figée même si les vaches ne cessent de meugler. La voiture d'Alice est garée là, près de l'étable.

Il frappe à la porte.

— Alice ?

Pas de réponse. Il retourne vers sa voiture et ouvre son coffre pour y prendre une torche. Devant lui, là- bas, la porte de la grange bat sous l'effet du vent. La fameuse grange, pièce maîtresse des cauchemars récurrents d'Alice. Mouillé par quelques gouttes, il avance vers le fond du jardin. Il s'apprête à rentrer dans le sombre bâtiment, mais autre chose attire son attention.

La tombe de Dorothée...

Elle se dresse dans l'angle, devant les sapins, à quelques mètres seulement de celle de Don Diego.

Luc s'approche. Elle est ouverte. Et vide...

Le psychiatre sent son cœur bondir dans sa poitrine. Alice a découvert la vérité par elle-même.

Il s'accroupit devant le tas de terre. Une pelle et une croix de marbre reposent sur le sol. Deux dates y sont inscrites : « 29 septembre 1982 - 29 septembre 1997. » Des fleurs fanées, des anges de plâtre renversés et des poteries sales décorent l'endroit. Il a fait les choses bien, Claude Dehaene.

Luc frissonne soudain. Le vent souffle sur sa nuque, hurle sous la toiture de la grange. Loin derrière, les meuglements sourds des vaches s'intensifient, comme des cornes de brume macabres. Il se redresse, frigorifié, et replace correctement les sujets dans la terre. Ses gestes sont lents, il est si triste pour Alice. Il devait tout lui apprendre, les jours prochains. Avec ses vidéos, ses photos, ses mots pour la préparer, la rassurer. Il fallait y aller progressivement. Certainement pas à coups de pelle.

Luc tourne la tête vers la grange, dont la porte continue à grincer. Il s'en approche, inquiet. Où est sa patiente ?

— Alice ?

Personne ne répond. La pluie tombe plus fort, à présent. Luc regarde le ciel et entre à l'intérieur de la grange. Des souris couinent dans leurs vivariums. Dans un coin, des plaques d'immatriculation, des sacs de chaux et des piles de revues scientifiques s'amoncellent, mêlées à des cassettes vidéo.

Luc chevauche le trou dans la terre où se réfugiait souvent Claude, aux dires d'Alice. Un lit naturel, avec un fond de paille, quelques couvertures et une vieille radio. La paille a été changée récemment.

Par curiosité, il s'abaisse vers le trou, soulève la couverture et découvre une grosse pochette plastifiée. Il feuillette rapidement les pages à l'intérieur. Les fameux reportages de Claude Dehaene...

L'ex-reporter a toujours couvert des événements graves - la guerre, les coups d'État, la pauvreté. Aujourd'hui encore, Luc se demande s'il n'y a que le Liban pour avoir démoli cet homme, ou si le déséquilibre psychique s'est créé dans son enfance. Un père mort de la silicose en 1961, une mère brutalement disparue dans l'explosion d'une lampisterie en 1963. Orphelin à douze ans, il sait lire, écrire, et témoigne d'une grande intelligence. Ce qui le sauvera de la misère, sans aucun doute, mais peut-être pas d'une certaine forme de dérive mentale, progressive et dévorante.

Luc remet les documents à leur place et se retourne. Il découvre soudain, sous le rai de lumière, deux imposants linteaux, qui forment un X. Comme dans le cauchemar d'Alice.

Le X de la grange.

Dans le rêve, Claude Dehaene flotte juste dessous, et Alice est attachée contre un mur de pierre. Luc s'approche des vieilles parois de bois, les effleure avec les doigts. Il ne remarque rien de particulier. Ni vis, ni trous, ni un quelconque reste d'entraves.

Luc considère à nouveau le X. Si Claude flottait dessous, alors peut-être que...

Il lève lentement son faisceau vers le sommet des linteaux et remarque alors un vivarium, posé sur la poutre transversale. A plusieurs mètres de hauteur.

Alice a peur du vide... Et jamais elle n'oserait aller là-haut, Claude Dehaene le sait.

Rapidement, Luc adosse une échelle contre le X et se hisse jusqu'au cube de verre. Son front goutte, la transpiration coule jusque dans le bas de son dos. Les vitres du vivarium sont noires de poussière. Luc plonge avec dégoût les doigts sous des épaisseurs de vieux coton crasseux. Ça crisse alors sous ses ongles. Du plastique. Une pochette qu'il récupère. Plissant les yeux, il se rend compte qu'elle contient des notes manuscrites. Une date, un titre... Un autre reportage.

Il dévale de son perchoir et plante le rayon de sa lampe sur la pochette. Il en sort les feuillets.

Sous ses yeux, le papier s'intitule « Le calvaire des Indiennes du Pérou ».

La gorge serrée, il se met à lire. Il découvre alors l'inavouable. C'est pire, dix fois pire que ce qu'il pouvait imaginer.

Dégoûté, il tourne les feuillets, poursuit sa lecture.

Seigneur Dieu.

Soudain, il lui semble percevoir un ronflement sourd, amené par le vent. Comme... le bruit d'un moteur.

Paniqué, il remonte jusqu'au vivarium, dans lequel il balance l'article. Pas le temps de tout remettre en place. Il dévale l'échelle, la jette dans son coin et sort de la grange.

Une voiture, plein phares, semble arrêtée au bout du chemin, à trois ou quatre cents mètres de la ferme.

Le vent mugit. Luc remonte son col et fonce vers la maison. Il tente de pousser la porte, elle est ouverte. Il pénètre à l'intérieur.

— Alice ? C'est Luc Graham, votre docteur. Vous devez venir, immédiatement.

Il perçoit alors des petits rires, provenant de l'étage. Des rires d'enfant.

Il retourne dehors. La voiture n'a toujours pas bougé. Peut-être juste des jeunes venus picoler ? Il se décide à rentrer.

Les lumières sont toutes éteintes. Il emprunte l'escalier - la dixième marche émet son long couinement - et se dirige sur la gauche. L'étage est vaste. Trois grandes chambres, deux d'enfants et l'ancienne des parents. Ancienne, parce que tout le rez-de- chaussée de la demeure est désormais aménagé pour Blandine Dehaene. Salle de bains, chambre, larges couloirs. Luc est persuadé que, malgré sa méchanceté, Claude Dehaene a toujours aimé sa femme.

Le docteur se positionne devant l'une des portes fermées. Le rire vient de là. Ses lèvres se pincent, il entre avec prudence et allume la lumière. À travers les récits d'Alice, il connaît cette pièce : les dessins accrochés aux murs, le cimetière avec ses croix renversées. L'intérieur du petit monde d'Alice. Des dessins qui nécessiteraient de faire débarquer ici des bus entiers de psychiatres.

Les petits rires proviennent de sous le lit. Luc se baisse. Alice joue avec ses bonshommes de pâte à modeler. Elle lui adresse un sourire, il le lui rend et lui fait des petits signes de la main.

— Tu viens me rejoindre ? Vite.

Alice secoue la tête.

— Il pleut encore. Je reste ici avec Alain et Jeremy. On s'amuse bien tous les trois, tu sais ?

— Allez, viens. S'il te plaît. On doit sortir d'ici.

Alice se cramponne aux lattes, la pâte à modeler

glisse entre ses doigts. Ses cheveux tombent devant ses lunettes fortement rabaissées sur son nez.

— Non ! Non, non, non !

Luc se redresse, pousse le matelas sur le côté, soulève le sommier et le balance en arrière. La jeune femme serre ses bonshommes contre son cœur.

— Non ! Pap-euh va encore me punir, il aime pas quand je sors de ma chambre sans lui demander.

— Sois coopérative, s'il te plaît. C'est moi, Luc Graham. Tu me reconnais ? On a déjà discuté, tous les deux.

Luc détourne le regard une seconde. Il se précipite vers la fenêtre. La voiture s'est remise en marche. Les phares se rapprochent.

Soudain, un claquement de porte. Il se retourne. Alice a disparu. Elle dévale déjà les marches. Luc la poursuit. La jeune femme halète, sort sous la pluie. Elle ¡Fonce vers l'étable, bifurque, se glisse maladroitement derrière un tas de foin. Luc court à sa suite. Il repère alors la grosse camionnette garée derrière sa voiture. Pas le temps de réagir, une plaque d'acier lui percute le nez.

Il s'effondre en hurlant.

Pelle à la main, Fred se précipite vers l'étable. Son bandana noir et blanc, ses mitaines en cuir, ses vêtements ruissellent. Chacune de ses expirations dégage un nuage de condensation. Il repère immédiatement Alice, accroupie, les mains en écran devant ses yeux, se croyant cachée, de façon totalement illusoire vu la taille ridicule du ballot de paille.

— Suis-moi !

Alice le considère d'un regard méfiant.

— Nan ! Je reste-euh ici ! Et t'es qui, d'ailleurs ?

Fred incline la tête. Cette petite voix nasillarde,

comme celle... d'un enfant. Pas le temps de se poser des questions. Il attrape Alice par le bras et la tire jusqu'à sa camionnette. La jeune femme proteste, elle lutte, se braque, tente de le mordre.

— Laisse-moi ici ! Pap-euh va te botter les fesses ! Ou te faire éplucher des patates jusqu'à ce que tu te ramasses plein d'ampoules !

Fred la pousse dans l'habitacle. À bout de souffle, le jeune homme au bandana enclenche la marche arrière et disparaît dans des gerbes de boue.


22.

Le retour vers Bray-Dunes est pénible. Luc se frotte le nez du mieux qu'il peut avec des mouchoirs en papier et parvient, après une demi-heure de route, à stopper les saignements. Dieu merci, il ne semble pas brisé, mais un gros hématome, qui noircit déjà, gagne la partie gauche de son visage.

Qui était ce type, qui paraissait si proche d'Alice ? Un petit ami ? Pourquoi ne lui en a-t-elle jamais parlé ?

Luc pense à Alice, réfugiée sous son lit. Sa voix aiguë, sa crainte.

Alice n'était plus Alice.

Mais Nicolas. Un enfant de huit ans.

Il s'allume une clope, des morceaux de mouchoirs plein les narines. Il se souvient, la première fois où il a rencontré la personnalité de Nicolas au cours de la thérapie... Presque par hasard. C'était aussi un soir d'orage, dans son cabinet. Dès qu'il avait commencé à pleuvoir, un être fragile, caché dans le subconscient de son hôte, était apparu. Nicolas... Celui qui prenait la place d'Alice, chaque fois qu'arrivait un trou noir. Nicolas qui surgissait chaque fois qu'allait arriver le pire pour Alice. Afin de la protéger... Le parfait dédoublement de personnalité.

Luc cherche une cassette dans la boîte à gants, et la glisse dans le dictaphone. Il veut se souvenir.

La voix d'Alice...

— Parlez-moi de ce qu'il s'est passé dans la grange, ce jour-là, Alice...

— Papa était à côté de moi, il me serrait fort la main.

— Vous aviez quel âge ?

— Huit ans. J'avais peur. Le vent faisait craquer les poutres, il y avait de grosses toiles d'araignée. Papa, il m'avait promis que j'allais pouvoir faire du vélo.

— Vous n'en aviez jamais fait ?

— Non, jamais... Papa avait trop peur que je me blesse.

— Continuez...

— J'ai entendu mon chien aboyer. La grange n'était pas vraiment éclairée. J'ai appelé, « Don Diego ? » et il m'a répondu. Il était là, quelque part, dans le noir... Papa, il s'est mis devant moi, et il s'est agenouillé. Il m'a dit que j'étais intelligente, il m'a posé des questions, j'ai bien répondu. Alors, il m'a dit que j'allais faire du vélo... Mais avant, avant, je... je devais lui dire si, malgré ses interdictions, j'avais joué à chat perché dans la cour de récréation, dans l'après-midi.

— Vous y aviez joué ?

— Non...

— Continuez.

— Il m'a demandé de jurer sur la tête de Jésus. J'ai juré. Il m'a dit que si je mentais, je brûlerais en enfer. Alors, papa, il s'est redressé. Je me souviens encore de ses yeux, parfaitement. Ils me faisaient peur... Papa, il m'a dit que je l'avais déçu. Il m'a prise par le bras, et m'a emmenée derrière les tentures, qui pendaient.

— Qu 'est-ce qu 'il y avait, derrière les tentures ?

— Don Diego était prisonnier entre quatre palettes de bois, disposées en carré. Une autre palette était suspendue au-dessus de lui, transpercée de pointes de clous. La corde, elle passait par un ensemble de poulies, puis elle retombait vers la roue arrière d'un vélo. Un vélo d'appartement que je n'avais jamais vu. Papa m'a demandé de monter. Je me suis retrouvée sur la selle, les pieds sur les pédales, les paumes sur le guidon. Je voyais bien Don Diego. Sa langue baveuse se glissait entre les lattes...

— Et là, vous avez dû commencer à pédaler.

— Je ne comprenais pas. J'étais fragile, papa m'a toujours interdit de faire le moindre effort. Et là, il m'a dit de ne pas m'inquiéter. Alors oui, j'ai commencé à pédaler. Papa a ôté une tige de fer qui bloquait la roue. La palette cloutée a commencé à osciller dans l'air. Et...

— Et?

— Il m'a expliqué que tout le temps où je pédalerais, la palette monterait, très lentement. Mais que chaque fois que je m'arrêterais, la palette redescendrait, la réserve de corde reliée à la roue arrière diminuerait. Jusqu'à ce que... Il avait fait une marque, sur la tôle... Si la palette atteignait cette ligne, alors...

— Alice ? Alice ?

— Pap-euh. Je veux voir Pap-euh...

Luc écrase sa clope dans le cendrier. Changement de ton, petite voix, apparue de façon quasi instantanée pendant la séance. Nicolas venait de jaillir d'Alice, alors que la pluie battait sur les fenêtres à l'extérieur.

Bien plus tard pendant la thérapie, Nicolas avait raconté, avec ses mots, la suite de l'épisode dans la grange. Suite qu'Alice ignore complètement...

Dans sa boîte à gants, Luc sélectionne immédiatement la bonne cassette.

— ... Pap-euh, il me regardait. Jyai pleuré, j'ai pédalé. Il était méchant de me faire ça. J'avais mal au cœur, aux jambes. Don, il me regardait aussi. J'ai pédalé, pédalé, pédalé. J'étais debout... Ça brûlait, brûlait. Pap-euh, il m'a demandé si j'avais joué à chat perché dans la cour de récréation. J'arrivais plus à parler, j'arrivais plus à respirer. Don aboyait, comme un fou... J'ai crié, j'ai dit à Pap-euh que j'avais joué avec les autres enfants. Pap-euh, il m'a demandé de répéter. J'ai crié encore plus fort. « J'ai joué à chat perché ! » Je suis tombé, j'ai eu mal. Je voyais plus rien. Pap-euh a libéré Don. Don, il est venu me voir, il m'a léché le visage... Puis Pap-euh, il m'a serré dans ses bras. Il pleurait Pap-euh, il pleurait lui aussi.

Luc freine brusquement et reste là, les mains sur le volant. Il observe un lapin planté au beau milieu de la petite route de campagne, immobile, les yeux transformés en rubis à cause des phares. Luc fait gronder son moteur, mais l'animal ne bouge pas, on dirait qu'il est paralysé par la peur. En bon psychiatre, Luc sait que ce n'est pas l'intense lumière qui l'hypnotise, ni la terreur qui le bloque. Bien au contraire, ce lapin ne craint plus rien. Ni les rapaces, ni les renards, les fusils ou les chars d'assaut. Un robinet, dans son cerveau, a libéré toutes les molécules GABA, un neurotransmetteur qui régule le stress. Sans doute cette pauvre bête s'est- elle fait tirer dessus auparavant à plusieurs reprises, sans doute s'est-elle vue mourir tant de fois que le robinet ne s'est plus jamais refermé. Si bien qu'aujourd'hui, le lapin est devenu catatonique.

Ce lapin et le patient de la chambre Ail ne font qu'un.

Qu'a-t-il bien pu subir pour en arriver là ?

Dans un souffle, Luc repense à Julie. Alice, Julie, le catatonique... Tout se mélange et ça lui fait mal.

Il descend, s'approche de l'animal, lui caresse affectueusement le dos et le dépose sur le côté, dans l'herbe du fossé. Sain et sauf, mais pour combien de temps ? Grâce au Rivotril, le patient pourrait lui aussi temporairement être secouru. Les médicaments sauvent tellement de monde. Temporairement.

Enfin les dunes, au bout de la rue, leurs belles couleurs chatoyantes. Le paysage de toute sa vie, le berceau de ses enfants, le nid douillet de sa femme. Un décor devenu mort, infâme, douloureux. À présent, ces amas de sable ressemblent à de gigantesques tombeaux, des pyramides lugubres.

Et pourtant, malgré la douleur permanente, Luc n'a jamais déménagé. Jamais. Tout comme Claude Dehaene ne s'est jamais débarrassé de ses reportages.

Le passé demeure inaltérable et continue à attirer, comme un aimant.

Le psychiatre rentre chez lui, harassé, la tête en vrac. Il appuie sur l'interrupteur, pose son pardessus sur un portemanteau et se fige soudain. On lui braque un flingue sur la tempe.

— On ne bouge surtout pas, docteur Luc Graham.

La voix est écrasée, presque murmurée. On le pousse

sur le côté. Un coup de pied dans le flanc le plie en deux. Luc se retrouve au sol, déchiré par la douleur.

— Qui... Qui êtes-vous ?

Il n'y voit rien. L'individu a éteint et lui braque le faisceau d'une lampe dans les yeux.

— Ce n'est pas le problème, qui je suis. Vous n'étiez qu'une épave, Graham. Un pauvre petit psychiatre désespéré qui avait tout perdu, un bon à rien alcoolique et suicidaire, qui ne soignait que de vulgaires dépressifs. Vous n'auriez jamais dû mettre le doigt là où il ne fallait pas, dans quelque chose qui vous dépassait. Et pourtant, vous avez réussi.

— Je... Je ne comprends pas...

L'arme s'écrase sur sa tempe.

— J'ai envie d'appuyer, là, vous ne pouvez pas imaginer. Fils de pute.

Luc respire bruyamment. Ça puise sous son crâne.

— À qui croyez-vous avoir affaire ? À quelqu'un qui ignore tout de vous ? Je sais ce que vous avez fait, je connais vos terribles secrets.

— Vous... Vous vous trompez de personne.

— L'accident de votre famille en 2003, ça vous dit quelque chose ?

Luc reste muet, paralysé. L'homme continue.

— Vous étiez au bord d'une falaise, vous aussi, mais d'une falaise psychique.

Le canon du flingue s'appuie sur son poignet gauche.

— Et vous avez sauté.

— Assez ! Assez !

— J'ai tout ce qu'il faut pour vous faire plonger. Un nom en particulier. Justine Dumetz.

Luc est assommé par les révélations, son passé lui revient en pleine figure. Il essaie de se redresser, mais le canon lui intime de ne pas bouger. Il plisse les yeux, et découvre que son interlocuteur porte une cagoule et des vêtements noirs. Le cœur de Luc est comme pressé dans un étau. Il a déjà vu cette cagoule, par le passé. Le moteur de ses cauchemars les plus sombres.

— Que... Que voulez-vous ?

— D'abord, que vous laissiez tomber Alice Dehaene. Vous ne la guérissez pas. Vous laissez ses souvenirs perdus en elle. Je serai beaucoup moins tolérant la prochaine fois.

— Mais... Pourquoi me parlez-vous d'Alice ? Qu'a- t-elle à voir là-dedans ?

Le canon vient lui percuter violemment le crâne.

— Vous me prenez pour qui ?

Luc gémit, il redresse fébrilement la tête.

— Je n'y comprends rien !

— Ne cherchez pas à comprendre, c'est tout.

— Je ne peux pas abandonner une patiente ! Jamais de la vie !

Un soupir.

— En fait, j'ai malgré tout de l'estime pour vous Graham, vous savez ? Les psys savent blesser les gens mieux que quiconque, ils sont bien plus efficaces que la torture. Les mots ont un tel pouvoir, les esprits des gens regorgent de tant de perversité qui ne demande qu'à être libérée ou amplifiée. Vous avez dû en entendre des choses, hein, Graham ? Combien de femmes sont venues vous raconter la manière dont leur père les baisait, quand elles étaient mômes ? Et vous preniez votre pied ou pas ? Vous les baisiez, vous aussi ? Et Alice Dehaene, elle vous en a rapporté de belles, je suppose ?

— Vous êtes cinglé.

Le faisceau lumineux s'agite.

— Et la brillante Dorothée ? Comment va-t-elle ?

Luc se frotte la tempe, puis observe le sang au bout

de ses doigts.

— Vous connaissez Dorothée ?

— Bien sûr. Je connais tout de vous. Vos patients, vos défauts, vos qualités... Pauvre papa mort sur un court de tennis, maman qui croupit dans un foyer de vieux, et caetera.

Le rayon de la lampe oscille d'un œil à l'autre.

— Pas de guérison pour Alice. Jetez-la comme une loque. Obéissez ou vous allez morfler, Graham. S'il le faut, je m'occuperai de la jolie jeune femme que vous avez rejointe au restaurant, ce soir. Comment s'appelle- t-elle, déjà ? Julie Roque val ?

— Laissez-la en dehors de ça !

— Très bien, on s'est compris. Il y a un autre souci. Ce type, que vous avez récupéré dans votre hôpital psychiatrique...

Luc porte une main à son front.

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