Mark Davisburry descendit les marches du bâtiment principal à petits pas rapides, son assistant Jonas le suivant juste derrière.
Le chauffeur jeta sa cigarette en voyant son patron arriver et se précipita pour lui ouvrir la porte. L’homme d’affaires s’engouffra dans le véhicule et claqua la portière. Jonas prit place de l’autre côté de la banquette, soucieux du comportement de son patron qui n’avait pas pour habitude de réagir avec tant d’empressement.
— C’est à propos du projet 488, laissa échapper Davisburry en tirant sur son nœud de cravate.
Jonas saisit alors l’inquiétude de son supérieur.
— Puis-je vous demander ce que…
— Nathaniel Evans vient de m’appeler en urgence de sa cache, le coupa Davisburry. Il était poursuivi par son deuxième fils sur les ordres de Lazar. Il craint qu’après Adam, Christopher n’ait mis la main sur des documents qui pourraient lui permettre de localiser l’île où ont été réalisées les premières expériences… Et tout révéler avant que nous ayons terminé.
— Attendez. Pourquoi craignez-vous qu’il trouve le centre sur l’île ? Il n’y a plus rien là-bas. Tout a été vidé lorsque le programme a été officiellement stoppé.
Davisburry secoua la tête.
— Evans vient de m’avouer qu’il n’était pas certain d’avoir détruit toutes les preuves.
— Quoi ? Mais c’est…
— Taisez-vous, Jonas. Vous n’étiez pas à leur place. Quand le scandale du projet MK-Ultra a éclaté en 1977, le gouvernement a voulu effacer toutes les preuves du dossier le plus vite possible. Evans et ses collègues ont appris du jour au lendemain que le centre fermait. Ça a été la panique. Les militaires ont débarqué et leur ont ordonné de quitter les lieux sur-le-champ. Evans et son équipe ont pris tout ce qu’ils pouvaient, mais, dans la précipitation, ils ont peut-être laissé des éléments.
— Et l’armée n’a pas tout nettoyé derrière eux ?
— Si, sauf qu’Evans ne leur a montré que la partie supérieure du bâtiment, celle dans laquelle ils pratiquaient les expériences « officielles ».
Jonas saisissait désormais l’ampleur du danger qui planait sur leur avenir.
— Et merde…
— Je lui faisais confiance, Jonas. Mais le pire, c’est que je comprends pourquoi il n’a pas tout fait disparaître en partant. Evans a voué sa vie à ces recherches, il ne voulait pas que l’on détruise tous les équipements qu’il avait mis tant de temps à construire et qu’il ne pouvait emporter dans la précipitation du départ. Je pense qu’il espérait avoir l’occasion de revenir les chercher un jour, quand l’agitation médiatique et gouvernementale se serait calmée.
— Et il n’y est jamais retourné ?
— L’île a été fermée au public juste après et mise sous contrôle de l’armée. Compte tenu des nouvelles directives du gouvernement bien décidé à faire amende honorable aux yeux du grand public, Evans aurait été la dernière personne autorisée à y entrer. L’interdiction a duré vingt-six ans. Quand l’île a rouvert son aéroport au tourisme, il y a une dizaine d’années, Evans a voulu y retourner, mais, à cette époque, il lui était devenu interdit de prendre l’avion à la suite de son infarctus. Et pas question pour lui d’y envoyer quelqu’un d’autre.
— Alors, il s’est dit que, de toute façon, tout le monde avait oublié ce centre perdu sur une île à moitié déserte et que personne n’y retournerait. C’est ça ?
— Après tout, seuls lui et quelques rares personnes décédées au cours des dernières années avaient connaissance de la nature réelle des expériences et du niveau secret enfoui sous la base. Et puis, entre-temps, Gaustad était parvenu à reconstruire l’un des appareils d’Evans pour récolter les données sur 488 et les lui transmettre afin qu’il poursuivre ses recherches. Il n’avait plus besoin de ses vieux documents ou de ses vieux outils. Il avait ce qu’il lui fallait et a préféré laisser disparaître le souvenir de cette ancienne base plutôt que de demander à quelqu’un d’aller y faire le ménage et de prendre le risque d’exposer notre secret…
— Cela veut donc dire que si le deuxième fils d’Evans trouve l’île… reprit Jonas.
— … il aura potentiellement les moyens de comprendre certaines choses. Et nos quarante-deux années d’expériences seront anéanties. Nos sacrifices pour découvrir la vérité deviendront des crimes, siffla Davisburry, les lèvres pincées. Nos recherches pour le progrès seront taxées d’expériences inhumaines et notre projet sera dans le meilleur des cas arrêté, dans l’option la plus probable repris par d’autres qui le détourneront ou en tireront toute la gloire.
— Qu’est-ce que vous comptez faire ?
Mark Davisburry fit tourner sa chevalière autour de son doigt comme chaque fois qu’il réfléchissait.
— Allons au siège.
Puis il fit défiler une série de numéros sur son smartphone. Jonas le regarda faire, intrigué, se demandant qui son patron pouvait bien appeler.
Le téléphone sonna longtemps avant que Mark Davisburry ne parle.
— Johanna. C’est moi. Je vais avoir besoin de tes services. Rapidement. Rappelle-moi.
Et il raccrocha.
— Je croyais que vous seul et moi étions au courant du projet 488, marmonna Jonas.
— Johanna ne veut pas savoir pourquoi elle fait les choses, juste combien on la paye pour les faire.
L’homme d’affaires tourna la tête sur le côté, signifiant à son assistant que la discussion était terminée. Il frappa sur la vitre de séparation et ordonna au chauffeur qu’on le conduise au siège social. Vite. Le SUV démarra et s’éloigna du campus de Liberty University, laissant le doyen et les étudiants dans l’incompréhension la plus totale.