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Christopher échangea un regard de satisfaction avec Sarah et lui fit signe que, cette fois, il passait le premier. Il prit la torche et posa le pied sur l’escalier qui s’enfonçait sous terre.

À l’odeur de moisi qui souillait l’air se mêlèrent une senteur humide de cave et une fraîcheur qui fit se hérisser les poils de ses bras. Il descendit avec prudence. Sarah le suivait juste derrière.

Il posa le pied sur la dernière marche et balaya le pinceau de lumière devant lui. Juste en face, fiché dans le mur, ils distinguèrent ce qui ressemblait à un interrupteur.

— On n’a rien à perdre à essayer, murmura Christopher en éclairant le plafond où courait un fil électrique apparent reliant des ampoules.

Il enclencha le commutateur.

Plusieurs explosions étouffées les firent sursauter. La plupart des ampoules ne s’allumèrent pas, quelques-unes explosèrent et une poignée d’entre elles irradièrent d’une luminosité rouge, révélant un couloir blanchi à la chaux qui s’élançait de chaque côté.

— C’est possible ça, des ampoules qui fonctionnent encore plus de quarante ans après ? s’étonna Sarah.

Christopher s’engageait déjà avec prudence dans la partie la mieux éclairée du couloir, à droite.

— Un classique des phénomènes paranormaux démasqués que j’ai souvent cités dans mes bouquins, répliqua-t-il en discernant devant lui une ombre au milieu du chemin.

— Autrement dit ?

— Écoute, dans une caserne de pompiers de Californie, à Livermore pour être précis, il y a une ampoule qui brille non-stop depuis 1901. Alors oui, c’est possible qu’ici, certaines tiennent encore. Pour faire simple, certains filaments en carbone ont la capacité de se renforcer avec le temps au lieu de griller. C’est juste de la physique. Quant au fait qu’il y ait de l’électricité, je ne vois qu’une explication. Cette partie du bâtiment devait être reliée à la base aérienne au pied du volcan. Putain, c’est quoi ça ?

Christopher contourna un brancard muni de sangles usées et au matelas maculé d’auréoles.

Sarah l’imita en évitant soigneusement de toucher le chariot et s’arrêta derrière Christopher qui s’était figé au milieu du couloir.

— Regarde là.

Trois portes munies de judas venaient de se révéler dans la lumière de la torche.

Sarah ouvrit la première. Les pivots gémirent dans un larmoiement métallique et la faible lumière du couloir pénétra dans la pièce. C’était une cellule, avec seulement un lit et un cabinet de toilette, sans aucune fenêtre.

A priori un triste mais banal cachot. Sauf qu’ici, les murs étaient noirs. Noirs de graffitis. En un clin d’œil, Christopher et Sarah y repérèrent les trois formes entremêlées de l’arbre, du poisson et des flammes.

— Ça a commencé ici, murmura Christopher, à la fois fasciné et mal à l’aise.

Sarah photographia la cellule à plusieurs reprises afin de fournir à Lazar les preuves qu’il ne manquerait pas de leur demander. Les deux autres cellules étaient tout aussi sales et souillées par ces inscriptions dont la multiplicité et la nervosité du trait trahissaient une folie hystérique.

— Faites qu’il y ait une explication à tout ça, murmura Christopher en prenant de nouvelles photos.

Le couloir se terminait en cul-de-sac. Ils rebroussèrent chemin et dépassèrent l’escalier pour rejoindre l’autre extrémité du souterrain.

Une seule ampoule avait résisté dans cette partie et Christopher, qui voulut aller trop vite, se cogna contre un objet en métal qui émit un grincement.

La lueur de sa torche révéla le profil d’un étrange fauteuil roulant muni d’un corset probablement destiné à maintenir le buste et le cou.

— Là-bas, il y a de la lumière, chuchota Sarah qui préféra ne pas s’attarder sur la fonction d’un tel matériel.

Le couloir se terminait par deux portes battantes. Mais quelques mètres avant, sur le pan de mur de gauche, un éclat vacillant émanait d’une ouverture.

Ils entrèrent avec prudence dans une pièce d’une quinzaine de mètres carrés à vue d’œil.

À droite, sur une estrade, était installé un bureau en métal blanc sur lequel reposait une lampe à l’abat-jour vert diffusant une modeste lueur. Le halo lumineux parvenait à peine à éclairer une bibliothèque aux trois quarts vide qui recouvrait le mur face à l’entrée.

De chaque côté de la bibliothèque, deux petites tables rondes supportaient pour l’une ce qui avait jadis dû être un aquarium et pour l’autre un crâne humain.

Christopher s’empressa d’aller fouiller le bureau, tandis que Sarah soulevait le crâne humain à hauteur de regard.

— Il est annoté, dit-elle.

Christopher referma le dernier tiroir dans un geste d’agacement. À l’exception d’un crayon à papier abandonné, il n’avait rien trouvé. Il rejoignit Sarah.

La surface de l’ossement était découpée en plusieurs zones légendées.

— C’est l’écriture de mon père…

On pouvait y lire « aire motrice du langage (Broca) », « gyrus angulaire », « cortex préfrontal », puis toute une série d’aires et de cortex dont Christopher ignorait tout.

Il remarqua cependant que sur la quinzaine de zones démarquées, trois étaient circonscrites de traits très épais. Elles correspondaient aux lobes pariétal, temporal et occipital.

— Si je me souviens bien de mes cours de psychologie criminelle, déclara Sarah, ton père semblait particulièrement intéressé par les trois lobes qui abritent la mémoire.

Christopher reposa le crâne et avisa les livres abandonnés dans la bibliothèque tandis que Sarah jetait un œil sur l’aquarium.

Il s’agissait en réalité d’un vivarium, comme elle s’en rendit compte en voyant le sable et les branches sur lesquels gisait un petit squelette tout en longueur de ce qui avait dû être un reptile, probablement un serpent, compte tenu de l’absence de membres.

Christopher recensa les titres des ouvrages qu’il trouva dans la bibliothèque. D’abord, deux biographies, celle de Marie-Antoinette et une autre de Thomas More. Il se demanda si elles étaient là en guise de divertissement ou si elles avaient un lien avec les recherches menées par son père. À côté se trouvait Le Singe nu de Desmond Morris, ouvrage que Christopher connaissait et où l’auteur analysait l’espèce humaine en la traitant avec les mêmes outils et le même vocabulaire que celui utilisé pour décrire les comportements animaliers.

Sur la dernière étagère traînaient un ouvrage sur les Vikings et un autre sur des témoignages de soldats de la guerre 14-18. Entre la couverture et la première page était glissée une fiche plastifiée. Elle représentait une coupe transversale d’un cerveau humain surmontée du titre Le Cerveau triunique selon Paul MacLean.

— Il nous reste onze heures pour comprendre ce que ton père cherchait. Commence à éplucher les bouquins, je continue l’exploration des pièces.

— Ça me va, répondit Christopher.

Sarah sortit et tourna à gauche pour pousser la porte à double battant qui terminait le couloir.

*

Une unique lampe fixée au-dessus de la porte éclairait par intermittence ce qui avait jadis dû être une salle d’opération. En son milieu, sous le plafonnier opératoire, se trouvait une table en métal, sans matelas et équipée de sangles. Elle était entourée de trois chariots sur l’un desquels reposait une seringue vide. À côté, une ampoule de liquide cassée avait roulé vers le bord du plateau.

Sarah la souleva à hauteur de regard et la reposa. Il ne faisait plus aucun doute qu’ils étaient au bon endroit. L’inscription « LS 34 » était imprimée sur le verre de l’ampoule.

En poursuivant son exploration, Sarah recensa deux armoires vitrées vides, un évier, et surtout un appareil qui lui rappela le dispositif qu’elle avait aperçu dans le sous-sol de Gaustad juste avant que le directeur ne déclenche l’explosion.

Cela ressemblait à un émetteur radio posé sur une table à mi-hauteur. La façade était munie de deux cadrans ronds, deux prises jack et un bouton « ON ».

Du coin de sa manche, Sarah nettoya la poussière qui s’était déposée sur les cadrans. Le premier révéla la mesure d’une donnée appelée « HR » et dont l’aiguille pouvait aller de 0 à 220. Sarah se souvint tout de suite avoir déjà vu cette abréviation sur les machines auxquelles étaient reliés les victimes ou les témoins qu’elle avait visités à l’hôpital dans le cadre de ses enquêtes. HR correspondait au rythme cardiaque[4].

En revanche, la signification du deuxième cadran lui était étrangère. Il était bien plus large et partait à gauche de – X jusqu’à la lettre P à l’extrémité droite. Il mesurait un élément intitulé « T ».

Sarah éclaira le dessus de l’appareil et révéla une fente large de plus de vingt centimètres d’où sortait un rouleau de papier perforé sur les côtés, comme à l’époque des premières imprimantes.

Sarah enclencha le bouton « ON ». Les deux cadrans lumineux s’éclairèrent. L’aiguille du premier se plaça sur le 0 tandis que sur le second cadran, l’aiguille oscilla quelques secondes avant de se positionner au centre.

Comme il ne se passait rien, elle inspecta les parois latérales puis l’arrière du dispositif. Elle y trouva un câble d’alimentation relié à une prise murale et deux cordons terminés d’un côté par une fiche jack et de l’autre par une pastille ronde que l’on pouvait fixer sur la peau.

Et alors qu’elle cherchait à tirer les câbles jusqu’à elle, elle aperçut quelque chose par terre.

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