Il ne cria pas. La bouche ouverte, il respira calmement. La pluie tombait sur lui ; elle coulait dans ses yeux, sur sa nuque, le long de son dos, sous la tenue de combat. Il sentait les mille petites coupures dues aux pointes acérées qui entraient dans sa chair, la déchiraient millimètre par millimètre. Il avait le cou, les joues, les bras et le torse emprisonnés dans le fil de fer barbelé. Son pouls battait tout contre une des pointes, qui appuyait à son tour sur sa carotide. Le lacis des pointes en acier galvanisé formait une prison redoutable.

Sans bouger, il les regarda descendre la colline. Marcher vers lui. C’est étonnant à quel point on peut avoir les idées claires dans ces moments-là. Comme quand, en Afghanistan ou dans la forêt congolaise, avec ses hommes il était cerné par des ennemis plus nombreux, drogués et prêts à mourir. Ceux qui s’approchaient n’étaient pas drogués, ni prêts à mourir, c’était leur civilisation qui se mourait. Celle qu’il avait défendue toute sa vie. Il était du mauvais côté de l’Histoire, il le savait, mais ça n’avait plus aucune espèce d’importance à présent. Il avait son destin en main – c’était le cas de le dire : il sentit les pointes s’enfonçant dans ses paumes, le sang qui gouttait… Il lui suffirait de tirer d’un coup sec et tout serait fini. À quoi pensait-il en cet instant ? Il pensa que cette époque n’était plus la sienne, de toute façon…

Загрузка...